Des bons et des mauvais prophètes ?


La sociologie des religions ne s'est guère penchée jusqu'à présent sur la typologie des prophètes et mystiques. Une ligne de lecture des plus pertinentes, nous semble-t-il, soulignerait la dichotomie mystique libéral - mystique autoritaire.

Dans la première catégorie, on rangerait Bouddha, Lao Tse, Jésus, François d'Assise, … Dans la seconde Moïse, Zarathoustra, Confucius, Mahomet, Luther, Savonarole …

Parmi les points communs entre les deux types, la critique d'une réalité insatisfaisante, la présence d'une révélation qu'il s'agit de transmettre, l'alternance entre périodes de solitude et de socialisation, la mise en place d'un nouveau rituel. Bien plus intéressantes sont pourtant les différences. Le mystique libéral se refuse à toute théocratie (" rendez à César… "). Transmettant son enseignement, il ne cherche pas de conversion forcée ou collective mais l'adhésion individuelle et éclairée du disciple. Il préfère souvent la compagnie des humbles à celle des puissants. Plus enclin au pardon qu'à la condamnation, il porte son attention sur la transformation intérieure plutôt que sur la construction d'une Eglise. A l'inverse le mystique autoritaire cherche à renverser l'ordre politique existant. Il doit pour cela exalter son autorité, ce qui passe par la conversion précipitée du plus grand nombre. Parallèlement, il s'efforce de gagner la confiance de la classe dirigeante, et mieux, d'asseoir son emprise sur elle, dans son ensemble, ou pour partie si elle est capable de prendre le pouvoir à court terme par la force. Recourant en priorité à l'anathème et l'exclusion, il estime que la fin justifie les moyens. Sa doctrine comporte tout un système de règles sociales impératives dont le contrôle de l'observance relève du clergé associé au pouvoir civil.

Certains couples apparaissent particulièrement emblématiques de cette dichotomie : on pense à Confucius contre Lao Tse, Moïse contre Jésus (au moins tel qu'il est présenté par les Evangiles), Thérèse d'Avila contre Jean de la Croix,... Bien sûr aucun homme ne relève d'un type chimiquement pur, les deux composantes se mêlant à des degrés divers dans chaque réformateur religieux, mais le principe en est clair.

Le réformateur/créateur de religion marque de son empreinte la religion qu'il crée ou renouvelle. C'est ainsi que l'on classerait dans les religions autoritaires le confucianisme, le judaïsme ou l'islam, et dans les religions libérales le christianisme ou le bouddhisme. Dans la même culture peuvent coexister, au moins pendant un temps, car l'une ou l'autre finit généralement par prendre l'ascendant, religion libérale et religion autoritaire : hindouisme (autoritaire) et bouddhisme (libéral) en Inde, confucianisme et taoïsme en Chine, voire soufisme libéral au sein de l'islam autoritaire ottoman, etc. Quant au judaïsme, il a changé de nature depuis l'exil de 70, son caractère diasporique le faisant passer d'autoritaire à libéral. A l'inverse, des ferments d'autoritarisme peuvent se développer au sein de dispositifs spirituels initialement libéraux, comme ce fut le cas avec le christianisme dès la basse-antiquité (peut-être influencé par un Saint Paul généralement perçu comme une figure autoritaire). La tragédie de l'islam, pour sa part, ne vient-elle pas de l'absence de contrepoids libéral à la vision de son prophète fondateur ? Tant il semble que le chemin emprunté par une religion dépende étroitement de la personnalité de son créateur.

Les exceptions relevées ci-dessus ne changent pas cette règle : il y faut soit des tournants historiques majeurs (l'Exil pour les Juifs), soit l'existence de ferments initiaux différents susceptibles de se développer par la suite. Notons pour conclure qu'alors que les prophètes religieux du passé ont tenté de se placer sur le terrain politique et d'imposer une théocratie, la modernité voit plutôt des responsables politiques cherchant à s'adjoindre une dimension religieuse à connotation messianique. N'était-ce pas sur un mode quasi-parodique la tentative au Zénith d'une certaine candidate à l'élection présidentielle ? Quant à l'écologie politique, seule l'absence de leader l'a empêchée de développer la " religion de la Terre ", qui a sûrement de beaux jours devant elle. Au-delà du tri entre le bon grain (libéral) et l'ivraie (autoritaire), la méfiance de la Bible envers les (faux) prophètes reste d'actualité…

 

Thibaut MOURGUES, le 22 août 2009