La France va devenir immensément riche !


 

Vous avez bien lu, mais ne me remerciez pas d'une trouvaille dont je ne suis pas l'auteur. Toute votre admiration doit aller à M. Zelnik, auteur du rapport du même nom, désormais célèbre en tant qu'inventeur de la ''taxe Google''. L'idée en elle-même était déjà un coup de, euh... génie. Depuis qu'un grand journal du soir l'a reprise avec toute l'onction sentencieuse qui le caractérise, suivi par un quotidien du matin, moins grand mais encore plus ''tendance'', elle est la nouvelle coqueluche de notre intelligentsia, à qui elle assure comme d'habitude un grand ''succès d'estime'' dans les media étrangers. L'idée de taxer l'activité Internet mondiale, depuis Paris, parce qu'elle a des clients français, fait partout briller les yeux d'un éclat que seuls les mauvais esprits croiront être de rire. Mais le plus fascinant est l'argumentation visant à démontrer sa nécessité. Elle ouvre en effet à notre fiscalité des perspectives proprement gargantuesques.

 

Dans l'interview accordée à Libération, M. Zelnik déclare que la France pourra mettre en place la taxe Google seule, "sans attendre l'accord de ses partenaires européens (ce qui) est juridiquement et techniquement possible". Non mais, manquerait plus que Bruxelles se mette à Brusseller, comme disait le Grand Jacques. Et quant à identifier qui ouvre sa Gougueule sans payer, tout est prévu : les sites Internet devront "déterminer la part de leur trafic provenant de France, et la déclarer au fisc." Comment ? Facile : ''Les sites repèreront les connexions françaises grâce aux adresses IP". Aucun risque de flicage là dedans, bien sûr, à quoi pensiez-vous ?

google

 

On ajoute que "la taxe ne concernerait pas seulement les sites domiciliés fiscalement en France, mais tous les sites consultés depuis la France. Juridiquement, c'est possible." On est content de l'apprendre, les juristes apprécieront.

 

L'argumentation a déjà séduit une personne, mais ça suffira largement, puisqu'il s'agit du Chef de l'Etat : dans ses voeux au "monde audiovisuel" (si, il existe, il est même en train de remplacer l'autre), notre Président a déploré une "fuite de matière fiscale", formule particulièrement courageuse compte tenu du risque de lapsus. Il s'est indigné de ce que des entreprises soient "taxées dans leur pays siège alors qu'elles ponctionnent une part importante de notre marché". Qu'on ne vienne pas chipoter sur le fait qu'on parle, pour l'instant, du marché publicitaire : dans le cas des moteurs de recherche, comme de tous les services gratuits sur le Net, il s'agit bien de l'essentiel de leurs ressources ; ce sera de fait une taxe sur le chiffre d'affaires.

 

Tout ça va très loin : si on reprend à tête reposée ce qui a été dit, ce sont en fait toutes les activités de tous les commerces de biens et services dans le monde entier qui apparaissent taxables, dès "qu'une part de leur revenu" vient de Français. Et qui n'a pas de Français parmi ses clients, on vous le demande ? Personne, inutile de nier, fraudeurs potentiels bientôt redressés par Bercy. Hôteliers de Marrakech, plagistes des Caraïbes, pizzaioli Siciliens, horlogers Suisses, masseuses Thaïlandaises, taxis New-Yorkais, casinos de partout, et mille autres encore, tous, vous devrez payez l'impôt à la France, pays de l'exception fisculturelle.

 

Mais on ne visait que Google, Yahoo, et autres internetteurs, dites vous ? Oh, vous n'allez pas soupçonner notre bien aimé gouvernement d'être adepte du "deux poids, deux mesures"! c'est quelque chose qui n'est jamais arrivé chez nous, n'est-ce pas ? D'ailleurs, la commission de Bruxelles y mettrait bon ordre, en enjoignant de généraliser, ou de renoncer. Bref nos gouvernants et leurs conseillers, comme toujours à la pointe de l'innovation en matière fiscale, viennent de fonder définitivement en raison le concept de Taxation Universelle. La taxe Chirac sur les voyages aériens était un premier essai, sympathique, mais limité, et trop émotionnel par ses justifications tiers-mondistes (en plus, l'argent n'était pas pour nous!). Là, on est dans le genre démonstratif, voire dans la Science Economique. Ça rappelle la ''compétence universelle'' dont s'est un temps doté la Justice Belge, lui permettant de juger à Liège un Américain pour des faits commis en Irak à l'encontre d'un citoyen Birman. Les mauvaises langues disent que ça faisait juste un touriste en moins pour la Belgique, mais l'Éthique est à ce prix. Elle est même un peu plus chère, car ça tendrait à alourdir le budget plutôt que l'alléger, mais on reconnaît bien la gentillesse naturelle de nos amis Belges. Nos chefs pratiquent quant à eux, comme ils aiment à s'en vanter, une real-politik sérieuse, responsable, rigoureuse : foin des tribunaux, à la caisse, tout le monde !

 

Ça paraît idiot, mais c'est monté sur rails : que veut dire d'autre le regret que tous ces gens soient "taxés dans leur pays d'origine alors que ..." etc, etc. ? Le principe fondamental est posé : les impôts ne doivent pas seulement concerner ceux qui sont domiciliés en France mais tous ceux dont les clients sont Français. D'ailleurs le but est "généreux" comme on dit toujours quand on fait des cadeaux avec l'argent des autres : équilibrer la concurrence, déloyale, forcément déloyale. Pour Google, ce sera, dit-on, au profit de la "création française" (oui, ça existe aussi, ce sont les mêmes que le "monde audiovisuel" : vous avez compris la manoeuvre?). Pour l'Hôtelier de Marrakech comme pour le Pizzaiolo, ce seront bien évidemment les Bistrots du Centre de nos 36000 villages méconnus, qui doivent en toute justice recevoir l'aide de l'État. Pour les masseuses Thaïlandaises, laissons chaque ville déterminer, après réunion des commissions extra-municipales adéquates, le quartier bénéficiaire de l'opération Convivialité Urbaine et Peau lisse de Proximité.

 

Il y a en tout cas le moyen de réaliser les projets les plus ambitieux. Comme tout bon fiscaliste le sait, les impôts les "meilleurs" (?) sont ceux "à  taux faible et assiette large". Dans ce cas, l'assiette est aux dimensions de la Terre. Plus on relit les justifications données à cette idée mirifique, plus on s'aperçoit en effet que tout est taxable. Et c'est là  que le jackpot cliquette joyeusement :

 

Le PIB mondial 2008 (pas encore de chiffre publié pour 2009) est estimé à  70000 milliards de dollars. On parle pour la taxe d'un taux de 5% (ce n'est pas clair, mais on peut le deviner aux calculs prévisionnels publiés, puisqu'on attend "10 à  20 millions" d'un marché estimé à 240 ). Nous arrivons donc à 3500 milliards de dollars, disons 2500 milliards d'euros. Le pactole !

 

Rappelons que le PIB de la France est de l'ordre de 1800 milliards d'euros, et son budget total d'environ 300 milliards. Autrement dit, rien qu'avec la taxe SarkoZelnik, (si le monde nous suit, bien sûr, mais comment en douter ? ), on peut multiplier par huit le budget de l'Etat, en supprimant tous les autres impôts. Appliqué partout, ça fait par exemple huit fois plus d'enseignants (youpi, 4 élèves par classe), huit fois plus de radars sur les routes (bof), huit fois plus d'infirmières (oh oui, bobo), huit fois plus de subventions à  la viticulture (gloup), huit porte-avions (boum), quatre mille députés (est-ce bien raisonnable? ). Mais restons sages : on peut aussi rembourser en une seule fois toute la dette publique (1457 milliards) ... et garder de quoi tripler le budget : ça permettra de s'habituer progressivement au choc de l'abondance, toujours délicat à gérer, voir les gagnants du Loto. Et à partir de la deuxième année, en avant la multiplication par huit. La Sécu, au lieu de simplement rembourser les médicaments, en rajoutera sept boîtes. Ça tombe bien, l'aspirine est vraiment nécessaire ces temps-ci pour survivre à la migraine qu'engendre le festival d'idées issues du cerveau fécond de nos élites.

 

Pour ceux qui auraient scrupule à ponctionner trop, trop vite, disons qu'on s'en sort encore pas mal avec le taux quasi-indolore de 1% (pour commencer, ensuite bien sûr ce sera comme d'habitude, chaque année un peu plus, voyez vos feuilles d'impôts locaux). Avec ça on peut encore faire mieux que doubler le budget ; pour les effets, révisez proportionnellement les calculs ci-dessus et voyez si ça vous suffit. Au pire, allez tiens, on laisse tomber les radars, et on garde les infirmières.

 

En tout cas, avec la Taxe Zelnikozy, la France vivra sur un matelas d'or, sans jamais plus travailler, à part bien sûr les milliers de valeureux contrôleurs qu'elle enverra de par le monde rappeler à tous les vils commerçants la sagesse de ces-grands-leaders-d'opinion-que-le-monde-entier-nous-envie. Nous ne pourrons cependant pas les lui prêter (dommage, d'un autre point de vue...) car s'ils donnaient l'idée à d'autres ? Dans ce cas-là ça ne fonctionne plus, mais alors plus du tout. On est même ramené très vite à la situation précédente, avec une taxe en plus...et de lourds mécanismes de compensation entre États pour aboutir à un nouveau jeu à somme nulle. Non, gardons secrête notre trouvaille ; pour des tas de raisons, il vaut mieux qu'on n'en parle pas trop...

 

Pascal TITEUX, Janvier 2010