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" Libéralisme " de Pascal Salin

« Libéralisme » de Pascal Salin 


La publication de " Libéralisme " de Pascal Salin (aux Éditions Odile Jacob) marque comme un coup de tonnerre dans notre paysage médiatique.


Pour la première fois un auteur français présente dans un style clair et accessible les éléments de base de la philosophie libertarienne ; non un fadasse libéralisme qui chercherait un équilibre introuvable entre le marché et l'État, mais, enfin une pensée sûre d'elle-même qui désigne l'État comme l'ennemi à abattre, le produit de la violence et la corruption qui s'oppose à tout humanisme authentique. L'auteur montre avec brio au travers de quelques exemples (le tabac, les limitations de
vitesse, la concurrence,…) comment le marché peut mettre en place des solutions satisfaisantes aux problèmes que pose la vie en société, et ce dans le respect des droits de chacun.


Ce message sera-t-il entendu ? On peut compter sur une double stratégie de la part des tenants de la pensée unique : d'une part celle de l'ignorance et du mépris. Peu de recensions dans la presse, peu de promotion dans les librairies, pas de radio ou de télévision,…la loi du silence, aujourd'hui l'arme la plus puissante des étatistes, n'empêchera pas éternellement les idées neuves de s'imposer. Il restera alors à nos adversaires le recours aux déformations et aux amalgames, quand il ne s'agit pas de raccourcis empruntant à la mauvaise foi comme à la paresse intellectuelle.


Je me limiterai ici à quelques mots de commentaires sur l'article d'Alain-Gérard Slama, paru dans le Figaro du 6 mai et intitulé : " le grand malentendu de l'idée libérale ".
Passons sur les imprécisions (Reagan ou Thatcher ne sont pas tout à fait libertariens ; Anthony -et non Alain- de Jasay, anglais d'origine hongroise ne s'inscrit guère dans une prétendue école française) ou les approximations : pourquoi diable la pensée libertarienne " stimule-t-elle l'intelligence sans accéder cependant au statut d'une véritable philosophie " ? Mystère. Par ailleurs Salin ne dit pas qu'un bien est public quand il est sans concurrence potentielle.


Allons plutôt à la fin de l'article, après les éloges d'usage. Slama y affirme que la liberté ne s'exprime pas de la même façon selon qu'il s'agit de l'ordre économique, qui est de l'ordre du particulier, ou de
l'intérêt politique, qui est de l'ordre du moindre mal commun et qui implique l'État. Salin a pourtant consacré plusieurs pages, à la suite de von Mises, à expliquer que l'homme est un, et que l'on ne saurait distinguer le politique de l'économique. Ils relèvent tous deux de la praxéologie, ou science du comportement humain. On voit poindre dans cette remarque de Slama la vieille idée selon laquelle les libéraux privilégient l'économie, dans lequel les individus ne recherchent que leur intérêt personnel, alors que la politique est plus noble car consacrée à l'intérêt collectif. La réalité est opposée : les libéraux ne distinguent pas, chacun doit pouvoir épanouir son individualité dans toutes les sphères de son existence; un intérêt collectif distinct des intérêts individuels n'est qu'un leurre et une trappe à illusions.


L'économie est en grande partie la science des échanges, c'est à dire des relations entre les hommes, et peut donc s'analyser comme une branche de la politique. Les libéraux se refusent seulement à la normativité, à dire le bien et le mal. Il appartient à chaque individu de vivre sa propre vie et définir les valeurs qu'il entend privilégier, la seule contrainte étant le respect des droits d'autrui. L'impopularité relative du libéralisme chez les faiseurs d'opinion tient sans doute à ce que cette philosophie entraîne pour eux une perte de prestige importante : dans une société libérale, les intellectuels et autres ingénieurs sociaux constructivistes ne peuvent plus prétendre imposer la
mise en oeuvre de leurs propositions sociales. Il est autrement plus valorisant de se penser en révolutionnaire rebâtissant une société plutôt qu'en modeste consultant que chacun peut écouter ou repousser, la norme ultime restant le libre-arbitre de chacun plutôt que les prescriptions imposées par ceux qui savent mieux que les autres.


Slama affirme ensuite que " la démocratie n'est pas seulement un mode arbitraire de désignation des dirigeants, elle suppose l'alternance, qui constitue une pédagogie de la liberté ". Lapsus de la plume   ? Nous prenons acte que Slama admet que la démocratie constitue un mode arbitraire de désignation des dirigeants. Bien ! En revanche, la deuxième partie de la phrase n'a pas grand sens. En quoi l'alternance s'oppose- t-elle à l'arbitraire ? Et surtout, en quoi l'alternance est-elle une pédagogie de la liberté ? Que l'arbitraire alterne avec les majorités ne le rend pas moins arbitraire. La vérité, c'est que la souveraineté de l'individu n'es pas compatible avec le système représentatif. C'est sans doute là que réside la vraie raison de la désaffection que connaît aujourd'hui la politique.
Passons maintenant au dernier paragraphe de notre auteur. Pour Slama, la règle du jeu d'une société libertarienne serait purement procédurale. Il n'a manifestement pas compris que pour les libertariens, la procédure n'a pas pour but de faire le droit mais de le dire. Les droits sont antérieurs à la justice. Il n'appartient à celle-ci que de les révéler, les mettre à jour. Les grands principes du droit, en petit nombre, résultent simplement de notre humanité commune, de la dignité humaine dont nous héritons tous. Ils se résument à la liberté, qui entraîne propriété et responsabilité. Dans le cours de l'histoire, les applications concrètes de ces droits se précisent progressivement, car il peut être parfois trop coûteux de définir les droits à propos de ressources qui ne sont pas rares à un moment donné. C'est à l'occasion du passage à la rareté que les droits en viennent à être précisés, les hommes ne devant se mettre d'accord que sur la procédure de " révélation ", puisque la substance même des droits préexiste.


Logique avec lui-même, Slama préfère la loi à un droit en création permanente. Il méconnaît par là la fixité des principes du droit libertarien, qui sont immuables, et d'autre part, les changements
permanents que connaît la loi dans nos sociétés. On ne peut guère la définir que de manière formelle (la norme édictée par le parlement) et non par le fond : elle a perdu depuis longtemps tout caractère de généralité, et traite de problèmes ponctuels pour un temps limité. La loi la plus important n'est-elle pas la loi de finance ?


L'hyper-réglementation, tendance naturelle de tout organisme doté de pouvoirs normatifs, aboutit inéluctablement au dérèglement systématique de toutes les fonctions sociales, effets pervers corrigés l'un après l'autre par de nouvelles normes qui produisent de nouveaux effets pervers.

L'auteur de l'article conclut que le défaut du libertarien serait celui de refuser toute contrainte. C'est en effet la fierté du libertarien que de refuser d'aliéner sa liberté. Cela l'entraîne à reconnaître la
liberté d'autrui comme fondement de la vie sociale. Il ne peut en exister aucun autre.
Aucune des critiques formulés par Slama ne nous paraît donc reposer sur un fondement logique. On se heurte à une résistance psychologique irrationnelle : reconnaître la vérité libertarienne, c'est renoncer au culte des idoles auxquels tant d'hommes consacrent leur vie. Placés au bord du gouffre, il ne feront pas facilement le sacrifice de leurs erreurs, pour y jeter toutes leurs illusions perdues. Il reviendra donc aux libertariens de les y pousser, pour que la masse suive comme le troupeau de Panurge, et prépare enfin un monde nouveau et démythifié.

Thibaut MOURGUES, le 08/05/2000


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