Le Figaro
A propos de la récente présentation du rapport Bouton
Gouvernement d'entreprise : ne légiférez pas !
PAR Mathieu
LAINE
Publié
le 05.10.2002
La récente présentation du rapport Bouton « pour un
meilleur gouvernement des entreprises cotées» est l'occasion de faire le point
sur l'utilité et l'efficacité du gouvernement d'entreprise à la française.
Ce rapport, commandé par le Medef et l'Afep, entend restaurer la confiance des
acteurs économiques et s'attache à mesurer l'efficacité des recommandations
des précédents rapports Viénot de 1995 et 1999. En réalité, il se contente
de proposer des attitudes peu innovantes * voire infondées * qu'il convient de
dénoncer.
Le postulat de réflexion du groupe de travail est, avant tout, regrettable. Les
deux premières phrases du rapport, censées donner le ton et la philosophie du
document, établissent un lien logique entre le constat de la supériorité du
système capitaliste comme mode d'organisation économique et la nécessité de
créer des mécanismes de régulation efficaces. Ce corollaire est pourtant
erroné.
Le capitalisme est, en effet, fondé sur un mécanisme d'autorégulation
permanente. La propriété privée et la libre circulation des biens, des
connaissances et des personnes en sont les piliers. Si le droit doit avoir une
ambition dans ce domaine, ce ne peut donc, à aucun moment, être celle de la régulation.
Car toute tentative de régulation se solde irrémédiablement par une réglementation
étatique contraignante. Or la contrainte publique est l'ennemi de la liberté.
La contrainte publique est un grain de sable exogène qui vicie le système d'auto-orchestration
capitaliste.
L'histoire économique enseigne d'ailleurs que l'intervention étatique n'a
jamais empêché les échecs. Au contraire, elle est davantage la mère nourricière
d'enfants terribles (et terriblement chers pour le contribuable) tels que le Crédit
lyonnais ou, plus récemment, France Télécom. Les déficits publics actuels en
disent d'ailleurs assez long sur la capacité des hommes de l'Etat à bien gérer.
La réglementation, sous couvert de noble régulation, est donc à proscrire
tant elle entretient l'économie de notre pays dans un modèle aux vieilles
consonances dirigistes. Il faut aussi se garder de renforcer l'autorité
d'organismes comme la COB qui sont devenus d'énormes machines productrices de
paperasses et d'invectives tatillonnes et stériles. Leur emprise freine la
circulation des richesses et la réalisation rapide des opérations économiques.
Elles sont, de plus, faillibles et finissent, dans ce cas, par induire en erreur
les actionnaires.
L'autorégulation aurait été un bien meilleur postulat pour ce rapport qui
aurait alors pu proposer des réformes originales et créatives. Ses rédacteurs
auraient, en effet, été mieux inspirés de commencer par faire table rase des
réflexes anciens pour tenter de coller à la réalité de l'économie
capitaliste. Malheureusement, ils n'ont fait que pousser un peu plus loin des
propositions anciennes sans analyser la légitimité de celles-ci.
On se félicitera que ce rapport n'ait pas appelé à la rédaction d'un nouveau
projet de loi. Il n'utilise que la forme des recommandations. Ses rédacteurs
ont-ils compris que la véritable régulation se fait plus dans les entreprises
que dans les couloirs des ministères ? Le souvenir, encore frais, de la
mauvaise loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) a dû freiner
toute volonté législative. On pouvait tout de même craindre qu'un
parlementaire en mal de reconnaissance médiatique n'hésiterait pas à
s'inspirer de ce rapport pour rédiger une proposition de loi. Et c'est Francis
Mer lui-même qui vient d'annoncer qu'il entendait rédiger un projet de loi sur
le gouvernement d'entreprise : il faut désamorcer cette tentation au plus vite
!
Les recommandations du rapport Bouton en appellent, dans un premier temps, à
plus de transparence. Certes. Mais ce culte de la transparence imposée n'a pas
de sens. On constate, en effet, aujourd'hui que la plupart des sociétés cotées
se sont lancées spontanément dans la conquête de ce nouvel eldorado. Et ce
n'est pas la conséquence d'une injonction publique ou d'une collection de
savants rapports. C'est parce que les dirigeants ont intérêt à satisfaire les
propriétaires de leurs entreprises. A la suite des fameux « ratés» d'Enron
ou de Vivendi, la préoccupation des actionnaires a bien été de clarifier les
situations comptables et d'éviter la reproduction des erreurs passées.
Ce mécanisme intuitif de réajustement est le produit de la mécanique d'autorégulation
du capitalisme. C'est cette loi naturelle, fondée sur la matrice « propriété-responsabilité»
qui, depuis toujours, a permis la rectification des erreurs et le développement
de l'économie et du bien-être. Au lieu d'ordonner un comportement, et de
risquer de nuire aux mécanismes d'autorégulation en imposant des procédures
coercitives de contrôle, il est préférable de laisser les actionnaires, en
qualité de propriétaires, adopter librement les mesures les plus efficaces et
les plus adaptées à leur entreprise (comme la nomination, de plus en plus fréquente,
d'un déontologue au sein de l'entreprise). On peut leur faire confiance, car
c'est bien plus leur intérêt que celui du rédacteur d'un rapport ou d'un
texte de loi.
Autre proposition condamnable : le renforcement de la notion d'administrateur
indépendant. L'idée du rapport Bouton est de donner à ces administrateurs, détachés
de tout lien avec l'entreprise, une part significative au sein du conseil
d'administration. Cette idée est une illusion. Avant la chute de Messier,
treize sur les dix-neuf administrateurs de Vivendi étaient indépendants... Il
faut, au contraire, responsabiliser davantage les membres des conseils
d'administration. Or nul n'est plus responsable d'une chose que son propriétaire.
Nul ne sera plus incité à gérer au mieux un bien que celui qui a sur lui un
titre de propriété. C'est une règle fondamentale de l'économie capitaliste.
Pourtant, on nous propose de donner aux administrateurs indépendants un poids
plus conséquent. Mais c'est oublier que ces administrateurs dits indépendants
sont, en réalité, dé©pendants de la personne qui les nomme. C'est aussi *
personne ne le dit * une création prometteuse pour l'aristocratie des grands
dirigeants français, qui ont fait une partie de leur fortune en jouant
d'entente avec leurs frères de promotion des grands corps de l'Etat. Ces postes
« indépendants» sont une aubaine pour ceux qui entendent se retirer de la vie
des affaires avec les honneurs, une sorte de Sénat pour grands patrons à la préretraite.
N'est-il pas tentant de jouer ainsi les sages « indépendants» tout en
touchant les jetons de présence en juste rémunération de leur clairvoyance ?
Les intentions du rapport Bouton ne sont pas mauvaises mais elles s'inscrivent,
une fois de plus, dans une logique décalée de la réalité du fonctionnement
capitaliste. Le capitalisme ne peut être révisé comme on le ferait d'une
Constitution ! Surtout, ne légiférez pas ! Les vrais capitalistes, ceux qui
sont propriétaires de leur entreprise, petite, moyenne ou grande, et qui se
battent quotidiennement pour la faire progresser, malgré le flot incessant des
contraintes et le poids insupportable de la fiscalité, aspirent à autre chose.
Ils ont soif de flexibilité et de souplesse. Ils ont soif de confiance et de
respect. Ils ont tout simplement soif de liberté.
* Avocat, chargé
d'enseignement à Paris-II.