Action sociale
"Les
enfants ne sont pas des marchandises"
Le business social des enfants
"Les enfants ne sont pas des marchandises !!!"
Magdeleine
entendit des bruits de pas sur le perron, puis distinctement
un « toc toc » rythmé, tout à fait caractéristique. Non, cela ne pouvait pas être elle,
et puis on était au milieu de la nuit … Son cœur fit un bond dans sa poitrine,
elle réveilla son mari : "Tu entends ? Vite, je vais voir."
À peine sorti de son sommeil, Joseph la rattrapa au bas des escaliers et fut le premier
à ouvrir grand la porte.
- Vanessa c’est toi ma chérie ! La petite lui sauta dans les bras.
- Papa, papa ! Gelée, elle le serra aussi fort qu’en étaient capables
ses petits bras grêles. La maisonnée, en sanglot, ne put pendant de longues
minutes articuler le moindre mot intelligible. Vanessa regarda Magdeleine
longtemps après les embrassades et lui demanda : "pourquoi tu m’as
abandonné maman, pourquoi tu n’es pas venue me chercher là bas chez ces
gens ? Tu les a laissé m’emmener …"
Son amour puis ses reproches c’était trop pour elle, Magdeleine n’aurait
jamais cru être une mauvaise mère, après la perte de son fils, elle n’aurait
jamais imaginé pouvoir redevenir une mère tout court.
En réalité Vanessa n’est pas sa fille, elle lui a été confiée voilà 5
ans par l’Aide Sociale à l’Enfance en sa qualité d’assistante maternelle.
La petite était bien tombée, la famille Bérard constituait un foyer équilibré,
chaleureux et accueillant. Elle n’était pas une enfant difficile et avait
bénéficié d’une excellente éducation mais aussi de l’amour filial contre
lequel les Bérard avaient été mis en garde.
Rappelez vous que les enfants qui pourraient vous être confiés ne sont
pas vos enfants leur avait dit l’inspecteur de l’ASE. Oui garder des enfants
c’est une mission qui leur avait été confiée et pour laquelle ils furent rémunérés
par l’État. Les enfants placés ainsi ne sont pas des orphelins, ils ont des
géniteurs vivant incapables temporairement ou définitivement de s’occuper
d’eux.
Magdeleine et Joseph n’étaient de toute façon pas en mal d’enfant, pour
autant ce ne devait pas être une famille d'accueil comme les autres car ils
n’avaient pas réussi à se passer de l’aimer. Vanessa avait rapidement
pris l’habitude de les appeler maman et papa et leur fils Antoine c’était
son frère, ils n’avaient plus la force de la contredire comme ils le firent
au début.
- Mais je suis revenue, je suis revenue, tu vois on peut s’échapper.
Elle se mit à escalader les escaliers quatre à quatre et rentra dans la
chambre condamnée, le grand frère n’était pas de retour. Magdeleine la
regardait émue glisser une photo chipée dans la commode.
- Pleure pas Maman, il reviendra lui aussi et on sera à nouveau tous ensemble.
Joseph vint les rejoindre et ils restèrent longtemps ainsi tous trois
à se réconforter. La chambre sentait bien un peu le moisi mais elle vivait
à nouveau, les jouets allaient pouvoir ressortir du néant de leurs
malles, Magdeleine se reprochait presque ce bonheur de l’aimer pour ce
qu’elle lui apportait plus que pour la petite fille en elle-même.
Enfin
c’est ce qu’avait dit l’expert de l’aide sociale à l’enfance.
- Il ne faudra rien dire affirma Joseph, tu sais ce qui va se passer sinon.
Magdeleine
ne répondit pas.
- On ne dira rien, pas aujourd’hui, ni demain.
D’ailleurs, dès le lendemain Joseph avait pris ses congés, deux jours d’une félicité
troublée s’écoulèrent. Puis un coup de fil, Monsieur Rougeard de l’ASE signala
la disparition de Vanessa, demandant si, par hasard, la famille Bérard aurait
des nouvelles. Magdeleine ne réussissait pas à répondre, son cerveau disait
non mais ses lèvres tremblaient sans qu’aucun mot ne sorte.
- Madame Bérard, Vanessa est-elle chez vous ?
Elle prit une voix hésitante : "Monsieur Rougeard, c’est très dur
ce que nous vivons …"
- Je passerai dans l’après-midi soyez là, et il raccrocha, Magdeleine
demeura le combiné en main jusqu’à ce que son mari le repose. J'ai fait une bêtise,
c'était eux, ils vont venir.
- Il va venir ce salaud ? S'emporta Joseph.
- Oui, oh mon Dieu, mon Dieu qu’allons nous faire, qu’allons nous faire
?
Vanessa les regarda avec inquiétude : "qui c’est le salaud papa ?"
Trois heures plus tard, Monsieur Rougeard actionna l’interphone :
"Vous pouvez m’ouvrir la grille, ASE, je suis seul". Il traversa
le jardin, passa le perron et entra solennellement dans le vestibule.
- Je vois que Monsieur Bérard est là lui aussi, vous vous êtes donc tous rendus disponibles pour la petite, il réajusta ses lunettes en les balayant suspicieusement du regard. Je tiens, néanmoins à vous signaler que je suis ici pour que tout se passe bien. Comme vous le voyez je suis seul, j’aurais dû logiquement venir accompagné d’un officier de police judiciaire.
- La police Monsieur ? Mais je ne comprends pas, le coupa Mme Bérard.
- Ah vous ne comprenez pas ? Vraiment ? Interrogea-t-il en accompagnant la question de haussements de menton répétés. Laissez moi alors vous expliquer ce que vous risquez et vous me remercierez ensuite. Ce que vous avez fait là s’apparente à un rapt et à un détournement de mineur, n’importe quel tribunal de la république française vous condamnerait à la prison pour un tel délit.
Stupeur et grognements alors que Vanessa descendait de l’escalier.
- Non, non, laissez moi finir et il n’y a pas de raison que je ne lui fasse pas la leçon à elle aussi, bien qu’il soit évident qu’elle est la première victime de vos agissements.
Vanessa rejoignit Magdeleine et jeta un regard noir au fonctionnaire de l’ASE : "alors c’est vous le salaud, vous voulez mettre mes parents en prison !"
- Je vois que la petite a reçu ici la meilleure éducation possible. Écoutez, nous voulons que tout se passe bien, d’abord parce que nous avons nous-même commis l’erreur de ne pas vous la retirer plus tôt …
- Comment cela, pourquoi auriez vous fait une chose pareille ?
- Monsieur Bérard, votre fils est mort par je ne sais quelle imprudence, à partir de là vous avez cru naturel de pouvoir vous approprier l’enfant des autres !
- Mais c’est honteux ce que vous dites ! S’indigna Joseph alors que Vanessa criait : "c’est pas vrai, il est pas mort, il est parti mais il va revenir comme moi !"
Rougeard renifla sourdement, d’autorité il s’installa dans le salon suivi des maîtres de maison, il avisa un fauteuil, s’installa et reprit sa péroraison.
- Et permettez moi de vous dire autre chose, que cela vous plaise ou non, et je sais que vous ne ferez pas de scandale car si je m’en vais, c’est la police qui se chargera directement de cette affaire … Non, je vous en prie, taisez vous et écoutez ce que j’ai à vous dire. Cette petite vient d’une famille à problèmes, des gens très pauvres mais quand on est pauvre on est digne Monsieur Bérard, n’est-ce pas ? Il existe néanmoins un déterminisme social qui fait que si notre service n’existait pas, cette fille serait condamnée à connaître le sort de ses parents. C’est là que vous et nous avions un rôle à jouer, nous corrigions ensemble une inégalité naturelle et oeuvrions dans l’intérêt général. Il était de votre devoir, entre parenthèses bien rémunéré par nos services, donc de votre devoir de citoyen d’assurer vos fonctions de famille d'accueil et ceci stricto sensu.
- Et c’est ce que nous avons fait répondirent les Bérard.
Rouge d’une colère rentrée, le fonctionnaire de l’ASE continua d’une voix plus forte et mal maîtrisée.
- De qui vous moquez vous ? Cette fille vous prend pour ses parents, vous l’y encouragez, vous l’aimez prétendez vous. Mais descendez de votre nuage, c’est pas parce que vous avez du fric que vous pouvez vous payer une gamine. Des citoyens vous ? Laissez moi rigoler, c’est votre intérêt qui passe avant celui de la collectivité, voilà je vais vous dire vous prenez tout pour des marchandises, tout s’achète pour vous et cette gamine aussi … Vous croyiez que nous allions accepter que vous l’achetiez avec une belle baraque, des beaux jouets et un amour larmoyant de séries américaines ? Les enfants ne sont pas des marchandises !!!
Il était monté dans les aigus jusqu’à hurler en jetant sa serviette sur la moquette du salon.
Abasourdis, les époux Bérard, restés debout en face de lui, se regardèrent. Magdeleine se mit à pleurer discrètement, Joseph n’en pouvait plus non plus.
- J’ai pas à entendre vos conneries sous mon toit.
- Oh que si Monsieur Bérard, je vous ai dit que ma démarche était dans votre intérêt et dans celle de la petite, vous ne voudriez tout de même pas que cela se passe mal et qu’elle en sorte plus traumatisée encore ?
Vanessa s’agrippa désespérément à la taille de Joseph, elle hoquetait en répétant sans cesse : "ne laisse pas le salaud m’emmener papa, ne les laisse pas comme la dernière fois."
Rougeard sans prêter la moindre attention aux pleurs de la petite, voulu conclure par un « Ramenez moi ses affaires et emmenez la à ma voiture ».
Les pleurs se muèrent alors en une véritable crise de nerfs.
Pour la calmer, mais aussi parce qu’ils en avaient longtemps parlé officieusement, Monsieur Bérard fit mine d’obtempérer tout en déclarant vouloir faire une demande officielle d’adoption de Vanessa.
- Mais vous ne comprenez donc rien, hurla Rougeard en proie à une « sainte fureur », Vanesse A DES PARENTS. C’est bien clair cela, et même si vous achetiez aussi ses parents, nous ne faisons pas adopter les enfants comme cela, elle serait placée dans un centre de la DDASS. À toutes fins utiles sachez aussi que nous donnerons un avis défavorable à toute demande d’adoption de votre part pour n’importe quel enfant. Je pense d’ailleurs que vous avez parfaitement saisi pourquoi.
>- Mais alors, implora Magdeleine, on peut au moins avoir un droit de visite.
- Ce n’est pas votre fille Madame, je vous le répète encore et encore, pas de droit de visite, pas le droit de l’approcher ou d’importuner la famille de placement, cela vaut mieux dans l’intérêt de Vanessa.
Les vingt minutes qui suivirent furent assez pénibles, Vanessa s’était cachée dans la maison, les Bérard n’avaient pas le cœur à la mettre dans la voiture du salaud. Finalement Rougeard la débusqua et l’emmena de force tout en lui précisant bien que si elle fuguait à nouveau Joseph et Magdeleine iraient en prison.
Vingt dernières minutes entre les parents et leur fille qui n’était pas de leur sang. Vingt minutes pendant lesquelles Magdeleine s’était enfermée dans sa chambre et Joseph avait voulu écraser son poing dans la gueule de Rougeard, en lui indiquant la sortie à grands coups de pompe dans le cul.
Vingt minutes infernales et toute une vie durant laquelle ni elle, ni lui, ni la petite ne se remirent de cette journée.
Xavier PREGENTIL, le 25 décembre 2003
PS : En 2005, soit deux ans après cette histoire, les media ont évoqué l'enlèvement d'un enfant par l'État à sa famille d'acceuil pour le délit de trop l'aimer. Il s'agissait de la famille Bénard.
Le business social des enfants
Les numéros 391 et 392 de la revue " économie et statistique " de l'Insee étudient une causalité entre le placement des enfants et la situation de SDF.
Je passe sur
les conceptions bourdieusiennes sans le moindre intérêt, pour me focaliser sur
l'effet du placement de 150 000 enfants chaque année en France.
Je me permets aussi de ne pas noyer le poisson en faisant des (dé)raisons desdits
placements la cause première des désastres sur l'enfant devenu adulte. Ceci
car les raisons exposées sont en réalité invoquées par les sévices sociaux et
entérinées par la magistrature, elles sont donc loin d'être avérées.
Ce qui apparaît cependant est la socialisation tout à fait particulière d'enfants en dehors d'un contexte familial stable. À cet égard il apparaît évident que l'enfant placé vit sa situation comme celle d'un abandon avec l'influence que cela peut avoir sur l'estime de soi. Le contact avec d'autres enfants plus ou moins perturbés par leur situation est également fortement anxiogène d'autant que les foyers sont aussi des lieux de violence et d'abus de toutes sortes, que les familles d'accueil n'ont pas le droit de s'attacher aux enfants confiés. La relation à l'adulte est a-familiale, les fonctionnaires de l'aide sociale à l'enfance étant tout sauf des référents familiaux et des modèles auxquels s'identifier. Au mieux l'enfant se créé son univers et ses propres repères, au pire il y subit de graves maltraitances dans l'indifférence, voire avec la complicité de ceux qui sont censés le protéger, le faire grandir et qui sont pour lui des images d'autorité dévoyée. On peut donc comprendre les rapports à l'autorité difficiles, et même les comportements anomiques adoptés par nombre de ces enfants devenus adultes ; leur rejet de tout système socialisant à commencer par l'univers du travail et quelquefois même la structure familiale vécue comme une charge de responsabilité impossible à assumer.
Ainsi la sortie des circuits aliénants des services de " l'aide à l'enfance " conduit souvent à la marginalisation et cela d'autant plus que le placement a été long : 40 % des 18-24 ans ayant subi un placement se retrouvent un moment donné clochards, contre 2 % de la population totale. Pire encore, cette population clochardisée de victimes de l'ASE (aide sociale à l'enfance) développe souvent des troubles mentaux et une forte dépendance à l'assistanat. La clochardisation n'est donc pas une façon de vivre son autonomie, mais une incapacité d'assumer des responsabilités même quand une perche est tendue. Cette population est donc fortement stigmatisée pourtant le jeune devenu clochard n'est pas un fainéant ou simplement un rebut de la société mais une victime des sévices sociaux. Il est tout simplement incapable de sortir facilement des représentations que lui ont imposé ses éducateurs de par les conceptions sociales qui sont les leurs, mais également du statut qu'ils lui ont imposés. La fréquence des suicides dans cette population est donc évidemment double à la fréquence moyenne des suicides en France. Ces drames peuvent aussi se dérouler durant les placements, une étude des sociologues Pronovost et Leclerc menée au Québec montre que 54 % des suicides sont consécutif à des refus de placement par le jeune, attaché à son milieu familial.
Les 60 % restant des enfants placés s'insèrent davantage, pire serait difficile. Mais ils restent en général très dépendants de l'assistanat et sont touchés par des troubles psychologiques. Dans les conceptions bourdieusiennes de l'analyse produite pour le compte de l'INSEE, est évoquée une volonté de tabler sur un capital santé dont la défaillance serait un atout puisqu'elle " ouvre droit à des prestations ou allocations, par exemple accident du travail ou allocation adulte handicapé ". Il aurait été bien plus simple de dire que l'enfant devenu adulte cherche à attirer l'attention par ses souffrances et a été conditionné à la prise en charge de ses besoins. Certes nous le sommes tous plus ou moins dans le cadre d'un Etat Providence qui émousse la responsabilisation et l'initiative individuelle.
Enfin n'oublions pas dans ces 60%, les enfants touchés par l'effet résilience et rendus plus forts dans leurs épreuves. Cependant la fonction de l'ASE et des juges des enfants n'est pas de faire du darwinisme social en cassant irrémédiablement la moitié des enfants qui passent entre leurs mains pour en faire naître une petite élite.
Nous pressentions
dans notre chair la monstruosité du système mis en place au nom de " l'aide
à l'enfance ", avec le recul les statistiques confirment ce pressentiment, tout
en brouillant une réalité et des responsabilités par l'usage d'un jargon pseudo
sociologique. Mais le constat fait, le dossier se referme comme si nous avions
affaire à une fatalité.
Ah c'est vrai, ce ne sont pas les services de l'Etat qui vont couper la branche
sur laquelle ils posent leur prose. Il faut bien 8 milliards d'euros par an
pour faire vivre tout ce petit monde et assurer la reproduction de la pauvreté
et du malheur, c'est là le gagne-pain de l'ASE et d'une certaine magistrature
qui se range à leurs positions au mépris des familles : Ils aiment tellement
les pauvres qu'ils en créent par centaines de milliers.
Xavier COLLET, le 31 janvier 2011