Normes juridiques et normes sociales


 

 

I. Le droit, expression de normes

A. Définir les normes  

Chaque groupe social possède ses valeurs dont découlent des règles et des usages, c'est-à-dire des normes dont le respect est impératif et dont la transgression donne lieu à des sanctions. Sans l'existence d'une norme la cohésion du groupe est remise en cause et peut même aller jusqu'à la désingration, de laquelle découle l'anomie.

Il existe deux catégories de normes :

les normes juridiques, elles sont reconnues officiellement et sont inscrites dans les textes de droit ; 

les normes sociales, elles trouvent leurs sources dans les traditions, la morale ; elles sont implicites et deviennent par le biais de la socialisation une seconde nature pour l'individu.

B. La portée des règles juridiques selon Durkheim

Les normes sociales comportent des règles et des usages dont la violation est ressentie de façon plus ou moins forte. Ainsi la violation d'une règle de politesse est seulement sanctionnée par une réprobation inorganisée du groupe social, il peut s'agir de moqueries et du dédain. Une violation touchant à une règle plus fortement impérative pourra inspirer le mépris, la mise à l'écart du transgresseur, mais tant que la norme transgressée est une norme sociale les sanctions seront aussi de nature sociale et l'autorité publique n'intervient pas.

 

Effectivement, dès lors que l'État organise des sanctions systématiques vis-à-vis de violations de normes c'est que la règle sociale est devenue une règle juridique.

Quand Pierre le Grand interdisait à ses sujets sous peine d'amende le port de la barbe, ou quand Atatürk obligeait les siens à renoncer à leur traditionnelle coiffure (le fès), des prescriptions considérées par les autres peuples comme de simples règles de politesse, comme de simples usages sociaux, devenaient des règles de droit. Quand Charles X frappait de peines sévères ceux qui profanaient les vases consacrés dans les églises (loi du sacrilège), une règle de la morale catholique devenait règle de droit.

 

On admet aujourd'hui d'une façon générale que l'autorité publique élabore des règles de droit. Elle le fait sous des formes diverses : constitutions, lois, règlements, décrets, arrêtés ministériels, arrêtés préfectoraux, arrêtés municipaux, décisions d'autorités techniques, etc.

 

1. Vous montrerez que des normes sociales peuvent devenir des normes juridiques et en donnerez des exemples.

2. Illustrez les sanctions des transgressions des normes sociales à travers des exemples actuels.

Pour Émile Durkheim, le droit exprime l'état des moeurs prévalant dans une société. Le respect des règles juridiques est garanti par des sanctions répressives (amendes, peines de prison) qui sont décidées et appliquées par des organes spécialisés (l'appareil judiciaire, la police). La transgression des normes sociales, quant à elle, ne donne lieu qu'à des sanctions diffuses. Mais quand la pression sociale devient forte sur certaines transgressions de normes sociales, celles-ci se traduisent dans le droit, exemple : délit de racolage, de négationnisme. La pression sociale peut également changer la loi quand les normes sociales évoluent, exemple : acceptation du divorce, du PACS. Ceci signifie donc que la norme sociale relative à un phénomène social identifiée s'est inversée et on le vérifie dans le cas du divorce : si l'on concevait autrefois le caractère sacré des liens du mariage, l'entente au sein d'un couple a été beaucoup valorisée tant et si bien que l'on ne comprendrait pas qu'un couple persiste dans une union désastreuse.

Ainsi droit et comportements sociaux semblent s'influencer l'un l'autre. Certains privilégient la relation circulaire entre le juridique et le social : les règles juridiques sont appliquées avec une certaine souplesse afin de tenir compte des réalités sociales et ces dernières, à leur tour, font évoluer les règles de droit. D'autres, tel Bourdieu, insistent sur l'idée que c'est la classe sociale dominante qui impose ses normes sociales au reste de la société ; classe dominante à laquelle appartiennent les concepteurs du droit eux-mêmes.

 

II. La genèse de l'action judiciaire        

A. L'absence d'appareil judiciaire

L'acceptation d'une norme juridique permet de satisfaire les intérêts des personnes adhérant au contrat social fixant cette norme.

Faute de cette acceptation l'insécurité ne permet pas les développements, personne n'étant assuré de conserver ses biens et sa vie. Les normes juridiques ont aussi pour fonction sociale d'éviter la vengeance éternelle (processus de vendetta) propre aux sociétés primitives. Elles substituent au caractère personnel des règlements de compte le caractère universel et exemplaire de la règle de droit, chacun devant s'en remettre à un autre pour obtenir justice (arbitrage ou justice d'État). Pour  autant, le droit s'appuie en partie sur une violence cachée, celle des sanctions répressives.

 

B. Sacrifice et bouc émissaire

Avant la mise en place de la norme juridique, René Girard explique le sacrifice dans les sociétés primitives par le besoin de détourner la vengeance des victimes sur un bouc émissaire et d'éviter la spirale des représailles.  La victime du sacrifice se voit attribuer la responsabilité du mal à la place des vrais "coupables"(s'il y en a). Elle est choisie de manière à ce que personne n'ait de raison ou de moyens pour tenter de la venger à son tour : des animaux, des prisonniers, des marginaux, des phénomènes donnés.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à ce type de phénomènes puisque dans les affaires de vaches folles, de sang contaminée, la recherche de coupables se détourne des gouvernants pour s'en prendre à la science en tant que telle et condamner les pratiques de clonage.

 

 

 

III. Les conditions de mise en oeuvre des lois

 

La traduction en lois des valeurs d'une société, et l'application effective de ces lois, rencontrent plus d'obstacles que ne l'évoquait Durkheim.

 

        A. Comment les valeurs s'imposent à la loi ?

 

Même si la majorité de la population est convaincue de la nécessité d'édicter et d'appliquer une loi, cela ne suffit pas si personne n'éprouve d'intérêt à agir pratiquement. Si par exemple une taxe est considérée comme injuste, il se peut que personne ne se risque à la dénoncer de peur des poursuites légales. De la sorte, la taxe peut se maintenir en dépit de la réprobation générale (c'est le cas notamment de la redevance TV).

Le droit, son interprétation par les juristes et les pratiques policières évoluent en réalité sous la pression de minorités qui osent agir au nom de ce qu'elles présentent comme l'intérêt général (même si en réalité ces minorités font l'objet d'une réprobation qui n'ose pas se faire entendre).Ces "entrepreneurs de morale", selon l'expression du sociologue Howard Becker, ont donc un rôle décisif pour que des valeurs latentes deviennent applicables.

Par exemple, des associations comme la "Ligue contre la violence routière" jouent un rôle décisif dans le renforcement de la répression des pratiques dangereuses au volant. Autre exemple : "les faucheurs volontaires" anti-OGM de José Bové conduisent certaines région à bannir les OGM et font pression sur la législation nationale et européenne bien qu'il ne soit pas certain que la majorité de la population s'oppose aux essais transgéniques.

 

        B. Les aléas de l'application

 

Même promulguée une loi n'est pas forcément appliquée : les moyens peuvent faire défaut à la police, qui doit établir des priorité selon ses propres critères (ex : squats et occupations sans titres de propriété, blocage des halls d'immeubles).

De plus en pratique, il s'avère souvent que les valeurs sont contradictoires entre elles : la lutte contre les sectes ou la pornographie se heurte à la liberté d'association et à la liberté d'expression.

 

Loi et droit individuel