Les Intellectuels et le Marxisme
Aux questions posées à Ben Stein dans le
numéro d’avril 2000 d’American Spectator :
« En quoi la fascination pernicieuse des Intellectuels et d’Hollywood
pour le marxisme a-t-elle pu les rendre aveugles quant aux conséquences
pratiques du communisme ?
Comment se fait-il que les très bourgeois professeurs et étudiants des plus
grandes facultés américaines ne s’intéressent pas à la véritable nature
du communisme ? », me vient une réponse qui pourrait sembler
stupidement simple.
Cette ignorance feinte est davantage une tactique utilisée par la gauche, celle qui consiste à montrer du doigt les mobiles de celui qui les accuse plutôt que de répondre ouvertement aux arguments déployés. En outre les intellectuels sont des gens bien élevés qui rechignent à critiquer le point de vue de leurs collègues du sérail. Ces hommes de bonnes volontés, qui ne sont pas des fanatiques d’une « Sainte Croisade », considéreront leurs collègues davantage comme des hommes fourvoyés que corrompus par une idéologie délétère. Il n’y a pas là motif à déclencher des hostilités personnelles.
Alors peut être
ne suis je pas bien élevé, mais le fait d’avoir vécu dans des pays
post-communistes, comme la Pologne, la Bulgarie, la Yougoslavie, depuis les dix
dernières années, ne m’a pas enclin à me montrer charitable à l’égard
de ceux qui ont soutenu - par leur
négationnisme, leurs excuses ou leur activisme - les meurtriers de familles de
gens qui me sont devenus chers. En d’autres termes, j’ai moi un compte
personnel à régler avec les intellectuels communistes de mon pays d’origine.
Les intellectuels occidentaux sont devenus communistes par lâcheté
La réponse que
je suggère à la question de l’American Spectator est que cette cécité
tient à une corruption qui ronge jusqu’à la moelle des aveugles et cette
corruption là a un nom : la lâcheté, tout simplement. Cette lâcheté a
trois dimensions distinctes : physique, intellectuelle et morale.
Bien sûr la lâcheté
n’est pas la peur. Tout le monde a peur, et quelquefois des choses les plus bénignes.
La lâcheté, telle que je la définis, est une incapacité de contrôler sa
peur afin de mettre en oeuvre les mesures indispensables et nécessaires à la
préservation de ce qui nous est cher.
La lâcheté
physique est la plus facile à comprendre et à pardonner. J’ai moi-même,
comme beaucoup de jeunes des classes moyennes, esquivé mon service militaire
pour ne pas aller au Viêt-Nam. Je ne considère pas cela comme un déshonneur
car il est bien légitime d’avoir peur d’aller dans un lieu infesté d’étrangers
solidement armés et dont le désir le plus cher est de vous renvoyer, réduit
en chair à pâtée, dans une petite boîte. Ce dont nous avions besoin, c’est
d’une raison de contrôler notre peur. Mais les différents gouvernements, des
Démocrates qui nous ont entraîné dans cette guerre aux Républicains qui
n’ont pas pu nous tirer de ce bourbier, ont failli en cette tâche qui aurait
consisté à nous donner une bonne raison pour risquer notre existence à
l’autre bout de la planète.
D’ailleurs, en
passant, suis-je le seul à penser que les communistes ont fait main basse sur
le mouvement pacifiste ? Que, dès le début, une opposition loyale et
patriotique à la guerre s’est fait éjecter par des gugusses dont
l’objectif premier n’était pas tant la paix que la haine de l’Amérique.
Le fait est que,
pendant longtemps, on aurait pu croire que les communistes allaient triompher,
et pas qu’au Viêt-Nam mais dans le monde entier, beaucoup voulaient donc se
retrouver du côté des vainqueurs. Leur attitude ressemble un peu à celle de
dame Tchung Mai-mai, dans le Tai Pan de James Clavel, un des protagonistes lui
expliqua : « il existe deux types de christianisme, si les chrétiens
à longue robe l’emportaient alors ils nous brûleraient tous, mais nous, les
autres chrétiens ne brûlons personne quand nous gagnons ». Elle répondit
immédiatement qu’elle se joindrait aux chrétiens à longue robe afin d’être
sûre de ne pas être brûlée.
De la même façon,
une société de liberté et de tolérance permet une dissidence qui serait
considérée comme traître n’importe où ailleurs. En Amérique, les cocos et
leurs compagnons de route peuvent jouir de carrières académiques leur assurant
un niveau de vie encore supérieur à celui des Nomenklaturas des pays
communistes. Une vie opulente en parfaite sécurité dans une société riche,
libre et tolérante. Ces gars là n’ont jamais réalisé qu’ils tombaient
dans la catégorie de ceux que Lénine a qualifié « d’idiots utiles »,
utilisés quand ils sont nécessaires puis liquidés ensuite. En d’autres
termes ils auraient brûlé s’ils avaient gagné.
Au département
d’anthropologie de mon université, j’ai eu un professeur marxiste-léniniste
qui a servi comme ranger au Viêt-Nam.
Je me suis toujours posé la question de savoir si il en était arrivé à la
conclusion que les communistes allaient l’emporter partout dans le monde et
qu’il devait en conséquence leur faire allégeance à l’avance.
La lâcheté
intellectuelle est plus subtile et certainement pas limitée à la gauche. Le
sentiment le plus difficile à vivre est, sans nul doute, l’incertitude. Il
existe un désir puissant, pour ceux qui connaissent une vie intellectuelle
intense, d’élaborer une théorie du tout, un modèle qui expliquerait littéralement
tout le réel et qui poserait des lois et des vérités pour toutes les
situations. Alors que tout modèle peut connaître une telle perversion, des
religions à une interprétation erronée de l’Objectivisme, certains modèles
particuliers se présentent comme le fondement de toutes vérités. Certaines
personnes ne peuvent accepter de ne pas pouvoir expliquer tout le réel, mais
sitôt que la réalité vient invalider leurs théories alors ils veulent
changer la réalité, au besoin au bout d’un fusil tenu par quelqu’un
d’autre. Je ne suis certainement pas le premier à remarquer que le marxisme,
en dépit de son ancrage matérialiste, n’est rien d’autre qu’une forme
d’intégrisme religieux.
Une partie de
cette lâcheté intellectuelle provient d’une crainte irrationnelle à l’égard
de toute responsabilité, il s’agit alors de s’abstenir de tout jugement et
ainsi ne pas avoir à reconnaître la moindre erreur. Dans ce monde compliqué
qui est le nôtre, les valeurs auxquelles nous tenons le plus sont souvent
contradictoires : nous devons faire cohabiter notre tolérance envers toutes les
idées alors que certaines pratiques culturelles nous sont monstrueuses.
Difficile. La vie est remplie de choix difficiles à faire, rien ne garantit que
la vie soit simple et facile.
La meilleure façon
de s’en tirer est le relativisme complet, interdit de considérer qu’une
valeur soit supérieure à une autre. On évacue ainsi le problème à bon
compte.
L’exemple le
plus révoltant de ce relativisme m’a été offert lors de mes études
d’anthropologie. Il s’agissait d’une profession de foi en sciences
sociales proclamant que toutes les cultures se valent et possèdent donc le
droit de poursuivre leurs finalités. C’est alors que j’ai posé la question
sur la culture Thugs, je rappelle que les Thugs sont une secte Hindouiste qui vénérait
la déesse Kali, cette dévotion impliquait la séduction des voyageurs afin de
les sacrifier en les étranglant puis en les dépouillant.
Bon, maintenant
il faut bien comprendre que ces gens là n’étaient pas de simples voleurs et
assassins. La plupart étaient capables de mener des vies exemplaires dans leur
village. Il semble qu’ils ne souffraient pas de remords, certains qu’ils étaient
d’accomplir des actes de foi et non de simples crimes. Quand ils furent mis en
prison par les Anglais, ils crurent endurer une juste pénitence pour avoir violé
un des éléments de leur structure complexe de tabous religieux.
Finalement on me
dit de laisser ces pauvres Thugs tranquille. La première fois qu’on me l’a
demandé, j’ai pensé avoir acculé un prof dans ses raisonnements et
l’avoir fait sortir de ses gonds. J’admirais beaucoup mes profs et j’ai
pas mal appris d’eux, mais le problème fut, qu’au nom de l’objectivité
scientifique, ils en sont venus à soutenir des obscénités morales et à les
enseigner comme des idéaux valables. Il s’agit d’un exemple extrême mais
si nous ne sommes pas capables de le traiter comment allons nous nous prononcer
sur la mutilation du clitoris des petites filles africaines, cette interdiction
là donne-t-elle droit à asile pour persécution des mutilateurs ? Quant
aux pratiques vaudoues de la Santeria en Floride avec ses sacrifices d’animaux
sur les bords des routes, ne doit on plus considérer que l’étalage
d’entrailles sanguinolentes est un danger pour la santé publique ?
On en arrive à
faire de la lâcheté intellectuelle une lâcheté morale. Je n’ignore pas,
pour l’avoir vécu, la condition particulière des intellectuels :
obtenir un doctorat passe par des années d’études jusque vers 25 ans et
plus. Alors que d’autres jeunes gens sont sur le marché du travail,
apprennent à devenir compétent dans leur métier, un intellectuel demeure dans
sa tour d’ivoire, à l’abri dans sa vie confinée et privilégiée. Alors
que les uns entrent dans le travail à plein temps et les factures, les autres
doivent se coltiner avec leurs doutes quant à leur possibilité de mener une
vie d’adulte.
Dans les
sciences expérimentales et l’ingénierie, on doit gérer le réel, les données
expérimentales seront individuellement confirmées si l’on ne veut pas que
les ponts s’écroulent. Étrange mais on ne trouvera que rarement des
marxistes parmi les ingénieurs et les travailleurs américains. En revanche ils
fourmillent dans les sciences sociales et humaines, certainement car ils ne
s’embarrassent pas de rigueur théorique ou méthodologique. Comme l’a
remarqué Bronislaw Malinowski, la pensée magique, comme par exemple le sens de
l’histoire, sont des éléments du réel qui échappent à notre contrôle.
C’est peut être la raison pour laquelle on insiste beaucoup sur le rôle du sport dans l’éducation supérieure ? Si l’on veut éduquer les classes gouvernantes dans la tradition des arts libéraux alors ce pourrait être une riche idée que de leur inculquer une compétence dans un domaine physique, quelque chose qui leur apprenne la pénibilité de l’effort physique, le travail d’équipe, la loyauté et un sens de l’humanité.
La fascination des communistes pour la violence
On
peut constater en effet, avec Eric Hoffer, que les intellectuels communistes, étrangers
aux travaux du corps, admirent pourtant une certaine force dans ce qu’il y a
en elle de plus brutal. C’est qu’ils prennent de la force le seul côté
brutal et aiment à insister sur le potentiel de destruction qui se cache en
eux. Quand ces intellectuels trouvent des arguments pour justifier des
massacres ou plaident pour des tueries (j’ai entendu plus d’une fois le
fatidique « mais la Révolution n’est pas un aimable pique-nique »),
ils développent ce que les primatologues et les éthologues appellent la parade
d’intimidation. Regardez comme je suis un dur, je peux parler de meurtres
toute la journée, voilà une version intellectualisée du macho beauf et velu.
Heureusement
le marxisme est une théorie qui a fait long feu, bien que les révisionnistes
s’occupent actuellement à tenter de le ressusciter. D’après ce que l’on
m’a dit, mon vieux directeur du département anthropologie a laissé tomber
son marxisme. D’autres, comme un ami anglais s’est réfugié dans la
« seconde explication », c’est très simple les pays communistes
n’étaient pas vraiment communistes. Eh oui, deux ou trois générations
travaillant dans de gigantesques institutions consacrées à l’étude de la
pensée marxiste, gérées par les plus grands chercheurs de leur pays, n’ont
pu définir un modèle qui fonctionne. Mais toi le marxiste de la « seconde
explication », toi tu en es capable bien sûr !!!
Une
autre approche consiste à s’en prendre aux victimes. J’ai entendu traiter
de fasciste le peuple des anciennes dictatures communistes, fascistes car ils se
sont révoltés contre leurs doux maîtres bénévoles. Voilà une autre démonstration
de lâcheté et aussi une touche de xénophobie. Ils n’étaient pas capable
d’appliquer le marxisme parce que le peuple ne pouvait le comprendre.
Et
pourtant, et ce, de manière définitive, je pense que le marxisme est mort, au
moins sous cette appellation. Désormais les intellectuels de gauche devront
trouver d’autres prétextes à même de leur offrir un droit de vie ou de mort
sur le reste de la population. Pas de doute, ils en trouveront bien.
Stephen BROWNE, le 19/09/2001