D'où viennent les députés ?


Éplucher le curriculum vitae des 577 députés est un exercice fastidieux mais très instructif. C'est ce qu'a réalisé Bertrand Lemennicier, professeur d'économie et directeur du laboratoire d'économie publique. Le résultat ne surprendra personne : des fonctionnaires à droite, des fonctionnaires à gauche, des fonctionnaires au centre, des fonctionnaires partout ! Le travail de l'universitaire démontre de façon irréfutable que le terme de représentation parlementaire constitue un abus de langage caractérisé. Avec 51,3 % de députés exerçant ou ayant exercé préalablement une activité profesionnelle financée sur fonds publics, c'est plutôt de sur-représentation que nous devrions parler lorsque nous évoquons le Palais-Bourbon !

Professions
Assemblée nationale
Population française
Professions indépendantes supérieures 20.6 % 0.7 %
Fonctionnaires statutaires 40 % 11,3 %
dont enseignants 18.7 % 3.1 %
Total des députés payés sur fonds publics 51.3 %
Entrepreneurs 9 % 0.3 %
Ouvriers non qualifiés 0.5 % 5.2 %
Employés 4.8 % 15.5 %
Paysans 3 % 1.6 %

Groupe parlementaire % de fonctionnaires (ou payés sur fonds publics)
UDF 67 %
UMP 42 %
Non inscrits 55 %
PS 72 %
PC 59 %

Qu'une seule et même catégorie socioprofessionnelle fournisse plus de la moitié de nos législateurs constitue une nouvelle exception française aux conséquences prévisibles. Comment réformer la fonction publique, quand notre Parlement est colonisé par les premiers intéressés ? Comment légiférer en fonction du bien commun, quand c'est l'esprit de corporation qui prédomine ? Comment favoriser la croissance, quand le pouvoir est confisqué par une oligarchie extérieure au secteur concurrentiel ?

Assemblée Nationale

Pour lui être extérieure, elle ne se montre cependant pas complètement indifférente au secteur privé, explique Bertrand Lemennicier : « Toute concentrée qu'elle soit sur son oeuvre supposée noble et désintéressée, d'accroissement des prérogatives de l'Etat, l'oligarchie française n'en est pas pour autant étrangère et hermétique à toute forme d'intérêt pour le monde économique. La partie qui crée les richesses est une minorité fragile, dont le capital accumulé est particulièrement convoité. Il est spécialement difficile de résister aux appétits de ceux qui peuvent user du monopole de la violence. L'oligarchie française constitue à cet égard une élite prédatrice, dont les revenus tirés de l'impôt dépendent fondamentalement de la création de richesses par les entrepreneurs. » Nous voilà rassurés, nos fonctionnaires-législateurs s'intéressent donc au monde économique, même si cet intérêt ressemble à celui du vampire pour sa victime.
Mais c'est surtout à eux-mêmes qu'ils s'intéressent lorsqu'il s'agit de réagir à une proposition de loi, comme en témoigne le sort réservé à celle déposée par Hervé Novelli, qui visait à interdire, comme en Grande-Bretagne, le cumul du statut de fonctionnaire avec celui de parlementaire. Les Contribuables Associés avaient demandé aux députés de, se prononcer. Sur la base des suffrages obtenus en fonction de l'origine socioprofessionnelle de nos élus, Bertrand Lemennicier démontre statistiquement qu'un fonctionnaire a 2,65 fois plus de chances de rejeter cette proposition qu'un non-fonctionnaire, tandis qu'un entrepreneur a 3,14 fois plus de chances de l'approuver. Oui, mais voilà : les entrepreneurs sont (malheureusement) peu nombreux au Parlement puisqu'ils représentent seulement 9 % des députés. En dépit du rôle important tenu par l'idéologie dans le positionnement des députés, et même s'il existe - notamment parmi les réformateurs - des députés fonctionnaires favorables à la proposition Novelli, Bertrand lemennicier constate, chiffres à l'appui, que « l'opposition à la proposition Novelli est en partie motivée par un réflexe corporatiste de fonctionnaires attachés à leurs privilèges ».


Situation professionnelle
% favorable à la proposition Novelli
Fonctionnaires
16.2 %
Entrepreneurs
53.8 %

Comment cette situation quasi monopolistique peut-elle perdurer quand on sait que l'immense majorité des électeurs n'a pas la chance, elle, d'être confortablement chaussée des pantoufles protectrices du fonctionnariat à vie ?
Bertrand Lemennicier dénonce les dérives d'un système qui s'appuie sur un recrutement privatif par cooptation : « Toute caste survit en instaurant des modes opératoires de renouvellement qui garantissent sa pérennité. Si l'on peut parler de renouvellement »... En l'occurrence, l'ancienneté moyenne des députés à l'Assemblée nationale avoisine vingt ans, soit l'équivalent de quatre mandats consécutifs ! À cette belle longévité s'ajoute un facteur aggravant : le cumul quasi systématique des mandats (près de deux mandats en moyenne par député).
Comment sortir de l'impasse ? Notre auteur suggère une solution : « Il importe de revenir à une conception moderne ou libérale de la démocratie. En effet, nos élites ne pourront être que défaillantes dans leur mission consistant à limiter l'expansion du pouvoir de l'État et sa concentration dans les mains de quelques-uns, tant que leur statut de quasi-fonctionnaires fera qu'elles sont à la fois juges et parties. Dans un tel contexte, la mise en œuvre de la proposition Novelli... s'impose à la fois comme une urgence et une évidence, à moins d'envisager des solutions plus radicales, comme celle d'un gouvernement contractuel et privé. »

 

Guillaume Préval, le Cri du contribuable, novembre 2005

 

Questions

1. En quoi la composition de l'assemblée nationale peut-elle empêcher les réformes ?

Les réformes dont on parle beaucoup actuellement sont liées à la fonction publique. Dès lors qu'il est question de limiter la dette extérieure ou de revoir les statuts des fonctionnaires, d'ouvrir le capital d'entreprises publiques ou encore de réduire le nombre d'agents publics, un réflexe corporatiste amène les fonctionnaires à vouloir que rien ne bouge. Or la composition de l'Assemblée Nationale donne une majorité aux députés anciennement rémunérés sur fonds publics et assurés de retrouver leurs fonctions de fonctionnaire, ils sont donc plus sensibles aux arguments opposés aux réformes remettant en cause les avantages détenus par les agents de la fonction publique.

2. Que recouvre le terme oligarchie, pourquoi est-il employé ici ?
Le terme oligarchie signifie le gouvernement par un petit nombre dans le sens où ces quelques dirigeants auraient le pouvoir de faire les lois sans être liés à ceux qui les ont élu, on parlerait sinon de démocratie représentative. Le fait que les députés soient loin du peuple et que les électeurs ne leur demandent pas des comptes sur leurs votes (par ignorance, résignation ou manque d'intérêt) leur donne ce côté oligarque.

3. En quoi l'intérêt général mis en avant peut pâtir de cette situation de fait ?

Bertrand Lemennicier montre que la composition de l'Assemblée Nationale en terme de groupes sociaux a une influence sur les votes émis. Or cette composition est différente de celle de la population française. On peut donc supposer que les intérêts des députés ne sont pas précisément ceux du peuple, et donc qu'ils votent non en fonction d'un intérêt général qui serait celui qu'exprime le peuple, mais en fonction de leur intérêt particulier.

4. Peut-on parler d'une classe de fonctionnaires ?

Le terme classe renvoie à deux notions. D'abord à l'idée d'un rapport d'exploitation, une classe étant censé vivre aux dépens d'une autre. Dans ce sens les fonctionnaires ne produisent rien, ils vivent effectivement de prélèvements obligatoires réalisés sur la production marchande. Mais le terme renvoie aussi à l'impossibilité d'une mobilité sociale, or l'accès au fonctionnariat est basé sur le concours, ce qui suppose une mobilité fondée sur le mérite. Par contre on parle de classe politique car l'accès aux plus hautes fonctions est basée sur les relations. De plus comme majoritairement issus de la fonction publique, les élus ont un comportement favorable aux intérêts des fonctionnaires et maintiennent leurs prérogatives d'exploitation.

Les titulaires de la fonction publique sont certains de retrouver leur poste, ils ont donc plus facilement accès la fonction politique.

5. En quoi la proposition Novelli permettrait-elle de rompre l'inégalité politique ?