Tragédie des communs
Il est survenu d’étranges événements à la suite de la pourtant bien glorieuse abolition des privilèges décidée cette fameuse nuit du 4 août 1789. Ce qui ne devait être réservé qu’à l’infime minorité du pays de France allait être étendu à tous sans distinction de naissance. Quelle chose bien libérale que cette égalité des droits ! Allant jusqu’au bout des revendications du Cahier des doléances, il faudra aussi mettre fin au privilège de chasse de la noblesse. C’était accordé et garanti ; aux armes citoyens et sus aux lapins ! Aussitôt dit aussitôt fait, voilà que les forêts et bois de tout le Royaume se sont mis, dès le lendemain, à retentir de meurtriers coups de fusils. La curée fut si exceptionnelle qu’il ne fallut pas attendre une semaine – le 10 août 1789 - pour que des mesures autoritaires fussent prises : des gardes placés aux portes de la capitale furent chargés de dissuader les nouveaux chasseurs d’aller viander en bois alentours. Peine perdue, nos flics improvisés ne purent que constater les charretées entières de petits et gros gibiers massacrés repassant les portes parisiennes et dont une grande partie vint à pourrir chez bourgeois et petites gens. Le journal « Les Révolutions de Paris » se mit à se lamenter sur les conséquences de cette si généreuse abolition du privilège de chasse : « Ils ont de tous côtés fait carnage de lapins, de lièvres, de perdreaux, de biches, de cerfs. Les hôtes bien gras et bien paisibles de nos bois ont été poursuivis, massacrés impitoyablement, l’on n’a pas fait grâce au plus petit moineau … ».
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Ancêtre de la loi Verdeilles, celle là-même qui conduisit à une condamnation de la « France » devant le tribunal européen, le caractère de bien public du gibier s’affranchissait déjà de toute considération propriétariste.
On pouvait chasser l’aristo à poil et plume sur n’importe quelle terre, d’ailleurs les journaux de l’époque relatent les mésaventures de pauvres paysan qui durent supplier « par grâce, d’attendre que la récolte soit finie pour faire des battues qui nuisent cent fois plus aux moissons que ne le feraient les animaux pourchassés ».
Face à ces comportements « peu citoyens » on en vint à vouloir organiser, contrôler sans revenir sur les grands principes de communauté des gibiers.
Pauvres petites et grosses bêtes, leur sort était déjà scellé. Le monopole des chasses de la noblesse revenait en fait à une appropriation collective limitée à une partie très minoritaire de la population, le principe en était déjà mauvais mais les conséquences sur l’éradication des espèces demeurait négligeable justement par le faible nombre de nobles. Ce même principe dans le cadre d’une appropriation collective générale fut catastrophique.
Aujourd’hui encore on entend dire qu’il est des biens qui appartiennent à tous, qui ne doivent être la propriété exclusive – pléonasme - de personne. Et la chansonnette en conclut encore une fois que le monde n’est pas une marchandise. Mais de ce principe il faut aussi en assumer les conséquences !
Alors que les antimondialistes sacralisent la logique du premier servi, les ravages de ce principe là se font sentir à coup de disparition des bancs de poisson dans le golfe de Gascogne, d’extinction d’espèces chassées à outrance et dont la survie même ne peut être l’intérêt de personne.
Les écologistes devraient être les premiers à connaître la « tragédie des communs », Bastiat l’avait déjà bien illustrée et démontré que ce qui appartient à tous fait l’objet du moindre soin. A quoi bon entretenir quelque chose dont mon voisin pourrait s’emparer sans se donner lui-même la peine d’y porter le même soin que moi ?
Eh oui nous ne sommes pas des anges, à quelques exceptions notables, ainsi celui qui se soucie de maintenir intact ce qui pourrait profiter aux autres devient la dupe de toute la collectivité.
Xavier COLLET, le 12 septembre 2003