Mauvaise concurrence ? 


La concurrence telle que je la concevais

D'abord  je crois que la propriété individuelle permet à toute personne de se réaliser, de pouvoir atteindre grâce à ses propres moyens les buts qu’elle s’est fixée sans porter atteinte à la propriété de ses semblables. En conséquence je crois que sans propriété individuelle c’est le vol qui permet l’atteinte d’un objectif, la propriété collective c’est le vol dont certains profitent sur le dos des autres.

Or l’utilisation de la propriété se complète de l’état de concurrence. Cette concurrence est naturelle et résulte de la liberté d’entreprendre par l’usage de sa liberté individuelle, elle est aussi une contrainte qui pousse à l’excellence. Ainsi la concurrence forme une main invisible qui permet au consommateur et au producteur de bénéficier mutuellement du marché. Le producteur, naturellement poussé à proposer ses biens et services de manière à maximiser ses gains, ne pourra pour autant sacrifier la qualité ou être trop gourmand sur ses prix, sa cupidité le mènerait tout droit à la faillite. Le consommateur, de son côté, cherchera toujours mieux et moins cher.

Véritable système de motivations et de sanctions individuelles, la concurrence laisse donc libre cours à la créativité ; elle stimule l’innovation par l’encouragement à la recherche et à l’utilisation de nouveaux produits, de nouveaux procédés, elle oriente ainsi l’entreprise vers une combinaison plus efficace de ses ressources. Enfin, elle est un facteur de productivité par l’orientation qu’elle donne aux facteurs productifs vers leurs usages les plus productifs.

En un mot la concurrence, réelle ou potentielle en marchés contestables, veille à ce que nous faisions le meilleur usage possible de la liberté d’entreprise.

Mais aurais je tort au regard du passage de la théorie au monde réel ?

Si j'en crois tout ce que j'entends chez les pseudos économistes, ma vision idyllique de la concurrence ne serait que très théorique. Eh oui, c’est une habitude que l’on retrouve chez les collectivistes que de considérer que l’irréalisme des hypothèses de la concurrence pure et parfaite justifie l’intervention des hommes de l’Etat dans l’économie. La lecture du numéro de mars 2001 d’Alternatives Economiques dans un article de Jacques Généreux, prof à Sciences Po Paris m’étonne donc particulièrement. C’est la première fois que je puis trouver un paragraphe juste dans tous les numéros dont je lis l’indigeste prose au centre de documentation du lycée, et quand je parle d’indigeste vous comprendrez que je suis dans un moment de politesse exquise. Je ne résiste donc pas à l’envie de vous recopier le paragraphe dans son intégralité :

« Dans une série de textes rassemblés en 1948 sous le titre « Individualism and Economic Order », Friedrich von Hayek propose une vision radicalement différente de la bonne concurrence (comprendre différente des hypothèses de la concurrence pure et parfaite). Il dénonce l’absurdité méthodologique de l’analyse néo-classique, qui prend pour modèle du marché concurrentiel un état parfait et si radicalement irréaliste qu’il n’y a aucune espèce de chances de s’en approcher concrètement. Les marchés étant caractérisés par une imperfection insurmontable de l’information, aucun processus idéal de concurrence ne peut garantir en permanence l’usage le plus efficace des ressources. Mais, pour Hayek, c’est précisément cette imperfection radicale du marché qui fait la supériorité d’un processus décentralisé de libre négociation : les acteurs individuels font circuler l’information sur leurs moyens et sur leurs désirs et peuvent ajuster leurs plans en continu pour les rendre aussi compatibles et cohérents que possible. Cela ne permet jamais d’atteindre l’optimum théorique promis par le modèle néoclassique, mais cela favorise le meilleur usage possible des ressources. La bonne concurrence n’est donc pas un état du marché défini par une liste de conditions abstraites, mais un processus dynamique engendré par la liberté d’entreprendre et de négocier. »

Généreux continue en énonçant la théorie des marchés contestables aboutissant à ce que la concurrence parfaite ne soit plus conditionnée que par la libre entrée et la libre sortie d’un marché.

Seulement voilà, l’article en question s’appelle « la mauvaise concurrence chasse la bonne ». Il ne s’agit donc pas pour Généreux de dresser des louages à la concurrence mais de minimiser les conclusions de Hayek au nom d’une « mauvaise » concurrence dont les effets dévastateurs impliquent des entorses à toute concurrence par la réglementation.

Le pire est que l’argument porté est celui le plus utilisé dans la population pourtant peu versée en économie. Ils s’agit donc de considérer que la concurrence pousse les producteurs à une course à l’efficience menaçant le facteur humain et environnemental. C’est cette affirmation que nous devons réfuter et nous devons donner de la publicité à cette réfutation.

C'est sûr la concurrence pousse aux cadences infernales

Je vous en livre un exemple : la concurrence entre les transporteurs routiers, sous la pression des donneurs d’ordres qui imposent des délais de livraison très courts,  les conduit à rouler de plus en plus longtemps au détriment de la sécurité et en infraction avec les lois du travail. L’ambulancier qui me ramenait du Jura n’avait pas de mots assez durs pour condamner la gauche et les 35 heures, mais il n’en restait pas moins choqué de l’exemple de ce camion arrêté par la police pour avoir roulé 72 heures d’affilée sans s’arrêter. En fait le conducteur était un roumain et ses deux frères dormaient à l’arrière du camion pour le relayer. Avec une telle concurrence, dit-il, les transporteurs qui n’en font pas autant se font piquer les marchés, et puis en acceptant de telles conditions ces roumains mettent à mal la profession. Sans compter les accidents toujours possibles car ces gars là sont fatigués, et puis ce sont pas des professionnels, ils peuvent pas se rendre compte de l’état mécanique du camion. La conclusion en était que l’Etat devait réglementer.

Bien sûr, lois ou pas lois, des transporteurs agissent de la sorte, mais la loi fait qu’il s’en trouve toujours quelques uns pour dénoncer une « concurrence déloyale ». Donc elle sert effectivement à décourager ces pratiques. La question se pose de savoir maintenant si le marché encourage cette « mauvaise » concurrence ?

Supposons que tous les camions roulent sans interruption avec un équipage qui se relaie. Supposons que pour gagner encore en productivité, le chauffeur roule à lui seul 12 heures sans s’arrêter.

Que se passerait-il alors ? Le nombre d’accidents mortels ou non augmenterait avec la fatigue des conducteurs, un accident mortel aurait des répercussions gigantesques qui souvent ne se limiteraient pas au décès du conducteur, des précédents sont encore frais dans l’actualité. Les primes d’assurance augmenteraient donc fortement pour les sociétés de transports, anticipant les dommages et intérêts à rembourser. En outre la pénibilité des tâches dissuaderait toute la profession des chauffeurs et aspirants chauffeurs, créant une crise des vocations qui pousserait les salaires à la hausse. Au total l’augmentation du chiffre d’affaire des transporteurs serait obérée des frais supplémentaires d’assurance et de masse salariale.

Oui mais le marché régule les cadences infernales en améliorant continuellement la situation des plus défavorisés

Ce à quoi l’ambulancier me répondit, oui mais les roumains ne sont pas regardants, ils acceptent déjà pour faire ce boulot des salaires que personne ne veut, des routiers de chez nous il y en a plus le boulot est trop dur et ils sont trop exigeants en salaire. La constatation est juste et la crise des vocations existe déjà, mais tant que le marché profite aux intervenants : roumains, transporteurs et donneurs d’ordre, les camions rouleront.

Aurait-on quelque chose à reprocher à cela ? La concurrence générera son propre ordre, les roumains travailleront dur jusqu’à ce qu’ils trouvent mieux ailleurs, les transporteurs augmenteront les cadences jusqu’à ce que les primes d’assurances deviennent prohibitives. Le plus malin dans l’affaire sera peut être celui qui fait rouler raisonnablement et paie correctement un personnel qualifié.

 

Xavier COLLET, le 12 janvier 2004

Hello Xavier, top, ton article. Et pour souligner tes propos, voici un exemple concret :

 

La concurrence vers le mieux-disant social

 

Il y a 2-3 ans, j'ai trouvé un article dans le journal vaudois "Le Matin", qui parlait d'un Suisse émigré au San Salvador et créateur d'une entreprise fabriquant des briques. Ils le montraient avec un Colt à la ceinture, ce que le Valaisan disait détester, puisqu'il était de nature pacifique, mais il semblerait qu'il s'était déjà plusieurs fois fait tirer dessus à l'AK-47. Mais pourquoi donc ?

Parce qu'il avait instauré une concurrence "déloyale": il avait le meilleur produit du marché et il le vendait MOINS CHER que la concurrence !

Et pire que ça: ce salopard se permettait de payer ses employés 2 à 3 fois les salaires usuels, attirant du coup les meilleurs travailleurs et assurant leur fidélité !

Alors les producteurs concurrents ne voyaient qu'un moyen de l'éliminer, c'était à coup de balles, mais heureusement, ils étaient aussi mauvais tireurs que poseurs de briques. Cohérents dans la nullité !

 

Stefan METZELER