Nous sommes coupables forcément !
Je lis dans le Figaro du 12 novembre que le pape envisage de faire repentance pour les violences commises à l'occasion des croisades. Nous ne sommes pas le 1er avril et rien n'indique qu'il s'agisse là d'un gag.
Évidemment, Clinton s'est excusé de ses errements avec Monica, Chirac de Vichy, le mouvement de repentance universel est bien engagé. Il faut le poursuivre et l'amplifier : les massacres des Mongols (plusieurs centaines de milliers de morts lors de la prise de Bagdad en 1258), compte tenu de la différence de technologie, ont presque égalés ceux des nazis. Manifestons devant l'ambassade de Mongolie pour exiger repentance. J'attends aussi le moment où les Arabes s'excuseront de leur tentative d'invasion de la France, heureusement arrêtée par Charles Martel. Les Romains n'ont pas fait de quartier aux Carthaginois, pourquoi la Tunisie maintient-elle des relations diplomatiques avec l'Italie ? Et si l'homme de Neandertal n'a pas survécu, il y a de fortes chances pour qu'il ait été supplanté par l'homme de Cro-Magnon. Qui pour s'en excuser auprès de nos cousins disparus ? D'ailleurs, mon arrière-grand père avait volé une poule à son voisin et n'a jamais été retrouvé. Dénonçons-le, allons retourner sa tombe.
Les soubassements idéologiques d'une responsabilité collective
Cette prolifération des repentances et des excuses traduit une montée en puissance de la pensée primitive collectiviste. Pour les promoteurs de cette idéologie en forme de pensée unique, nous sommes responsables en tant que groupe, que nous ayons ou non la moindre part personnelle dans l'événement en question. Comme dans la Bible et les cultures anciennes, la malédiction se transmet de génération en génération. L'individu n'existe pas, il est tout entier intégré dans le groupe dont il fait partie ; l'histoire pèse sur lui et l'asservit plus implacablement que des chaînes de fer et d'acier. Les catholiques d'aujourd'hui doivent s'expliquer sur l'Inquisition, faute de quoi ils perdent toute autorité morale. Inversement, un groupe victimisé à un moment de l'histoire transmet ce statut à tous ses descendants. Combien de noirs restent traumatisés par le souvenir de l'esclavage, un siècle et demi après son abolition ? Comme si les origines des ancêtres des hommes d'aujourd'hui leur communiquaient une irrémédiable indignité. Racisme à l'envers, racisme tout court.
C'est cette culture mortifère de la haine promue par le collectivisme qu'on veut nous faire passer pour un progrès moral. La réalité, c'est que le seul progrès moral, c'est celui de l'individu libre et responsable. Lui seul peut s'abstraire de ses origines, de son passé, de son présent, pour construire l'avenir qu'il se donne. Alors que l'individu construit, le groupe ne trouve son identité que dans l'emprisonnement et la pétrification de ses composantes, une identité d'ailleurs plus forte dans la douleur que dans la joie. On montre aux jeunes d'aujourd'hui un monde angoissant, en les rendant coupables de crimes qu'ils n'ont pas commis, en les associant de gré et surtout de force à une mémoire vite étouffante…
Ce monde transformé par les moralistes socialistes en un ensemble de signes forcément signifiants, universellement moralisé de leurs seuls repères qu'ils veulent imposer à tous, ce monde est asphyxiant.
La morale libérale est une morale tournée vers la création, la joie et l'accomplissement ; elle s'oppose résolument au monde du ressentiment et de l'introspection angoissée cultivée par le collectivisme moralisateur. Pour les crimes du passé, je revendique le droit à l'innocence (et peut-être même parfois, à l'indifférence. Il faut bien vivre, que diable. Et puis les bons apôtres ne sont parfois que des professionnels de la morale qui en font un métier trop rémunérateur pour être tout à fait honnête...).
Thibaut MOURGUES, le 12/11/1999