Le Yogi et le Commissaire

Dans le Yogi et le Commissaire, Arthur Koestler met bout à bout des articles écrits pendant la deuxième guerre mondiale et l'immédiat après-guerre.

arthur koestlerIl y affirme sa croyance en une évolution inéluctable vers le socialisme. Une évolution qu'il appelle de ses vœux mais sous la forme d'un socialisme à visage humain (celui du yogi), un socialisme sans heurts, progressif, heureux. Il y oppose le socialisme des commissaires politiques, ce qui lui permet de faire un procès en règle contre l'Union soviétique et le goulag. Il sera un des premiers à s'en prendre aux délires utopiques des communistes, à leur aveuglement face aux réalités.

Pour Koestler le socialisme n'est pas une panacée et c'est pour cela que la gauche rejettera assez largement sa personne, que ce soient les communistes qui le considéreront comme une " hyène puante valet de l'impérialisme américain " (hé hé, ils ne me connaissaient pas encore) ou les socialistes pour lesquels il deviendra infréquentable.

Cette aveuglement crétiniste il le symbolise en une anecdote :

" A un congrès d'écrivains communistes, après des heures de discours sur le meilleur des mondes en construction, André Malraux demanda avec impatience : " Et l'homme qui est écrasé par un train ? " Il rencontra une stupeur générale et n'insista pas (…) La seule réponse que put obtenir Malraux, après un pénible silence ce fut : " Dans un système de transport parfaitement socialisé, il n'y aura pas d'accidents. "

On en retiendra aussi une réflexion très poussée sur les notions de destiné, de liberté, ainsi que la réponse dans la théorie de l'émergence. Un grand bonhomme ce Koestler, même s'il s'est lourdement trompé sur la nature intrinsèque du socialisme.


La force de la raison

Oriana Fallaci, la force de la raisonDes meurtriers, des terroristes, un célèbre cannibale japonais ont écrit leurs bouquins. On aurait pu penser qu'Oriana Fallaci était une des leurs puisque son éditeur a glissé dans chaque volume de " La Force de la Raison " un avertissement relatif au contenu de l'ouvrage. Effectivement, les Editions du Rocher précisent bien s'être toujours engagées pour " la liberté d'expression sous toutes ses formes " mais insistent sur la nécessité de " lire ce texte avec suffisamment de recul et de sens critique, … ". Diantre la dame aurait-elle réécrit une version des " 120 journées de Sodome " ou un nouveau guide du suicide réussi ? Non, rien de tout cela, en réalité son livre commence comme une réponse à la campagne médiatique la visant et aux menaces de mort consécutifs à la publication en 2002 d'un opus précédent : " La Rage et l'Orgueil ".

Car pour certains Oriana Fallaci est vraiment une criminelle, de celle que l'on peut exécuter à la suite d'une fatwa comme cela est arrivé récemment encore à Théo Klein. Leur crime : une analyse non complaisante de l'Islam, de sa civilisation, de ses pratiques ainsi que de sa volonté hégémonique. Mais cette fois Oriana va plus loin, elle parle de lâcheté de nos institutions européennes (voir la partie consacrée à Eurabia) et d'un véritable complot contre la civilisation occidentale et ses valeurs de liberté. Certes l'accusation est lourde mais elle n'est pas gratuite. Pestiférée pour l'élite du politiquement correct, elle brise le tabou de l'accusation d'islamophobie. Telle une prévenue qui contre-attaque, elle fournit de nombreuses pièces à convictions pour étayer son analyse, nous exposant par le détail comment, au nom de ce qu'elle nomme " Triple Alliance ", les antimondialistes et une partie du clergé catholique ont troqué leur catéchisme révolutionnaire pour l'espoir de mettre à genoux les deux peuples au monde qu'ils haïssent le plus.


Rouge-Brun, le mal du siècle

Rouge-Brun

A l’occasion du soixantième anniversaire du pacte Germano-Soviétique, Thierry Wolton a consacré un ouvrage majeur à l’étude des idéologies totalitaires, son titre : « Rouge Brun, le mal du siècle ». Il s’agit là d’une exercice de bonne foi dont la lecture devrait être rendue obligatoire aux révisionnistes que sont les historiens, les économistes et les sociologues marxistes qui ont toujours refusé de mettre dans le même panier communisme et nazisme. Au-delà des circonstances de l’entente Hitler-Staline, Thierry Wolton remonte la généalogie totalitaire et détermine son fond commun : la haine des libertés individuelles, du capitalisme et du juif présenté tour à tour comme cosmopolite, apatride, avide d’argent et de désordres. Explorant les sources théoriques totalitaires de la Révolution française à nos jours, l’auteur nous démontre que l’idée nationaliste, ferment de révoltes bien plus fécond que la lutte des classes, a été reprise à leur compte par les communistes afin de déclencher des mouvements révolutionnaires dans des sociétés restées féodales. Il analyse ainsi le phénomène national-bolchévique pour nous alerter sur sa résurgence, aiguillonnée par une prétendue « résistance à la mondialisation » unissant nos modernes communisto-fascistes.


Hannah

Ça fait quoi de naître à la fin du dix-neuvième siècle dans un Shetl de Pologne ? Quel avenir pour une petite fille juive pas très jolie dont le village a été ravagé par un pogrom ? Comment survivre à une flambée raciste meurtrière au cours de laquelle on perd un père et où l'on ne doit sa vie qu'à la mort d'un grand frère transformé en torche vivante sous ses yeux ?

La fatalité du rejet, de la misère et de l'analphabétisme réservé aux filles aurait dû faire d'Hannah un héros de souffrance comme " la Mère " de Pearl Buck. Au mieux sa soif de culture aurait pu la transformer en une petite Yentl. Ainsi on s'attend à 600 pages au fond de l'enfer, tant et si bien qu'en commençant un livre comme celui-là on se prendrait presque à appeler de ses vœux la si politiquement correcte discrimination positive.

Et puis Hannah échappe au moule si bien fondu pour elle. Hannah se choisit son avenir, elle sait qu'elle sera riche, il lui suffit de le vouloir. Elle sait que rien n'est impossible à celle qui ose. Elle est culottée Hannah mais elle est surtout une illustration vivante de la théorie de la résilience. Une théorie qu'on préfère oublier aujourd'hui en dépit du fait qu'elle n'ait rien d'utopique. En effet, avec Hannah, Paul-Loup Sulitzer signe le premier tome, à compléter par " L'impératrice ", d'une biographie romancée d'Helena Rubinstein.

Lecture conseillée sous forme de livre de poche, mais depuis peu la version bande dessinée est aussi disponible.


Un auteur éminent

Ah ce passé, où " les pouvoirs du gouvernement étaient limités, où il était responsable devant le peuple " dit George Miller dans " Reconstitution historique ". Le futur est effrayant de socialisme et d'inhumanité (pléonasme), l'être de chair ne s'y croît plus capable de prendre son destin en main et accepte l'esclavage dans lequel le maintient les robots. " De toute façon les humains seraient bien incapables de mener leur vie sans robots. Ils n'ont pas l'intégrité voulu pour gérer la société " voila comment Ed Parks se persuadait de la nécessité de ce servage contre lequel son for intérieur se rebellait. Gérer la société c'est pourtant ce que s'apprête à faire l'humain James P Crow à la suite d'une incroyable entourloupe faite aux robots, mais gère-t-on vraiment une société ? James ne répond pas aux " Vous pouvez me donner une idée du gouvernement que vous allez instaurer ? ", " Comment allez vous changer votre société ? Quelle sorte de gouvernement pour remplacer notre Conseil suprême ? Qui dirigera ? Y a-t-il un humain capable de diriger l'humanité ? " Rien, ces questions n'auraient-elles aucun sens pour Philip K Dick ? Car toutes ces nouvelles de jeunesses, écrites en 1954 sont l'œuvre de celui dont on adaptera des œuvres plus tardives en des films marquants tels Blade Runner ou Total Recall. Dans chacun de ces récits, l'homme se réfugie dans des univers intérieurs en refusant d'affronter un environnement technologique oppressif. Le pessimisme de Dick se lit clairement, les peurs, les mécanismes autodestructeurs à l'oeuvre qui ont inspiré d'autres maîtres de la SF après lui, se comprennent dans le contexte d'une époque où la plus grande innovation technologique n'était autre que la bombe…


Les Thanatonautes

Qu'est ce qui se passe quand on meurt ? Toutes les religions et les philosophies du monde ont répondu à cette question à leur façon, alors Bernard Werber fait le tour des mythes et des écrits peu connus des religions monothéistes à ce sujet.

Il en tire des points communs autour du thème de la réincarnation et du karma. Ainsi le destin ne s'imposerait que de façon limitée à l'homme, c'est à lui de trouver sa voie et porter la responsabilité de ses actes pour ses vies passées et sa vie présente. À partir de là il tisse la trame de son roman autour de quelques personnages sympathiques et notamment du très individualiste Raoul Razorbak, le pionnier des voyages au-delà du mur de la mort. Pour cela il doit faire face à l'incompréhension générale quand cela foire, à l'admiration inconsidérée quand, par hasard, il réussit. Werber représente donc les innovateurs comme des incompris quelquefois misanthropes, d'où le cri de ralliement de Raoul : " toi et moi contre les imbéciles ".

Pour ceux qui n'ont encore jamais lu les Thanatonautes je n'en dévoilerai pas plus car c'est là un livre que je vous conseille chaudement. Je regrette seulement quelques grosses invraisemblances dans la mesure où les corps désincarnés réagissent et où le paradis se retrouve dans notre dimension et peut être situé géographiquement, enfin les Anges y apparaissent imparfaits et noyés dans la bureaucratie. Ce qui nous apporte le savoureux épisode de ronds de cuirs humain cogérant le paradis et y introduisant le trafic de karma, pas de doute Bernard Werber comprend bien les rouages du service public.

L'Ultime Secret

L'ultime secret m'a, je l'avoue, laissé sur ma faim. Rien que le titre avec un cerveau d'une taille plus impressionnante que la noix flétrie de l'anti-mondialiste moyen, me laissait penser à une fiction scientifique. Dans une lignée à la Dantec, je m'attendais à ce que le roman m'ouvre à la compréhension de notre dimension surhumaine, celle qui nous permettrait de faire usage des 90 % restantes de notre capacité cérébrale. Au lieu de cela nous sommes confrontés à une enquête policière menée autour de personnages attachants et récurrents chez Werber.

L'intérêt réside plutôt dans le détail, notamment l'étude d'une certaine nature humaine et de ses monstruosités. On peut suivre ainsi le calvaire d'un handicapé emmuré vivant dans un corps inerte (locked in syndrome) face au sadisme de deux de ses infirmiers. Comme de bons gauchistes à utilité sociale négative, ces petites salopes d'infirmiers considèrent le malade comme un parasite qu'il serait bon de tourmenter. Le parallèle avec les militants d'extrême gauche apparaît en filigrane puisque les tristes sires laissent exprimer une jalousie sociale sans se rendre compte que les mauvais procès qu'ils font à autrui s'adressent avant tout à eux-mêmes. Le médecin-chef aura alors le souci de se débarrasser de ces deux ordures en évitant de se mettre à dos les syndicats, exercice tortueux s'il en est. Rien que ce point là méritait un roman, moins ambitieux dans le propos certes, mais autrement plus édifiant.


Jonathan Livingston, le goéland

Alors que la communauté des goélands passe son temps à se chamailler, à s'agglutiner sur de minces récifs, à se lancer en bande dans des razzias autour des filets de pêche, Jonathan Livingston choisit lui de voler haut dans le ciel à l'écart de ses semblables.

C'est que Jonathan Livingston ne croit pas à ce déterminisme qui lui imposerait l'attitude du goéland grégaire, il décide de s'adonner à ce qui compte le plus pour lui : perfectionner ses techniques de vol. Pour ce crime Jonathan le goéland sera à jamais exclu de sa communauté, mais c'est pour lui une chance, celle de choisir la communauté des goélands libres, ceux dont le vol a vocation à transcender le temps et l'espace. A la tête des goélands libre il osera braver le bannissement, risquer la mort par le bec de ses semblables pour apporter la liberté à ceux qui feront le choix de le suivre.

Mais voici le message qu'il leur porte :
" Il parla de choses fort simples, disant qu'il appartient à un goéland de voler, que la liberté est dans la nature même de son être, que tout ce qui entrave cette liberté doit être rejeté, qu'il s'agisse d'un rite, d'une superstition ou d'un quelconque interdit.
- Rejeté ? demanda une voix partant de la multitude. Rejeté, même s'il s'agit en l'occurrence de la Loi du clan ?
- La seule loi digne de ce nom est celle qui montre le chemin de la liberté, dit Jonathan. Il n'en est point d'autre. "


Le paradigme perdu : la nature humaine

Edgar Morin dans " Le paradigme perdu : la nature humaine " revoit la notion de l'humanité et du vivant à la lumière des théories cybernétiques.
Les cellules, les machines, les sociétés humaines obéissent à des principes organisationnels dont la cybernétique avait fait un premier assemblage. La vie apparaît comme un principe néguentropique, c'est le paradoxe de l'organisation vivante, dont l'ordre informationnel qui se construit dans le temps semble contredire un principe de désordre (entropie). La réponse à ce paradoxe lie l'ordre et le désordre dans un système de réorganisation permanente fondé sur la logique de la complexité. Il fait appel ici à la théorie des automata de Von Neumann examinant la différence entre la machine artificielle et l'organisme vivant (ou machine vivante). La machine artificielle, composée d'éléments fiables, est dégénérative. Alors que la machine vivante est constituée d'éléments peu fiables (molécules qui se dégradent, cellules qui dégénèrent) mais l'ensemble lui est fiable car capable de se régénérer en dépit de très nombreuses pannes qui arrêteraient la machine artificielle. Le désordre interne, le " bruit " (perturbation qui brouille la transmission de l'information), accroît l'entropie de la machine artificielle, il en va au contraire pour la machine vivante dont le bruit toléré s'accroît au rythme de la complexification de la même machine. C'est même l'accroissement du bruit qui permet le développement vers un niveau de complexité supérieur. Le bruit porte en effet du désordre, mais aussi de l'indétermination, du hasard, lesquels sont facteurs d'auto-organisation.

Le vivant est donc un système qui s'auto-organise. Une écologie (science décrivant les relations entre les organismes et leur milieu) peut se concevoir ainsi : la communauté des êtres vivants (biocénose) dans son espace géo-physique (biotope) constitue avec celui-ci une unité globale (écosystème), qui est une totalité auto-organisée. L'écosystème est co-organisateur et coprogrammeur du système vivant qui s'y trouve intégré. Biotope et biocénose sont des systèmes ouverts et plus un système vivant est autonome, plus il est dépendant à l'égard de l'écosystème ; en effet, l'autonomie suppose la complexité, laquelle suppose une très grande richesse de relations de toutes sortes avec l'environnement. Le système auto-organisateur est d'autant plus complexe qu'il est moins strictement déterminé, que les parties qui le constituent sont douées d'une relative autonomie, que le bruit s'accroît.
Ce bruit dans la transmission du message produit des erreurs qui peuvent provoquer une dégénérescence, mais aussi d'une mutation qui accroît encore la complexité. Le hasard de la mutation possède un rôle organisateur du système.

Le cerveau humain représente un pas supplémentaire dans la complexité, dans l'hypercomplexité (un système hypercomplexe est un système qui diminue ses contraintes tout en augmentant ses aptitudes organisationnelles, notamment son aptitude au changement). Ce développement au cours du processus d'hominisation implique donc une plus grande ouverture à l'environnement (naturel et social) et une moindre détermination par les instincts. Le cerveau par voie de mutations acquiert des compétences linguistiques, logiques, heuristiques, inventives. Mais celles-ci ne peuvent se développer que dans un milieu social complexifié par la culture et donc à partir d'une éducation socioculturelle.

L'hypercomplexité du cerveau comme celle de toute structure suppose une moindre hiérarchisation, une moindre centralisation, une faible spécialisation, mais une plus forte dépendance de l'intercommunication (neuronales) donc une plus grande exposition au " bruit ".
Cette plus grande exposition au désordre nous est encore incompréhensible. C'est du cerveau du sapiens qu'est née la conscience en tant que découverte du moi subjectif, de la mort et de l'environnement qui entoure. Elle permet des choix conscients, et une anxiété vis-à-vis de la prise de conscience de sa finitude, elle appelle le sacré à la rescousse, les interdits et les répressions, mais aussi la recherche de la vérité, la science. Un système complexe, a fortiori hypercomplexe est exposé à des désordres tels que les mécanismes régulateurs peuvent se bloquer : c'est la crise. Cette crise peut être féconde car elle peut générer de nouvelles solutions accroissant la complexité du système. Le cerveau humain est un tel système, sa crise résulte en névroses créatives ou au contraire destructive. La complexité permet aussi de comprendre l'évolution de l'humanité.

Le passage de la tribu à la société s'est fait par l'exogamie, les alliances, les échanges. Le clan devient le subsystème d'un métasystème plus complexe. La société tribale n'a pourtant pas évolué à partir d'une contradiction interne, c'est l'action de l'environnement qui a été facteur d'évolution : expansion démographique et concentration dans des régions fertiles, densification de la population qui pousse à l'agriculture plutôt qu'au nomadisme. Les menaces externes (guerres, prédations) vont aussi conduire à une concentration défensive qui mène au développement des villes et des États sous la domination d'un chef qui défend et perçoit le tribut (religion d'État = appareil noologique).

L'État conduit au développement de l'administration, du religieux qui tend à fonder sa légitimité. La concentration entraîne la division du travail, la division territoriale (campagnes, villages, steppes pastorales, villes) et la division sociologique (castes, classes, ethnies, nations).
Pour Edgar Morin, l'État est censé organiser la complexité qui se développe comme le font les organismes pluricellulaires : par hiérarchie et spécialisation du travail. En réalité l'État en tant qu'organisme parasitaire complexifié et légitimé par l'idéologie est un bruit tendant à limiter la complexité tout en l'accroissant dans certaines circonstances dans un jeu de plus en plus complexe du chat et de la souris.
Le communisme primitif (la loi du plus fort en réalité) disparaît au profit d'une hiérarchie stricte (au juste il s'agit d'une hiérarchie plus formalisée ou fonctionnelle).
La spécialisation fait progresser la complexité sociale en multipliant les intercommunications au sein de la société. Elle différencie la société en classes déterminant une culture et une personnalité propre pour chaque groupe professionnel (on parlera plutôt d'un idéal-type au sens de Weber). La spécialisation fait progresser la complexité en multipliant les produits, les richesses, les échanges, les communications, les inventions. Elle permet l'essor des civilisations, le déterminisme des rituels socioculturels et des programmations s'estompe au profit du jeu aléatoire des intérêts socio-économiques. La pensée se libère de la tradition et des dogmes, l'individualisme apparaît, mais aussi l'anomie avec la moindre intégration des individus.

Pour Edgar Morin c'est aussi la polyvalence de l'homme qui disparaît, donc appauvrissement de la personnalité et sous-emploi des aptitudes individuelles pour les opprimés, parasitisme de l'État, des dominants, des possédants.
Sur ce point, il convient cependant de corriger en disant que l'Organisation Scientifique du Travail est une adaptation du travail aux aptitudes de la grande majorité des populations, elle ne développe pas les aptitudes mais ne les réduit pas non plus. Elle est une phase transitoire du développement permettant un contrôle étatique des activités à travers le salariat, donc une exposition à une régression dans le processus de complexification (développement des capacités de contrôle de l'État sur les activités productrices, pesanteur syndicalo-corporatistes, extension du parasitisme).
Mais la contrainte de la réglementation est aussi un message génératif permettant une complexification ultérieure dont les phénomènes de délocalisation et de mise en concurrence des législations, permis par la mondialisation, sont quelques uns des résultats permettant une accélération du phénomène de développement et une diminution des contraintes menant à une hypercomplexité plus grande encore. Cette évolution pourrait ne pas être inéluctable, l'organisme social peut mal interpréter une erreur et permettre la diffusion du message erroné c'est là le phénomène de cancérisation à travers lequel le système immunologique défend une erreur qui se réplique au lieu de la détruire. On peut donc considérer qu'un corps social choisissant la réduction du niveau d'incertitude en sacrifiant la liberté et le développement des interactions au profit de la prévisibilité et de la sécurité par la contrainte, régresserait vers la société tribale.

Effectivement, comme le souligne Edgar Morin, sans partager - loin de là - la logique conclusion libertarienne qui en découle : le développement de l'humanité a toujours eu affaire aux deux types d'erreur, l'erreur ambiguë par rapport à un message génératif, laquelle entraîne éventuellement l'évolution vers plus de complexité, et le leurre qui entraîne échec et désastre.
Toute contrainte est une erreur vitale pour un système hypercomplexe (fondé sur la diminution des contraintes). Toute vérité pour un système hypercomplexe est une erreur pour un système de base complexité. L'acceptation de l'augmentation du niveau d'incertitude implique le développement de schèmes culturels en prise avec l'évolution de l'environnement, elle permettra l'épanouissement des pleines potentialités cérébrales (le développement de l'hypercomplexité cérébrale a besoin de nouveaux développements sociétaux pour être employé à 100 % de ses potentialités) dans une société hypercomplexe totalement auto-organisée, permettant donc à l'homme de développer ses potentialités organisatrices, inventives, évolutives. Ce que l'auteur appelle le quatrième âge de l'humanité soit l'âge symbiotique (après l'âge des primates, l'âge tribal, l'âge historique).


Silbermann

J'ai dû lire un extrait de "Silbermann" au collège, à l'époque ou comme maintenant, nos enseignants considéraient bon de nous éduquer à la tolérance et à l'antiracisme avec les succès mitigés que l'on connaît.

L'extrait portait alors sur le détail d'une persécution que les élèves de troisième d'une école catholique du Paris des années 20 faisaient subir à l'un de leur camarade parce qu'il était juif. On découvre au fur et à mesure avec le narrateur l'imprégnation profonde de l'antisémitisme dans les mœurs françaises de l'époque. Ainsi le véritable héros de l'histoire est celui qui sait choisir le camp du persécuté quand tous les autres hurlent avec les loups. Le narrateur découvre ainsi l'antisémitisme de son meilleur ami, puis celui de tous ses camarades, celui des enseignants, et même de ses parents. À travers ce rejet, il met le doigt sur la mesquinerie, le calcul de ceux qui ne veulent pas déplaire aux puissants. Mais témoignant de sa force de caractère, il refuse de sacrifier son intégrité à ses intérêts. Le narrateur, je suppose qu'il s'agit en réalité de Jacques de Lacretelle lui-même, se coupera de tous les autres, endurera coups, moquerie et rebuffade. Il dévoilera le visage de ceux qu'il tenait pour ses modèles et au-delà de l'antisémitisme, il apprendra, par la bouche de Silbermann, que celui qui est persécuté n'est pas tant le juif qu'il est mais celui qui se montre le plus intelligent, celui qui s'enrichit et suscite donc l'envie des bourgeois qui se croyaient supérieurs.

La fin de ce récit laisse cependant sur un malaise, le narrateur se séparant de tous, va aussi dévoiler Silbermann et Jacques de Lacretelle met dans la bouche du persécuté des paroles confirmant les stéréotypes d'alors mais aussi d'aujourd'hui sur le juif cosmopolite et opportuniste. À se demander si le message que fait passer Lacretelle n'est pas une concession à son temps, et peut-être aussi au nôtre.


Niourk

C'était une époque où l'on croyait que la vie pouvait exister sur Vénus aussi bien que sur Mars, où l'on croyait que les fonds de l'océan pouvaient devenir des poubelles radioactives, que des mers entières pouvaient disparaître … Que des hordes humaines retournées à la condition de Cro-Magnons pourraient survivre dans une précarité digne du paradis communisto-rousseauiste.

C'est vrai que depuis 1956 certains cauchemars se sont réalisés et que la survie de la défunte URSS nous aurait valu d'autres mer d'Aral et d'autres Mourmansk.
Mais c'est aussi une époque où l'on croyait que l'homme pouvait devenir un Dieu, où un auteur français de science-fiction pouvait évoquer les possibilités du clonage humain sans passer en correctionnelle.
Une époque où l'on ne connaissait pas le principe de précaution et où les irradiations ne rendaient pas cons.

Enfin c'était un temps où un auteur de science-fiction pas trop mauvais pouvait arrêter d'écrire pour se consacrer à l'art de la chirurgie dentaire.
C'était donc il y a bien longtemps, puisque désormais le dernier des écrivaillons prétend vivre de sa plume et de nos impôts.

Pour le reste, je vous laisse découvrir cette petite histoire qui ravira surtout les ados en mal de lecture. Le roman se lit vite et met en vedette un bambin noir bouc-émissaire autrement moins naze que Kirikou et dont les aventures sont celles d'un bébé Dieu autodidacte à la conquête des secrets de la montagne de New York. Sibyllin n'est-il pas ? Mais justement quand j'aime bien je ne raconte pas tout…


Lituma dans les Andes

Le brigadier Lituma est un personnage récurrent des romans policiers de Mario Vargas Llosa. On peut penser qu'il lui ressemble un petit peu : courageux, critiques des mœurs de ses contemporains, adepte d'un langage un peu leste et un brin porté sur la chose. C'est un péruvien citadin envoyé aux tréfonds des Andes pour enquêter sur des cas mystérieux de disparition. Au milieu des Indiens Quechuas, lui et son adjoint de la ville, font figure d'extra-terrestre, se heurtant à un gouffre culturel d'incompréhension et à une fatalité de la mort dans le sillage sanglant des terroristes du Sentier Lumineux.

Ce roman est une occasion de nous présenter les mœurs des Indiens, leurs superstitions, leur fatalisme face à une nature hostile peuplée d'esprits méchants à apaiser et dont le terrorisme n'est qu'une des manifestations. Il nous y présente des personnages qui nous feront forcément réagir comme Albert et Michèle, deux enseignants français un peu bohème qui n'en reviennent toujours pas d'avoir été massacrés à coups de pierre pas les sentiéristes. Dans cette galerie figure aussi son adjoint Tomasito, le petit Tomas, amoureux fou d'une pute dont il obtient contre toute attente la rédemption. Ou y trouve encore le simplet, si attachant et cible de toute la méchanceté des Blancs et des Indiens. Le roman est pesant d'un malaise constant face aux différents protagonistes dont peu assument les conséquences de leurs actes. Par bêtise, bassesse, envie, deux villages entiers se rendent coupables d'exactions meurtrières. Mais nul ne se sent plus sale que cela, puisque la faute appartient aux esprits et aux communistes exaltant les ressorts les plus noirs de leurs âmes. Les uns finissent par ressembler aux autres et servent d'alibis communs à la folie de ces hommes.


Les Vertes Collines de la Terre

La deuxième époque de l'histoire du futur, saga d'anticipation de Robert Heinlein, est à mon sens de moins bonne qualité que la première. Les nouvelles qui en constituent la trame sont inégales, mais ne boudons pas notre plaisir, certaines compensent largement l'ennui que j'ai eu à lire d'autres. Ainsi " la longue veille " et " vertige spatial " nous amènent à réfléchir sur le sacrifice individuel et la reconnaissance sociale, qu'il s'agisse de sauver l'humanité ou un chaton. "

Les vertes collines de la terre " vient désacraliser un monstre sacré de la culture terrienne, comme quoi les gens que nos écoles nous forcent à admirer ne sont quelquefois que des larves, Aragon roi des cons disait Bénureau dans son éloge funèbre à Moralès. Enfin la logique de l'Empire insiste sur la condition d'esclaves volontaires, peut-on se vendre en esclavage, cela constitue-t-il un véritable crime de la part des maîtres, est-ce une condition du développement des colonies ??? Bref un ouvrage qui n'apporte pas de réponses mais qui lance des pistes de réflexion politiquement incorrectes.