Le
Figaro.
Débats
et opinions
Que faites-vous de vos cent jours ?
PAR Mathieu
LAINE
Publié
le 03.08.2002
L'histoire politique enseigne que les cent premiers jours
d'un règne présidentiel donnent la tonalité à l'ensemble du mandat. Nous
approchons de la fin de cette période bénie pendant laquelle le président et
son équipe, forts d'un récent soutien « populaire », sont censés
faire preuve d'audace et définir clairement la philosophie de leur action. Au
lieu d'attendre l'écoulement définitif de ce temps si précieux, il faut
malheureusement alerter les gouvernants actuels qu'ils sont en train de brûler
leurs cent jours (ou plus exactement « nos » cent jours).
Mis à part quelques mesures visant à améliorer la sécurité des biens et des
personnes, de nombreux signes traduisent, en effet, la timidité et la frilosité
de ce gouvernement qui brille plus par ses effets d'annonce que par son audace.
En réalité, le syndrome qui guette cette équipe pourrait bien être une
cruelle carence d'idées. Elle brandit, en effet, non sans fierté, des produits
marketing assez vides de sens et qui trahissent un sérieux manque de direction
et d'ambition.
Les piliers de la « modernité » seraient, à en croire le premier ministre,
le « pragmatisme » et le « libéralisme humaniste ». Il convient de se méfier
de ces nouveaux étendards car, à bien analyser les premières mesures
gouvernementales, ils cachent le refus d'engager les réformes nécessaires.
Le « pragmatisme », d'abord, trahit la fragilité intellectuelle du projet.
Car se dire pragmatique, c'est bien souvent une manière polie de se laisser
pousser par les vents dominants, ces vents si pernicieux qui font tourner la
girouette politicienne chère à Edgar Faure. Être pragmatique, c'est décider
de s'aventurer sur le chemin de la réforme sans boussole idéologique, sans ces
repères utiles que propose la pensée. C'est céder à l'assimilation déplacée
selon laquelle les philosophies en « isme » sont toutes à proscrire : le
nazisme, le communisme et, désormais, le libéralisme. La tentation pragmatique
conduit aussi à rechercher le plus petit dénominateur commun. Ainsi, composé
au lendemain d'une campagne présidentielle d'abord atone puis, dans un deuxième
temps, hurlante - mais ne laissant, à aucun moment, la moindre place au débat
de fond - le gouvernement réunit des hommes et des femmes, certes dévoués,
mais, pour la plupart, aucunement remarqués ces dernières années pour leurs
audacieuses propositions. Ils s'inscrivent dans la continuité des politiques
antérieures, ne se découvrant de vigueur réformatrice qu'à la vue du chemin
parcouru par nos voisins européens.
Ménageant la chèvre et le chou, guidés par ce fameux « pragmatisme », ils
risquent de céder aux uns, de faire patienter les autres et, finalement, de mécontenter
tout le monde. Si le pragmatisme demeure la philosophie du gouvernement, il est
à parier que le clientélisme restera en place et que les susceptibilités des
associations de défense des intérêts acquis seront, une fois encore, le
moteur des prises de décision. La réforme tant attendue n'aura alors toujours
pas lieu. Il n'est qu'à constater la direction prise par le ministre de la Santé
lorsqu'il ouvre les vannes en faveur de l'hôpital public, sans, à aucun
moment, remettre en cause l'irrationalité de sa gestion, pour être inquiet du
désormais célèbre « pragmatisme gouvernemental ».
L'expression « libéralisme humaniste » témoigne, quant à elle, du
formidable complexe de la droite française. Écrasée par la propagande de
gauche, la droite traditionnelle culpabilise. Elle a peur de son ombre et valide
par la même occasion les mensonges proférés par ses ennemis. Au lieu de céder
à de tels exercices de style, un gouvernement digne de ce nom, avec la sécurité
politique qui est la sienne, aurait dû réhabiliter le mot « libéralisme »
et dénoncer les calomnies dont il est l'objet. Au contraire, il greffe
artificiellement l'adjectif « humaniste » au mot honni, confortant ainsi l'idée
fausse selon laquelle le libéralisme est sauvage, dangereux, antisocial.
Pourtant, qu'y a-t-il de plus humaniste que cette philosophie qui met l'homme en
avant et défend sa dignité et sa liberté ? De nombreux membres du
gouvernement ont cependant pris la plume pour se dédouaner d'une quelconque
volonté d'adopter une politique libérale. Deux anecdotes des premiers jours
illustrent cette triste tendance. François Fillon a ainsi remporté son
mini-bras de fer avec Francis Mer sur la légitimité de nommer un « Monsieur
licenciement ». Il a reçu le soutien d'un premier ministre à la fois soucieux
d'une communication « sociale » sur ce thème et convaincu que l'État a bien
un rôle à jouer dans les plans sociaux. De même, Jacques Chirac s'est presque
excusé, dans son discours du 14 Juillet, de devoir baisser la pression fiscale
en rappelant aux Français que ce n'est pas « un choix idéologique », mais un
« choix de survie ». En résumé, si ce n'était une question de vie ou de
mort, il ne l'aurait sans doute pas fait ! Comment le président peut-il à ce
point se justifier d'une baisse aussi timide de 5 % quand on peut légitimement
évaluer l'audace en la matière à une diminution d'au moins 15 % ?
Il faut s'inquiéter d'autant de précaution. Car en matière politique, la mise
en oeuvre de ce principe est totalement sclérosante. L'heure aurait dû, au
contraire, être à la restauration de la liberté individuelle et à la révolution
fiscale et administrative. L'urgence n'est pas non plus à la séduction des
partenaires sociaux pour qu'ils retardent une grève qui - quoi que l'on fasse -
arrivera nécessairement. Elle est à l'explosion de cette société fermée,
verrouillée, usée par une machine administrative qui, dans notre façon
de travailler, de manger, de boire, de construire notre maison, d'acheter nos
habits en solde, de conduire, de vivre, tout simplement, vient nous donner des
consignes et nous sanctionner lorsqu'on lui désobéit.
Malheureusement, lorsque le ministre des Transports envisage de brider toutes
les voitures à une vitesse maximale fixée par l'État, l'on ne peut que
redouter de nouvelles atteintes à la liberté individuelle. Il est aussi temps
de mettre fin à ces trop longues décennies d'angélisme autoritaire qui, sous
prétexte que l'on souhaite protéger les uns et les autres ou, pire, les uns
des autres, sont venues étouffer toute initiative personnelle et créer des
antagonismes et des jalousies. Il faut, enfin, en finir avec l'omnipotence d'une
caste étatique qui décide à notre place et utilise nos finances à satisfaire
sa stratégie électoraliste ou son confort personnel. Il est, à ce sujet,
tristement révélateur que ce gouvernement ait cédé, après deux jours de
temps perdu en tergiversations politiciennes, aux chants des sirènes sénatoriales
qui proposaient une augmentation du salaire des ministres. Les cent premiers
jours sont trop lourds de signification et l'urgence de la réforme est trop
criante pour que ce gouvernement ait pu si facilement se résoudre à cette
revalorisation. Cette erreur dans l'identification des priorités n'est évidemment
pas de bon augure pour le reste du quinquennat.
Il reste quelques jours au gouvernement pour redresser la barre et puiser dans
la philosophie libérale les voies à emprunter pour restaurer la liberté
personnelle et l'esprit d'entreprise. Il lui reste peu de temps pour enfin oser
ce que tant de leurs électeurs attendent, ce que tant de leurs électeurs ne
leur pardonneront jamais de ne pas avoir fait.
*Avocat, chargé d'enseignement à Paris II.