Une des critiques les plus fréquemment utilisée à l'encontre des
libertariens que nous sommes consiste à supposer que nous soutiendrions un
système socioéconomique fondé sur l'égoïsme.
Ce que nous pensons véritablement c'est que l'égoïsme existe effectivement dans
tout système politique. Tous les individus, dans quelque système que ce soit,
agissent sur la base de leurs propres intérêts : ils ne sont pas, pour
paraphraser James Buchanan, des "eunuques de l'économie" prétendant
effectuer leurs choix dans le seul souci de contribuer à l'intérêt général.
Derrière des revendications pour l'intérêt général se cache toujours un intérêt particulier
Supposons donc, dans le cadre d'un système économique planifié, que Gianni
Agnelli, directeur de Fiat, demande à l'État le versement d'une "balladurette"
(prime à la casse) pour que la population puise se porter acquéreur de
nouvelles voitures. Ledit Agnelli n'agirait-il pas là que poussé par son propre
égoïsme ? Pareillement, si un trader s'oppose à ce que les charges d'agents
deviennent gratuites il agît par égoïsme.
Dans la même veine et dans le même système planifié, si un travailleur réclame
une loi instaurant les 35 heures à salaire inchangé il agît égoïstement ; si un
chômeur demande la création d'emplois socialement utiles grâce à l'agent public,
il agît, là encore, égoïstement.
Ainsi l'égoïsme existe aussi bien dans un économie centralement planifiée que dans une social-démocratie. Cependant la nature même de l'égoïsme dans une économie planifiée différera de celle existant dans un système libertarien. |
Dans le premier, l'égoïsme se traduit par le recours à l'État afin de prendre à
certains et donner à d'autres. Ainsi l'égoïsme dans un tel système porte
atteinte aux autres. Cet égoïsme n'est pas destiné à accroître les richesses,
mais à procéder à une redistribution des richesses en faveur des égoïstes. Ils
tentent de vivre - au moins en partie - aux dépens de l'État, et en fait aux
dépens du reste de la société. Frédéric Bastiat avait bien résumé cette
tendance lourde par cet apophtegme : "L'État est cette grande fiction par
laquelle chacun croit pouvoir vivre aux dépens de son voisin".
Dans une économie planifiée, les égoïstes ne sont pas dans l'obligation de
produire leurs ressources ils peuvent les obtenir à moins de peine, en faisant
usage de moyens politiques, c'est-à-dire par l'intermédiaire de lois leur
laissant prétendre à une part de la prospérité de leurs voisins. Ainsi, un
consensus établit permet à certaines classes politiquement fortes de se voir
consentir des droits positifs à l'encontre des richesses créées par des classes
politiquement plus faibles.
Sur cette lancée les économies planifiées vont vers leur faillite : il arrive
un moment où nul n'est plus intéressé à produire car l'investissement dans un
développement du pouvoir politique permet plus facilement d'obtenir sa
subsistance que le simple processus de production. Pour résumer, l'égoïsme dans
une société planifiée conduit à l'appauvrissement général.
L'intérêt particulier ne coïncide avec l'intérêt général que dans une société libérale à l'exclusion de toute autre
A l'opposé, dans une société libertarienne, l'égoïste est la personne qui
veut prendre soin de ses intérêts et ne peut pour cela faire usage de moyens
politiques mais seulement économiques. Cette personne ne peut pas obtenir par
redistribution ses biens des efforts d'autres personnes. Elle ne peut accroître
ses richesses qu'en travaillant plus efficacement, en conséquence de quoi elle
profite à l'ensemble de la société.
D'où, même si l'égoïsme, est présent partout, le modèle libertarien est le seul
dans lequel, ce "vice" n'entraîne aucune conséquence négative, mais
au contraire accroît la richesse générale.
Il est clair que le véritable égoïsme n'est pas l'attitude consistant à garder pour soi les fruits de son labeur. L'égoïsme c'est l'attitude de la personne qui veut, en vertu de lois, obliger les autres à partager leurs richesses avec elle. Vilfredo Pareto écrivait si justement : "Le mot de solidarité est brandit comme prétexte par ceux qui veulent jouir des fruits du travail d'autrui, il est un nouveau leitmotiv dans la bouche des pires égoïstes".
L'obligation tue la vertu et interdit les choix moraux
Défendre le droit individuel à l'égoïsme consiste à conserver à chacun ce
qui lui appartient, même sans faire cas de ceux qui sont dans le besoin. Ce qui
n'implique pas qu'une telle attitude puisse être considérée comme moralement
correcte (pareillement, défendre la libéralisation des drogues n'implique pas
de considérer que la consommation de drogues soit moralement correcte).
Défendre le droit à l'égoïsme consiste seulement à faire en sorte que, dans une
société libre, l'égoïsme ne puisse pas être considérée comme un crime. Si le
libertarianisme refuse la solidarité coercitive, il offre un boulevard pour la
solidarité volontaire, laquelle demeure la seule à posséder une vertu morale.
Effectivement, empêcher les individus de réaliser leurs choix revient à les
priver de tout choix moral. Comme l'a écrit Murray Rothbard dans "For a
new Liberty" : imaginons qu'un musulman considère comme un acte de
moralité celui de prier sur un tapis en faisant face à la Mecque, s'il oblige
tout le peuple à prier de la sorte, il leur enlèvera la possibilité de faire
montre de vertu par une prière volontaire donc conséquence de vertu et non
d'obligation. L'acte de prière ne sera donc plus acte de vertu s'il devient
obligation.
Abondant dans ce sens, David Friedman dans "The Machinery of Freedom"
indique trois voies pour obtenir ce que l'on désire : l'amour, l'échange, la
force. L'amour peut marcher ou ne pas marcher. Quand il ne marche pas, le
Libertarien utilisera l'échange sur un marché, le planificateur ne recherchera
lui que la force coercitive.
Marco FARACI, le 8 janvier 1999