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Ne pas se résigner

Le pire qu’il puisse arriver à un homme c’est de se résigner 


Le pire qu’il puisse arriver à un homme c’est de se résigner, de considérer que tous les maux de ce monde sont inévitables. C’est à force de nous résigner tous les jours un peu plus que nous avons appris à nos enfants à baisser les bras et à accepter des faits qui ne demeurent immuables que parce que nous les concevons comme tels.

Ne plus se résigner c’est vouloir être les acteurs de notre propre avenir, aspirer à mieux et écarter les pesanteurs et les rigidités qui nous encombrent. Ce n’est pourtant pas là une tâche facile car nombreux sont ceux d’entre nous qui ont appris le conformisme, la peur de l’affirmation de soi. Certains l’ont appris dès l’école au contact de grévistes, de zélateurs du service public, de ceux qui demandent plus qu’ils ne donnent, tous présentés comme des héros, sous le vernis de façade d’une tolérance inculquée par des maîtres d’intolérance. On leur a appris à aimer l’égalité qui nivelle plus que la liberté qui différencie…

Pauvres enfants à qui on a inculqué les limites du médiocre, le culte du médiocre, le modèle hypocrite d’un service des autres qui se traduit par les cris du toujours plus pour nous, le corps constitué, la ruche des fonctionnaires autistes en lutte permanente contre la concurrence, la mondialisation, l’efficacité, la productivité.

Cela a dû commencer bien avant l’âge de 8 ans. Mais c’est justement à 8 ans que ma petite Marie nous remet à ma femme et à moi ce tract que lui a glissé la maîtresse. Un tract qui entonne déjà la gloire de petits intérêts acquis contre le cauchemar d’une société de concurrence et d’efficacité. Ah comme elle serait belle cette société si on la préparait vraiment !

Ma petite Marie ne comprend pas encore grand-chose à cette histoire, si ce n’est que la maîtresse est bien sympathique pour lui accorder ce jeudi de vacances à la maison. Elle ne sait pas encore que la maîtresse lui prépare un avenir toujours plus sclérosé. Ce tract, elle nous le tend sans chercher à le lire, mais elle a certainement entendu que lorsque la maîtresse est en grève c’est pour l’intérêt de ses petits élèves.

C’est d’ailleurs bien ce que prétend le tract. Plus de postes, plus d’argent pour les fonctionnaires, plus d’enfants à l’école puisque la maternelle, pas loin, affirme par la bouche de sa directrice que scolariser les enfants dès 2 ans ce n’est pas un problème. C’est vrai il faut bien se créer des débouchés supplémentaires.

Mais ce jour là quand j’ai reçu le tract des mains de Marie, ma petite postière, je n’avais pas envie de me résigner, de me dire qu’ainsi va le monde de l’Education. Non, ce jour là j’ai répondu ce que bien des parents avaient envie de leur dire, enfin ceux qui ne sont ni trompés par la prose hypocrite, ni résignés par la croyance en un monolithisme de gauche de la Bastille Education.

J’avais envie de leur dire et j’ai osé leur dire que je n’acceptais plus que les enfants soient instrumentalisés au profit d’une cause qui les nie profondément en tant qu’individus. Instrumentalisés donc, aucun autre terme ne convient mieux, puisque nos enfants ne sont que des effectifs et des moyens. En tant qu’enseignant moi-même j’ai voulu leur faire la leçon, leur rappeler notre rôle, leur dire que l’avenir des enfants est notre fin, la seule fin qui doit compter et qui justifie nos efforts. Tout le reste est négligeable et ne devra jamais l’emporter sur notre fonction d’éducateur.

Il fallait enfin leur dire à nos brebis galeuses de l’enseignement qu’éduquer ce n’est pas se substituer aux parents, éduquer ce n’est pas non plus endoctriner ou conditionner les enfants. Et si quelquefois la frontière entre le rôle des parents et celui des enseignants n’est pas suffisamment claire, il convient de poser définitivement certaines bornes.

Ainsi, en tant que père, il m’appartient avec ma femme d’inculquer des valeurs : nous désirons favoriser la liberté et l’initiative de nos enfants contre tout fatalisme, nous voulons qu’ils sachent que l’on n’obtient pas en réclamant mais en méritant, les valeurs d’effort et de mérite sont pour nous fondamentales. Je ne demande pas aux enseignants de faire ce travail à ma place. J’attends seulement d’eux, mais c’est déjà beaucoup, qu’ils soient des modèles de probité, de tempérance, qu’ils instruisent tout en respectant la neutralité idéologique, politique et religieuse de l’école.

J’attends donc d’eux qu’ils ne trahissent pas la confiance que je leur ai donné, j’ai cru n’être ni meilleur ni pire que mes collègues en respectant en tant qu’enseignement les commandements de ma fonction et je sais que le respect de la laïcité telle que je la conçois est la préoccupation de la majorité de mes collègues.

Pourtant ce principe peut facilement être bafoué par un simple tract entre les mains de nos enfants. Bien sûr ce n’est qu’un bon de papier mais par ce torchon là quel exemple ces enseignants donnent à nos enfants ? Déterminisme social plutôt qu’égalité des chances, revendications d’avantages supplémentaires et grèves pour le maintien des acquis catégoriels. Le message est clair, pour avoir il ne sert à rien de faire des efforts, il suffit d’exiger, de menacer, de continuer jusqu’à ce que l’on nous donne.

Je détesterais que mes enfants adoptent ce comportement d’enfants gâtés à qui tout est dû. Pourtant n’est-ce pas là ce que sont devenus les enseignants syndiqués militants de la gauche et de l’ultra gauche ?

A ceux là je dis que nos enfants ne sont pas vos caisses de résonance et vos valeurs sont contre-éducatives. Comment s’étonner ensuite de ce que l’on ne puisse plus réclamer d’efforts aux élèves !

Il est bien plus difficile d’extirper des principes de facilité que de donner une instruction et si l’école des brebis galeuses ne produit que des clones moutonniers, alors il serait temps de retirer nos enfants à de tels éducateurs.

Mais je veux croire encore que je ne fais que dénoncer l’exception et donc, au nom des enfants et de leur avenir, je demande l’application du principe de laïcité et la sanction qui en résulte pour fait d’instrumentalisation des enfants par leurs enseignants.

En conséquence, j’attends de nos autorités académiques qu’elles oeuvrent afin qu’à l’avenir plus aucun tract syndical ne soit ainsi remis aux élèves. Qu’elles interviennent et sanctionnent pour que des enfants ne reviennent pas à la maison en disant : « le maître ou la maîtresse sont en grève et il faut les soutenir parce qu’ils font la grève pour nous ».

Je demande à ce que tout enseignant qui se laisse aller à de tels débordements apprenne qu’il ne peut plus se permettre de répondre aux parents d’élèves que de telles pratiques font partie des usages. Car nul usage ne saurait s’imposer à ce principe constitutionnel qui oblige l'Etat et ses fonctionnaires à ne pas intervenir dans les convictions de chacun.

A l’heure où le principe de laïcité nous vaut un projet de loi relatif à son application, il me semble que ce pays marcherait sur la tête en interdisant des signes religieux à l’école tout en permettant la distribution de matériel syndical et la tenue de propos politiques et idéologiques au nom d’une conception partisane de l’univers enseignant.

Je terminerai donc en rappelant aux enseignants, au parents d’élèves et à nos représentants, ces propos que m’a rapporté un des mes collègues, en considérant que 121 ans après on ne dira rien de plus fort sur le principe de laïcité :

« Vous êtes l'auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père (et/ ou de la mère) de famille ; parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l'on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toutes les fois qu'il s'agit d'une vérité incontestée, d'un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d'effleurer un sentiment religieux « politique ou syndical » dont vous n'êtes pas juge.

Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu'où il vous est permis d'aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir : avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment, car ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre propre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est une de ces idées d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l'humanité. Si étroit que vous semble, peut-être, un cercle d'action ainsi tracé, faites-vous un devoir d'honneur de n'en jamais sortir, restez en deçà de cette limite plutôt que de vous exposer à la franchir : vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée, qui est la conscience de l'enfant. »

Par Jules Ferry, 17 novembre 1883, circulaire aux Instituteurs.

Xavier COLLET, le 31 janvier 2005


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