LEON TROTSKI Par Michel VINCENT Chez les intellectuels
franÃ
L'opinion
publique sait-elle qui fut Trotski ?
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Chez
les intellectuels français Léon Trotski est à la mode.
Comme Staline le fut, et Mao. Depuis que la réalité des crimes commis par le
"génial petit père des peuples" et par le "Grand timonier"
ont pénétré
dans les esprits, une partie de la famille marxiste s'est réfugiée dans le
trotskisme parce que Trotski combattit Staline, avant d'être liquidé par lui. |
Peut-on lui accorder plus de considération qu'à Staline ou à Mao?
Il s'appelait Lev Davidovitch Bronstein. Il était né à Ianovka, en
Ukraine, l'an 1879, dans une famille de la bourgeoisie juive. Très intelligent,
il fit d'excellentes études de droit à Odessa. Très tôt, il fut séduit par
l'idéologie marxiste ; en 1902, à Bruxelles, il prit part au congrès de la
Social démocratie.
Ses activités révolutionnaires lui valurent plusieurs déportations en Sibérie.
Chaque fois, il s'évada. Il gagna l'étranger, vivant dans plusieurs pays :
Angleterre, Belgique, Autriche, Suisse, Irlande, Cuba, États Unis,
Canada. C'est lui qui fonda la Pravda, à Vienne.
Trotski est un communiste des plus
autoritaires
En
1917, il rentre en Russie et, à Petrograd, rallie le parti bolchevique de Lénine.
Il est élu au comité central, prend part à la Révolution d'octobre, est nommé
commissaire aux Affaires étrangères, conduit les négociations de
Brest-Litovsk, signe la paix avec le IIème Reich, devient président
du Conseil révolutionnaire, commissaire à la Guerre, fonde l'Armée
rouge qui joue un rôle décisif dans la victoire des Soviets et devient, avec Lénine,
le chef des Soviets victorieux.
Il prône les méthodes des autoritaires et s'oppose à la N.E.P. (nouvelle
politique économique) dont l'échec le conduit, au XIIème congrès
du Parti
Communiste, à proposer un plan général de production. Déjà , il est en
but à l'hostilité des camarades Staline, Zinoviev et Kamenev, les
principaux chefs de la Révolution, qui dénoncent sa "dictature économique."
En janvier 1924, Lénine meurt. Trotski, qui se soignait sur la Riviera
caucasienne, n'assiste pas aux obsèques. Son absence prolongée lui sera
reprochée, mais surtout permettra à Staline de se saisir des leviers de
commande. Trotski est son principal rival. En décembre 1925, il est
relevé de ses fonctions de commissaire du peuple à la Guerre ; en décembre
1927, il est exclu du Parti et en 1929, il est expulsé du territoire
soviétique.
Réfugié
près de Constantine, il écrit L' Histoire de la Révolution russe (3
volumes). Puis il revient en France : à Royan et à Barbizon.
En 1935, il est expulsé à cause de ses activités antistaliniennes. Il
se réfugie en Norvège où il publie la Révolution trahie et l'École
stalinienne de falsification (1937). La Norvège refuse de renouveler son
permis de résidence ; il gagne le Mexique et s'installe dans une villa près de
Mexico. Il dénonce la politique de Staline dans son Bulletin de l'opposition.
Il soutient la nécessité de la "révolution permanente" et en 1938,
fonde la IVème internationale qui regroupe les "bolchevistes-léninistes"
et qui préconise la révolution communiste mondiale avec le soutien de
l'U.R.S.S.
Le
théoricien du terrorisme moderne, le pourfendeur des libertés
En 1936, il a publié Défense du terrorisme. La terreur doit être
l'arme principale de la révolution permanente qui doit se transformer en guerre
civile permanente. Pour Trotski, "la guerre civile, c'est la lutte pour le
pain." On sait qu'elle fut la cause, en U.R.S.S., d'une des plus grandes
famines de tous les temps qui fit des millions de morts.
Le 20 août 194O, Trotski est mortellement blessé par un agent de Staline. Il
disparaît mais laisse des disciples.
La rivalité qui opposa Staline à Trotski eut-elle des causes idéologiques ou
fut-elle une simple lutte d'influence dans la course au pouvoir ?
D'après les témoignages de nombreux historiens, marxistes léninistes pour la
plupart, ou anciens marxistes-léninistes, ce fut une lutte d'influence, non idéologique.
Voici, par exemple, l'opinion de l'écrivain Maxime Gorki, qui fut le fondateur
de la littérature réaliste et sociale de l'U.R.S.S. Ce texte fut publié en
novembre 1917 par le journal Novatajizn. Gorki condamne "Lénine,
Trotski et leurs compagnons de route, déjà intoxiqués par l'infect poison du
pouvoir comme le montre leur honteuse attitude à l'égard de la liberté
de parole, de la liberté de la personne et de tous les droits pour lesquels la
démocratie a combattu... Les travailleurs ne doivent pas laisser des
aventuriers et des fous entasser sur la tête du prolétariat des crimes éhontés,
insensés et sanglants, des crimes pour lesquels ce ne sera pas Lénine mais le
prolétariat lui-même qui paiera».
En novembre I917, quelle prophétie!...
En 1944, l'historien Dimitri Volkogonov examine les rôles respectifs des trois
principaux leaders de la Révolution d'octobre. Général soviétique,
il fut successivement adjoint à la propagande de l'Armée Rouge, directeur de l'Institut
d'histoire militaire de l'U.R.S.S. et enfin chargé de superviser l'ensemble des
archives du Parti et de l'État ( y compris des archives secrètes). Voici son témoignage
: «Des trois leaders bolcheviks Lénine, Trotski, et Staline, il a plu à
l'Histoire que ce fût Staline, après Lénine, qui ait joué le rôle le plus
sinistre dans les événements de ce XXème siècle. Chacun des trois
a eu sa partie à tenir.
Lénine fut l'inspirateur, Trotski, l'agitateur et Staline l'exécutant... et
c'est Staline qui a mené à son terme le projet léniniste de dictature du prolétariat...
Trotski rêvait d'étendre le projet au monde entier mais sous une forme
perfectionnée."
Et
Lénine, que pensait-il de Trotski ? Il pensa tout et son contraire. Pendant une
période, après la révolution de 1905, Lénine et Trotski furent d'âpres
rivaux, et Lénine qualifia Trotski de "personnage fuyant, tricheur,
arrogant adonné aux méthodes brutalement administratives." De son côté,
Trotski affirmait : "Tout l'édifice léniniste est actuellement bâti sur
le mensonge, la falsification et porte en lui la source empoisonnée de sa
propre dégénérescence."
Mais cette rivalité se transforma en une collaboration confiante. Le 22 décembre
1922, Lénine parle de Trotski comme "l'homme le plus capable du
comité central" (oeuvres complètes, vol. 45 p. 345). Il vante son énergie
volcanique et ses dons extraordinaires d'organisateur.
Trotski croyait bien succéder à Lénine, mais il avait suscité la
sourde aversion de ses collègues en faisant étalage de sa supériorité
intellectuelle.
Quelles sont les idées-force qui inspirèrent l'engagement politique et
l'action révolutionnaire de Léon Trotski ? Sa doctrine fut celle de Karl
Marx qu'il accepta dans son ensemble, comme Lénine. Il la marqua de son style,
expression de sa personnalité, comme Lénine.
Marx était resté un théoricien. Lénine, Trotski et Staline furent des
praticiens. Ils bâtirent, à partir et autour de l'Union des Républiques
socialistes soviétiques (U.R.S.S.) un empire qui suscita l'admiration ou
inspira l'horreur dans le monde entier puisqu'il essaima sur les cinq
continents. Empire à la fois temporel, incarné par les "démocraties
populaires" et idéologique.
Si la puissance temporelle de l'U.R.S.S, se détruisit d'elle-même, de l'intérieur,
par l'effet de sa perversion intrinsèque, son rayonnement idéologique subsista
et subsistera sans doute longtemps encore car l'utopie n'a pas besoin d'une base
concrète pour se développer.
Un
fonctionnaire qui n'a rien à voir avec la classe laborieuse
Le rêve, même matérialiste, ignore superbement les contraintes matérielles.
Les trois chefs et fondateurs de la Révolution d'octobre en Russie : Lénine,
Trotski et Staline ont ceci en commun "qu'aucun d'eux n'a jamais travaillé
pour vivre; aucun d'eux n'a eu quoi que ce fût en commun avec la classe
laborieuse" note le général soviétique Dimitri Volkogonov, auteur du Vrai
Lénine (Robert Laffont,1994).
Rappelons que ce général fut un militant communiste convaincu, directeur
adjoint à la propagande de l'Armée rouge fondée par Trotski, directeur de
l'Institut de l'histoire militaire de l'U.R.S.S. et chargé de superviser les
archives du Parti et de l'État. Il eut accès aux archives secrètes.
Cette caractéristique des trois leaders qui vécurent uniquement de leur
activité politique, en qualité de "fonctionnaires du Parti
communiste" pourrait-on dire, explique leur méconnaissance et leur incompréhension
des phénomènes économiques et sociaux. Quand Trotski affirme, par exemple,
que "la guerre civile, c'est la lutte pour le pain", les évènements
démontrent qu'au contraire, la guerre civile détruit la production des biens
de consommation et engendre la famine.
La
terreur la plus vicieuse, la plus sauvage érigée en mode de gouvernement
Or, la révolution permanente et sa transformation en guerre civile permanente
fut au cœur de l'idée qui inspira l'action de Trotski. Il publia, en 1936, Défense
du terrorisme : "La question de savoir à qui appartiendra le pouvoir dans
le pays... se résoudra par le recours à toutes les formes de violence" écrit-il.
Et aussi : "La terreur rouge est l'arme employée contre une classe destinée
à périr et qui ne s'y résigne pas." Et encore : "La dictature
est indispensable parce qu'il s'agit, non pas de changements partiels mais de
l'existence même de la bourgeoisie... la force seule peut décider. Qui veut la
fin ne peut répudier les moyens."
S'adressant, en décembre 1917, aux délégués du comité exécutif central des
Soviets, Trotski, commissaire du peuple à la Guerre, prévient :
"Dans
moins d'un mois, la terreur va prendre des formes très violentes à l'instar de
ce qui s'est passé lors de la Grande Révolution française. Ce ne sera plus
seulement la prison mais la guillotine, cette remarquable invention de la Grande
Révolution française qui a pour avantage reconnu celui de raccourcir un homme
d'une tête, qui sera prête pour nos ennemis." Le régime communiste ne
devait pas se contenter d'utiliser la guillotine qui tue vite et proprement. Les
camps de concentration dispensèrent une mort lente infligeant à leurs victimes
un interminable martyre.
C'était indispensable, dans l'esprit de Trotski, pour distiller la peur au sein
de la population. Car la peur fut l'arme de choix des révolutionnaires :
au cours de l'été 1920, Trotski écrivit au camarade Kautsky : "La Révolution
exige de la classe révolutionnaire qu'elle atteigne son but par tous les moyens
à sa disposition : si nécessaire, par l'insurrection armée, si nécessaire
par la terreur. La terreur peut être très efficace... la peur peut être un
puissant recours en politique intérieure et aussi étrangère. Comme la Révolution,
la guerre est fondée sur la peur" (extrait de Terrorisme et Communisme,
Oeuvres, vol. 12, Moscou p. 59).
Trotski suivait en cela, fidèlement, les consignes de Lénine qui, au lendemain
de la Révolution, avait proposé aux Bolcheviks d'organiser la terreur. Trotski
était considéré comme le "commissaire de fer" de Lénine qui
applaudissait sa nature impitoyable, note encore Volkgonov.
Lorsque le commissaire à la justice Steinberg protesta contre le recours à la
violence et à la répression comme moyen de régler les problèmes
sociaux, Lénine s'exclama : "Tu ne penses quand même pas que nous serons
les vainqueurs si nous ne recourons pas à la terreur révolutionnaire la
plus dure?"
La conséquence de cette politique fondée sur la violence et la peur qu'elle
inspire, fut une attitude impitoyable à l'égard de ceux qui refusaient le
combat révolutionnaire.
Trotski, ancien militant pacifiste, écrit dans son journal : "Nous devons
constituer des détachements de sécurité fiables qui n'hésiteront pas à
fusiller les déserteurs..., placer un commissaire armé d'un revolver derrière
chaque officier, instituer des tribunaux militaires révolutionnaires et créer
des décorations pour récompenser la bravoure individuelle au combat." Lénine
et Trotski communiaient dans la conviction que seules la terreur et la violence
illimitées sauveraient le régime bolchevique.
Autre conséquence, l'instauration d'une discipline de fer dans tous les actes
de la vie sociale, en matière d'hygiène par exemple : avant d'entrer au
Kremlin, on devait prendre un bain et faire désinfecter ses vêtements sous
peine d'être traduit en justice pour perturbation de l'ordre public.
Les
premiers camps de concentration de l'histoire, la mort le plus souvent comme
seule issue
Dès les premiers mois de 1918, Trotski avait recommandé l'enfermement d'otages
dans des camps de concentration, que Lénine réalisa le 9 août
1918 pour des paysans, des prêtres, des gardes blancs et autres éléments
douteux (Oeuvres complètes, vol. 511 p. 143).
N'oublions pas la "militarisation du travail" que Trotski recommanda
au IXème congrès (mars 1921) : le travailleur doit obéir, tel un
soldat, à l'État ouvrier. Cela signifie l'interdiction des grèves assimilées
à une désertion en temps de guerre, la subordination complète des syndicats
dont le rôle se borne à mettre en oeuvre la politique productiviste,
l'interdiction pour les ouvriers de quitter leur poste de travail. Il est écrit
dans la Pravda du 12 février 1920 : "La meilleure place, pour un gréviste,
ce moustique jaune et nuisible, c'est le camp de concentration."
Contrairement à la tragédie qui, depuis Sophocle et Euripide, repose sur la
terreur et la pitié, la Révolution, c'est la terreur sans la pitié. Ce qui
explique le nombre de ses victimes dans le monde entier, évalué par une équipe
de six historiens, pour la plupart anciens militants communistes, entre 80 et
100 millions (Le livre noir du communisme, Robert Laffont 1997).
Ce ne sont pas des chiffres lancés au hasard, ils s'appuient sur les archives
de l'U.R.S.S. On y lit, par exemple, que des ordres avaient été donnés le 23
octobre 1919, pour la destruction de villages dans le cadre de la lutte contre
la paysannerie et l'élimination des cosaques du Don et du Kouban en tant que
groupe social. Trois semaines plus tard, un rapport décrivait le déroulement
des opérations : "Kalinovskaïa, bourg entièrement brûlé, toute la
population (4.220) déportée ou expulsée ; Ermolovskaïa : nettoyée de tous
ses habitants (3.218) ; Romanovskaïa : déportés 1.600, reste à déporter
1.661..." et cela continue... tant de villages anéantis !... Tel est le
vrai visage du Trotskisme dont se réclament nos braves et ignorants
intellectuels qui n'ont jamais fait l'effort de s'informer.
Ce ne sont pourtant pas les témoignages qui manquent. L'historien français Stéphane
Courtois, communiste repenti, dénonce "l'incurable naïveté du révo1utionnaire
qui s'imagine, grâce à sa dialectique, favoriser l'émergence d'une société
plus juste et plus humaine en employant des méthodes criminelles."
L'historien ex-soviétique Volkogonov estime de même que Lénine et Trotski
avaient cru que la dictature, par eux instituée, serait capable d'apporter au
peuple le bonheur... ni l'un ni l'autre ne comprenaient que le danger, pour le régime,
pour eux-mêmes et pour l'avenir, résidait dans le système lui-même, le système
qu'ils avaient conçu."
En effet, le régime soviétique est le seul au monde à s'être autodétruit
sans effusion de sang. Ses adversaires n'ont même pas cherché à se venger
de leurs bourreaux. L'aspiration à la paix civile et à la liberté a été
plus forte que l'esprit de revanche et même l'esprit de justice.
Ce qui permet à d'anciens bourreaux et à leurs complices de parader sans
vergogne sur les scènes publiques et de bombarder leurs anciennes
victimes de leçons de morale.
Michel VINCENT, in "Arts Gazette International", le 14/09/2001
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