L'école, chasse-gardée de l'extrême gauche ?

 

Une citadelle assiégée par le libéralisme ?

Comme c’est bon quelquefois de lire le journal des adhérents du parti communiste (non, je vous rassure je n’en suis pas) ou de parcourir les sites d’Attac, à les croire on pourrait penser que l’éducation est définitivement investie par les chantres du libéralisme. Parmi quelques perles abondantes dans cette littérature de latrines, des régals comme « je garde la certitude que nous sommes en retard sur l’analyse des combats agressifs, puissants et destructeurs que mènent dans la durée, les tenants du libéralisme et du capitalisme ( …) le langage même est travaillé par nos adversaires » et puis aussi « à un moment donné, l’hégémonie idéologique est telle que les libéraux se moquent de savoir si elle s’applique sous l’autorité relative d’un gouvernement dit de gauche, social démocrate, ou de droite »…

Ah c’est trop bon, je vous en remets une louche, je ne peux pas résister : « Il faut convaincre que tout terrain ou questions abandonnés ou laissés à eux-mêmes, les citoyens, les salariés, les jeunes … est laissé aux forces libérales qui n’attendent que cela … ».

Le libéralisme en tant que réflexe social

Oh que c’est tellement vrai, le libéralisme en tant que réflexe social naturel. Comme j’aimerais partager cet optimisme, oui comme je rêve qu’enfin le bourrage de crâne idéologique cesse, que les cours d’économie se désinfectent de cette novlangue des sociologues bourdieusiens qui raisonnent à coups de champs ceci et de champs cela. Pourtant il me suffit de regarder les référentiels en histoire-géo, en sciences économiques « et sociales »,  de poser un œil dans les manuels d’éducation civique, pour me dire : que d’idées fausses à mettre à la poubelle, que de réflexes conditionnés à éradiquer.

Et puis là, en dépit de l’évidence tirée de mes constations, je tombe sur cette phrase de Niko Hirtt : «  Faire de l'école une machine à couler les jeunes dans les moules du marché : telle est la stratégie, à peine cachée du patronat européen." Ce gars là est professeur en Belgique, quoi l’enseignement belge serait différent de l’enseignement français ? Nos amis belges de la liste pourront peut être me répondre.

La phrase est tirée de l’introduction de son livre « les nouveaux maîtres de l’école » (éditions EPO, 2000) et Attac Pays Basque a invité ce distingué intellectuel pour une conférence-débat dont le sujet est justement « la pénétration des marchés dans le système éducatif ».

Des brèches dans le goulag scolaire ?

Comment se fait cette pénétration me direz-vous ? Mais par le désengagement de l’État, bien sûr, comme chacun sait l’État abandonne les établissements d’enseignement : les profs sont mal payés, ils travaillent trop, ils n’ont pas de matériel, ils obtiennent des détachements chez Attac alors comment voulez-vous que le privé ne s’infiltre pas par cette brèche ? Les grandes entreprises en profitent pour donner, donner vous rendez-vous compte ? Donner des ordinateurs, fournir des connexions Internet, tout cela pour profiter à ces hyènes d’industriels du multimédia. Alors il faut bien le dénoncer, les gamins vont finir par ne plus écouter les avis autorisés de leurs profs ou de la télé pour aller s’informer gratuitement sur le réseau là où l’information est justement moins contrôlée. Ceci en plus ne concerne pas seulement les gosses de riches, non madame, même les prolos peuvent en bénéficier, quelle honte ! Il faut vite se dépêcher de déclarer le réseau bien tutélaire. Contrôler l’industrie du multimédia et accroître le budget de l’éducation voilà la solution.

 L’autre danger c’est ce fameux prétexte d’une école inadaptée à la société, laquelle comme le dénonce Attac « promeut un enseignement fondé sur l'acquisition de compétences adaptables plutôt que sur des savoirs », autrement dit il est anormal de donner des outils aux élèves pour qu’ils puissent évaluer une situation plutôt que de leur faire apprendre ce qu’il est nécessaire qu’ils sachent, qu’ils pensent a priori. Ce que conspue aussi Attac, c’est  la volonté de permettre aux enseignés de pouvoir occuper un emploi après leur formation initiale sans passer par la case chômage. Il est vrai que donner des débouchés aux études c'est vouloir adapter les savoirs aux besoins d'une société capitaliste (on ne demande pas mieux d'ailleurs), et qu'à ce rythme là, l’étudiant bac +, non aigri par le chômage et l’idée du salaire qu’on lui doit deviendrait une clientèle perdue pour l’extrême gauche, catastrophique vous dis-je - même si quelques ratées peuvent pousser la frustration à créer des furieux de l’antimondialisation comme le forcené de la mairie de Nanterre - . La lutte contre l’échec scolaire et pour l’insertion d’abord professionnelle consiste pourtant à permettre avant tout à chacun de trouver sa place dans l’emploi. Pfff, vision capitaliste que celle-ci on vous dit , Attac en conclut : « sous couvert de lutte contre l'échec scolaire, les inégalités sociales s'accroissent. Cette " politique " se met en place partout dans le monde. Des débats à l'O.M.C., aux publications de l'O.C.D.E., en passant par les textes de la Commission Européenne ou de l'E.R.T. (European Round Table), la mondialisation est en marche jusque sur les bancs de nos écoles. » 

Décidément on ne parle pas la même langue ou on ne vit pas dans le même monde. L’insertion professionnelle ne me semblait pas facteur d’augmentation des inégalités sociales, au contraire ; quant à un enseignement basé sur les nécessités de la réglementation en toute chose (en novlangue on parle là de régulation) cela ne me paraissait pas très libéral …

Le libéralisme coupable des errements de la social-démocratie où comment les collectivistes usent de qualificatifs qu'ils ne comprennent pas 

Le libéralisme s’infiltre partout disait le journal des adhérents du parti communiste en son numéro de juillet  2001. Mais ce libéralisme là est en réalité une auberge espagnole sous la dénomination  de laquelle ils dénotent les conséquences véritables du collectivisme jointes à quelques véritables avancées sociales.

Ces constations « qui auraient déclenché des grèves générales il y a seulement 10 ans » sont à commenter, derrière les faits il n’y a pas un coupable désigné : le capitalisme, mais un système collectiviste qui prend l’eau, Dieu merci !

Il est donc nécessaire de reprendre chaque assertion dans cette optique.

« J’ai vu des malades à l’hôpital s’excuser de coûter trop cher à la société » : la logique est ici la même que celle des jeunes actifs qui reprochent aux retraités de vivre de leurs cotisations sociales. L’individu n’est pas responsable, le système de répartition l’est, prétendre encore qu’il est un facteur de solidarité est risible. L’animosité prétendue entre les cotisants et les récipiendaires n’est pas nécessairement bien orientée, les profiteurs véritables sont les intermédiaires. Plus de concorde et de justice sociale impose donc, c’est évident, un passage à la capitalisation, c’est bien là que cette réflexion d’un communiste voulait en venir d’ailleurs …

« J’ai vu des travailleurs jetés comme des cleenex (sic) convaincus de leur non valeur ».

« J’ai vu Emmanuel Chain à M6 laisser dire que dans les plans sociaux de licenciement il y avait 10 à 15 % d’irrécupérables ».

L’argument est le même et insiste sur un chômage humiliant, irréversible, caractéristique d’une France où la trappe au chômage existe. Ce sont les moins qualifiés qui paient la lourdeur des charges sociales et les pesanteurs de la réglementation du travail dans un pays où le coût du travail est supérieur à leur productivité. Pour eux, mais pour d’autres aussi, il en résulte un chômage couperet duquel il est difficile de se sortir. A qui la faute ? Les solutions se trouvent facilement dans ce cas là, seulement voilà les communistes travaillent contre l’intérêt des chômeurs.

« J’ai vu des parents désespérer de leurs enfants et de leurs possibles études » : les mesures démagogiques à la Chevènement des 80 % de classes d’âges au bac ont nivelé par le bas les qualifications de nos jeunes. La course au diplôme n’assure donc plus une formation en adéquation avec les besoins du marché du travail. On remonte dans le dernier sujet abordé, nos communistes sont à l’origine de cette situation en argument de leur priorité pour le savoir plutôt que pour la compétence. Enfin, quand ils disent le savoir, on préfère ignorer ce savoir là.

« J’ai vu des assistés ne demander qu’à être assistés » : la trappe à la pauvreté cette fois, pourquoi vouloir travailler quand la différence entre salaire d’activité et revenu d’inactivité est si mince, surtout en tenant compte de la valeur du temps libre et des impôts, charges, pertes de prestations liées à l’activité ? 

« J’ai vu la formation en économie n’enseigner que le libéralisme » : au goulag le vilain prof, pas d’inquiétude car à la première inspection académique il sera démis de ses fonctions pour s’être trop éloigné du référentiel de l’inéducation nationale.

« J’ai vu le cadre harceler le CDD, ou le travailleur temporaire sans droit » : il s’agissait certainement d’un cadre CGT ou de la fonction publique, là où on embauche des CES pour faire le travail que les salariés titulaire trouvent trop ingrat. Je rajouterais que j’ai vu des cadres de la fonction publique en congés parental , formation, pendant des années se faire remplacer par des maîtres auxiliaires payés moins de la moitié du traitement du titulaire, vous voyez de qui je parle ? Les droits acquis des uns se paient par la précarisation des autres, c’est cela leur partage du travail.

« J’ai vu l’éducation devenir un produit, les femmes retravailler la nuit, le dimanche » : un produit est proposé par des offreurs il trouve en face des demandeurs qui ont le choix de le rejeter s’il est avarié. La carte scolaire, les référentiels surannés et orientés de l’inéducation nationale nous obligent pourtant à consommer un sévice public plus ou moins bon selon les quartiers où les profs inamovibles y sévissent publiquement. Quant aux femmes laissons leur le choix de leur travail, la liberté n’est pas une régression sauf pour un collectiviste.

« La culture devenir une marchandise, j’ai vu le citoyen devenir d’abord un consommateur » : même raisonnement que précédemment, en outre le citoyen est la victime passive des hommes de l’État alors que le consommateur oriente par ses choix, il n’est pas un serviteur mais un maître. Vous me flattez si vous me considérez comme un consommateur, vous m’insultez si vous me traitez de citoyen.

Pour terminer enfin, mais c’est le bouquet, cette tirade ignoble : « Que faire taire la « violence » suppose que cesse au quotidien les violences gravissimes qui s’installent dans les rapports sociaux marchands … ». Lire la société marchande, le capitalisme sont une violence à l’égard de ceux qui ne peuvent pas consommer autant qu’ils le voudraient. Pour l’auteur de cette tirade, il s’agit de la seule violence, celle qui justifie les peccadilles, les incivilités comme les appellent les collectivistes. A ce niveau là du débat, atterré par les actes quotidiens de la délinquance dite ordinaire, je ne réponds plus rien mais brûle de faire usage de ma violence très capitaliste à l’encontre du salopard auteur de ladite tirade.



Xavier COLLET, le 18 août 2001

Pour aller plus loin : l'Observatoire des Sévices Publics, rubrique éducation