Indispensables importations


Le commerce est sujet à de nombreuses superstitions, parmi celles-ci la croyance bien ancrée que les exportations, c'est à dire la vente de biens et services à d'autres pays, est une bonne chose. Simultanément, on pensera que les importations, l'achat de biens et services produits à l'étranger, est une mauvaise chose. Beaucoup continuent, en effet, à penser comme le faisaient les vieux économistes nationalistes du 18ème siècle que l'on appelait "les mercantilistes", ces derniers avaient posé qu'une nation devenait plus puissante en vendant beaucoup et en achetant peu. Toutes les expériences nous disent qu'une telle situation n'est pas stable. Ce sont les barrières aux importations qui rendent les produits vendus dans le pays plus chers. A cette aulne, les entreprises françaises ne se préoccuperaient plus que du marché français, elles y vendraient leur production aux prix élevés du marché au lieu de devoir exporter à des tarifs compétitifs. On voit bien que des barrières aux importations réduisent les perspectives d'exportation.

En réalité, comme nous l'avons vu dans le chapitre "un jeu à somme positive", nous nous enrichissons en exportant ce que nous savons faire le mieux, de la sorte nous gagnons de quoi importer ce que nous ne savons pas faire aussi bien. Si ce n'était pas le cas nous devrions alors tout faire par nous même et nous retirer de la spécialisation du travail. Bien sûr nous pourrions entasser de l'argent en nous contentant de vendre, mais notre niveau de vie ne grimpera pas tant que nous n'utilisons pas cet argent pour acquérir ce dont nous n'aurions pu disposer. Un des premiers théoriciens du commerce international, James Mill, a dit en 1821 : "les gains que nous trouvons à échanger un bien contre un autre s'estiment, dans tous les cas, à partir du bien que nous recevons, et non du bien que nous cédons".

 L'absurdité qui consiste à prétendre que nous devons décourager les importations bon marché est évidente si nous transposons notre raisonnement non au niveau d'un pays mais d'une ville. Supposons par exemple que la ville de Saint Maur des Fossés décide de l'interdiction de toute importation de biens extérieurs aux frontières de sa commune, cela sous prétexte de protéger les commerces et industries de Saint Maur. Si les importations sont si négatives que cela, il est bien logique qu'il faille empêcher les habitants d'une ville de faire venir des biens et des services d'autres villes, en poussant le raisonnement plus loin on pourrait aussi prétendre qu'un ménage aurait intérêt a créer tout ce qui lui est nécessaire plutôt que d'aller faire ses courses à droite ou à gauche pour acheter des productions fabriquées par d'autres. Si nous en arrivions là, la société tout entière ferait fasse à une énorme déperdition de richesses. Les ménages auraient bien du mal à subvenir à tous les besoins et devraient travailler sans cesse pour essayer d'y arriver. Quand vous faîtes des courses, d'une certaine manière vous importez des biens, vous le faîtes à des prix raisonnables, vous êtes satisfait de votre achat sinon vous ne l'auriez pas réalisé, cette importation n'est donc pas une perte. Et puis quand vous allez travailler, en fait vous exportez en créant des biens ou des services. J'imagine en plus que vous et la plus grande partie de la population préférer importer des biens à bas prix de façon à pouvoir exporter un peu moins.

Le commerce n'est pas un jeu à somme nulle dans lequel une des partie gagne ce que l'autre perd. Il n'y aurait pas d'échange si les deux parties n'avaient pas le sentiment d'avoir chacune bénéficié de l'échange. Ce qui nous intéresse ce n'est donc pas d'obtenir le plus grand excédent commercial mais de commercer de manière à ce que nous soyons satisfait de nos importations et de nos exportations.

"Rien n'est plus absurde que cette doctrine qui vise à obtenir des excédents budgétaires les plus élevés possibles, c'est de cette doctrine dont se justifient ceux qui posent des entraves à la liberté du commerce. Lorsque deux pays commercent, cette doctrine suppose que si la balance commerciale est équilibrée, alors nul ne gagne ni ne perd. Mais si la balance vient à pencher d'un côté, alors l'un gagne ce que l'autre perd. Ces deux suppositions sont fausses. L'obtention d'un excédent commercial au moyen de subventions et de monopoles est défavorable au pays qui a mis en place ces mesures. Mais le commerce qui, sans utilisation de force ou de contrainte, est mené régulièrement entre deux pays leur est toujours avantageux, pas nécessairement de manière égale, mais tout de même au bénéfice de l'un et de l'autre."

Adam Smith, La Richesse des Nations, 1776.

 

Ceux qui font l'opinion vont aussi considérer que les importations sont un vecteur de chômage. Si nous importons des jouets et des vêtements à bas prix de Hong Kong, alors les industriels de chez nous vont devoir dégraisser. Évidemment dans une perspective internationaliste on pourrait se demander pourquoi les emplois de chez nous sont plus importants que les emplois dans les pays pauvres. Est ce que les gens de là bas ne sont pas encore assez pauvres, pourquoi ne pas leur offrir un emploi pour les aider à se sortir du sous-développement ? Et que feraient-ils eux sans emplois là où qui ne travaille pas ne mange pas ? Mais c'est aussi une façon erronée de voir les choses.

En obtenant des biens à bas prix nous épargnons des ressources et pouvons donc employer ces ressources épargnées dans de nouvelles industries. En outre nous permettons aux Chinois de Hong Kong d'augmenter leurs revenus donc d'épargner afin de s'acheter par exemple du vin français. De plus, la plupart des entreprises et des producteurs dépendent des matières premières et des produits intermédiaires que leur fournissent leurs sous-traitants étrangers. Pour fabriquer un téléviseur Thomson il faudra utiliser des composants fabriquées en Asie. Donc, quand l'Union européenne parle d'augmenter les droits à l'importation des produits asiatiques sous prétexte de défendre l'emploi européen, elle se propose en réalité d'augmenter les coûts de productions d'entreprises françaises, ce qui va limiter les ventes de ces entreprises, lesquelles en retour ne pourront pas créer d'emplois.

 

Cela démontre bien que les hommes politiques du monde entier se conduisent stupidement lorsqu'ils se réunissent à Seattle ou au Qatar afin de négocier l'abolition des barrières douanières dans le cadre de l'OMC. Leur négociation consiste à consentir une baisse de leurs droits de douane à condition que les autres pays baissent les leurs dans la même proportion. C'est fondamentalement irrationnel parce qu'après tout, nous bénéficions directement de l'abaissement de nos droits de douane puisqu'ils nous permettent d'importer moins cher, qu'importe alors si les autres pays refusent de baisser leurs barrières. La meilleure politique commerciale est donc la levée unilatérale des mesures protectionnistes, nous devrions mettre fin aux droits d'importation et aux quotas, même si les autres ne le font pas ou les augmentent. Pourquoi voudrions nous faire payer les produits plus chers à notre propre population, parce que les autres pays en font autant ? C'est idiot. Comme l'expliquait cet économiste français du 18ème siècle, Frédéric Bastiat : "Il n'est pas particulièrement intelligent de faire ébouler des rochers dans nos ports sous prétexte que les ports étrangers sont rocheux et difficilement accessibles à nos bateaux". Ainsi s'interdire de choisir parmi de nombreux articles, de surcroît bon marché sous prétexte que l'autre ne veut pas de nos produits, cela n'est pas faire acte de constructives représailles, il s'agit tout bonnement d'un sacrifice.

 

Pour autant tout n'est pas mauvais dans l'OMC puisqu'elle met en place des pressions destinées à instaurer une ouverture des frontières commerciales sur une base multilatérale. Elle peut permettre à des intérêts catégoriels de mieux accepter les réformes en faveur de la liberté des échanges. Si la France réduisait de manière unilatérale ses droits de douane, nul doute que les entreprises nationales et les syndicats feraient pression pour ne pas avoir à supporter la concurrence étrangère. Mais si tous les autres pays en faisaient autant au même moment, alors ces réformes seraient encouragées par les entreprises et les syndicats des secteurs exportateurs car ils en bénéficieraient directement. Les négociations peuvent faciliter la baisse des droits sur une base multilatérale, mais elles peuvent aussi rendre ces baisses compliquées. Ainsi, si les hommes politiques, c'est-à-dire ceux qui négocient, considèrent que les droits de douane sont impératifs, et qu'on ne peut les sacrifier que si les partenaires commerciaux agissent de manière semblable, alors les électeurs des hommes politiques finiront par croire que ces droits là sont une bonne chose. En fait, les hommes politiques vont vanter ces droits de douane à l'opinion publique, en les présentant comme les objets d'âpres négociations, certains penseront que celui qui les baisse trop se fait avoir, ou que si un partenaire hausse les droits sur nos produits alors il faut en faire autant sur les siens à titre de mesure de rétorsion. Si les négociations commerciales ne se déroulent sous une pression destinée à lever le protectionnisme alors le protectionnisme reviendra et chacun s'entendra pour fermer ses marchés à la concurrence.

 

L'OMC offre un autre type d'avantage, celui de prévoir un organisme de règlement des différents et des sanctions pour les pays qui ne respecteraient pas leurs engagement d'ouverture de leur marché. En effet, à l'époque du GATT, les pays les plus puissants pouvaient passer outre à leurs engagements vis-à-vis de pays plus faibles. Désormais la plupart des pays appellent de leurs vœux une organisation qui puisse décider de règles uniformes pour se prémunir des actions unilatérales des USA à l'égard de ses partenaires commerciaux. Au contraire, les USA souhaitaient de simples accords commerciaux pour commencer, et non une organisation qui impose la résolution des conflits commerciaux.

 

Les Etats membres de l'OMC se sont engagés à ne pas opérer de discrimination à l'encontre des entreprises étrangères et à ne pas introduire de nouvelles barrières commerciales en sus de celles qui existent encore. C'est pour bénéficier de tels engagements que les pays les plus pauvres ont été les premiers à rejoindre l'Organisation Mondiale du Commerce en 1995, alors que les USA, l'Union européenne et le Japon, habitués à fixer leurs propres règles, n'ont adhéré qu'à reculons. On a vu d'ailleurs que l'OMC a eu l'occasion de sanctionner certaines attitudes commerciales américaines, ce qui n'aurait pas été possible dans le cadre des Nations Unies, en raison du droit de veto américain.

Une autre arme de l'OMC est cette clause de la nation la plus favorisée qui permet à un pays de bénéficier automatiquement d'une baisse des droits à l'importation garantis par un partenaire commercial à un autre partenaire. Ainsi si la Suisse baisse les droits à l'importation sur les produits bulgares, elle devra accorder ce même tarif douanier à tous les autres pays. Autrefois les USA et l'Union européenne baissaient les droits entre eux sans penser à accorder de tels baisses aux autres pays. Maintenant les pays pauvres en profiteront aussi (en fait ce sont les consommateurs des pays riches qui auront accès à des produits exportés par les pays pauvres au bénéfice mutuel de chacun). Malheureusement des accords régionaux viennent battre en brèche ce principe, ainsi tous les pays de l'Union européenne commercent entre eux sans protectionnisme, pourtant un protectionnisme existe à l'encontre des pays qui ne sont pas membre de l'Union européenne.

 

En regardant de plus près on s'aperçoit que des droits de douanes élevés existent encore. L'OMC n'a pas un droit particulier pour les interdire, elle ne peut que permettre au pays "lésé" de répondre par l'augmentation des droits à l'importation sur une base bilatérale. C'est loin d'être une bonne solution car, comme nous l'avons déjà dit, les pays devraient éliminer leurs droits de douane quoique fassent leurs partenaires. Cependant les nouvelles procédures introduites par l'OMC sont un progrès indéniable sur la période précédente où la moindre dispute pouvait dégénérer en une guerre commerciale. On peut s'attendre désormais à ce que les Etats respectent leurs engagements, bien que des exemples assez piteux aient été offerts par l'Union européenne dans le cadre de la guerre de la banane. L'OMC avait condamné cette attitude discriminatoire vis-à-vis de la banane sud-américaine, la France voulait alors favoriser les bananes de ses colonies des Antilles. Il semble dans cette affaire qu'ait été démontré l'attitude de l'Union européenne qui souhaite qu'une règle existe pour les pays industrialisés et une autre pour les pays pauvres, une telle discrimination pourrait mettre en péril, à plus long terme,  la crédibilité de l'OMC.

 

Considérant les raisons qui font que les importations soient profitables, il s'ensuit que les mesures anti-dumping sont nuisibles. Les hommes politiques déclarent souvent qu'ils doivent protéger le marché national des mesures de dumping des pays étrangers. Ceci signifie que, par exemple, si la Malaisie nous vend des chaussures à prix cassés donc vendus en deçà de leur coût de production ou du prix où ils sont vendus en Malaisie, alors il s'agit de concurrence déloyale. Certes les producteurs malais ont pratiqué un dumping sur le marché français, mais comme le disait l'économiste américain Murray Rothbard : "vous devriez garder l'oeil ouvert sur votre portefeuille à chaque fois qu'un gars vous parle de rendre la concurrence loyale, car à tous les coups il va vous faire les poches". En ce qui concerne la mise en place de droits anti-dumping c'est bien de faire les poches du consommateur qu'il s'agit. De quoi veulent-ils donc nous protéger par ces droits anti-dumping ? D'acheter des chaussures peu chères, des téléviseurs et de la nourriture à bas prix ? La question est de savoir pourquoi nous voudrions que l'on nous protège contre cela. Il n'y a rien de mal à ce que des producteurs étrangers viennent pratiquer le dumping chez nous. Ils peuvent se trouver dans l'obligation d'agir ainsi afin de pouvoir pénétrer notre marché. En Suède il est permis aux nouvelles entreprises de pratiquer le dumping pour conquérir leur marché, alors pourquoi ne pas permettre cela aux entreprises sur une échelle internationale ? Et puis il se peut aussi que les producteurs malais vendent leurs chaussures plus chères en Malaisie tout simplement parce que les chaussures étrangères sont taxées à l'importation en Malaisie. Ce sont les consommateurs malais qui y perdent, mais ce n'est pas une raison pour augmenter le prix des chaussures malaises à l'export.

Les USA, que l'on pense souvent comme favorables à la liberté du commerce, sont en fait les plus intensifs utilisateurs des droits anti-dumping. Non seulement ces droits portent préjudice aux entreprises des autres pays, mais ils font perdre à l'économie américaine des milliards de dollars chaque année à coups de prix plus élevés et d'une perte de compétitivité. En effet l'abus de ces droits a beaucoup augmenté lors des dix dernières années. Rien d'étonnant à cela : quand, d'un côté,  l'OMC et les accords internationaux font barrage au protectionnisme alors, de l'autre côté,  les USA et l'Union européenne introduisent des droits anti-dumpings au nom d'un nouveau protectionnisme.

 

Mais si le gouvernement américain subventionne les fabricants de chaussure du pays avec l'argent de ses contribuables alors les entreprises de la chaussure pourront maintenir des prix peu élevés et évincer les chaussures italiennes sur le marché mondial. Cela ne signifie pas que les chaussures américaines soient meilleures que les chaussures italiennes, mais seulement qu'elles sont plus subventionnées par leur gouvernement que les chaussures transalpines ne le sont. Des voix s'élèvent pour dire que nous devons nous protéger contre une telle mesure de dumping. Mais au fait pourquoi ? Dans la pratique de telles subventions signifient que le gouvernement des Etats-Unis donne de l'argent aux consommateurs étrangers pour qu'ils se paient des chaussures américaines. La réaction des italiens, des français, des canadiens , etc ... devrait donc être teintée de gratitude mais aussi d'une certaine perplexité sur les bizarreries de cette politique américaine.

Johan NORBERG, Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste, 2002

 

Questions

 

1. Quels sont les effets du protectionnisme sur les consommateurs, sur les producteurs ?

Le protectionnisme est une remise en cause de la division internationale du travail, il prive les échangeurs des gains de l'échange et conduit donc les consommateurs à acheter plus cher ce qu'ils pourraient obtenir à meilleur prix, ce qui revient en fait à restreindre leur pouvoir d'achat. Du côté des producteurs cela les conduit à acheter leurs matières premières et consommations intermédiaires plus cher, donc augmenter les coûts de production, mais aussi à se couper de possibilité d'exportations (les pays victimes de mesures protectionnistes appliqueront la rétorsion). En outre, la protection du marché intérieur empêche les producteurs de s'adapter à la concurrence internationale et les condamne à ne pas être compétitifs sur le marché international.

2. Définissez ce qu'est le dumping 

Le dumping consiste à vendre en dessous de son coût de production. Cette pratique est utilisée pour s'implanter sur un marché étranger. Elle peut consister aussi en un soutien de l'Etat aux producteurs par des subventions à l'exportation qui permettent de vendre le produit moins chers sur les marchés étrangers qu'il ne l'est sur le marché national. Ces mesures payées par les contribuables reviennent en fait à subventionner les consommateurs étrangers pour qu'ils achètent nos produits.

3. Quels sont les objectifs de l'OMC, comment les met-il en oeuvre ?

L'OMC a pour objectif d'éliminer les mesures protectionnistes sur une base multilatérale, la clause de la nation la plus favorisée prévoit ainsi qu'une baisse des droits de douane accordée à un pays doive l'être automatiquement à tous les autres partenaires commerciaux. L'OMC dispose également d'un organe de règlement des différents en cas de conflit commercial entre des pays, cet organe rendra une décision et pourra prévoir de sanctionner le pays qui ne se conforme pas à la liberté des échanges.

4. A-t-on intérêt à ouvrir ses frontières commerciales, à quelles conditions ?

Oui, et sans conditions car la baisse de nos droits de douane permet des importations à meilleur marché. Bien sûr les droits à l'importation des pays étrangers pénalisent nos exportations tout en portant atteinte à la compétitivité des entreprises étrangères, mais la levée simultanée des frontières commerciales profiterait à tous.