Amis dans l’action, ennemis dans le débat


Je me souviens en décembre 2001 de notre première marche pour le capitalisme lors de laquelle nous fûmes relativement nombreux à défiler de la Bastille à Bercy.

C’était là, après notre coup d’éclat à Mugron contre Attac, une occasion nouvelle de nous compter sur le terrain et de mesurer notre ferveur militante. Mais cette fois bien des anonymes nous rejoignirent grâce à Anne Argilet, laquelle nous avait permis la veille d’annoncer notre marche en première page du Figaro.

Libertarienne cette fête du capitalisme ? Oui mais pas seulement et après tout qu’importe, il fallait tout bonnement proclamer notre foi en le capitalisme et notre exécration du tout Etat sauvage qui continue à régner en France plus qu’ailleurs. C’est effectivement sur un tel mot d’ordre que nous ralliâmes certains qui se seraient fait tirer l’oreille par nos Libertariens de salons pour défaut « d’orthodoxie libérale-libertarienne ».

Mais ce 2 décembre nous étions des Libertariens d’action sans que nous le sachions tous, nous étions des militants de bonne foi du capitalisme et pour une fois ne nous ne connaissions pas les uns les autres.

Certains, plus orthodoxes peut être, et de nos relations, n’étaient pourtant pas des nôtres. Garello n’avait pas organisé, il n’en parla donc pas, faisant de nos demandes lettre-morte. Madelin, contacté par notre ami Aurélien de Salle, n’avait pas non plus daigné répondre. Quelques amis de Claude Reichman était là, mais lui ne manifeste pas, nous attendions encore Jean-Gilles qui s’était proposé pour un coup de main mais qui ne vint ni à cette marche ni à l’autre. Quant à certains de nos théoriciens ils me firent savoir qu’un Libertarien cela ne manifeste pas comme un vulgaire gauchiste.

Il nous restait tout de même des poids lourds du mouvement comme Lemennicier, Michel, Faré, d’autres encore qui vinrent en 2001 puis en 2002 ; des Libéraux comme De Guénin, Lamirand, Philippe, ...

J’aimerais que nous nous souvenions de ces moments, de nos nouveaux amis qui nous ont enrichis de leur soif d’action, de leur recherche d’un mouvement qui leur ressemble et que nous avons parfois déçus par nos querelles intestines et nos manières de petits profs. Oui, rappelons nous ce premier dimanche de décembre où nous communiâmes dans l’action, dans le combat contre le politiquement correct, contre le tout-politique, contre ces media inféodés au pouvoir que nous huâmes copieusement.

Ah bien sûr certains n’avaient alors jamais entendu cette belle appellation de « Libertariens », mais en compensation, ils nous ont apporté le passage à l’action militante qui nous fait tant défaut. Nos slogans ont été repris, d’autres ont fusé « Non, non au 35 heures », on me l’a reproché. Face à la maréchaussée qui protégeait le temple collectiviste de Bercy, une dame a entonné : « la police avec nous ! » comme le font souvent les manifestants de tous bords. Là encore un des nôtres me l’a reproché : « Tiens tes troupes, je suis pas là pour dire vive les flics, encore un coup comme ça et je m’en vais ! ». Eh non cette phrase je ne l’ai pas oubliée, comme si j’avais une troupe, comme si je voulais contrôler la parole ainsi libérée.

Nous étions pluriels, nous sommes devenus prompts à la chamaillerie, à l’excommunication. Dans l’action l’orthodoxie comptait moins que la similitude des objectifs. Face à l’oppression que nous avions conscience de subir, nous faisions front commun et battions le pavé.

Pour défendre le capitalisme, Cuba Libre ou se battre contre la mafia syndicale, nous nous sommes retrouvés et avons tissés des relations directes entre individus libres qui s’apprécient, nous tolérions les approximations et les erreurs vénielles des uns et des autres.

Quelle différence avec nos relations par media numérique, au lieu de nous expliquer nous devenons sentencieux, cassants, grossiers, cherchant à rabaisser ceux qui se sont joints à nous par le net. Ceux qui devraient être amis de combat nous les traitons comme ennemis de débat. Nous construisons chapelles et coteries, sites et listes de discussions similaires mais farouchement concurrents. L’action commune en est devenue impossible. Je me rappelle encore cet internaute de la liste ADEL à qui je proposais d’organiser le mouvement en Bretagne et qui me répondit : « ah pardon mais non, je ne suis pas libertarien, je suis randien. » Je pense que cela se passe de tout commentaire.

Plus fort encore et dans l’action même j’ai entendu un soi-disant libéral qui se disait de nos amis me dire : « Ah non désolé on invite pas les Libertariens, c’est notre manif et on veut pas passer pour des extrémistes ! » Combien ont refusé de nous aider en se disant libéraux et nous voudraient aujourd’hui anonymes dans ce qu’ils ne considèrent pas autrement qu’une troupe de supplétifs ? Impuissants dans l’action que nous resterait-il sinon se fondre à eux en perdant notre vocation libertarienne à guider et à conseiller ceux qui ont soifs de bénéficier des outils de leur libération ?

Je ne serai pas de ceux qui se renieront ou qui baisseront les bras. Je voudrais que nous demeurions Libertariens et de préférence Libertariens d’action, que nous construisions le plus beau mouvement qui soit dans la volonté d’agir ensemble pour nous affranchir nous-mêmes et affranchir les esprits de ceux que la classe parlante maintient dans l’erreur et la désespérance en l’individu…

 

 Xavier COLLET, le 4 décembre 2004