Constructivisme


1. Les opinions, croyances et lumières des États ne sont pas supérieures à celle d'un individu quelconque, ces États incarnés par des gouvernements n'étant pas d'essence divine.
Pourtant autoproclamés détenteurs d'un soi-disant "intérêt général", investis de la connaissance intime des besoins des citoyens, les États ont chacun mis en place une planification organisant les travaux de la société en vue d'un objectif social affiché : Maximiser notre Bonheur National Brut.

2. Dans la planification actuelle on peut tenter d'établir les objectifs à atteindre par des sondages en mettant en oeuvre une méthode mathématique : celle de la rationalisation des choix budgétaires mais le théorème d'Arrow ne nous permet pas d'affirmer que l'on puisse ainsi exprimer de véritables besoins.
Au contraire il nous révèle que cette méthode se heurte à des difficultés inhérentes à l'impossibilité de relier une accumulation de données diverses et contradictoires par une théorie cohérente.
De plus quelle est cette justification morale appelée "justice sociale" dont se prévaut l'État et qui est la raison d'être de notre planification ? Quelle est la valeur de cet utilitarisme affiché "le plus grand bien pour le plus grand nombre", tant il est vrai que la moralité n'est pas subjective ?
On ne peut comparer ou additionner les satisfactions individuelles de divers individus, par essence subjective pour obtenir un plus grand bonheur objectif. Il apparaît donc que la rationalité du plan économique est inférieure à celle que dégage le conflit des intérêts. O'Driscoll et Rizo avaient déjà conclu pareillement en affirmant "Les préférences individuelles sont par nature incommensurables et inconnaissables pour l'observateur extérieur, l'ignorance fait partie de la condition et de l'action humaine, le déséquilibre est l'état normal de l'économie, l'entrepreneur, celui qui découvre et exploite de nouvelles possibilités de satisfaire des besoins et de réaliser des profits est l'agent coordinateur actif dans les économies de marché."

3. Comment l'État peut-il encore se croire être en mesure de décider de ce qui est plus ou moins important, bon ou mauvais pour nous ? Qu'il se veuille technocrate et démocrate ne l'investit pas pour autant, et nous l'avons vu, de la connaissance du "bien commun" s'il existe.
Aucun fallacieux prétexte ne peut donc donner à une entité quelle qu'elle soit d'asservir nos valeurs suprêmes : liberté individuelle et responsabilité personnelle à la désignation de ses fins supérieures.

4. Ainsi que l'énonce Friedrich Hayek, le marché met en jeu des décisions si nombreuses qu'aucun ordinateur, aussi puissant soit-il, ne pourrait les enregistrer.
La substitution de la décision politique à celle du marché ne serait donc possible et efficace qu'à la condition que toute information, toute volonté individuelle soit contrôlable par l'État, car faute de connaître l'information il est nécessaire de la déterminer, par conséquent de la contrôler.
La légitimité de l'État parce qu'efficace l'illégitime parce que moralement et humainement condamnable. Cette efficacité est aussi un horrible cauchemar irréaliste (il faut l'espérer !) car elle implique la création d'un homme nouveau, l'homme nouveau des fascisto-marxistes: un être robot désindividualisé or la nature humaine ne s'est jamais, jusqu'à présent, prêtée totalement à un tel projet. Pourtant 50 ou 70 ans de communisme ont pu aller assez loin dans ce sens par la tentative généralisée de transformation ou d'annihilation des sujets déviants, les séquelles d'une déresponsabilisation sont de nos jours perceptibles dans les pays libérés.

5. L'être désindividualisé on nous l'a pourtant tant vanté et il reste paré de toutes les vertus par ceux qui nous dirigent au nom de l'intérêt général, c'est l'homme désintéressé que l'on nous montre en exemple; celui qui recherche non son propre avantage mais celui des hommes de l'État (contradiction interne) .
Il n'appartient qu'à la société et doit donc se consacrer entièrement à elle, conserver l'ordre et les traditions qu'elle véhicule, société envers laquelle il ne possède aucun droit. Il n'est qu'un organe d'un corps qu'il constitue naturellement et dont il ne saurait se séparer ou s'individualiser sans porter préjudice à ce même corps, aucune liberté dans ce postulat, fatalité et déterminisme seulement.
Cette conception est celle des organicistes, dans sa "Théorie du pouvoir" écrite en 1794 Louis de Bonald affirme que "l'homme n'existe que pour la société. La nature de la société relève du biologique : c'est un véritable être vivant qui a ses fins propres et obéit aux lois naturelles fixées par Dieu. Elle est composée de familles, la famille est l'unité élémentaire de la communauté patriarcale, et face à elle, impuissant, seulement doté de devoirs, l'individu ne bénéficie d'aucun droit de cité... Son rôle n'est certainement pas de repenser et de changer la société." Pareillement Félicité de Lamennais, un ecclésiastique qui croyait moins en la justice de Dieu (qui a bon dos chez Bonald !) qu'en celle de ses maîtres terrestres, établit que la remise en cause des lois et souverainetés installées du point de vue de leur légitimité ne pouvait être que la résultante d'une doctrine porteuse d'anarchie. Donc doctrine contre-nature car Lamennais pose que "l'univers n'est qu'une grande société dans laquelle chaque être, uni aux autres, exerce, comme un organe particulier dans un corps vivant, ses fonctions propres, nécessaires pour la conservation intégrale du tout et de son développement..."

6. Construire la société découle de cette conception organiciste, postulant l'aliénation naturelle de l'individu donc le contraignant en toute liberté à ses "devoirs" envers la société.
La planification est alors la gestion la plus efficace du corps social, non indicative mais bolchevique dans tous ses aspects, elle est totale, totalitaire et loin de tout humanisme. Elle n'est bien sûr pas praticable si le postulat faillit : son efficacité est incompatible avec l'existence de, ne serait-ce qu'un seul individu libre. Poussière dans un engrenage, il détruirait le précieux mécanisme par sa volonté de différenciation, brisant par là même le groupe homogène et jusqu'à ses composants car se posant comme refus de l'agrégation, de la classification.
Faute de trouver des humains acceptant leur "vraie nature", la planification pourra légitimement terminer le façonnage par la terreur. La société contrôlée, transparente au planificateur, elle sera gérée comme la société tribale c'est-à-dire la petite organisation dont les travaux doivent être organisés afin d'atteindre un but prédéterminé. Et le fait que notre société actuelle ne possède pas cette direction consciente en vue d'un but unique mais que ses activités soient guidées par les caprices et les fantaisies d'individus supposés irresponsables, ce fait a toujours été un des principaux objets de la critique socialiste.

En réalité, vouloir gérer la collectivité ainsi qu'une organisation n'y amène pas les buts affichés aussi prometteurs soient-ils : d'ailleurs l'histoire nous révèle qu'accepter une organisation coercitive de nos affaires sous la promesse de l'abondance, ne peut offrir que pénurie et grisaille. Cela est logique dans la mesure où plus nombreuses sont les directions organisées et plus la variété des fins fait place à l'uniformité.

7. La tentation constructiviste, toute criminogène qu'elle se soit révélée, peut se comprendre comme la réponse à un défi qui dépasse l'entendement humain. Elle a pu toucher les immodestes aux vocations de surhommes, les intellectuels partageant l'idéal platonicien du philosophe-roi.
Ce sont les intellectuels, qui, depuis Descartes, se désirent investis de la connaissance des rouages de la société. Il ne faudra jamais assez répéter cette phrase d'Hayek : "Le libéralisme est une attitude d'humilité vis-à-vis du processus social".

Synthèse réalisée par l'Association Des Étudiants Libéraux, 1991