Quelques jours après la fête de Noël peut-être n'est-il pas inutile de s'interroger sur le phénomène du Père Noël, dont la popularité éclipse de très loin celle de l'enfant Jésus, pourtant prétexte, presque oublié, de la fête. L'acharnement que montrent la quasi-totalité des parents à défendre le mythe auprès de leur progéniture fait du Père Noël une véritable religion, bien plus forte et prégnante que le christianisme.
Sans s'attarder sur l'origine relativement récente de ce culte (il s'agirait de la réintroduction en Europe du personnage de Saint Nicolas - Sankt Klaus ou Santa Claus - tels que les puritains hollandais l'avaient conservé aux États-Unis), on doit reconnaître à la légende une certaine densité symbolique (le renne animal psychopompe, les lutins, personnages traditionnels de l'imaginaire occidental) ou psychanalytique (l'utilisation des cheminées.
Les adultes prétendent y voir l'emblème de la bonté et la générosité gratuite. Je nourris pour ma part de sérieuses réserves. Tout d'abord le remplacement du personnage de l'enfant (Jésus) par celui d'un vieillard signale une déperdition spirituelle. L'apparition de l'enfant invite tous les membres de la communauté à l'accueillir, à se transformer d'une certaine manière en ses parents, donc à agir en adultes responsables, alors qu'à l'inverse le vieillard (grand-père, papa gâteau) infantilise petits et grands mélangés. Antipédagogique au possible, ce mythe régressif contribue à maintenir l'humanité entière en enfance.
De manière encore plus grave, je vois dans le Père Noël la figure emblématique de l'État Providence. Les cadeaux sont gratuits, il suffit de les demander, on ne voit pas celui qui les offre, on est certain de la qualité et la régularité de ses prestations. Voilà réunis tous les mythes constitutifs de l'État. Et pourtant comme disent les Américains, " there is no such thing as a free lunch ". Ce qui est gratuit pour les uns est payé par d'autres. Il s'agit en fait d'une imposture: l'enfant devra bien apprendre tôt ou tard que ce sont les parents qui offrent et payent les cadeaux. L'imposture du Père Noël s'apparente à l'imposture socialiste. Ne serait-il pas infiniment plus sain pour l'enfant de recevoir ses cadeaux directement de ses parents, en vertu de l'amour qu'ils ont pour lui, plutôt que de la part d'un personnage abstrait dont on peut tout exiger ? De toute façon la réalité se charge vite de désillusionner les enfants qui s'abreuvent trop longtemps de cette mamelle opiacée. Il reste à savoir pourquoi les parents subissent un traumatisme presque égal à celui des enfants lorsque ceux-ci découvrent le mensonge. Sans doute parce qu'il leur faut renoncer à leur tour à l'illusion socialiste, y compris dans la sphère de l'imaginaire. C'est là pourtant un indispensable travail de deuil. Il me semble que nous devons la vérité à nos enfants, si nous leur voulons un avenir libre et responsable.
A bas le Père Noël !
Thibaut MOURGUES, le 10 janvier 2000