Pour une culture de l'échange
Comme vous le savez un de mes sports favoris,
devrais-je dire vice, est la pêche aux journaux dans ces gros récupérateurs
à papiers. C’est un peu ma contribution à la collecte sélective. Quelle
meilleure occasion de lire l’Humanité, Libération, l’EDJ, le Monde
Diplomatique et autres Marianne dont il me serait moralement difficile
d’accepter d’en acquitter le prix ? Que voulez-vous je ne suis pas
Lagardère pour désirer subventionner la diffusion d’imbécillités.
Malheureusement mon tas d’imbécillités
grossit dangereusement ces derniers temps et vient témoigner de la négligence
que j’ai porté aux revues de presse. Je tombe donc sur un vieux Libération
du 4 février 2000 consacré à Internet, ce « Janus de la modernité,
symbole à la fois d’un capitalisme parfait et de celui d’une culture de
l’échange et de la gratuité ». Le journaliste, visiblement peu versé
en sciences économiques, oppose dans l’article capitalisme à culture d’échange.
Lisez : « Internet apporte le pire et le meilleur, au rang du pire ce
capitalisme dont deux des fantasmes seraient réalisés à savoir la concurrence
pure et parfaite et la mythique de l’entrepreneur qui réussit à partir de
rien ».
C’est donc cela ce capitalisme parfait si
critiquable. Ce capitalisme de casino, de boursicoteurs, de petits êtres sans
âmes qui comparent les meilleurs prix sur le web, qui utilisent des sites
d’enchères. Ce capitalisme qui fait jouer à plein la concurrence, cette
concurrence honnie qui consacre le règne du consommateur donc la dictature des
vulgaires choix individuels contre le bon goût que des bienfaiteurs de
l’humanité comme Bové ou Ben Laden voudraient nous imposer.
Le jugement n’est pas porté si
sommairement, mais tout de même la mise en accusation du « mythe de la
concurrence pure et parfaite » fait partie des arguments collectivistes
pour établir la faillite de la logique de marché. Il est grand temps de
comprendre que ce mythe de concurrence pure et parfaite ne fait pas partie de
nos fantasmes pour la simple et bonne raison que ce mythe suppose
l’impossibilité de réaliser un profit, une information parfaite sur les données
passées et à venir, l’absence complet de risque pour l’entrepreneur. Ce
mythe là vient contredire la deuxième partie de notre fantasme : celui de
l’entrepreneur. Cet entrepreneur que le journaliste décrit comme un lanceur
de start-ups flattant les bas instincts de ces méchants singes sans queue
(dixit Trotski qualifiant les hommes) tel ce webmaster proposant « la
bourse et les bourses » permettant de « boursicoter en ligne tout en
contemplant des images pornographiques ».
L’entrepreneur pourtant, le journaliste ne
l’a pas compris, contribue au meilleur de l’Internet c’est à dire à une
culture d’échange marchand ou d’échange gratuit. Le capitalisme n’est
d’ailleurs rien d’autre que cette culture là et l’opposition factice
dressée dans l’article s’effondre.
En effet la culture de l’échange permet à
ceux qui s’y adonnent d’augmenter leur satisfaction car il s’agit bien là
d’un jeu à somme positive où chacun ressort de l’échange plus satisfait
qu’il ne s’en trouvait avant. Évidemment lorsque nous achetons un bien nous
attachons à ce bien une valeur supérieure à la somme d’argent dont nous
nous séparons, faute de quoi l’échange n’aurait pas lieu.
A condition, bien entendu, que l’échange soit libre et que les calculs
individuels ne soient pas perturbés par l’intervention d’un État qui
subventionne ou taxe les biens à échanger.
Tout le capitalisme est là dans cet
entrepreneur qui, de par sa créativité et son travail participe à générer
une valeur dont il tire un profit nécessairement inférieur à la satisfaction
qu’il procure et supérieur à la peine qu’il s’est donnée. Mais tout le
capitalisme est dans l’absence d’un système décrété, qui a mis en place
ce mécanisme sinon la liberté de disposer de soi et de sa créativité ?
Ainsi cette culture de la gratuité opposée
au « capitalisme parfait » en est au contraire une partie intégrante.
L’erreur commise ici consiste à confondre « calcul mercantile «
et fondements de l’action humaine. Le don, le bénévolat ne sont autres que
des échanges impliquant aussi la création de satisfaction pour celui qui donne
et celui qui reçoit. Cette culture de la gratuité n’est en rien un « communisme
new-age » dans le sens où la générosité n’y est pas extorquée ou
encore décidée par un guide-esprit supérieur. Pas d’impôt ici, pas
d’intermédiaire, les informations que nous échangeons, le travail que nous
mettons à disposition de chacun de nos cyber-amis ne serait tout simplement pas
offert si notre satisfaction en terme de gratitude, d’estime de nous-même, de
diffusion de nos idées, ne surpassait pas la peine que nous nous donnions. La
« chaleur de l’écoute, l’aide morale apportée sur les salons de
discussion » ne sont rien d’autre que des échanges librement consentis
en terme de relations humaines.
Enfin la note politique : le net associatif contre le net marchand. Les premiers sont « les anti-mondialisations interdits de médias (sic) et les autres sont les puissants groupes économiques, ne délivrant que des services packagés ». Distinction qui annonce la couleur mais qui reste absurde dans l’opposition marchand-associatif pour les raisons vues plus haut. Il ne reste donc qu’une opposition idéologique entre les anti-mondialisations qui gouvernent les médias et les associatifs libertariens qui devront s’imposer par leur philosophie de la liberté sur un média de la liberté libéré des censeurs marxisto-fascistes d’Usenet.
Xavier COLLET, le 14/11/2001