Au-delà des manuels, des élèves sous influence


La coloration toute particulière des manuels d'économie (Sciences Économiques et Sociales, mais aussi Économie-Droit pour les STG et BTS) a été dénoncée à titre individuel par de nombreux parents d'élèves, mais aussi par SOS Éducation, par la PEEP, des parlementaires, des ministres (Francis Mer a parlé du caractère marxiste de certains manuels). Pourtant rien n'a vraiment bougé depuis, même si la presse (Capital, Le Figaro, L'Expansion, Liaisons sociales, sans compter la presse internationale) s'est jointe à cette interrogation légitime sur le contenu de ce qui est enseigné.

Si le statu quo triomphe c'est que toute remise en cause de l'orientation des manuels fait l'objet d'une levée de boucliers contre le patronat qui serait le vrai instigateur des critiques émises sur la vision partiale de l'entreprise, de la mondialisation et de l'économie de marché.

Le patronat à l'assaut des sciences économiques et sociales ?

C'est là la thèse de Philippe Frémeaux directeur de la publication Alternatives Économiques, qui titre " Le patronat à l'assaut des sciences économiques et sociales " dans sa revue dès avril 2004 (http://www.alternatives-economiques.fr/le-patronat-a-l-assaut-des-sciences-economiques-et-sociales_fr_art_179_19787.html), cet article repris sur l'Institut de la FSU, et faisant référence à plus d'une reprise à l'Association des Professeurs de Sciences Économiques et Sociales (APSES) illustre bien la façon tantôt violente tantôt conciliante avec laquelle certains enseignants partisans entendent disqualifier toute critique de partialité dans leur enseignement de la discipline.

Reprocher un parti pris ne pourrait venir que d'une tentative de remise en cause de l'indépendance des enseignants à l'instigation de lobbies patronaux, en l'occurrence l'Institut de l'Entreprise. Cet institut mènerait une opération de " reconquête idéologique " (terme révélateur) des sciences économiques et sociales, à travers notamment un site Internet de ressources pédagogiques baptisé Melchior " pur instrument d'influence, pour ne pas dire de propagande. ", une revue du nom de Sociétal, et des stages en entreprise proposés aux enseignants. Frémeaux reprend ensuite la charge d'ATTAC contre l'université d'automne au Lycée Louis Le Grand, organisée par l'Institut de l'Entreprise et le CNED, animée par Les Échos, une vraie opération de propagande pro-mondialisation (puisque le socialiste devenu patron de l'OMC, Pascal Lamy y était) financée par le Ministère.

Il écarte aussi la critique portant sur le caractère engagé de sa publication en répondant tout à fait sérieusement que les enseignants apprécient " Alternatives Économiques, jugé en fait moins " engagé " qu'un grand nombre de ses concurrents, en raison de son indépendance à l'égard du pouvoir économique. " Ce qui l'amène à constater, mais surtout à considérer comme bien légitime que les enseignants soient acquis à une gauche anticapitaliste : " une grande partie des enseignants de sciences économiques et sociales jette un regard distancié sur le monde actuel. Rien de très surprenant : alors qu'un passionné de philosophie ou de lettres classiques n'a guère d'autres débouchés que l'enseignement, les enseignants de sciences économiques et sociales disposent généralement de diplômes qui ouvrent la possibilité de faire carrière dans le privé. C'est donc, pour la plupart, par choix qu'ils ont décidé d'embrasser la carrière d'enseignant, un choix parfois dicté par leurs convictions. "

Enfin il nuance l'emprise dont seraient victimes les élèves : " Ne surestiment-ils pas (les patrons) l'influence que les enseignants ont sur leurs élèves ? Que reste-t-il dans les têtes après une première et une terminale ES ? D'une manière générale, l'enseignement des SES permet aux élèves d'acquérir la culture générale économique et sociale indispensable à tout candidat à une carrière en entreprise ou dans une administration. "

Une déclaration étonnante qui permettrait de légitimer l'enseignement du n'importe quoi, et donc qui minimise de beaucoup l'intérêt que les élèves portent à cette matière, ainsi que l'implication des professeurs. Mais si vraiment il leur reste si peu selon Philippe Frémeaux, à quoi servent les sciences économiques et sociales au lycée sinon à distiller des a priori non étayés par une véritable connaissance théorique ?

Sortir du fantasme sur les manuels ?

La défense des manuels par Pascal Binet, un de leurs auteurs, évoque un fantasme de gauchisme à leur endroit. Dans " Manuels d'économie, pour sortir du fantasme ", il entend démontrer que ceux-ci ne font que donner au référentiel un éclairage qui ferait consensus chez les enseignants. Et effectivement, comme il l'avance l'édition scolaire s'adresse à des prescripteurs et doit donc les séduire : " Lorsqu'un éditeur propose un manuel de Sciences économiques et Sociales, il a surtout le souci de le vendre, pour réaliser un profit, sont donc soucieux de produire un manuel, qui a les qualités requises par le plus grand nombre d'enseignants de Sciences Économiques et Sociales possible, qui sont les prescripteurs de manuels. (…) Introduire un biais "idéologique", c'est-à-dire traiter le programme en choisissant un point de vue unique, serait un risque considérable pris vis-à-vis des prescripteurs par les auteurs, risque évidemment insupportable pour les éditeurs. "

Quant aux enseignants de SES ils ne peuvent donc faire preuve que d'impartialité : " Notre système éducatif tant brocardé forme des apprentis citoyens déjà capables de mettre en doute un discours systématique porteur d'opinions. Et croire qu'on pourrait leur "bourrer le crâne" en enseignant une vision positive de tel ou tel acteur économique et social est d'une vanité qui pourrait prêter à sourire. "

Il n'y aurait donc rien à redire au monde merveilleux de l'enseignement des Sciences Économiques et Sociales, s'il n'y avait des lobbies dont il ne se penche pas sur les motivations : " Malheureusement, certains entrepreneurs d'opinion et de morale en ont fait un objectif de leur existence. Les médias, soumis, relaient. " Ceux qui s'en prennent aux manuels seraient donc représentatifs d'une idéologie dominante relayée par les media ?

Les avocats des manuels sont-ils crédibles ?

Il faut creuser un peu pour savoir ce que Pascal Binet sous-entend, cette information nous est donnée par le site alter d'observation des media Acrimed (http://www.acrimed.org/article2290.html). Y est reproduit un courriel du 8/2/2006 de Pascal Binet au directeur de France Info, Michel Polacco, avec copie au CSA ainsi que de nombreuses réactions de professeurs objectifs de SES qui s'empressent de relayer les pressions exercées auprès du CSA à travers leurs nombres listes de discussion.

" Toutes les chroniques et journaux particuliers en matières économiques ne reflètent que le point de vue appelé communément "libéral", voire directement celui des syndicats d''entrepreneurs. (…) Le problème est que ces chroniques ne connaissent aucun contrepoints, présentant des points de vue d''école de pensée différentes, et tendent à faire croire aux auditeurs qu'il s'agit de "la" vérité économique. Merci de voir ce que l'instance de régulation peut faire pour corriger cette anomalie dans l'expression du pluralisme. "

On comprend donc ce qu'est un biais idéologique pour Pascal Binet : il s'agit d'un biais libéral. Or effectivement on ne trouve pas grand-chose de libéral dans les manuels d'économie ou dans les cahiers des élèves. C'est dommage que Pascal Binet s'indigne à sens unique surtout quand il semble porter l'étendard de l'objectivité. Quant au libéralisme des chroniques de France Info, il ne m'est pas paru flagrant.

" Manuels d'économie : arrêtons les idées reçues ! ", l'article de Philippe Watrelot, professeur de Sciences Économiques et Sociales et président de l'association CRAP-Cahiers Pédagogiques va dans le même sens. La mise en cause du caractère étatisant des manuels est aussi conçue comme une attaque récurrente contre sa discipline menée par des lobbies patronaux. Elle reflèterait encore une fois de la méconnaissance des programmes et de l'ignorance de la spécificité d'un enseignement destiné à comprendre notre monde.

Pourtant croire à ces deux arguments rabâchés c'est ne pas avoir lu les manuels qui, s'ils abordent des problématiques libérales, prennent soin par les questions posées à orienter les réponses et la réflexion des élèves dans un sens systématiquement hostile à ces problématiques. Enfin ce " circulez il y a rien à voir " devient agaçant quand il est formulé par des gens aussi " objectifs ".

Il n'est, en effet, pas inintéressant de savoir que Philippe Watrelot a co-animé un atelier " L'économie dans l'enseignement secondaire forme-t-elle des citoyens ? " lors des rencontres nationales sur l'enseignement de l'économie organisées par l'institut de recherche de la FSU et ATTAC, avec en partenariat l'Association des Professeurs de Sciences Économiques et Sociales (APSES), Alternatives Économiques, la Ligue de l'Enseignement, la CGT, le SNES, le SNESUP.

L'APSES monte au créneau

Mais c'est surtout de l'Association des Professeurs de Sciences Économiques et Sociales que vient la défense des manuels. Cette association qui revendique dans ses rangs 20 % des professeurs de SES, compte nombre de rédacteurs des manuels. On comprend donc que cette association reprenne le couplet de manuels aussi objectifs que possible.

Aussi objectifs peut-être que " Le libéralisme n'a pas d'avenir ", l'ouvrage de Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternatives Économiques. Le libéralisme n'a pas d'avenir plait à l'APSES qui, avec ATTAC, et les Amis du Monde Diplomatique, a participé à sa présentation au public (http://www.amis.monde-diplomatique.fr/article616.html), on se doute d'ailleurs du contenu de cet ouvrage qui devrait profiter aux élèves à travers quelques extraits synthétiques à distribuer en cours.

D'ailleurs Edwige Corcia, secrétaire nationale de l'APSES, dans une entrevue donnée à L'Humanité du 27 octobre 2003 (http://gerard.delatour.free.fr/rassemblement24oct2003paris.htm#) avoue un étrange sens de l'objectivité et de la défense de la laïcité : " Or l'école a-t-elle vocation à développer particulièrement cette idéologie de la mondialisation ? Le principe de la laïcité est en danger car le dogme de l'entreprise n'est-il pas une forme de religion ? "

De tels propos sont bien évidemment surprenants de la part d'un enseignant, a fortiori de la secrétaire générale de l'APSES.

En finir avec la théorie du complot patronal

Ces arguments de lutte des classes démontrent bien que certains professeurs vivent loin des réalités et ont trop lu Bourdieu. La défense du capitalisme ne tient pas lieu d'idéologie dominante en France, et l'école n'est pas un lieu de résistance à l'idéologie dominante.

La réalité n'est pas celle là, puisque ce sont avant tout les usagers de l'Éducation nationale qui critiquent une vision à sens unique répercutée par des manuels accordant une place trop importante aux écoles de pensées affichant clairement leur hostilité au libéralisme. Les autres écoles ne sont pas absentes, mais descendues en flèche alors même qu'aucune approche critique n'est pas développées pour les théories anti-libérales.

Critiquer les manuels ce n'est pas " jouer le jeu du patronat " mais demander non seulement plus d'équilibre dans les sources mais aussi dans le traitement desdites sources. Cette demande doit être suivie pour qu'enfin cet enseignement respecte mieux l'impératif de neutralité qui est à la base du principe de laïcité.

Les Manuels sont la partie émergée de l'iceberg, en effet comme le disent ses avocats, ils ne se substituent pas à l'enseignant. En réalité ce sont aussi les autres supports de cours et le militantisme de certaines officines qui posent surtout problème.

Nous pouvons mieux comprendre l'action de ces officines dans nos écoles à travers les multiples prohibitions introduites par les enseignants alter et donc les pressions sur les enseignants qui ne partagent pas leur point de vue.

Pédagogues ou alter multicartes ?

La stratégie de conquête idéologique dans l'éducation, synthétisée sur le site d'ATTAC (http://www.france.attac.org/spip.php?article3936), mérite tout l'intérêt des décideurs et des parents d'élèves. Le rédacteur y présente les efforts réalisés par des militants enseignants pour constituer une internationale de l'éducation à travers le Conseil international du Forum mondial sur l'éducation (FME) dans le cadre du Forum social mondial (FSM). Le FME est présenté comme " la première initiative sectorielle prise en liaison avec le FSM. Elle reste celle qui est la plus élaborée : le FME a un Conseil international propre ; il a adopté un texte d'orientation. "

L'article fait le point sur les organisations qui adhèrent en France à cette dynamique et qui apparaissent au grand jour lors de forums sociaux. Il constate que les syndicats d'enseignants " donnent le ton dans le débat public sur l'éducation (…) particulièrement quand il s'agit du contenu de l'éducation, voire des approches pédagogiques. " Il regrette le rôle trop faible de mouvements pédagogiques et d'associations de professeurs tout en mettant en lumière les succès de l'APSES et d'ATTAC dans la participation aux débats éducatifs.

Ce réseau d'associations, d'une légitimité contestable, ne supporte d'ailleurs pas d'être écarté des débats éducatifs. Plus encore, il entend mener les débats et n'hésite pas à faire usage de l'agit-prop lorsqu'il ne se sent pas partie prenante.

Pour se faire entendre davantage, les enseignants de ces réseaux jouent souvent le multi-carte. Un professeur d'économie adhérant à l'APSES sera souvent sympathisant voire adhérent d'ATTAC ou encore de l'APED (Association pour une École Démocratique), en tant que parent d'élève il s'engagera à la FCPE … Le petit monde des alters ne draine pas autant de militants qu'on le croit, il suffit de fréquenter les listes de discussion diverses qui leur sont liées pour y retrouver les mêmes participants, dont une majorité d'enseignants peu ouverte aux débats d'idées. Toute opinion non partagée par le petit monde alter vaut en général des attaques ad hominem et des procès d'intention.

Une attitude que l'on retrouve sur le terrain scolaire : ce qui n'est pas objectif est ce qui ne va pas dans leur sens, et ce qui ne va pas dans leur sens n'a pas de raison d'être dans nos écoles. C'est ainsi que des actions lancées contre des initiatives à visée éducative vont faire l'objet des foudres de collectifs d'associations, toujours les mêmes.

Contre l'idéologie de la mondialisation

Ainsi, Attac a manifesté contre la " mainmise des multinationales sur l'enseignement ", en réalité contre une université d'automne réservée à des professeurs de sciences économiques et sociales sur le thème " les entreprises dans la mondialisation " organisée en octobre 2003 en partenariat entre le Ministère de l'Éducation Nationale, l'Inspection Générale des sciences économiques et sociales, le CNED et l'Institut de l'entreprise. ATTAC parle là d'une manipulation scandaleuse organisée par le ministère tout en ayant exigé d'être présent pour expliquer les méfaits de la mondialisation à ce colloque. L'APSES se plaint de ce que ses membres aient été évincés : " Toutes les personnes syndiquées connues, à l'APSES par exemple, n'ont pas réussi à être invitées " affirme Edwige Corcia, sa secrétaire nationale.

Eh oui, il n'y a pas de raison pour que les enseignants alter n'expliquent pas à leurs collègues, ce qu'ils serinent à nos enfants dans les classes de SES ou d'économie-droit.

Droits bourgeois versus droits sociaux

Quant aux " droits bourgeois ", inutile d'insister dessus, il convient d'éclairer davantage sur les luttes sociales et les droits sociaux.

Fort de ce leitmotiv, ATTAC s'en prend au " guide républicain, L'idée républicaine aujourd'hui " publié par le Ministère de l'Éducation Nationale en 2004. Le collectif ATTAC Éducation IDF lui reproche de ne rien dire sur " les luttes pour accéder à un niveau de vie décent et pour lesquelles nombreux hommes et femmes issus du peuple se sont mis en danger... on ne sait jamais, cela pourrait donner de mauvaises idées dans les banlieues "chaudes" ! "

Propos tout à fait inquiétants quand les luttes sociales remplacent la bataille de la productivité dans l'explication du développement économique. Et quand les émeutes des banlieues sont présentées comme des luttes sociales à encourager !!!

Le site ATTAC IDF Éducation continue ainsi : " Aussi, en privant le lecteur de toute réflexion sur les droits sociaux, il écarte le caractère populaire de ceux-ci acquis par la lutte et donc hautement symboliques d'une République démocratique. Ce refus d'inscrire dans l'histoire la longue et difficile conquête de droits sociaux actuellement remis en cause montre combien certains semblent redouter le caractère exemplaire des luttes populaires du XIXème et du XXème siècles et confirme, après les coupes des programmes scolaires par M.Allègre, que l'absence de l'histoire dans " le socle " d'inspiration européenne prôné par MM.Dubet, Thélot et Fillon n'est pas vraiment un oubli. "

Pas d'idéologie économique dans l'enseignement public !

Quand l'entreprise, débouché logique de toute formation, montre son nez, ATTAC réagit comme propriétaire de l'éducation et des cerveaux des élèves.

Pour le Collectif ATTAC éducation IDF (http://attaceducidf.gardiendutemps.org/) : " La neutralité scolaire est le premier et le plus épais rempart contre l'intrusion de toute idéologie économique dans l'enseignement public. La détruire c'est à terme permettre au monde économique et financier privé de s'emparer non seulement d'une des mannes financières les plus importantes que constitue l'Education mais c'est aussi lui permettre à terme de décider seul la raison d'être de l'Éducation. Nous ne le voulons pas. "

Le manifeste d'ATTAC est d'ailleurs très clair sur la stratégie à tenir vis-à-vis du monde de l'entreprise : "En France, compte tenu de la spécificité de son système éducatif - fondé sur l'école laïque et publique - c'est de l'intérieur même du secteur public que se mène l'offensive libérale, toujours en référence aux "valeurs de l'entreprise", ramenées aux seules valeurs… des employeurs."

Ces valeurs de l'entreprise il faut s'en méfier en se rappelant le tropisme exploiteur de l'entrepreneur, Alternatives Économiques, magazine de référence des professeurs et des lycéens dans l'article " Entre utopie et contre-pouvoirs " du hors série n° 45 bis de septembre 2000, rappelle que :

" Historiquement, l'entreprise est donc d'abord un lieu d'enfermement. De même qu'on enferme les fous à l'âge classique, le capitalisme se développe d'abord en enfermant des hommes, des femmes et des enfants au fond de la mine et dans les ateliers de l'industrie naissante. Le travailleur est privé de tout droit, sinon celui d'obéir aux injonctions patronales. Le rassemblement réalisé au sein de la manufacture est d'abord un moyen de contrôle, afin d'allonger la durée du travail et d'éviter toute flânerie ouvrière . Ce péché originel du capitalisme, qu'on retrouve aujourd'hui dans bien des pays dits émergents , là où le salariat s'étend en cassant les modes d'organisation anciens, a longtemps fait du salariat une des formes les plus achevées de l'exploitation du travail humain, au même titre que le servage ou l'esclavage.

Cet héritage, qui justifiera la dénonciation par la tradition marxiste du caractère formel des libertés démocratiques, est cohérent avec une vision libérale des relations sociales : le travailleur n est-il pas libre de nouer ou non le contrat qui le lie a son employeur ? Sauf que l'artisan ruiné ou le métayer chassé de sa terre par son propriétaire n'a guère le choix. Il ne lui reste qu'à vendre sa peau et être tanné, pour paraphraser la célèbre formule de Marx. (…)

(…) Le capitalisme ce n'est pas seulement la dépossession du travailleur de la propriété des moyens de production, c'est aussi la dépossession de tout contrôle sur l'organisation de son travail, du fait de la parcellisation des tâches. (…)

(…) A la dictature du contremaître dans la grande entreprise fordiste dominant son marché s'est substituée la double dictature du client et de l'actionnaire : le manager est plus que jamais l'agent d'une logique qui le dépasse. (...) "

les enfants emmerdent Attac, et moi aussiLa bourse c'est la dictature des actionnaires et la précarité pour tous les autres

Pour ATTAC, mais aussi le SNES, l'OCCE (Office Central de la Coopération à l'École), etc … le marché mène à la bourse, la bourse c'est la spéculation et la spéculation c'est mal. Il faut donc interdire certains enseignements, tant pis pour la liberté pédagogique.

C'est pour protèger les élèves de la compréhension et des tentations de la bourse qu'un professeur membre d'ATTAC du lycée Blanqui de Saint Ouen (93) s'en est pris à un de ses collègues qui organisait un jeu de simulation boursière avec ses élèves, avec à la clé des prix attribués par le CIC. Il s'agit là d'une activité pédagogique appréciée des élèves et visant à faire comprendre la loi de l'offre et de la demande ainsi que le fonctionnement des marchés financiers et le financement désintermédié. Mais pour ATTAC : " ce jeu fait l'apologie de la spéculation boursière en occultant les désastres sociaux et environnementaux qu'elle entraîne ", il serait aussi un " jeu à caractère publicitaire, commercial et idéologique (sic) ".

Le réseau alter s'est là encore mobilisé pour que plus jamais un enseignant ne reproduise cette action idéologique, il fallait pour cela faire condamner l'établissement et aller jusqu'à la création d'une jurisprudence. Soutenu dans sa démarche par ATTAC, l'APED, la CSF (Confédération Fédérale des Familles), la Ligue de l'Enseignement, l'OCCE, le RECIT (Réseau des Écoles de Citoyens), le SNES, l'UFAL (Union des Familles Laïques), l'enseignant procédurier obtient le premier juillet 2004 devant le tribunal administratif de Cergy Pontoise l'interdiction du jeu dans le lycée. Attac a parlé d'une victoire sur la marchandisation de l'école, alors que le plaideur a poursuivi de sa vindicte les enseignants ayant participé à ce jeu en mettant en cause les heures supplémentaires qui leur ont été attribuées dans le cadre de ces activités !

ATTAC n'hésite donc pas à s'en prendre aux professeurs qui ne partagent pas leur engagement anti-libéral. Comment peut-on encore ne pas dénoncer le libéralisme à l'école après la présentation qu'il convient d'en faire ?

La chasse aux sorcières, un des pôles de l'activité des enseignants alter

ATTAC va même jusqu'à demander la révocation d'un jury d'agrégation du supérieur pour la simple raison que " quatre des sept membres de ce jury, dont son président du jury, sont des activistes engagés de l'idéologie ultra-libérale " et il est à croire que le fait soit suffisamment rare pour que certains enseignants relayés par une partie des media se lancent dans une nouvelle chasse aux sorcières au nom du " pluralisme des idées et des approches ".

Cette agression contre des enseignants libéraux est revendiquée : " il est inadmissible de confier l'organisation de ce concours de recrutement de la fonction publique à des défenseurs de l'ultra-libéralisme qui prônent le darwinisme social (sic), la discrimination (resic) et le recul de toute forme d'action publique au profit du marché et de la concurrence (…) Attac demande que le ministre Ferry répare son erreur en procédant à la révocation de ce jury. "

Plus généralement des professeurs qui osent s'affirmer libéraux font aussi l'objet d'attaques sournoises, les collègues partageant la conception de l'objectivité d'ATTAC n'hésitent pas à se demander comment des enseignants de l'éducation nationale peuvent délivrer des cours glorifiant le marché donc le darwinisme social (le manuel Bréal Terminale - page 492 - place d'ailleurs Malthus dans le camp libéral !), l'ostracisation et les démarches hostiles arrivent ensuite. Le journaliste Eric Brunet dans " Être de droite, un tabou français " dédie d'ailleurs une partie de son ouvrage à l'Éducation Nationale, racontant le harcèlement moral auquel font face des enseignants atypiques.

Les alter- professeurs objectifs dans leur enseignement ?

Objectif certainement selon les critères propres à ATTAC car cette association qui se présente comme un mouvement d'éducation populaire réalise bien son objet social au cœur de nos écoles. D'ailleurs le tiers des effectifs de ce mouvement exerce au sein de l'Éducation Nationale.

En fait d'éducation populaire ATTAC développe une propagande à laquelle nos enfants sont soumis sous le couvert de l'Éducation Nationale. Le manifeste de cette organisation ne cache d'ailleurs pas la raison d'être du mouvement : "Nous souhaitons oeuvrer à ce que les esprits conditionnés par près d'un quart de siècle de bourrage de crâne libéral recommencent à fonctionner librement. "

L'article du Figaro du 8 mai 2005 " Enquête : comment Attac infiltre l'école " montre l'objectivité d'enseignants ATTAC et leur définition extensive du libéralisme (ou du fascisme d'ailleurs) :

" Un constat que partage Isabelle, jeune professeur de français dans un lycée professionnel parisien et sympathisante socialiste : "J'ai lu un jour des polycopiés sur l'histoire économique de l'Europe appartenant à une amie prof d'histoire et membre d'Attac, où il était question de libéralisme et de domination du Nord sur le Sud, un vrai tract de propagande", se souvient-elle. Dans ce genre de situation, "le silence est de mise au risque d'être traité de fasciste". " …

Les objectifs des alter-professeurs ne sont donc pas l'objectivité, ils se déclinent en plusieurs éléments synergiques : démontrer, orienter, conscientiser.

Démontrer que l'économie de marché est incompatible avec la démocratie

Dans le cadre de " la Semaine de la Coopération à l'École " lancée chaque année par l'OCCE, avec la CAMIF, la CASDEN, Alternatives Économiques et malencontreusement soutenue pour son édition 2006 par le doyen des professeurs de sciences économiques et sociales, un support de cours de 20 pages est donné aux enseignants de Sciences Economiques et Sociales et d'Économie-Gestion, il comporte des moments forts tels que :

" Les valeurs dominantes de la société divorcent des valeurs de l'économie dominante Les premières rejoignent plus que jamais la devise de la république : liberté, égalité, fraternité ; les secondes, au contraire, s'ancrent dans les inégalités, les exclusions et la concurrence jusqu'au conflit. La société ne dément pas la nécessité de l'efficacité, mais aspire à plus de justice et de solidarité dans l'économie. Cette situation peut-elle perdurer ? Les hommes et les femmes peuvent-ils durablement se motiver à travailler dans des organisations dont les finalités et le fonctionnement sont en contradiction avec les valeurs qu'ils défendent dans la vie quotidienne, en famille, à l'école, dans leur village, leur quartier, leurs associations ? On peut en douter : l'aggravation, à l'échelle mondiale, de la malnutrition et des maladies endémiques d'une part, l'apparition de nouvelles maladies professionnelles, liées directement ou indirectement au travail et à ses conséquences humaines et écologiques d'autre part, témoignent de l'accroissement des conséquences néfastes d'une économie livrée à elle-même. Dans ce contexte, deux horizons semblent se dessiner : soit les valeurs de l'économie ultra libérale continuent leur extension et asservissent toujours plus largement les activités sociales au règne du profit, soit, au contraire, la société se donne les moyens de limiter cette extension et tente d'élargir à l'économie les valeurs démocratiques. Or, l'élargissement des valeurs de la République démocratique à l'économie est précisément le projet du mouvement coopératif. "

(...) " Né il y a un siècle et demi, en réaction à la violence de l'expansion du capitalisme, le mouvement coopératif s'est développé dans tous les secteurs de la vie économique: agriculture, production, consommation, épargne et crédit. "

Il ne s'agit plus là d'une approche critique mais de raccourcis très contestables qui tiennent plus d'un séminaire de la LCR que d'un enseignement ouvert à de jeunes esprits dont le sens critique est justement en voie de construction. D'ailleurs comment permettre la construction d'esprits capables de juger le pour et le contre si un seul son de cloche est imposé ?

Orienter par une vision unilatérale obligatoire

Pour du matériel pédagogique en économie ATTAC IDF Éducation renvoie au site " Des sous et des hommes " : http://dsedh.free.fr/index1024.htm.

On trouve là des livres commentés brièvement, parmi ceux-ci on trouvera matière à faire ses cours :

- " Petit bréviaire des idées reçues en économie" par les Éconoclastes : " "Les charges sociales sont l'ennemi de l'emploi!"; "La mondialisation est un phénomène inéluctable et sans précédent!"; "La Bourse, on ne peut pas s'en passer !!!!"… Vous reconnaissez ces antiennes ! Alors dévorez ce livre si vous voulez les remettre en perspective de façon argumentée ! " … " C'est synthétique et réjouissant intellectuellement ! "

- " Antimanuel d'économie ", par Bernard Maris, aux Éditions Bréal, ordinairement spécialisées dans les manuels : " Se lit comme un roman!! Rigolo, avec de superbes illustrations. Et en plus, ce livre sent bon !!! "

- " La démence sénile du capital, fragments d'économie critique " de Jean-Marie Harribey (enseignant et co-président d'ATTAC), Éditions du Passant 2002 " Du bonheur en barre !!! Ce livre est un recueil des chroniques que cet économiste tient dans la revue "Le passant ordinaire" : des textes courts donc, sur lesquels on peut revenir plusieurs fois ".

À noter tout de même l'engagement de la revue " Le passant ordiniaire " dans toutes les causes de l'ultra-gauche dont le refus de l'extradition des terroristes des Brigades Rouges.

On apprendra aussi sur ce site prisé des alter-enseignants qu'il existe des livres dangereux commme " L'économie expliquée à ma fille " et " La mondialisation expliquée à ma fille " d'André Fourçans : " Pour comprendre le système de pensée des néo-libéraux (ça peut toujours servir...). " " Comment dire ??? Réjouissant ! Dangereux si certains lecteurs désireux de comprendre sincèrement l'économie pensent que cet ouvrage présente la seule vision possible de l'économie... "

On comprendra donc que certains ouvrages ne doivent être exploités que pour être combattus. Faute de les brûler, un enseignant ne devrait donc présenter un auteur jugé libéral par ses alter-collègues que pour le descendre en flèche aux yeux de ses élèves.

Le même ouvrage sera d'ailleurs présenté de façon très négative et moqueuse par Alternatives Économiques, on ne s'en étonnera pas.

En effet, Alternatives Économiques est très souvent le manuel bis, voire le manuel des cours de sciences économiques et sociales. Sa présentation agréable et accessible, sa présence dans tous les CDI et dans tous les casiers des enseignants de SES avec offres d'abonnement promotionnels, cahiers pédagogiques et hors séries pour l'enseignant qui y abonne ses élèves, lui donne la faveur non seulement des enseignants très à gauche, mais aussi de ceux qui ont besoin d'une aide pour réaliser des cours conformes aux thèmes du référentiel.

De plus cette revue plait beaucoup à nombre d'inspecteurs en économie puisque les sujets de bac ES, STG, mais aussi des BTS tertiaires, accordent une presque totale hégémonie aux textes issus d'Alternatives Économiques. C'est inquiétant quand l'on sait que l'on trouve dans cette publication des positions antilibérales caricaturales et des professions de foi ouvertement anticapitalistes et antimondialistes, d'ailleurs la revue en tant que personne morale est membre fondatrice d'ATTAC avec Le Monde Diplomatique (source très souvent utilisée en cours également).

Mais priver les élèves de références " libérales ", les abreuver d'une vision unilatérale de l'économie et de la société n'est pas suffisant pour les conscientiser. Il faut aussi que l'économie les concerne en tant qu'acteurs afin de peser sur des choix de société, là aussi la conscientisation ne se fait que dans un sens. On a davantage affaire à une expérience pavlovienne qu'à de l'éducation.

Conscientiser en transformant les élèves en alter-militants

Sur le dossier AGCS, étudié en cours de SES, voila ce qu'enseigne ATTAC IDF Éducation :

" L'AGCS n'est pas un problème abstrait. La campagne de concertation menée par l'élite mondiale pour nous déposséder d'un système d'éducation public, de nos bourses, pour transformer nos universités en usines de l'esprit, sans plus aucun rapport avec un développement et une stimulation intellectuelle, où les étudiants sont formés à la chaîne pour devenir des automates obéissants dans les futurs " moulins sataniques de l'enfer " est une réalité qui envahit nos vies à tous. "

Sur l'entreprise, l'institut de recherche FSU ATTAC, entend créer des vocations syndicales et mener les élèves à remettre en cause le fonctionnement des entreprises et la notion de liberté d'entreprise :

" L'école n'a pas pour seule mission de décrire le monde tel qu'il est, elle défend aussi auprès des élèves des valeurs et des principes. Elle a ainsi pour vocation d'éveiller les élèves à la question de la citoyenneté dans tous les domaines et en particulier dans celui de l'entreprise. Ce qui suppose par exemple un enseignement des droits des salariés et une réflexion sur le pouvoir de contrôle démocratique que les salariés devraient pouvoir exercer sur les décisions et les politiques d'entreprise. "

Le " devrait " a ici une connotation toute particulière, enseigner les contre-pouvoirs des salariés tels qu'ils existent est une chose, enseigner les contre-pouvoirs tels qu'ils devraient exister n'a rien d'objectif, l'enseignant fera là passer ses convictions militantes comme un élément à part entière du programme.

Comment ce matraquage idéologique est-il vécu par les élèves ?

La parole du professeur est rarement remise en cause, l'élève qui souhaite avoir une bonne note se plie à ce qu'on lui enseigne et intègre des a priori politiques comme des vérités.

Certains cependant vivent mal cette volonté de formater les esprits et développent un sens critique contre l'enseignement subi, en témoigne un ancien élève de lycée ayant choisi la filière ES sur http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=11730 , dont voici quelques extraits particulièrement révélateurs de ce qui se pratique encore trop souvent dans les cours de sciences économiques et sociale :

" Or, ce professeur avait exigé en début d'année de première que tous les élèves de la classe s'abonnent à un mensuel sur le thème de l'économie, impérativement désigné, et qui se trouvait être Alternatives économiques. Mon père avait tenté une vaine résistance en protestant qu'il refusait de financer pareil prospectus militant, mais on ne nous laissait guère le choix, puisque nous devions rendre des devoirs sur les articles publiés dans ce magazine ; ne pas m'y abonner me condamnait à ne pouvoir effectuer mon travail, et donc à avoir de mauvaises notes.

Un beau jour, on nous demanda de faire une note sur un article de fond de cette publication. Cet article était tellement partisan, politisé, sélectif dans ses informations, que j'avais l'impression de renier toute mon honnêteté intellectuelle en me limitant à un pur et simple travail de synthèse. J'allai trouver mon père, qui me donna quelques coupures issues de la presse respectable (pas nécessairement libérale, d'ailleurs), autant d'éléments que je confrontai à ceux d'Alternatives économiques pour pondre un devoir construit sur le plan classique thèse-antithèse-synthèse.

Je rendis mon travail le lundi, après ce week-end pour le moins studieux. J'étais très fier et satisfait de mon travail. Je rendais un travail "intelligent", non pas une simple note de paraphrase (…) mais un travail critique, équilibré et fondé pour une part, sur des recherches personnelles.

Mon devoir était naturellement beaucoup plus long que celui de mes camarades, qui s'étaient contentés pour la plupart de paraphraser bêtement l'article, aussi vite que possible.

Quelques jours plus tard, on nous rendait les devoirs. J'avais la plus mauvaise note de la classe. (…)
Ma prof me convia à son bureau pour me dire qu'elle m'avait mis une très mauvaise note car j'avais rendu un travail qui ne correspondait pas à ce qu'elle avait demandé. Elle m'expliquait qu'à la fac, si je m'amusais à faire ça, je me ferais sacquer. Ce en quoi elle avait tout à fait raison.
"

Une piste pour une vrai libération des esprits

Il est évidemment nécessaire de revoir le contenu des manuels, mais ce n'est là qu'un tout petit pas.

Rien ne changera vraiment tant que le recrutement aux concours favorisera des enseignants présentant un certain profil (le terrorisme intellectuel dont a été victime le jury Salin en témoigne), tant que les IUFM formateront ce profil et tant que certaines officines feront de l'enseignement leur chasse gardée.

 

Xavier COLLET, le 12 février 2008