Accueil

 
Science et économie

 Science et économie : rigueur ou humeur


 

         La grande différence entre la science économique et les sciences de la nature, c’est que les découvertes des physiciens, biologistes, géologues ou autres chercheurs sont le plus souvent inattendues. Lorsque le physicien émet des hypothèses et conduit des expériences en laboratoire, il n’a pas une idée totalement précise des résultats qu’il obtiendra. Les expériences sont à l’origine d’éléments de « surprises », lesquelles font progresser le débat théorique. C’est ainsi qu’ont été découverts, et le plus souvent à l’insu des chercheurs eux-mêmes, la dérive des continents, la masse manquante, les trous noirs, le rayonnement cosmique attestant de l’existence du big bang, les fossiles d’animaux préhistoriques, les microbes, …etc.

 

Arrêtons nous sur un exemple. Toutes les galaxies devraient se comporter selon des lois de gravitation identiques à celles régissant notre système solaire : plus une planète est proche du soleil et plus elle tourne vite. Les chercheurs étaient en droit de s’attendre à ce que les régions extérieures d’une galaxie connaissent un ralentissement de leur vitesse orbitale. Surprise ! La vitesse orbitale théorique des étoiles ne correspond pas à la vitesse observée : les étoiles semblent orbiter plus vite que ce qui avait été prédit par la théorie. Cette apparente «anomalie » est à l’origine de la théorie de la masse manquante qui a impulsé ces dernières années les recherches les plus fructueuses dans ce domaine. La théorie ne peut pas avoir raison contre la réalité... Si les observations ne collent pas aux prédictions, c'est qu'il faut revoir la théorie non reconstruire la réalité.

 

Ainsi, ce n’est pas parce que les résultats observés ne correspondent pas aux attentes du chercheur que celui-ci va nier la réalité. La surprise fait, par définition, partie intégrante du processus de découverte. Un résultat, même inattendu, n’en est pas moins un résultat ! D’autant que le facteur « surprise » exprime que le résultat n’était pas contenu dans les hypothèses. Donc, que la théorie n’est pas une simple construction tautologique. C’est une leçon pour l’économiste - qui tient tellement à son titre de « scientifique » - mais qui prend la mauvaise habitude de « construire sa réalité » lorsque les résultats qu’il observe par le biais de modèles économétriques ne sont pas en accord avec les résultats escomptés. L’économiste n’est pas foncièrement malhonnête mais sa discipline est partie prenante dans de tels enjeux politiques et sociaux que le chercheur en économie est plus soucieux de contenter son « donneur d’ordre » que de respecter la stricte méthode et rigueur scientifiques.

 

Dans un pays où l’essentiel de la recherche en économie est le fait de fonctionnaires travaillant pour le compte de l’Etat ou de collectivités locales, cette dérive est dangereuse. Notre donneur d'ordre, c'est l'Etat mais ce dernier n'est pas le meilleur garant de l'objectivité. Le débat autour des 35 heures en fut une merveilleuse illustration. Il y a autant de modèles économétriques pour vérifier la proposition selon laquelle le passage au 35 heures a produit un effet positif sur l’emploi qu’il y a de modèles construits pour démontrer la proposition contraire. Il y a beaucoup d'économistes officiels parmi les plus brillants pour vous affirmer en public que la création d'emplois n'est pas moins dynamique en France qu'aux USA (mais ils envoient leurs propres enfants dans les MBA US au cas où). Cela ne remet nullement en cause la scientificité de l’économie mais met en doute le sérieux et la rigueur de certains prétendus « experts ». Il ne suffit pas de manipuler les modèles les plus sophistiqués pour faire œuvre de science !

 

Je n'oserai attribuer à la science économique elle-même les défauts qui sont liés à la pratique de certains chercheurs plus soucieux de plaire à tel parti, à tel syndicat ou de flatter l’opinion que d’obéir à une méthode objective contraignante. C’est une chose que de considérer l’objectivité comme un but impossible à atteindre ; mais c’est une toute autre chose que d’abandonner d’emblée toute prétention à l’objectivité. Comme la perfection et l’optimalité qui ne sont pas de ce monde, l’objectivité est un idéal mais le chercheur ne peut que se grandir en cherchant à l’atteindre.

 

Jean-Louis CACCOMO, le 5 juillet 2004

 


 

Retour à la page précédente