C'était mieux avant ?


Le progrès industriel et la lutte contre la pollution

La société moderne pollue, c'est évident. Le nitrate envahit la nappe phréatique, les gaz toxiques émis par les voitures polluent l'air des villes, l'explosion d'une usine chimique tue des dizaines d'individus et Tchernobyl montre que l'atome n'est pas sans danger.

 

Mais la pollution a toujours existé, et, fait capital, seule la société industrielle donne les moyens de s'en débarrasser. Prenons par exemple les problèmes de l'eau dans une petite ville avenante de quelques milliers d'habitants sous l'ancien régime : Chalon sur Saône. 

Chalon avait trois sources d'eau "potable" : l'eau de la Saône, l'eau des puits et l'eau des petites sources.

L'eau des sources avait, à juste titre, la réputation de ne pas être polluée, mais le débit des sources était très faible. Ces sources, situées en dehors de la ville, ont d'abord été utilisées sur place. La fontaine et l'abreuvoir fournissaient l'eau potable aux hommes et aux animaux. Quant aux lavandières, elles utilisaient le lavoir. En 1622, la ville de Chalon a capté l'eau des sources pour alimenter une fontaine située en centre ville. Pendant deux siècles, la municipalité chalonnaise a été incapable d'empêcher les laveuses de polluer avec leur savon l'eau de la fontaine.

L'eau de la Saône était une source importante d'eau "potable". En cas d'orage ou d'inondation, l'eau devenait "boueuse". On la prélevait en amont des "plattes", bateaux-lavoirs où les laveuses opéraient.

Mais en période d'épidémie, l'eau devenait rosée : le sang des saignées faites par les chirurgiens à l'hôpital polluait toute la rivière, bien que l'hôpital ait été installé sur la rive opposée. Pendant des siècles, la municipalité a essayé de s'opposer aux méfaits des chirurgiens.

Il restait heureusement pour les Chalonnais les nombreux puits tirant l'eau de la nappe phréatique. Malheureusement, les fosses d'aisance étaient fissurées à Chalon. L'eau que l'on tirait des puits était devenue une émulsion de matières grasses. De nombreux édits municipaux  ont essayé de s'opposer à cette pollution, mais en vain. Cependant les Chalonnais avaient de l'imagination, ils ont donc conçu des carafes dans lesquelles ils laissaient l'eau tirée du puit se "reposer". La graisse remontait à la surface. Un grand bec verseur ne prenait alors que l'eau située dans le fond de la carafe. Cette innovation fut considérée comme un grand progrès.

Le bon vieux temps est un mythe

Il a fallu attendre la société industrielle et sa technologie pour forer des puits, enterrer des canalisations et donner enfin de l'eau potable à la ville. Une des familles de notables de la ville a assuré le financement de l'eau potable par un legs.

Les eaux usées de Chalon s'évacuaient par des ruisseaux non couverts dans des mares situées en pleine ville, mares s'écoulant secondairement dans la Saône. D'après nos archives, ces mares sont devenues des cloaques à partir du seizième siècle. Leur odeur, insupportable l'été, était sans cesse rappelée. Les nombreux maraîchers chalonnais évacuaient gratuitement les boues de ces mares pour fertiliser leurs jardins. Ce prélèvement gratuit, qui arrangeait financièrement la ville, avait un inconvénient majeur : la profondeur des mares s'est accentuée au fil des siècles. L'évacuation des eaux usées dans la Saône ne pouvant plus se faire, le cloaque se développait. Seule la technologie moderne a été capable de supprimer cette pollution.

Les inondations ont été pour Chalon une troisième source de pollution. Au moins une fois par an, elles submergeaient la moitié de la ville et répandaient dans toutes les maisons les boues des cloaques. Les maisons chalonnaises, construites de bois et de pisé, pourrissaient et s'effondraient. Pendant des siècles, la ville a fait remblayer les zones inondables pour s'opposer aux inondations. Seule une technologie moderne complexe a été capable, tout récemment, de mettre  la ville pratiquement hors inondation.

La société industrielle donne à la pollution une dimension industrielle, mais elle seule donne aux hommes les moyens de lutter contre la pollution. Le "bon vieux temps" est un mythe.

Bernard TREMEAU, le premier juin 2002 in "Les 4 Vérités Hebdo n° 352"