Consommateurs : les promesses de la mondialisation
La mondialisation marquera sans doute un progrès décisif dans les domaines de l'économie, de la politique et de la morale. Ces progrès sont en réalité ceux qu'apporte naturellement le libre-échange, et ils avaient déjà été évoqués aux XIX° et XX° siècles par des penseurs aussi brillants que Montesquieu, Turgot, Adam Smith, Benjamin Constant et Frédéric Bastiat.
Dans le domaine de l'économie, les performances liées à la mondialisation ne proviennent pas, comme le dit la théorie ricardienne, de la spécialisation internationale. Ricardo a discrédité la science économique et apporté de l'eau au moulin des anti-mondialistes en laissant entendre que la vertu du commerce international était de spécialiser chaque pays dans la production pour laquelle il avait l'avantage comparatif le plus élevé. Dans son fameux exemple de deux pays-deux produits, il en arrive à la conclusion que l'Angleterre doit se contenter de fabriquer du drap tandis que le Portugal doit s'occuper exclusivement de ses vignes. Aujourd'hui, nous trouvons d'éminents esprits, tel Maurice Allais (le seul prix Nobel de Science Economique, hélas), prédire la disparition de l'agriculture française, mais aussi bien de la construction automobile ou aéronautique française, et la seule chance pour les Français serait de se cantonner dans la production d'objets de luxe (encore que les couturiers et les vins italiens leur fassent maintenant une sérieuse concurrence). Or, si nous observons les flux commerciaux actuels, nous nous apercevons que 80 % des échanges sont " intra-branches " (on dit encore des " échanges croisés ") c'est à dire portent sur des produits qui sont offerts par les deux pays échangistes. Comme l'a brillamment démontré Victoria Curzon-Price, un Martien qui regarderait agir les Terriens serait vite décontenancé : il verrait les Français vendre des automobiles aux Italiens, qui en produisent, tandis que les voitures italiennes sont vendues en France, en Angleterre ou en Allemagne, qui produisent elles-mêmes et vendent dans ces autres pays. C'est que l'avantage du commerce international n'est pas la spécialisation, qui est à un faible niveau, au demeurant décroissant, mais la concurrence.
Le commerce mondial est une " machine à laver les entreprises " : elles y pénètrent couvertes de boues, de lourdeurs, de coûts, elles en sortent toutes propres, débarrassées des charges inutiles qu'elles supportaient. Il est à remarquer, au demeurant, que le point de vue ricardien et néo-classique est indûment nationaliste. Ce ne sont pas les nations qui commercent, et qui se spécialiseraient, mais des entreprises. Et il peut y avoir des entreprises très dynamiques dans des pays qui ont globalement une balance commerciale déficitaire. D'ailleurs la " balance " a-t-elle une quelconque signification pour le bien-être d'un pays ? Pourquoi les Américains fonctionnent-ils depuis des lustres avec une balance déficitaire, comme jadis les Anglais d'ailleurs ? La balance est une invention des mercantilistes, soucieux de ne pas voir l'or ou l'argent filer à l'étranger pour régler des soldes nés des transactions commerciales. Les mercantilistes préfèrent réduire le commerce (grâce à un strict contrôle de l'Etat) plutôt que de bénéficier des productions offertes à meilleur prix dans le monde entier. Frédéric Bastiat a tourné en ridicule les théoriciens de la balance en montrant que les importations sont une meilleure affaire pour les consommateurs nationaux que les exportations. Mais Frédéric Bastiat avait pris délibérément le parti des consommateurs, contre celui des producteurs et des gouvernants. Voilà en quoi le libre échange est source de progrès pour l'ensemble des peuples : grâce à la concurrence il oblige les producteurs à se mettre totalement au service des consommateurs.
La mondialisation signifie donc essentiellement la mise à la disposition d'un nombre impressionnant de biens et services aux meilleures conditions pour une part croissante du monde entier. Cette forme de progrès est gardée sous silence. Ordinairement, le progrès n'est vu qu'à travers le personnage du producteur, entrepreneur ou travailleur. On imagine volontiers que l'amélioration des conditions de vie se fait par la croissance des revenus. Mais le pouvoir d'achat n'étant que la seule comparaison des revenus et des prix, une baisse des prix a arithmétiquement le même effet que la hausse des revenus. On pourrait donc en conclure que les deux formes de progrès, par les revenus et par les prix, sont équivalentes. Il n'en est rien. Du point de vue psychologique, les gens préfèrent la hausse des revenus à la baisse des prix. L'une est immédiate, personnelle, visible, l'autre est médiate, diffuse et imperceptible. " Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras " dit-on en français. Les gens préfèrent une meilleure feuille de paye qu'une baisse des prix dans les magasins. Du point de vue de la répartition des fruits de la croissance, les résultats ne sont pas du tout les mêmes. Une hausse des revenus rémunère les producteurs pour les gains de productivité qu'ils ont réalisé : salariés, investisseurs et propriétaires empochent davantage de salaires, d'intérêts et de profits, ils se payent sur la valeur ajoutée qu'ils ont créée, et cela les stimule sans doute. Mais le consommateur ne bénéficie en rien de cette aubaine. Le progrès profite à ceux qui en ont été les artisans directs. Par comparaison, la baisse des prix consiste à demander aux producteurs d'abandonner tout ou partie des gains de productivité qu'ils ont réalisés pour les mettre à la disposition de la clientèle. Ici le progrès va se diffuser dans tous les canaux de la société, parvenir jusqu'aux plus éloignés, aux plus démunis, à " la grande famille humaine ", disait Bastiat qui précisait : " La concurrence est cette force humanitaire qui arrache le progrès, à mesure qu'il se réalise, des mains de l'individualité, pour en faire l'héritage commun de la grande famille humaine ".
Dans ces conditions, le débat autour de la mondialisation prend une dimension considérable : il n'est autre que le vieux conflit d'intérêts entre producteurs et consommateurs. Et l'on comprend la mobilisation des groupes de producteurs, tant industriels qu'agricoles. En dehors de son mérite de " socialiser ", de " démocratiser " le progrès économique, la concurrence a aussi l'avantage de stimuler sans cesse l'innovation. Dans des marchés peu actifs et peu concurrentiels, les entreprises ont tendance à " s'endormir sur le mol oreiller du profit " (Schumpeter). Avec la mondialisation, il y a toujours quelque concurrent réel ou potentiel qui peut tirer parti de la passivité d'une entreprise, incapable d'innover. Tout le monde est donc incité à être en avance d'une idée, d'une technique, car dans ce climat seule l'innovation permet de profiter pendant un court instant de la situation dominante et privilégiée que donne l'innovation. Ensuite, les imitateurs viendront contester les innovateurs et les marges bénéficiaires vont fondre comme neige au soleil. Il faut ainsi innover en permanence si l'on veut maintenir sur une longue période une haute rentabilité de l'entreprise.
Cet aiguillon de la concurrence est amplifié par la mondialisation de la finance. En effet des capitaux sont en permanence en quête de haute rentabilité. La masse de capitaux détenus par les fonds de pension, en particulier, se déplace vers les entreprises et les activités les plus performantes. Et on sait dans une entreprise qu'en dessous d'un certain seuil de rentabilité, le cours des actions peut soudainement chuter, et les directeurs en place peuvent y laisser leur situation : la " gouvernance " des entreprises est donc devenue, surtout pour les grandes sociétés par actions, une nécessité absolue, et elle pousse à une productivité sans cesse croissante. Certes il y a des abus dans ces sanctions parfois hâtives et inconsidérées, ou dans cette recherche de très hautes performances (comme on le voit avec l'évolution du NASDAQ à l'heure actuelle). Mais le principe n'en demeure pas moins sain, puisqu'il revient à mettre l'entreprise sous contrôle du profit, c'est à dire sous contrôle de la concurrence, c'est à dire sous contrôle de la clientèle.
Jacques GARELLO, extrait de "La mondialisation, vue par les marxistes et par les libéraux, 2001
1. Rappelez
la loi des avantages comparatifs de Ricardo et la réalité des échanges
intra-branches, y voyez vous une contradiction ?
2.
Rappelez ce que sont les principes mercantilistes et en quoi consistent leurs
erreurs ?
3. En quoi la
mondialisation permet-elle une hausse du niveau de vie des consommateurs ?
4.
Devrait-on favoriser la hausse des salaires ou la baisse des prix ? Argumentez
5.
En quoi consiste la mondialisation de la finance, en quoi permet-elle de renforcer
le souci du service des entreprises ?