Une interview de

David Friedman


réalisée par Alberto Mingardi et Gulielmo Piombini pour le "Laissez-Faire City Time"

Note:
Cette interview fait partie du livre:
"Estremisti della Libertà"
par Alberto Mingardi
Leonardo Facco Editore
via Canonica 7, 24047 Treviglio (BG)
tél. 00-39 -0335-8082280
fax. 00-39-0363-304304

Vous avez dédié votre ouvrage "Vers une société sans Etat" (Ndt : édité en France par les Belles Lettres) à Robert Heinlein, Friedrich Hayek et à votre père, Milton Friedman, prix Nobel d'économie en 1976. Quel a été leur influence dans l'inspiration de votre ouvrage et du Libertarianisme ?

J'ai appris les sciences économiques et à penser clairement grâce à lui (mon père), grâce à nos conversations alors que je grandissais. J'espère avoir traduit ce qu'il m'a appris ainsi que cette manière claire de penser dans ce livre.

Est-il vrai que vous auriez dit que votre père Milton serait plutôt socialiste si on devait le comparer à vous même ?

Il pense que l'Etat doit diriger plusieurs entreprises importantes - plus spécifiquement celles qui tranchent les différents (les cours de justice) et celles qui font respecter les droits (la police) -. C'est dans cette optique que je le considère relativement plus socialiste que je ne le suis.

Une plus juste description de notre différence serait que je pense qu'une société de propriété privée sans Etat pourrait ne pas marcher mais pourrait plus probablement marcher. Alors que mon père pense que cela pourrait marcher, mais plus probablement que cela ne marcherait pas.

Un slogan typique de 1968 était : "Nous sommes raisonnable car nous voulons l'impossible". Hayek disait que, selon lui, le Libéralisme Classique avait besoin d'une "utopie". Est ce que l'anarcho-capitalisme est l'utopie du Libéralisme ou croyez vous que dans les temps à venir nous allons voir la naissance d'une société anarcho-capitaliste ?

Je ne suis pas un utopiste. Pour certaines raisons dont je parle dans "Vers une société sans Etat", bien que je sois de l'avis qu'une société anarcho-capitaliste marcherait mieux que n'importe quelle autre société alternative, je ne m'attends pas à ce qu'elle fonctionne parfaitement. Je pense qu'il est utile pour un mouvement intellectuel de vérifier ce qu'il adviendrait s'il allait jusqu'au bout de ses idées, or c'est ce que représente l'anarcho-capitalisme pour les idées du Libéralisme Classique.

Je ne sais pas si nous verrons une société anarcho-capitaliste dans les temps à venir, mais je ne pense pas que ce soit impossible.

Les innovations technologiques, Internet, la mondialisation des marchés, ainsi que la chute des idéaux collectivistes ont générés une crise de l'Etat-Nation. En même temps des exigences pour l'auto-détermination se font jour de plus en plus ouvertement. Y a-t-il une relation entre ces constats ?

Je pense que les développements technologiques actuels ainsi que d'autres développements sont favorables aux objectifs libertariens et anarcho-capitalistes. Mais favorables à quel point, je ne le saurais dire.

Est-ce que ces évolutions sont responsables de l'apparition simultanée du Libertarianisme et de mouvements d'autonomie locale ?

Les mouvements autonomistes existent depuis fort longtemps. Ce qui est évident, en revanche, est que dans l'économie mondiale les régions ne se sentent plus aussi dépendantes d'Etats plus grands.
Jusqu'à présent, alors que les implications d'Internet et des nouvelles technologies auront des conséquences importantes, je pense qu'il est encore trop tôt pour attendre d'elles beaucoup de conséquences politiques.

Certains intellectuels, comme Hans-Hermann Hoppe, croient que dans le but de retirer tout crédit à l'Etat, l'Etat-Nation lui-même doit être détruit. Etes vous d'accord ? Les libertariens doivent-ils appeler à des mouvements sécessionnistes ?

Non. Mon chemin idéal vers l'anarcho-capitalisme est celui dans lequel des institutions privées remplaceraient graduellement les institutions publiques, ainsi l'Etat disparaîtrait sans que personne ne s'en rende véritablement compte. Une version divertissante d'une telle société en évolution est décrite dans la nouvelle de science-fiction "SNOW CRASH".

Il est évident que les mouvements sécessionnistes peuvent mener à une société plus libertarienne - plus généralement, on peut constater, pour des raisons géographiques, que les petits Etats ont moins de contrôle sur leurs sujets que les grands, simplement parce que les frontières sont plus proches. Mais les petits Etats ne vont pas nécessairement dans le sens d'une société libertarienne. Plus la population est homogène et plus il est facile de supprimer les déviants et les mouvements sécessionnistes tendent à créer des Etats dotés de populations plus homogènes.

Dans votre perspective d'un avenir plus libre, pourquoi faites vous référence au Moyen Age ? Où se trouve la ligne de démarcation entre cette époque d'obscurantisme que les livres d'histoire nous décrivent et la société de liberté à laquelle vous pensez ?

Un des problèmes que nous rencontrons quand nous jugeons les sociétés d'antan est la difficulté de faire la séparation entre les conséquences de la pauvreté et celles des institutions politiques. Ainsi les sociétés américaines et britanniques du 19ème siècle sont souvent décrites comme repoussantes par ceux qui les comparent aux sociétés du 20ème siècle. Ce faisant, nos historiens ignorent que nos sociétés contemporaines sont la résultante des progrès des sociétés du siècle précédant.

Un problème similaire existe dans l'analyse du féodalisme. Le féodalisme semble repoussant pour une large partie car les hommes étaient alors beaucoup plus pauvres qu'aujourd'hui. D'un autre côté, le féodalisme fut un système politique décentralisé dans lequel les armées combinées des barons surpassaient l'armée du roi. En plus, ce fut un système dans lequel les frontières - non entre les royaumes mis les baronnies - étaient très proches, ainsi les seigneurs locaux devaient tenir compte du fait que s'ils maltraitaient leurs sujets, ces derniers pouvaient s'installer chez le seigneur voisin.

En gros, je dirais que le passage du féodalisme à la monarchie absolue marqua une régression - les monarques du seizième et du dix-septième siècle purent davantage opprimer leurs sujets que ne le purent les seigneurs féodaux du treizième siècle. On aurait pu concevoir une évolution différente dans laquelle, au fur et à mesure que les gens s'enrichissaient et que le technologie se développait, le féodalisme aurait évolué en une société anarcho-capitaliste, hélas ce n'est pas comme cela que l'histoire a alors évolué.

Le premier des principes libertarien est la non-violence. Mais si la violence ne peut être utilisée comment atteindrons nous une société plus libre ?

En changeant les croyances des gens. Après tout, l'Etat n'existe pas réellement, c'est une fiction légale qui prend sa substance du fait que des hommes collectent des impôts, paient des impôts font respecter les lois édictées par les gouvernements, obéissent à ces lois (peut-être que la volonté de payer et d'obéir est moins évidente en Italie qu'ailleurs) etc.

Dans "Vers une société sans Etat", vous écriviez que vous étiez très perplexe quand aux rapports entre l'anarcho-capitalisme et la défense nationale. Votre position est-elle toujours semblable ?

Le seul changement vient de l'effondrement de l'Union Soviétique. Le problème est désormais moins évident ; il n'est pas nécessaire de réclamer une contribution fiscale volontaire pour nous défendre du Mexique et du Canada.

Vous aviez également déclaré que vous étiez un "Libéral à la Adam Smith ou un conservateur à la Goldwater". Approuvez vous les dernières déclarations de Goldwater au sujet de Clinton et des organisations anti-avortement ?

J'ai écrit ces mots il y a plus de 20 ans et depuis je n'ai pas suivi dans les détails la carrière de Goldwater. Je ne suis pas un admirateur de Clinton ni un supporter des organisations anti-avortement (pas plus que de leurs opposants d'ailleurs).

Comme se fait-il que 89 % des Américains (selon un sondage de "Advocates for Self-Government) soient opposés à la légalisation des drogues douces ?

Premièrement je ne saurais dire si ce chiffre est bon.
Deuxièmement, si il l'est, c'est que quelques mauvais arguments contre la légalisation ont porté. D'ailleurs, à une certaine époque, la majorité des Américains s'opposaient à la légalisation du vin.

Est-ce que le vingt et unième siècle sera le "siècle libertarien" ?

Peut-être, je ne suis pas prophète.