Les millions de morts du communisme : hasard ou nécessité ?

 

Soviet Nostalgie

 

Depuis la fin de l'URSS la disparition d'une espérance communiste pour le monde laisse les bras libres aux capitalistes et détourne les démocraties des valeurs d'égalité et de solidarité. Les ennemis du communisme se font arrogants et s'en prennent au bel idéal de Lénine sous prétexte des dérives du stalinisme. Voila ce que l'on peut souvent entendre dans une France où l'extrême gauche a largement droit de cité. D'autres nostalgiques, résistants de l'anti-néolibéralisme et adeptes du prêt à penser le diront différemment en faisant ainsi référence à la chute du mur de Berlin : " C'est une bonne nouvelle mais qui va faire peur aux riches maintenant ? "

 

Le communisme une idée généreuse ?

 

Le communisme - malgré les crimes de régimes étatiques qui s'en revendiquèrent - ne demeure-t-il pas un idéal de justice sociale inépuisable et philosophiquement vivant ?? (Jean de Leyzieu, L'Humanité 25 mars 2006)

 

Ou une idéologie criminogène ?

 

Ce n'est pas ce que pense l'historien russe Youri Afanassiev puisqu'il avance comme le ferait tout économiste sérieux que : " En suggérant l'abolition de la propriété privée, Marx laissait les individus nus face au pouvoir d'État."

Les conséquences pratiques de cette abolition se retrouvent sous l'empire de Lénine : "Puis vint Lénine, qui a légué au pays la dictature du Parti unique et le refus du pluralisme ; dans le léninisme, tout dissident est automatiquement un traître."

 

Milovan Djilas, ancien dirigeant communiste yougoslave avant de choisir la dissidence ne dit pas autre chose. Il a compris que l'appropriation collective des moyens de production au profit de l'État donc des dirigeants du Parti fait de ceux-ci des demi-Dieux, possesseurs de toutes choses et disposant sans limite du peuple. Il compare ces dirigeants aux seigneurs et au clergé dans l'Europe féodale puisqu'ils en cumulent les fonctions, ces moyens de production servent : " à l'usage personnel des dirigeants et pour distribuer les faveurs qui consolideront leur autorité. Les nationalisations n'avaient pour but que d'assurer une base matérielle au pouvoir des bureaucrates."

Un tel pouvoir est cependant bien plus étendu que celui d'un seigneur féodal, là est le problème car : " L'exercice du pouvoir conduit toujours à un dérèglement des passions, mais aucune forme de pouvoir ne peut susciter une extase comparable à celle du communisme. C'est dû au fait que, dans un régime communiste, les dirigeants possèdent simultanément l'autorité et la certitude idéologique d'avoir raison ". Comme le disait Trotski en mars 1921 lors du Xième Congrès du Parti : " le parti est contraint de maintenir sa dictature, sans tenir compte des flottements provisoires, ni même des hésitations momentanées de la classe ouvrière".

Ceci n'a pas échappé à Milovan Djilas : " Chaque fois qu'ils consolident leurs privilèges personnels et renforcent la répression, les dirigeants du Parti se persuadent qu'ils servent des intérêts supérieurs. Tous leurs actes s'identifient nécessairement à l'histoire. Les seuls marxistes authentiques sont en réalité les dictateurs. Eux appliquent le marxisme, alors que les intellectuels se contentent de le populariser."

 

Heureusement parmi ces intellectuels, certains ont fini par se rendre compte de leurs erreurs à l'instar d'un Boris Souvarine ou d'un George Orwell. C'est ainsi que dans Lettre recommandée au facteur , Henri Weber, fondateur de la LCR administre une magistrale leçon à Olivier Besancenot sur cette même tonalité :

 

" Les dogmes dont tu te réclames sont responsables de terribles désastres au XXième siècle. Partout où ils ont été appliqués, ils ont abouti non pas à l'émancipation des salariés mais à leur asservissement, non pas à l'abondance mais à la pénurie ; non pas à l'égalité mais à l'explosion des privilèges ; non pas à la liberté mais au pouvoir absolu du " chef génial " ; non pas à l'État de droit mais au règne de l'arbitraire et de la répression de masse ; non pas à la démocratie directe des conseils mais à la dictature totalitaire du Parti- État.

Il n'y a pas eu d'exception : cette évolution a eu lieu dans la Russie arriérée et isolée des années 1920 et 1930 aussi bien que dans la Tchécoslovaquie et l'Allemagne de l'Est développées des années 1950 et 1960. Elle s'est imposée en Chine, à Cuba, au Vietnam, à un moment où l'argument trotskiste classique de l'isolement de la Révolution, entraînant sa dégénérescence, ne pouvait plus avoir cours.

La raison de cette dérive totalitaire n'est pas à rechercher dans les circonstances, elle est inscrite dans le projet lui-même. En supprimant les libertés économiques : droits de propriété, liberté d'entreprendre, de gérer, d'échanger ; en marginalisant le marché au profit de la planification centrale, on prive les individus de toute autonomie à l'égard de l'État. Celui-ci peut non seulement les priver de leurs droits civils et politiques, il peut aussi leur couper les vivres. On crée ainsi les conditions de la domination totale. "

 

Le communisme réel en action

 

Le mécanisme infernal du communisme se vérifie empiriquement, même si Max Weber ou Joseph Schumpeter en connaissaient déjà théoriquement les effets, il fut largement expérimenté à partir de 1917.

On reconnaît l'arbre à ses fruits : partout où le communisme réel fut installé il a laissé une trace sanglante comme s'en accordent Henri Weber et Jean-François Revel, comme le démontre le livre noir du communisme écrit sous la coordination de Stéphane Courtois.

 

Et contrairement à ceux qui pensent que le communisme permettait l'égalité, il a en réalité permis de creuser le fossé entre une Nomenklatura opulente et un peuple privé de tout, fondant des fortunes sur la servilité et la bassesse plutôt que sur le service à la société.

 

Mort aux bourgeois et aux koulaks

 

Mais comment en arrive-t-on là dans les faits ?

Comme il l'est dit plus haut tout commence par la réalisation du premier point de l'agenda communiste : l'appropriation des moyens de productions par le Parti.

 

En URSS ce programme toucha surtout la paysannerie. Faute d'une véritable bourgeoisie à exterminer il faudra s'en prendre au paysan spéculateur et riche, le koulak ainsi défini : " Tout paysan qui a deux vaches et plus est l'ennemi du régime ".

Il faudra ensuite s'en prendre à l'anarchie du marché libre (sic), la liberté des transactions sera donc supprimée et l'État obtient le monopole du commerce des marchandises. Le paysan n'a donc d'autre choix que de vendre sa production à l'État à des prix dérisoires, les paysans pourront préférer limiter leur production à l'autoconsommation.

Leurs terres, leur bétail, leur maison devront être réquisitionnés au bénéfice des coopératives. Certains paysans se révolteront, ils connaîtront alors les massacres ou la mort plus lente au goulag.

 

Mort aux Ukrainiens

 

Mais le communisme n'extermine pas seulement les classes, dans " Comment les démocraties finissent " Jean-François Revel nous met en évidence maints exemple d'extermination planifiée envers des catégories sociales bien sûr, mais aussi ethnique que ce soit la famine organisée aux fins de génocide des Ukrainiens, les déportations de peuples dits " collaborateurs ", des massacres contre les Indiens Mosquitos par les Sandinistes au Nicaragua.

 

À la recherche des morts et des survivants

 

Le communisme n'a pas tué tout le peuple, il a aussi éliminé une partie des dirigeants dans une quête du pouvoir absolu opposant des individualités.

Le communisme est encore à l'œuvre et ceux qu'il ne tuera pas dans leur corps, il les ravagera dans l'âme inspirant une crainte de tous les instants ou des vocations de délateurs et de kapos.

 

Inventorier les crimes du communisme sur le terrain est une tâche sans fin.

Il faut rendre grâce à ceux qui effectuent ce travail de mémoire en dépit des menaces et du harcèlement qu'ils subissent et à ceux qui résistent et meurent encore aujourd'hui.

 

Rithy Panh est de ceux là. Il a recherché les 7 survivants des 16 000 pensionnaires du centre S 21 Tuol Sieng à Phnom Penh pour savoir comment et pourquoi les 15 993 autres sont morts. Pour ne citer que deux exemples pris au hasard : l'un a été exécuté pour acte de sabotage -pour avoir involontairement cassé une aiguille à coudre -, l'autre a été supplicié et tué pour trahison envers le parti - il s'était servi d'une pomme de terre -.

D'autres trouvent des charniers, recueillent des témoignages de familles décimées, Haing Ngor raconta son histoire dans " La déchirure " parlant de ces fœtus pendus aux arbres après avoir été extraits de la matrice de femmes éventrées par des Khmers rouges d'à peine 14 ans.

Des journalistes consciencieux firent des enquêtes sur la famine terrible du milieu des années 80 en Ethiopie et révélèrent qu'elle fut organisée par le régime de Mengistu. Ces enfants agonisant sous l'œil d'une caméra sont quelques uns des 500 000 morts des peuplades du Nord qui lui ont valu une condamnation pour génocide, mais qui en leur temps ont permis d'attirer et de détourner l'aide occidentale afin de financer une déportation causant 100 000 morts de plus.

 

Alors qu'un député communiste français visite la Corée du Nord sans rien trouver à y redire, des réfugiés nous parlent de ces familles obligées de manger leurs morts dans un pays qui a la bombe atomique.

Alors que des universitaires britanniques et français font pression en faveur des mesures d'interdiction des media pluralistes au Venezuela, ou soutiennent le bon Castro contre le méchant Bush, des journalistes sont assassinés sous les ordres de Chavez, des prisonniers cubains sont condamnés à mort par exsanguination.

 

Tout cela nous le savons parce que certains ont osé parler, bravant les interdits, les accusations de fascisme ou d'agent de la CIA, que n'a-t-on pas dit de cette courageuse organisation qu'est Reporters sans Frontières ?

 

Mais nous aussi nous avons la capacité d'œuvrer à révéler ce qui fut et ce qui est encore, on meurt aujourd'hui du communisme et le mur de Berlin n'est pas tombé pour tout le monde.

On se souviendra de l'héroïsme de Jan Palach, mais comment s'appelait ce petit Ethiopien mort d'une famine programmée dont nous avions vu le regard à la télé ?

Qui se souvient d'Abraham Hershel mort dans l'insurrection du ghetto de Varsovie pendant que les frères en idéologie d'Hitler attendaient que les nazis aient fait leur œuvre ?

Nous devons à ces morts la conscience de l'ignominie dont des hommes sont capables, nous devons penser à eux, les évoquer quand certains osent encore nous parler de la générosité de l'idée communiste.

 

 

Xavier COLLET, le 24 juillet 2007