Le Tableau économique de François Quesnay et des Physiocrates
Présentation de la logique du circuit selon Quesnay
Le docteur Quesnay, médecin du roi est aussi un grand économiste de l'école des Physiocrates. Son ouvrage qui fit sa renommée est le "Tableau économique" publié en 1759.
Le Tableau économique aborde pour la première fois l'économie sous forme d'un circuit. François Quesnay entendait démontrer que la circulation des biens dans la société pouvait être comparée à la circulation du sang dans le corps. Il en conçoit donc chaque classe de la société comme un organe du corps social et entend montrer comment chacune de ces classes dépend des autres à travers l'interdépendance des activités économiques, les relations qui s'établissent dans la production et la répartition.
Les classes identifiées par le docteur Quesnay sont au nombre de trois :
- la classe des propriétaires terriens ;
- la classe productive, c'est-à-dire les fermiers et les travailleurs agricoles ;
- la classe stérile, c'est-à-dire les commerçants et les artisans.
Les acteurs du circuit et leurs fonctions
Le docteur Quesnay explique le circuit économique à travers un exemple tiré de son article "Analyse de la formule arithmétique du Tableau Économique de la distribution des dépenses annuelles d'une Nation agricole", publié en 1766 dans le Journal de l'agriculture, du commerce et des finances.
Il suppose que deux types de biens sont produits dans la société : des produits agricoles et des produits manufacturés.
La production de produits agricoles nécessite les facteurs de production que sont la terre, le travail et la capital sous la forme de bétail et de semis.
La production de produits manufacturés nécessite des produits agricoles locaux, des biens importés tels que des matières premières.
Cinq acteurs interviennent dans ce circuit :
- les fermiers dont la fonction est de produire les biens agricoles, ils possèdent le bétail et les semis (capital), peuvent employer des travailleurs agricoles et paient un loyer au propriétaire des terres ;
- les artisans dont la fonction est de produire des biens manufacturés, ils consomment des biens agricoles et des matières premières ;
- les travailleurs agricoles travaillent pour les fermiers et touchent des salaires ;
- les commerçants vendent des produits importés et exportent des produits agricoles ;
- les propriétaires terriens possèdent les terres et reçoivent les fermages.
Les dépenses et les recettes des acteurs
Rappelons
que le fermier subvient aux besoins de consommation du travailleur agricole,
il aura donc besoin de 150 unités de biens agricoles pour lui et 150 unités
de biens agricole pour son travailleur salarié. Il lui faudra en plus consacrer
300 unités de biens agricoles en semis et fourrage pour ses bêtes afin de pouvoir
produire 1 500 unités de biens agricoles, ces 300 unités consommés sont considérés
comme des avances par le docteur Quesnay, on parlerait aujourd'hui de capitaux
investis pour produire.
Fermier et travailleur agricole consomment aussi des biens manufacturés comme des meubles, des outils, des vêtements, ... Mais pour les acheter il faudra au préalable avoir vendu sa production sur le marché agricole. On suppose alors que le fermier obtienne 900 livres de ses produits, il en consacrera 150 pour ses propres achats de biens manufacturés et 150 pour ceux de son travailleur.
Voyons maintenant les dépenses et les recettes du fermier. Il a produit 1 500 unités de produits agricoles, il en a dépensé 600 unités au titre de la consommation et des avances, il a donc pu en vendre 900 unités sur le marché. Ces 900 unités sont devenues 900 livres de revenu (1) dont 300 sont dépensés en biens manufacturés, reste 600 livres qui constituent ce que Quesnay appelle le produit net.
L'artisan utilise 300 unités de produits agricoles et 150 livres de matières premières importées afin de produire 750 unités de biens manufacturés. Il doit payer cash les produits qu'il achète, mais il doit aussi payer ses propres consommations (les mêmes que celles des fermiers et travailleurs agricoles). On suppose néanmoins que les 150 unités de biens manufacturés qu'il consomme sont issus de sa propre production, mais qu'il doive acquérir les 150 unités de produits agricoles sur le marché. Donc, annuellement, l'artisan doit acheter 450 unités de produits agricoles et pour 150 livres de matières premières. Il a donc besoin de 600 livres qu'il ne peut se procurer qu'en vendant 600 unités de produits manufacturés. Comme sa production totale est de 750 unités et que sa consommation est de 600 livres plus les 150 unités de produits manufacturés qu'il autoconsomme, il ne dégage aucun produit net.
Le propriétaire terrien fait partie de la classe la plus aisée, il a besoin de 600 livres pour faire face à ses besoins dont la moitié sera consommée sous forme de biens agricoles. Son seul revenu est issu des fermages, il touchera donc 600 livres annuelles de chacun de ses fermiers, ce qui correspond à l'intégralité du produit net du fermier.
Le commerçant importe pour 150 livres de produits importés vendus à l'artisan, il utilise ces 150 livres pour acheter des produits agricoles qu'il exporte. Il réalise ses achats en numéraire, les produits agricoles sont achetés sur le marché local et les produits importés sont achetés à un commerçant étranger. Il consomme des produits étrangers.
Le travailleur agricole perçoit donc 150 unités de produits agricoles en nature du fermier, mais ce n'est pas là son seul salaire. Il recevra aussi 150 livres pour acquérir des produits manufacturés, ces 150 livres seront payés après que le fermier ait vendu ses produits.
Nous conservons l'hypothèse selon laquelle les productions respectives du fermier et de l'artisan sont de 1 500 unités de produits agricoles et 750 unités de produits manufacturés, quelles sont les avances nécessaires pour les produire ?
Pour le fermier : 300 unités de produits agricoles pour les semis et le bétail, plus à titre de salaire pour les travailleurs agricoles 150 unités de produits agricoles et 150 livres en numéraire.
Pour l'artisan : 300 unités de produits agricoles et 150 unités de produits importés à titre de matières premières.
Pour le commerçant : 150 unités de produits agricoles à exporter (pour payer les importations).
Toujours selon l'exemple du Docteur Quesnay quelles sont les consommations en produits locaux des différents acteurs ?
Les besoins annuels de consommation des différents acteurs du circuit sont les suivants :
- fermier : 150 unités de biens agricoles et 150 unités de biens manufacturés ;
- artisan : 150 unités de biens agricoles et 150 unités de biens manufacturés ;
- travailleur agricole : 150 unités de biens agricoles et 150 unités de biens manufacturés ;
- commerçant : rien (pas de prélèvement sur la production nationale car Quesnay suppose qu'il est étranger) ou admettra 150 unités de produits agricoles pour les exportations.
- propriétaire terrien : 300 unités de biens agricoles et 300 unités de biens manufacturés (son train de vie est le plus élevé).
Schématiser les ressources et les emplois en numéraire (pas en nature) des acteurs économiques.
Fermier :
Ressources | Emplois |
Vente de produits agricoles : 900 livres |
Consommation de produits manufacturés :150 livres Salaire en numéraire du travailleur agricole : 150 livres Fermage : 600 livres |
Total : 900 livres |
Total : 900 livres |
Propriétaire foncier :
Ressources | Emplois |
Fermage : 600 livres |
Consommation de produits agricoles : 300 livres Consommation de produits manufacturés : 300 livres |
Total : 600 livres |
Total : 600 livres |
Artisan :
Ressources | Emplois |
Vente de produits manufacturés : 600 livres |
Consommation de matières premières agricoles : 300 livres Consommation de produits agricoles : 150 livre Consommation de produits importés :150 livres |
Total : 600 livres |
Total : 600 livres |
Travailleur agricole :
Ressources | Emplois |
Salaire en numéraire : 150 livres |
Consommation de produits manufacturés :150 livres |
Total : 150 livres |
Total : 150 livres |
Commerçant :
Ressources | Emplois |
Vente de produits importés : 150 livres |
Consommation de produits agricoles : 150 livres |
Total : 150 livres |
Total : 150 livres |
À partir de là nous construisons le circuit économique
Opérations de production
Secteur agricole : 1 500 unités, dont :
Secteur manufacturier : 750 unités, dont :
Fig. 1 -Représentation graphique des opérations de production
Opérations de distribution des revenus
Les facteurs de production interviennent dans la création de richesses, en contrepartie de leurs apports à cette création ils bénéficient de revenus. Ces facteurs sont au nombre de trois : le travail du travailleur agricole contre lequel il perçoit un salaire, la terre du propriétaire contre laquelle il perçoit un fermage et les biens importés par le commerçant, on pourrait supposer là qu'il s'agisse de machines.
Voir exercice sur le schéma des ressources et des emplois des acteurs.
Fig. 2 - Représentation graphique des opérations de distribution
Utilisation du revenu disponible
Le produit net est le surplus dégagé au-delà du montant des produits consommés dans le cadre du processus de production.
Fermier :
Travailleur agricole :
Propriétaire foncier :
Artisan :
Les conceptions économiques du docteur Quesnay
Revenons sur la distinction des classes qu'opère le docteur Quesnay : pour lui la seule classe productive est les fermiers, ce sont effectivement les seuls à pouvoir dégager un surplus appelé produit net. Les fermiers dépensent pour entretenir leur bétail et pour rémunérer leur travail ainsi que celui des travailleurs agricoles, ils paient aussi des fermages aux propriétaires fonciers. Au contraire les artisans ont dépensé tous leurs produits créées dans le processus de production, que ce soit pour acheter des matières premières importées ou rémunérer leurs efforts, ils ne dégagent donc aucun surplus et forment une classe stérile. Il en va de même plus largement pour les industriels, pour les commerçants, gens de maison et professions libérales puisque les uns et les autres transforment des biens sans créer de surplus. Evidemment cette vision a été démentie par les économistes qui succédèrent aux Physiocrates, mais rappelons nous : "toute production qui permet de satisfaire un besoin n'est pas stérile".
Quesnay considère que les actes économiques des différentes classes sont les mêmes, et on suppose le nombre de membres de chaque classe à un million d'individus. Nous aboutissons donc à un circuit dans la logique macroéconomique. Nous allons présenter ce circuit à travers un tableau annuel des échanges, les emplois sont représentés en ligne et les ressources en colonne.
Ressources\Emplois |
Fermiers |
Travailleurs agricoles |
Artisans |
Propriétaires fonciers |
Total des emplois |
Paiements des fermiers | 0 | 150 millions | 450 millions | 300 millions | 900 millions |
Paiement des travailleurs agricoles | 150 millions | 0 | 0 | 0 | 150 millions |
Paiements des artisans | 150 millions | 0 | 0 | 300 millions | 600 millions (150 millions payés pour exportations) |
Paiement des propriétaires fonciers | 600 millions | 0 | 0 | 0 | 600 millions |
Total des ressources | 900 millions |
150 millions |
600 millions (150 payés pour importations) |
600 millions |
2 250 millions |
1- Les flux économiques à représenter sont les suivants :
- achats de produits manufacturés par les fermiers : 150 millions de livres ;
- versement de salaires aux travailleurs agricoles : 150 millions de livres ;
- achats de produits agricoles par les propriétaires fonciers : 300 millions de livres ;
- achats de produits manufacturés par les propriétaires fonciers : 300 millions de livres ;
- achats de produits agricoles par les artisans : 450 millions de livres ;
- achats de produits agricoles par les travailleurs agricoles : 150 millions de livres ;
- achats de produits agricoles par les commerçants : 150 millions de livres ;
- versement de fermage aux propriétaires fonciers : 600 millions de livres.
Attention le tableau n'intègre pas le RDM donc on ne tient pas compte commerçant dont la fonction est d'importer et d'exporter.
2. Que constate-t-on ?
Le total des ressources est égal au total des emplois, si ce n'était pas le cas nous aurions commis une erreur.