Le triomphe des charlatans
En cette année 2004 l’attaque menée par les gardiens de l’ordre étatique contre le jury d’agrégation externe des universités en a étonné plus d’un dans nos rangs. Etonnant étonnement car entre économistes et charlatans nous savons bien lesquels tiennent le haut du pavé, enfin façon de parler tant il y a embouteillage chez les charlatans et pénurie chez ceux là même que l’on relègue au caniveau central.
Pas de panique dans la maison Etat, les gardiens de l’ordre triomphent, il semble même que des crimes contre l’intelligence économique se perpétuent quand le système conduit des économistes à adouber des charlatans.
Le lauréat est un crétin ou un cynique, il sera récompensé comme d’autres l’ont été avant lui dans les universités de France et de Navarre, les Grandes Ecoles ou même Sciences-Po.
D’ailleurs c’est bien à Sciences-Po que l’on retrouve ce génie des Carpathes de la pensée économique que se trouve être Jacques Généreux, bon pilier de l’ordre établi sous des apparences contestataires, héraut de la pensée alternative (à l’intelligence certainement). Expert tour à tour ratatiné de « C dans l’air », émission de France 5 où l’on ose le confronter à moins diminué que lui ; puis expert incontesté des sévices publics et autres coûteuses fariboles à « Alternatives Economiques » où il se retrouve entre gens de sa mauvaise trempe. Ah l’éminence a dû en écumer des jurys de mandarins, il a dû en nommer des charlatans, en signer des pétitions et en donner des leçons de morale citoyenne.
Tout de même, Sciences-Po c’est pas rien, une porte sur la notabilité à laquelle on ouvre quelques caves de cité. Le piètre service que l’on rend là …
Mais j’accuse, j’accuse, sans fournir de pièces à conviction, serait-ce dit que je ne l’aime pas gratuitement ce Généreux là, que mes odieux penchants capitalistes me le font exécrer à la simple audition d’un nom si contraire à mes valeurs de pingrerie et d’avarice.
Peut être bien qu’il serait trop généreux ce bonhomme là, enfin généreux de l’argent des autres comme l’est tout défenseur des sévices publics.
Mais lisons plutôt ce numéro d’Alter éco (anti-éco ?) : « Un gouvernement à la recherche d’un Etat plus efficace se demanderait si chaque euro dépensé peut, ou non, être plus utilement affecté à un autre emploi public. » Allez, délimitons donc le sujet, il ne peut être question de dépenser moins mais à la rigueur de dépenser autrement, certaines dépenses publiques peuvent donc être moins utiles que d’autres ? D’accord avec le syndicaliste lambda je dirais que cela n’a aucun sens, alors que ce dernier dirait que ce qui est utile c’est ce pourquoi il est payé, j’avancerais qu’il est impossible de mesurer l’utilité d’une dépense publique dans la mesure où l’utilité ne se révèle que par des choix individuels réalisés par ceux qui paient le prix desdits choix. A coût égal l’employé de la voirie est-il plus utile que celui de la piscine municipale ?
Continuons : « Mais la priorité donnée à la baisse des « charges » fiscales et sociales indique que le gouvernement Raffarin se demande si chaque euro dépensé par l’Etat ne serait pas plus utilement rendu aux entreprises et aux contribuables pour qu’ils en fassent l’usage de leur choix. » On peut déjà remarquer ces guillemets que le Généreux place autour du terme charges, comme si le mot était impropre à qualifier ces bienfaits que sont les cotisations sociales, impôts et taxes, que ne fait-il donc pas don de sa fortune si mal amassée au sacro-saint budget de l’Etat ? Enfin ici plus rien de sibyllin, la baisse du poids de l’Etat n’est pas souhaitable et c’est là la direction que voudrait prendre le gouvernement Raffarin, au charlatanisme économique on rajoute donc un manque singulier de flair politique.
Le terme utile est fondamental là aussi, Généreux a presque été touché par un éclair d’intelligence économique, seulement entre dépense publique et dépense individuelle il n’existe pas un niveau différent d’utilité. Non, en réalité et comme je le disais plus haut on ne peut comparer l’utilité de biens et services que s’ils sont l’objet de consommations à travers des dépenses privées. Ce qui est utile sera l’objet d’une demande sur un marché, et ce vecteur d’information qui est le prix orientera les offreurs vers la production des biens et services les plus utiles. Il n’est là à aucun moment nécessaire de se poser la question de savoir ce qui est le plus utile, ce qui est et qui se développe est utile, ce qui ne l’est pas disparaît point. Se poser la question de savoir ce qui est le plus utile est vouloir imposer son jugement à d’autres, cette question n’a pas lieu d’être quand elle emploie le terme utile, elle est une question politique qui se tranche selon la volonté de satisfaire certains intérêts plutôt que d’autres.
Mais ceci n’était qu’une entrée en matière avant le vilain procès d’intention de libéralisme et la mise en cause du capitalisme : « Cette politique ne fait pas la chasse aux gaspillages de fonds publics, mais la chasse aux biens publics. C’est le reflet d’une philosophie strictement individualiste estimant que seule l’initiative privée est créatrice de richesse : la dépense publique n’est qu’un mal nécessaire à la régulation minimale et la répression maximale dont a besoin une société de concurrence généralisée des intérêts privés. »
Revoilà donc ces biens publics auxquels en vérité le gouvernement croit et qui ne sont que billevesées. Ces biens qui sont forcément très utiles et dont la fourniture ne peut être financée que par l’impôt. Les faux concepts ont été inventés par ceux qui bénéficient de leur crédit auprès du public. Biens publics ces colonnes de Burenne, ces musées d’art moderne, l’opéra Bastille, les services de voirie encore qui nettoient en priorité les centre-villes, l’éradication sanglante des ragondins, biens publics ces secteurs stratégiques que l’on doit forcément subventionner, le journal « L’Humanité » et ces journalistes ou pseudo-scientifiques qui servent si bien le pouvoir, … Le faux concept s’éloigne de sa définition originelle pour auréoler toutes les dépenses publiques, dépenses acquises sur lesquelles il n’est pas question de revenir. C’est vrai que si les productions de Jacques Généreux étaient autre chose que des biens publics il se rendrait alors compte de sa faible utilité sur un marché. Soyons limpides, les dépenses publiques contribuent certainement à ce que je peux juger utile en ce qui me concerne, j’aurais été prêt à payer pour que la plage où je me baigne soit propre, mais quel montant aurais-je consacré de ma propre volonté ? Je suis disposé à aller voir un spectacle donné à l’Opéra-Bastille mais pas à assumer le coût véritable de ma place. Mon pouvoir d’achat ne me permet pas de consommer tout cela ? Comme Jacques Généreux je ne fais peut-être pas grand-chose d’utile, admettons encore que je touche une allocation universelle (sans pour autant soutenir le principe), je pourrais encore révéler mes préférences et orienter la production de biens et services selon mes besoins dans un marché concurrentiel.
Mais que ce soit les hommes de l’Etat qui décident à notre place et voila que les dépenses publiques encouragent telle activité plutôt que telle autre, consacrent rentables une production qui ne l’était pas et condamnent une autre qui l’était. Voila que capitaux et salariés s’orientent vers la satisfaction de besoins qui n’existent qu’à peine, que des métiers correspondent à de forts besoins manquent des moyens nécessaires à leur développement. Voila enfin que chacun espérant plus que ce qu’il a se déclare socialement utile, à tort ou à raison et n’espère plus qu’en la manne de l’Etat.
S’en remettre au jugement des consommateurs sur un marché remettrait en cause l’utilité de services réputés incontournables, mais c’est si horrible qu’il faut bien parler de s’abandonner à l’anarchie d’une « concurrence généralisée des intérêts privés ». C’est ainsi que Généreux qualifie la main invisible, une main qu’il pourrait bien se prendre quelque part dans la mesure où son petit intérêt privé correspond à bien peu de besoins exprimés, hormis ceux insolvables de ses maîtres, coupés eux-mêmes de leurs juteux rackets.
Xavier PREGENTIL, le 20 mai 2004