Nous savons bien, notamment depuis Orwell et la Novlangue, que les mots peuvent être trafiqués jusqu'à l'inversion, pour devenir des armes contre l'esprit. Les exemples abondent, un des plus usités, et des plus astucieux, étant l'emploi du terme "exclusion" à la place de "misère" : en un seul mot, par la substitution d'un acte au descriptif d'une situation, la lutte des classes, de simple théorie, par nature discutable, devient un concept obligatoire, une évidence, bientôt un automatisme. La pauvreté n'est plus un état, c'est, partout et pour toujours, le résultat de l'action d'un ou plusieurs méchants, et "l'exclus" n'a plus qu'à suivre les guides qui opportunément se révèlent à lui pour le transformer en fantassin de leur combat intéressé.
Il est arrivé quelque chose de semblable à la notion de culture : de ce qui pouvait être le lien par excellence entre les hommes, on a fait la source des oppositions les plus indépassables. Cà s'est produit de façon d'autant plus insidieuse qu'il n'y a même pas eu besoin pour cela d'un nouveau mot : juste le "s" du pluriel, et ses sous-entendus relativistes. Pourtant, durant ses deux siècles et demi d'usage au sens figuré, (les plus anciens auteurs cités par Littré appartiennent à la période classique ) le mot n'avait jamais été écrit au pluriel, et ce n'était certainement pas par hasard.
Il est tard sans doute pour redresser la barre, et on nous dira que Littré est bien vieux. Revenons-y quand-même : dans son dictionnaire, « La culture des lettres, des sciences, des beaux-arts ». est décrite comme une activité à travers quelques citations, avant de se voir définir par les termes « Instruction, éducation ». L'important est l'aspect actif, et à travers les deux derniers mots l'évocation d'un processus qui ne se réduit pas à la reproduction répétitive, mais implique un progrès personnel dont il est l'outil.
Plus "moderne" évidemment, Wikipedia n'ose pas mettre trop en cause la pensée unique: « Le mot "culture" tend à désigner la totalité des pratiques succédant à la nature. » L'auteur de l'article semble cependant plutôt se résigner à cette définition que la valider vraiment : Certes, il cite la définition sociologique et "attrape tout " de l'UNESCO, («ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société, un groupe social ou un individu»). Mais il doit sans doute la prendre comme nous pour la bouillie informe qu'elle est, car il ose remarquer in fine « l'on observe à la fois une tendance à couvrir - en tache d'huile - des activités de plus en plus diverses et éloignées les unes des autres et une propension à perdre toute signification précise ou tranchée. » C'est assez courageux, dans le contexte actuel1. La version « dictionnaire » du Wiki revient d'ailleurs presque à Littré : « Application que l'on met à perfectionner les sciences, les arts, à développer les facultés intellectuelles. »
C'est aussi que le sens originel est le SEUL sens du mot. Ce n'est pas qu'il est "meilleur", c'est que les autres sont contradictoires en eux-mêmes. Qui le dira, si les amis de la liberté eux-mêmes ne le font pas, s'ils ne luttent pas contre la préemption de la culture par la sociologie ? En quelques décennies, sous l'influence d'une pensée universitaire réduite le plus souvent à une interminable glose autour d'un marxisme fantasmé, traduit par les intellos en catéchisme simplet à l'usage de peuples qu'ils méprisent, la définition relativiste, jugée nécessaire à l'expansion mondiale de la dictature du prolétariat, a diffusé jusqu'à devenir une fausse évidence, alors que c'est une contradiction dans les termes. Il n'y a pas de "cultureS". Il y a des conventions, des conformismes, des modes de pensée imposés, des perceptions filtrées, des comportements obligatoires, etc, etc, propres à chaque société ou sous-groupe. Il faut à chaque fois les désigner par le terme qui convient, sans confusion avec celui de culture car ils en sont le contraire même : la culture c'est certes ce qui se transmet, mais d'abord parce que c'est ce qui est, ou peut devenir, universel. La définition par l'universel est absolument essentielle ; la capitalisation progressive avec le temps n'a en effet de sens que s'il y a recherche de l'universalité, on pourrait dire de « l'applicabilité au maximum de situations différentes », ce qui est une définition de l'avenir autant que de "l'ailleurs".
C'est en quoi l'héritage Grec ancien est pour nous (osons même dire : pour le monde à travers nous) "culture". Non parce que nous serions les descendants de Périclès, c'est historiquement, géographiquement, et ethniquement faux. Mais c'est culturellement vrai, parce que nous sommes ceux qui ont retenu que la leçon grecque était toujours valable, et le resterait jusqu'à la fin des temps, pour l'ensemble de l'univers. Le fait que cette leçon ait finalement été assez mal appliquée par ses auteurs, et ait subi avant sa redécouverte un long temps d'oubli, montre d'ailleurs bien que la culture n'est pas un legs reçu sans effort et qu'on subit comme la pluie qui tombe, (les pures conventions, oui), mais bien un travail de l'esprit. À un moment donné, qu'on peut situer au début du XVème siècle, l'état intellectuel de l'Europe a convergé avec la pensée et l'art grecs, ranimant les petites flammes discrètement entretenues dans quelques monastères ou revenues de Byzance. Ce ne fut pas un "héritage" (après un millénaire entier d'enterrement !) mais une reconstruction ; recherche de l'universel et conception "active" de la culture se recouvrent ici totalement.
La déclaration des droits de l'homme et du citoyen2, avec en substrat la notion de Contrat social, en est un autre exemple. L'une et l'autre n'ont de sens que par référence à la notion d'universalité, et en même temps sont des impératifs d'action. Là aussi, il a fallu un temps de maturation, à partir d'idées longtemps souterraines et minoritaires mais fondées sur des concepts communs à tous les hommes, et très anciens, ceux du droit naturel.
La culture n'est pas quelque chose qui s'impose tout seul, le résultat d'une pression de groupe, une chape de plomb, le couvercle sur la marmite ; si elle devient cela elle meurt, et avec elle ce qui fait l'humanité. C'est pourquoi les vrais amis de la liberté tiennent tant à la culture, contre les tenants de l'équivalence des "cultures", résignés d'avance à la léthargie molle du consensus social, et prêts à en changer à chaque apparition de nouveaux pouvoirs.
En revanche mettre un « s » à culture revient à définir la culture de chaque ... quoi au fait ? Pays? Classe ? Race ? Tribu ? Individu, modèle « c'est mon choix ? (Sadien, pour être plus signifiant), comme ce qui différencie les hommes au lieu des les unir. On prétendra sans doute qu'en même temps que çà différencie les groupes entre eux, çà les unifie de l'intérieur. Mais s'il y a une culture "des banlieues" par exemple, alors il y a une culture de Bobigny, et finalement une culture du hall d'entrée de l'immeuble B 4, qui n'est pas celle du 3 C. (L'UNESCO ne dit d'ailleurs pas autre chose, descendant même jusqu'à l'individu). Et du coup aucune culture n'a de sens, parce qu'alors aucune ne justifie plus qu'une autre la transmission ; celle-ci devient même impossible par nature puisque ces "bulles" de culture se heurtent, explosent et se dissolvent en permanence. Cette "culture"-là c'est très exactement celle de la jungle pré-neanderthalienne, et çà y reconduit. Bien sûr, avant le retour à l'âge de pierre, le premier résultat pour les sociétés "cultivées" serait évidemment leur rapide défaite devant les sociétés les plus rigides, militarisées (Chine, c'est toujours la vraie nature de son régime), ou théocratiques (inutile de préciser). L'anticipation de cette défaite est sans doute la raison de l'attachement forcené de nos élites au relativisme culturel : les collabos, surtout anticipés, ont toujours besoin d'une justification théorique. On ne sait si c'est pour pouvoir se regarder dans une glace, ou pour accélérer le désastre dont ils attendent une augmentation de leur pouvoir ; sans doute un peu des deux. Pour en revenir à l'essentiel, les tenants de la définition relativiste ne pourront jamais se sortir de cette difficulté, et finalement avec "cultures" au pluriel, c'est Sade qui l'emporte, car il est le seul cohérent : chaque individu définit ses propres valeurs, il n'a aucune dette ni obligation envers les autres ni envers les valeurs d'une société quelconque. Il est amusant de voir ainsi patauger dans la contradiction les chantres du bonheur collectif et fusionnel, qui se retrouvent sans le vouloir avec le plus "antisocial" des écrivains, mais on se passerait bien de ce petit plaisir : ce qui est capital c'est de tenir ferme sur la notion de culture comme création progressive (dans l'art : révélation métaphorique) de l'universel.
Et si « tout peuple a sa culture » , c'est seulement dans la mesure où à chaque endroit quelques valeurs et notions universelles sont réalisées, certes avec les moyens du bord, l'état des connaissances, le poids des puissances du moment, mais néanmoins au nom de principes semblables et avec des objectifs qui au fond de chaque individu sont identiques, même voire surtout quand il fait le dos rond (car sous les fronts prosternés tourne souvent le proverbe oriental « baise la main que tu ne peux couper »...). Parfois en effet la culture ne survit que dans le silence, et le secret.
Pour le reste, tout peuple a ses habitudes, mais ce n'est pas la même chose. Chaque évocation de la dérive sociologique du mot culture devrait être une remise de pendules à l'heure. L'excision est-elle un fait culturel ? Toute définition conduisant à mettre un s à culture oblige à répondre oui, que çà plaise ou non. On nous dira que tant pis si çà ne plaît pas à nous, occidentaux ego-ethno-centriques comme chacun sait. Mais dans la réalité toutes les femmes qui peuvent y échapper, (elles sont hélas peu nombreuses mais écoutons-les, au moins !) s'enfuient loin des lieux où l'excision est la "culture" et demandent notre aide pour ne pas y retourner sous la pression socio-familiale. C'est qu'elles ont entrevu la différence entre culture et oppression intériorisée.
Pour répondre à une objection aussi rabâchée qu'elle est de mauvaise foi, la Culture définie par l'universalité (au moins potentielle) n'est nullement un objet figé : l'idée même de construction progressive de l'universel interdit une pratique culturelle qui ne serait que pure reproduction à l'infini d'un état de culture donné. C'est même celle qui induit le mieux l'évolution, car des "cultures" définies par leurs différences ne peuvent, pour persévérer dans leur être, qu'ériger ces différences en dogmes intangibles. Le caractère dynamique de la culture au vrai sens du mot se manifeste dans l'art comme en matière sociale, philosophique ou scientifique, et on ne peut ici que songer à la réponse de Stravinsky aux critiques horrifiés d'entendre dans le Sacre du Printemps un thème emprunté à Pergolese et soumis à variations3 : « Vous vous contentez de respecter, alors que moi, j'aime ». Aimer la culture, c'est en faire un terreau productif et avancer, sans rien perdre, ce qui veut dire aussi : en défendant ce qui a été capitalisé, ici, ailleurs, partout, si çà le mérite et si c'est compatible. Et quand çà le mérite, c'est toujours compatible. Mérite ? Que voilà un gros mot, et en plus associé à culture ! Résistons aux injures des intellocrates et réfléchissons-y calmement.
La culture, et là-dessus tout le monde est d'accord, ce n'est pas la mémoire sans faille de tout et n'importe quoi, c'est même un peu le contraire, et si le vieux poncif « ce qui reste quand on a tout oublié » a toujours autant de succès, c'est parce qu'il exprime cette intuition qu'à un moment il doit se faire un tri : la culture, c'est ce qu'il convient de retenir. Dans ces mots, il y a, même si c'est implicite, appel au jugement de valeur. Selon quels critères ? Chaque époque et chaque lieu semblent avoir les leurs, qu'il nomment en science le Vrai, en philosophie le Bien, en art le Beau, et il est de bon ton de rejeter la vieille trilogie trop scolaire. Mais elle n'est pas si fermée qu'elle en a l'air : depuis le début, car nos ancêtres n'étaient pas si bêtes, on sait bien que les trois concepts, en même temps qu'ils tentent de trouver quelques points d'ancrage permanents, évoluent dans leur forme et leur réalisation concrète. Simplement, évoluer ce n'est pas mourir pour être remplacé par son contraire. Hegel lui-même, emblématique théoricien de la négation comme force de l'histoire, explique bien qu'après, (ou plutôt avec) la négation, vient le "dépassement" qui intègre les états précédents avant d'engendrer lui-même sa propre négation et le dépassement correspondant. On admettra qu' "engendrer", c'est tout de même autre chose qu' "être détruit par" ! (Oedipe ne serait donc finalement pas l'horizon indépassable de l'humanité : réjouissez-vous, familles et sociétés équilibrées, ce n'est pas vous qui êtes malades...).
Assez curieusement, les conceptions "fixistes" et "nihilistes" de la culture se rejoignent dans la volonté forcenée d'empêcher ce processus naturel : ceux qui sont confits dans le « respect » comme ceux qui se croient « iconoclastes », les bigots du passé comme les chantres de la « table rase » et de « l'homme nouveau », ceux qui veulent que çà s'arrête comme ceux qui veulent tout reprendre à zéro, (ce qui est en profondeur la même chose), les monomaniaques et les multiculturalistes, tous luttent simplement contre le réel. Ils perdront donc ; mais ils peuvent faire beaucoup de mal dans l'intervalle, car l'artificiel peut être efficace, un temps au moins, lorsqu'il dispose de l'appareil d'Etat et du pouvoir intellectuel, qui font juste semblant de s'opposer dans la comédie bien montée du consensus législatif et de la rébellion subventionnée.
Aux deux catégories nous répondons qu'il n'y a pas de choix à faire entre Aristote et le Dalai Lama, entre un jardin Japonais et le Louvre, entre Shen Zou et Botticelli : de chacun nous pouvons prendre quelque chose qui nous guide, car ils ne nous parlent pas narcissiquement d'eux-mêmes4 ou de leur « communauté », mais de l'univers, et de nous. Pour changer complètement de plan, on pourrait dire qu'il n'y a pas non plus de choix à faire entre Adam Smith et le syndicalisme (idéal...) , plus compatibles que ne le dit la vulgate journalistique, parce que visant, mais oui, tous les deux, au maintien des équilibres naturels (ce qui n'a bien sûr rien à voir avec la farce de "l'économie mixte").
Einstein ne contredit pas Newton : les lois formulées par ce dernier sont intégrées comme un cas particulier dans une théorie qui les englobe en les dépassant, et qui est décrite non comme "contraire" mais comme "plus générale" : c'est très exactement notre définition du progrès culturel. Mais si en science c'est évident, çà l'est peut-être presque trop, chacun se disant par contraste qu'en matière sociale, domaine dont on dit qu'il est par excellence celui du "relatif", ce pourrait être bien différent. Prenons donc un exemple simple en sciences humaines. Les travaux des ethnologues du XXème siècle ont souvent mis l'accent sur la diversité des structures de parenté ; mais ils ont en même temps montré que si chaque société avait sa manière de réglementer la filiation, (et du coup les relations entre adultes), mettant l'enfant sous l'autorité ici de la mère, là du père, ailleurs de l'oncle maternel, etc, l'objectif était toujours le même : garantir que l'enfant n'est jamais "nulle part" ou "à personne", et assurer ainsi son insertion dans la structure sociale, en fonction des habitudes de celle-ci, c'est-à-dire de son histoire. Même un débutant en sociologie sait que contrairement à ce que croient encore bien des gens, les sociétés ne cherchent pas à réglementer les relations sexuelles mais, de façon en revanche assez rigide, les conditions de naissance des enfants. La distinction a toujours existé, même si les naïfs la nommaient hypocrisie alors que c'était en fait très clair, et elle explique bien des différences de moeurs, en fonction de l'état des techniques contraceptives (nous ne dirons pas du progrès de celles-ci, certaines tribus amazoniennes disposant depuis toujours de la plante qui sert à fabriquer notre "pilule" et s'en étant fort librement servies). Sous la diversité des pratiques et des règles, l'objectif profond, qui est un statut clair et solide pour l'enfant, peut être dit universel. Incidemment, il nous donne quelque éclairage sur les pseudo "droits à l'enfant" et autres "homoparentalités", mais ce n'est pas notre propos : la leçon principale est que la valeur sous-jacente à des choix pratiques différents reste la même. Elle est le véritable noyau culturel, le reste, simple trace des contraintes géographiques et historiques, relève des détails d'application.
C'est pourquoi
il n'y a rien d'anormal à ce que la culture inclue des dimensions morales,
en dépit du poncif qui veut que toute morale soit relative. Est-ce aussi
évident qu'on tente de le faire croire ? Pour voir la faille, il suffit
de prendre un exemple dans notre culture historique la plus récente :
En trois générations, le souvenir de la Shoah, ce qu'on nomme
le "devoir de mémoire", est entré dans notre culture,
et il n'est pas inutile qu'il y soit, comme objet de réflexion et donc
outil pour éclaircir, peut-être, les nuages de l'avenir. Il y est
parce que nous le concevons comme universel et que nous voulons qu'il le devienne.
Mais ce n'est pas encore le cas : dans de nombreux pays du proche-Orient, les
livres d'histoire minimisent l'holocauste quand ils ne l'escamotent pas totalement,
suggérant parfois que l'événement n'a pas eu lieu, ou pas
de la façon qu'on dit, et que c'est une invention des Juifs pour se poser
en victimes. Cette thèse est enseignée officiellement en Palestine,
et elle est diffuse dans les peuples arabes depuis trois générations
; aucun enfant ne la met en doute, des feuilletons télévisés
la tiennent pour acquise, les dessinateurs humoristiques la reprennent (cf le
colloque officiel organisé en Iran à ce sujet), sans que leurs
journaux soient brûlés par des foules hystériques, et il
y a dans les universités des thèses à côté
desquelles l'oeuvre de Faurisson est bien pâle... Bref, c'est un consensus
social, et on dirait dans nos écoles de non-pensée que c'est devenu
"culturel" . Aïe ! Qu'est-ce qui est culturel alors ? La mémoire
de l'holocauste ou sa négation ? Les deux, la mémoire ici, la
négation ailleurs ? Certains tenants de la définition purement
sociologique du mot culture ne seraient pas loin de l'admettre ; çà
sonne bien dans les salons, çà fait "moderne" et "ouvert"...
mais çà ne tient pas : une chose et son contraire ne peuvent être
vraies en même temps, et çà c'est un universel, c'est même
la condition première de toute pensée, le seul axiome absolument
indispensable comme l'ont démontré les logiciens et mathématiciens
- de tous pays ! "L'ouverture d'esprit" débouche ici sur le
vide. Il faut trancher.
La mémoire de l'holocauste est dans notre culture parce qu'elle peut être une leçon pour l'univers ; elle ne doit pas seulement empêcher l'Europe de recommencer : elle doit par exemple protéger les commerçants Chinois victimes de mini-pogroms en Afrique de l'Est, comme elle doit empêcher la Chine d'annihiler la culture de peuples entiers dans son propre empire colonial. Devrons-nous accepter, devant les photos et les reportages clandestins, que l'Afrique et la Chine affirment ainsi leurs "cultures" respectives ? En définissant le mot par la différence et non par ce qui peut rassembler, nous y serions forcés. On va dire que nous y serons de toute façon contraints par la menace ; au moins ne nous y obligeons pas nous-mêmes d'avance par la confusion de notre pensée.
Faut-il le préciser ? (sans doute, vu l'atmosphère de plus en plus pesante qui prévaut en matière de liberté d'expression) Il n'y a pas, dans la définition de la culture que nous défendons, de quoi hiérarchiser les civilisations entre elles5 et ce n'est pas notre propos. Mais il y a de quoi hiérarchiser dans chacune d'elles ce qui relève de la culture et ce qui relève du conditionnement, de la contrainte, du refus de penser. Chacune a créé sa version de certains universaux, même s'ils sont parfois noyés sous un fatras de dogmes qui n'ont rien d'universel, et ces pépites de culture peuvent toujours être retrouvées, au besoin dans ce qui dans une société donnée sera peut-être pendant un temps une dissidence -mais qui est tout de même né là.
C'est pourquoi, au nom des dissidents lointains comme en notre propre nom de bénéficiaires d'une chance patiemment construite, il nous appartient de ne pas mettre de " s " à culture, nulle part, JAMAIS. C'est vraiment une question de survie, et le mal déjà fait est profond : raison de plus pour être totalement cohérents, et sans le plus petit compromis même verbal quand çà touche à l'essentiel. Là où on a hélas pris l'habitude d'écrire le mot culture au pluriel, il faut dire modèles comportementaux, conduites de groupes, rôles, idéologies, etc... Il y a des dizaines de mots précis et plus signifiants que le concept pseudosociologique de "culture" attrape-tout, inventé pour retourner la culture contre elle-même et la faire se prosterner devant ses ennemis mortels.
Pascal TITEUX, Janvier 2009
1 Dans la version française en tout cas : la version anglophone, totalement asservie à la mode, paie tribut à la définition purement sociologique : « Culture can be defined as all the ways of life including arts, beliefs and institutions of a population that are passed down from generation to generation. Culture has been called "the way of life for an entire society. " As such, it includes codes of manners, dress, language, religion, rituals, games, norms of behavior such as law and morality, and systems of belief as well as the art. » Autrement dit : TOUT , du moment que « çà passe de génération en génération » . L'antisémitisme et le Sida aussi...
2 Celle de 1789, à ne pas confondre avec le baratin confusionnel négocié en 1948 à l'ONU avec le représentant de Staline et les premières dictatures du tiers-monde.
3 Technique musicale au demeurant fort « classique », notons-le : autre preuve de ce que la création n'est jamais ex nihilo mais synthèse à partir d'éléments qui la précèdent.
4 On ne peut cependant pas en dire autant de tous les "artistes" contemporains...
5 On peut juste souhaiter que toutes les civilisations finissent par adopter un modeste trait, présent jusqu'ici dans une seule : être capable d'engendrer sa propre critique, et finir même par faire de cette critique une valeur et non un crime. Espérons que ce n'est pas trop demander.