La mondialisation, un phénomène économique, social  et culturel


Ce cours a été repris à partir de l'article ci-dessus de Pascal Salin, mais aussi à partir d'un article "Mais pourquoi cette haine des marchés" écrit en juin 1997 par Martin Wolf du Financial Times

I. Le phénomène de mondialisation

A. Définir la mondialisation

Le Fonds monétaire international (FMI) définit la mondialisation comme « l’interdépendance économique croissante de l’ensemble des pays du monde, provoquée par l’augmentation du volume et de la variété des transactions transfrontières de biens et de services, ainsi que des flux internationaux de capitaux, en même temps que par la diffusion accélérée et généralisée de la technologie ».

Elle consiste donc en les conséquences de la libre circulation des biens, des services et des capitaux par delà les frontières des Etats.

 

Évolution des mouvements internationaux de capitaux (milliards de dollars, moyenne annuelle)

 

1976-1980 1981-1985 1986-1990 1991 1992 1993 1998
Investissements directs 39 43 163 184 173 173 611
Investissements de portefeuille 26 77 215 340 326 620 923

 

L'extraordinaire développement de la circulation internationale des capitaux, dont les flux mondiaux sont 70 fois plus importants que les flux d'opérations courantes, représente une manifestation de ce que permet la mondialisation, fruit de la déréglementation et des NTIC. Les moyens techniques permettent de relier en permanence l'ensemble des places financières du monde sur lesquels se déplacent des capitaux à la recherche des placements les plus attractifs (fonds de pension, fonds spéculatifs). Ainsi les politiques de chaque pays sont jugées en permanence, attirant ou effrayant les investisseurs, la désintermédiation permet aux entreprises porteuses de projet de s'abstraire des contraintes de financement posées par les Etats.

Mais nous verrons aussi que la mondialisation possède des aspects culturels : on parle aujourd'hui du village global comme si les différentes cultures se rapprochaient.

 

B. Pourquoi la mondialisation s'est-elle enclenchée ?

               1. Dater la mondialisation

La part du commerce international dans le produit mondial est de 20 % en 2000, elle était de 7,1 % en 1950, mais de 12 % en 1913, niveau que l'on ne retrouve qu'au début des années 1980. De plus, comme l'explique André Fourçans : "Les flux financiers entre l’Europe, l’Amérique du Nord, le Japon, l’Argentine et l’Australie étaient notablement plus élevés, en proportion de la richesse produite, entre 1870 et 1914 qu’entre … 1970 et 1996, comme l’a montré Maurice Obstfeld, professeur à l’université de Berkeley. Quant à la France, sa situation est encore plus révélatrice : si de 1990 à 1996 les flux de capitaux représentaient 0,7 % de la richesse nationale, ils s’élevaient à 2,4 % entre 1870 et 1889, soit quelque trois fois plus." La mondialisation des échanges commerciaux et des capitaux n'est donc pas si nouvelle, mais elle prend aujourd'hui une autre dimension par contraste avec le protectionnisme qui s'empara de la planète après la première guerre mondiale. Il faudra aussi attendre l'ouverture des marchés des capitaux à la fin des années 1980 pour qu'explosent les flux de capitaux : 2 000 milliards de dollar circulent chaque jour alors que les échanges commerciaux journaliers se montent à quelques dizaines de milliards de dollars par jour.

2. Application des progrès technologiques

C'est surtout les technologies de l'information et de la communication, l'abaissement du coût des transports qui ont permis plus facilement la rencontre des producteurs et des consommateurs du monde entier. Et là encore comme nous l'avons vu pour la croissance et le développement qui sont des phénomènes cumulatifs engendrant un cercle vertueux. Le développement des technologies et de la concurrence se renforcent aussi l'un et l'autre. Comme l'a écrit Friedrich Hayek la concurrence est un processus de découverte dans le sens où la concurrence permet la transmission d'informations. C'est par la connaissance d'une concurrence satisfaisant mieux et moins cher les besoins de sa clientèle, que les producteurs sont poussés à découvrir le secret d'une plus grande efficience. Donc la concurrence pousse aux cinq types d'innovations dont parle Joseph Schumpeter.

On peut vérifier que les innovations actuelles ont ouvert une concurrence mondialisée, qui elle même a développé les innovations. Ainsi, entre 1930 et 1990, le prix moyen facturé pour chaque mile de transport aérien a baissé de 0,68 à 0,11 dollar ; celui d’une communication téléphonique de trois minutes entre Londres et New York est passé de 244,65 à 3,32 dollars. Entre 1960 et 1990, le coût d’une unité de puissance informatique a décru de plus de 99 %. De l’amélioration des communications est née une innovation organisationnelle : la firme multinationale, superbe mécanisme de transfert de technologies par-delà les frontières.

La technologie rend la mondialisation possible. La libéralisation la déclenche.

         3. Organiser la libération des échanges

Et la libéralisation a été au rendez-vous : entre 1970 et 1997, par exemple, le nombre de pays ayant aboli les contrôle des changes affectant les importations de biens et de services est passé de 35 à 137. On peut donc insister encore une fois sur le fait que l’économie mondiale des annés 1980 était moins intégrée qu’avant la première guerre mondiale. A leur apogée d’avant 1914, les sorties de capitaux britanniques avaient représenté jusqu’à 9 % du produit intérieur brut (PIB) du Royaume-Uni, c’est-à-dire, en proportion de leur PIB respectif, deux fois plus que celles de l’Allemagne et du Japon dans les années 80. A l’époque, il existait une monnaie unique mondiale : l’or. Et, au tout début du siècle, le nombre de travailleurs franchissant les frontières était plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui. L'éclipse de la mondialisation fut marquée d'une part par la volonté de développement autarcique des totalitarisme (nazisme, fascisme, communisme) et par l'acceptation keynésienne du protectionnisme. La mondialisation fit timidement son retour dans les années 70. Ainsi, dès 1970, la part des exportations rapportée à l’ensemble de la production était revenue à son niveau de 1913. Depuis, elle est montée de 12 % à 17 %. Des organismes internationaux comme le GATT puis l'OMC ont défendu un "libre échange encadré" avec des moyens de pression dans le cadre de l'OMC, on peut leur imputer partiellement cette ouverture commerciale.

De plus, la fin de l'économie d'endettement laisse sa place à d es marchés financiers hautement intégrés, les technologies sont transférées à des rythmes sans précédent et les gouvernements sont de plus en plus liés par des accords multilatéraux. Pourquoi tant de gouvernements ont-ils choisi - ou été contraints - de s’ouvrir à l’économie mondiale ? La réponse tient dans les leçons de l’expérience. Les Etats ont le pouvoir de mettre leurs citoyens en prison, mais ils ne peuvent pas obliger des prisonniers à faire preuve du même esprit d’initiative que des individus libres.

 

II. Enjeux politiques et économiques de la mondialisation

A. Les États sous la contrainte extérieure

La contrainte extérieure a toujours existé et les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 nous le rappellent. Mais elle est d'autant plus contraignante pour les politiques des États que leurs frontières sont ouvertes aux marchandises, aux services et aux capitaux.

1. Un affaiblissement de l'interventionnisme

Ainsi le modèle de l'après-guerre est celui d'économies relativement fermées dans lesquelles le protectionnisme reste fort et les capitaux peu mobiles. La contrainte extérieure impose tout de même un équilibre de la balance commerciale, laquelle peut être maintenue en cas de faible compétitivité par la taxation des importations et une éventuelle dévaluation pour développer les exportations. Les entreprises locales peuvent ainsi se protéger de la concurrence internationale donc accepter des coûts liés aux réglementations locales (charges et contraintes sociales) dans la mesure où les concurrents locaux sont rangés à la même enseignes ; quant aux gouvernements, ils peuvent imposer les politiques qu'ils souhaitent.

Mais tout change avec la perméabilité des frontières : les Etats ne peuvent plus facilement contrôler, comme ils le faisaient autrefois, les créations de richesses, leur circulation et leur répartition. La concurrence fiscale et réglementaire permet par exemple de s'installer là où les réglementations sont moins contraignantes et spoliatrices. En ce sens la mondialisation développe les capacités productives des entreprises et marque un recul du pouvoir d'intervention des Etats, lesquels ne peuvent plus utiliser l'arme du crédit sur les entreprises (les marchés des capitaux n'ont pas de frontière et l'époque de l'économie d'endettement est révolue) et peinent à mettre en place des politiques protectionnistes (sauf les politiques industrielles de subvention dénoncées par la Commission Européenne).

La concurrence et les changements de perspectives économiques qui accompagnent nécessairement la mondialisation ont curieusement des incidences politiques majeures. En effet la mondialisation ne crée pas seulement une concurrence entre entreprises, mais aussi entre Etats, et va donc avoir le double effet de libérer les Etats de la pression des groupes d'intérêt et d'alléger la part de l'Etat dans la vie sociale.

Les Etats étaient les complices et les artisans du protectionnisme tant qu'ils opéraient souverainement à l'intérieur de leurs frontières. Mais déjà les traités de commerce, surtout lorsqu'ils s'assortissaient de la clause de la nation la plus favorisée, avaient au XIX° siècle diminué le degré de liberté des gouvernements, obligés de respecter leurs engagements. Maintenant, tout effort des Etats pour soustraire leurs nationaux aux disciplines du marché risque d'être vain. On le voit bien en France. C'est au nom du traité de Maastricht et de la construction européenne que l'on a abandonné ce qu'il y avait de plus outrancier dans la politique agricole commune et dans la protection des paysans français. Au nom de la concurrence la France a été obligée de privatiser ses télécommunications, la Régie Renault, les banques nationalisées, etc.

Finalement les Etats ne peuvent plus rien pour protéger leurs nationaux. Voilà qui pourrait desserrer l'étau dans lequel ils étaient prisonniers, et redonner à la démocratie un visage plus sympathique que celui de la distribution de prébendes et de privilèges aux amis et soutiens du pouvoir. A leur tour, les Etats devront desserrer l'étreinte sur les particuliers, et notamment sur les entrepreneurs. En effet, dans la compétitivité internationale, l'avantage ira aux ressortissants des Etats ayant la main fiscale et réglementaire la plus douce. L'harmonisation des impôts et des législations se fera nécessairement dans le sens de l'allègement, puisque les économies sont plus performantes quand elles sont plus libres, comme le montrent les statistiques sur les " indices de liberté économique ". Il y aura donc nécessairement une reconsidération du rôle de l'Etat, qui se cantonnera de plus en plus dans ses tâches " régaliennes " comme la police, la justice et la défense. Ce sera la fin de l'Etat Providence. Un certain nombre de socialistes s'en rendent compte et le déplorent. On peut par exemple citer le très récent ouvrage écrit par une vingtaine d'énarques, hauts fonctionnaires français " Notre Etat " : " Le bon vieil Etat jacobin a donné toute sa mesure depuis deux cents ans, il s'essouffle et fait peine à voir. "

Jacques GARELLO in "La mondialisation, vue par les marxistes et par les libéraux", 2001

2. Les politiques économiques inefficaces

Le volontarisme étatique est aussi condamné. Bien sûr les politiques de relance keynésiennes peuvent utiliser les leviers du budget, accroissant déficits, endettement et inflation afin de stimuler la demande effective, tout en actionnant les leviers de la monnaie par la baisse des taux favorisant l'investissement. Que ces politiques fonctionnent est une toute autre histoire, mais ce qui est certain c'est qu'elles ont des effets nocifs et sont largement inefficaces dans le cadre d'une économie ouverte. En effet la relance inflationniste va nuire à la compétitivité des entreprises locales donc va avoir pour effet d'augmenter les importations, de limiter les exportations, de faire fuir les capitaux (par la baisse des taux), l'endettement ne pourra alors se résorber (l'assiette fiscale n'augmente pas), la croissance ne pourra décoler et le chômage se maintiendra. C'est la stagflation.

B. Les entreprises face à une concurrence mondialisée

1. La course à la réduction des coûts

La mondialisation est avant tout à l'avantage des consommateurs qui, devant la concurrence internationale des entreprises, ont accès à des gammes de produits plus importants à des prix moins élevés, la baisse mondiale de l'inflation peut aussi être imputée à la concurrence internationale, et donc la hausse du pouvoir d'achat.

Les consommateurs, premiers gagnants de la mondialisation

Ainsi, si elle est une chance pour les consommateurs, elle est aussi une contrainte pour les entreprises. Elle impose l'excellence aussi bien en matière de prix que de qualités car même si un monopole se constitue, sans la protection des États il sera contestable. Or l'ouverture des marchés à la concurrence cela signifie aussi la fin des monopoles dits "de service public" : ouverture de la téléphonie à la concurrence, puis progressivement de l'énergie en dépit du conservatisme des syndicats refusant la compétition dans les secteurs autrefois monopolistiques.

La première conséquence de l'ouverture des marchés est donc une course la baisse des prix, donc des coûts. Ceci impose dans l'industrie, où les investissements sont particulièrement coûteux, un mouvement de fusion-acquisition nécessaires dans un contexte où la taille critique augmente (voir stratégie des entreprises : la chimie de base).

L'innovation joue également un rôle important, mais les nouveaux produits issues des technologies émergentes vont connaître une baisse rapide de leurs prix (téléphones portables, appareils photo numériques, ordinateurs, ...) impliquant un impératif constant de réduction des coûts de production. Dans les secteurs industriels à forte possibilité d'économies d'échelle, l'abaissement des coûts impose donc des mouvements de concentration pour atteindre la taille critique.

La taille et l'implantation sont donc des avantages pour les activités manufacturières en matière de coûts puisque :

l'implantation des unités de production dépend des avantages/inconvénients des pays en terme de productivité/ coûts de main d'oeuvre, de législation et de fiscalité ;
la taille permet de diminuer les coûts unitaires de production.

2. La course aux dividendes maximum

Au-delà de la course à la réduction des coûts, les dirigeants des entreprises sont aussi confrontés à la recherche par les actionnaires des rendements les plus élevés. La mondialisation des capitaux met ainsi fin à ce que Galbraith appelait la technostructure, c'est-à-dire la toute puissance des managers salariés qui imposaient leurs choix aux actionnaires et favorisaient les salaires et l'autofinancement au détriment des bénéfices. Effectivement, la capacité des actionnaires au travers notamment des gigantesques fonds de pension, de voter avec leurs pieds en cherchant les entreprises qui dans le monde assurent de forts dividendes, imposent aux entreprises côtées sur les marchés de redonner le pouvoir aux propriétaires des capitaux, on parle là de corporate governance. A ce sujet les syndicats dénoncent une course vers la satisfaction des actionnaires au détriment des salariés, les grandes entreprises se retrouvent accusées d'amputer leur masse salariale au profit de la part versée aux dividendes dans la valeur ajoutée. Ils opposent ainsi les intérêts des travailleurs à ceux des apporteurs de capitaux comme le faisait Marx, mais c'est oublier que ces apporteurs de capitaux sont la plupart du temps eux-mêmes des salariés dont l'épargne retraite est gérée par les fonds de pension. C'est donc le système d'assurance sociale qui fait là toute la différence puisque le système par répartition opère une dichotomie entre salariés et actionnaires au contraire du système de capitalisation.

 

III. La mondialisation au service du développement ?

A. Des perdants à la mondialisation ?

1. Echange inégal ? - les pays pauvres encore plus pauvres ?

En référence au commerce entre pays inégaux. Il est vrai que le commerce intra-branche devient dominant dans le commerce international et que la majeure partie des échange se fait entre pays des mêmes blocs régionaux (à l'intérieur de l'UE ou de l'ALENA). Mais le commerce implique de la part des échangeurs des besoins différents et des spécialisations différentes, donc le commerce entre pays inégaux n'est en rien un commerce inégal puisqu'il est à somme positive même si les termes de l'échanges peut favoriser plus un pays que l'autre. La loi des avantages comparatifs de Ricardo montre démontre d'ailleurs cela. Parler de commerce inégal pour suggérer l'autarcie aux PED est une façon de prôner le protectionnisme.

La mondialisation est source de richesse pour les plus pauvres

L'échange inégal existe pourtant mais pas de la façon dont on le croit. Ce sont les entraves à la mondialisation qui le créent, quand par exemple un pays développé augmente les droits de douane sur des exportations de PED tels que les produits agricoles ou les produits à forte intensité en main d'oeuvre non qualifiée, sous prétexte de protéger son industrie. Ce protectionnisme n'a pas disparu et reste admis par l'OMC sous la forme de droits anti-dumping abusifs. Dans le cadre de la Politique Agricole Commune, la pratique protectionniste constituant à subventionner les exportations prive les PED de débouchés à leurs produits traditionnels et appauvrit les paysans du Tiers Monde.

A ceux qui penseraient que la mondialisation serait un stade supérieur d'impéralisme permettant aux puissances déjà riches de se développer en pillant les ressources du Tiers-Monde, une confrontation avec l'étude de David Dollar et d'Art Kraay serait tout à fait indiquée. Effectivement, ces deux économistes de la Banque Mondiale ont tiré de leur étude portant sur des statistiques de croissance sur quarante ans (1960-2000) pour 125 pays, la loi du "One To One". Cette loi énonce que la croissance du revenu des pays les plus pauvres augmente dans la même proportion que le revenu moyen par habitant dans l'ensemble des 125 pays. "Une augmentation de 1 % du revenu moyen mondial par habitant donne une augmentation de 1 % du revenu moyen des pays les plus pauvres ".

Bien sûr certains pays s'en sortent moins bien que d'autres et sur ces quarante ans les pays les plus pauvres qui se sont insérés dans la mondialisation connaissent une hausse du revenu moyen par habitant plus forte que la moyenne mondiale, alors que cette hausse peut ne pas avoir lieu chez les oubliés du commerce mondial. Dollar et Kraay nous l'illustre à travers le développement d'un des pays les plus pauvres au monde qui profite actuellement de la mondialisation : le Vietnam.

Ils montrent qu'avant la libéralisation du début des années 1990, la population paysanne dans sa presque intégralité vivait très mal de la riziculture. Mais en 1998 l'ouverture au commerce international leur avait permis de vendre le riz plus cher et de bénéficier de fertilisants meilleur marché. Le revenu paysan avait donc pu largement augmenter. De 1993 à 1998, parmi les paysans de l'échantillon observé, Dollar et Kraay ont constaté que dans chaque famille certains sont devenus citadins pour s'employer dans les nouvelles usines étrangères. Les nouveaux ouvriers profitaient ainsi des délocalisations et sans qualifications ont vu leurs revenus mensuels passer à 50 dollars en 1997 alors qu'ils n'étaient que de 9 dollars en 1989. Quant aux plus qualifiés, encore trop rares, ils ont pu bénéficier de salaires très intéressants pour le commun des Vietnamiens.

A ceux qui pensaient que les salariés des PED étaient exploités par les multinationales il importe donc de rappeler que les FMN y rémunère en moyenne leurs salariés locaux deux fois plus que les employeurs du pays dans un même secteur d’activité, que les salariés dans les secteurs exportateurs sont les mieux payés et enfin que les multinationales américaines sont celles qui paient le plus : en moyenne 8 fois plus que le salaire moyen du pays !

La mondialisation expliquée à ma fille

2. Destruction d'emplois - les pays développés touchés par la pauvreté ?

Au cours des deux dernières décennies, les écarts de salaires se sont fortement creusés entre travailleurs qualifiés et non qualifiés des économies développées, ou bien le chômage de ces derniers y est allé en augmentant, ou bien les deux phénomènes se sont combinés. Cela malgré la progression de l’offre de travailleurs qualifiés. Certains font porter la responsabilité de cette évolution à la concurrence croissante des pays à bas salaires. On peut effectivement avoir cette impression, mais les faits montrent qu’elle est largement erronée.

La théorie est simple : les importations en provenance de pays disposant d’une relative abondance de travailleurs non qualifiés devraient faire baisser les prix des produits qui utilisent cette main-d’oeuvre de manière relativement intense. Cela conduira à faire évoluer la production des pays développés vers les produits à forte intensité de main-d’oeuvre qualifiée, accroissant la demande pour cette dernière et faisant chuter celle de travailleurs non qualifiés. Il s’ensuivra soit un écart accru entre les rémunérations des travailleurs qualifiés et celles des travailleurs non qualifiés, soit une poussée du chômage chez ces derniers.

Cette théorie est élégante. Mais les données disponibles donnent à penser que les prix relatifs des biens produits par de la main-d’oeuvre non qualifiée n’ont pas diminué, sans doute parce que les importations de pays comme la Chine ont remplacé celles de pays comme la Corée, plutôt que les productions de pays développés. De plus, les importations de marchandises des pays en développement ne représentent que 3,8 % de la production totale des économies avancées. Dans un document de travail du FMI, « The Effect of Globalisation on Wages in Advanced Economies », Matthew Slaughter, de Dartmouth College, et Philip Swagel, du FMI, concluent que « l’augmentation du commerce explique seulement entre 10 % et 20 % des modifications intervenues dans la répartition des salaires et des revenus dans les pays développés ».

3. La question du "dumping social"

L'une des accusations les plus souvent portées contre la mondialisation est celle du dumping social. En favorisant l'implantation dans les pays dans lesquels les réglementations fiscales mais aussi sociales, la mondialisation serait destructrice de règles et de droits acquis. Le terme de dumping social a ainsi été utilisé la première fois lors de la délocalisation de l'usine Hoover de la France vers l'Ecosse, les employeurs ayant licencié des salariés pour créer des emplois ailleurs en limitant le coût de la masse salariale et en améliorant la flexibilité du travail.

Mais l'accusation de dumping social porte de plus en plus souvent sur les travailleurs des PED. Pourtant dire que les Chinois menacent l'emploi des Français lorsqu'ils sont payés 20 fois moins n'a pas de sens, il faut raisonner en fonction de la productivité des uns et des autres et on constate que la main d'oeuvre faiblement qualifiée des PED est certes moins payée mais elle est aussi moins productive. Ainsi comme le dit Zaki Laïdi dans "Malaise dans la mondialisation" : "Pour un ouvrier français qualifié, le concurrent est européen et américain plutôt que bengali, sauf naturellement pour certains produits utilisant une forte main d'oeuvre. Car c'est avec les Européens et les Américains que la France commerce le plus. C'est donc avec les pays ayant des niveaux de salaires et de productivité équivalents que la concurrence est la plus sensible. Et c'est dans ce contexte que la question de la compétition entre systèmes sociaux entre en jeu. En effet, quand vous vous trouvez en concurrence avec des pays qui produisent les mêmes produits que vous, à des salaires équivalents et à des niveaux de productivité comparables, la différence va porter sur les composantes du coût du travail qui ne relvent pas du salaire, c'est-à-dire les charges sociales, autrement dit la protection sociale. Avec l'intensification de la concurrence, cette dimension sera de plus en plus présente."

Les syndicats, se voulant garants des droits acquis et de nouveaux droits à acquérir sont donc les premiers à dénoncer les implications de la mondialisation sur le monde du travail et le système de protection sociale à la française : la limitation légale de la durée du travail, les réglementations du travail et le système de financement de la Sécurité sociale seraient menacés face à la compétition que se livrairaient les pays pour attirer l'activité. Le chômage important en France serait donc bien la conséquence d'un droit du travail rigide.

Les anti-mondialistes mettent l'accent sur deux périls aussi graves l'un que l'autre :

- d'une part les pays pauvres sont exploités par le capitalisme mondial qui vient s'installer dans le Tiers Monde pour tirer le meilleur parti de ressources naturelles abondantes et surtout d'une main d'œuvre bon marché ;
- d'autre part les producteurs des pays riches sont menacés par ces délocalisations, mais aussi par les exportations des pays émergents puisque la concurrence est faussée par le " dumping social "(Jacques DELORS) que pratiquent ces pays.

Jusqu'à un certain point les deux arguments sont contradictoires, puisque les mêmes personnes soutiennent que les pays pauvres sont exploités (donc ne peuvent pas nuire puisqu'ils sont les victimes du commerce mondial), mais aussi qu'ils sont dangereux (puisqu'ils perturbent le commerce mondial). La contradiction disparaît si l'on songe que dans l'esprit de ceux qui utilisent ces arguments, il y a un coupable et un seul : le capitalisme, qui prend des aspects différents suivant les pays considérés. Mais surtout ces arguments sont vides de sens, puisque ce sont incontestablement les pays les plus ouverts au commerce mondial et aux capitaux étrangers qui ont réussi leur décollage, et où le produit par tête s'accroît à une vitesse spectaculaire. Par voie de conséquence, les écarts de revenus entre les individus eux-mêmes sont en train de se résorber dans ces pays émergents, même si les vestiges de la pauvreté récente sont encore très visibles. Quant au " dumping social " il signifie simplement qu'avant d'acquérir des " droits sociaux " et de prévoir des retraites confortables, les individus les plus pauvres désirent acquérir le droit de survivre, et peut-être de préparer très modestement l'avenir. On pourrait évidemment obliger les habitants des pays pauvres à avoir deux voitures, une résidence secondaire, et à manger caviar et foie gras: c'est ce que souhaitent implicitement ceux qui déclarent qu'on ne peut soutenir la concurrence avec des gens " qui se contentent d'un bol de riz " (à moins qu'ils ne veuillent suggérer que les Européens devraient aussi se mettre au bol de riz). Mais les bas salaires sont acceptés et préférés à pas de salaire du tout. Cette observation statique doit nécessairement se compléter d'une perspective dynamique. A terme, les salaires ne manquent pas d'augmenter avec la productivité. A terme, les familles investissent davantage dans l'éducation et la formation, et ce " capital humain " rapportera plus tard des revenus supérieurs. A terme, les niveaux de vie, sans aller jusqu'à la convergence totale, se rapprochent entre les personnes appartenant aux pays émergents et aux pays anciennement développés. N'est-ce pas le phénomène que l'on a observé naguère en Europe ? L'Espagne accueillait l'industrie automobile parce que les salaires y étaient 25 ou 30 % inférieurs à ce qu'ils étaient ailleurs ; aujourd'hui les niveaux sont comparables. Et que dire du Japon, dont on a prétendu pendant des années que sa prospérité venait du très faible niveau de salaire, alors qu'aujourd'hui le revenu par tête est supérieur à celui de la plupart des pays européens ? La mondialisation n'est pas source d'écarts " injustes ", elle tend au contraire à permettre à des gens et des peuples pauvres de prendre le train du développement et de rejoindre les autres, même avec un décalage transitoire.

Jacques GARELLO

1. Montrer en quoi, selon les marxistes, le dumping social est compatible avec l'exploitation des travailleurs des PED ? Armée de réserve industrielle.

2. Selon vous cette "exploitation" des travailleurs des PED les enferme-t-elle dans la pauvreté ? Courbe en U inversé de Kuznets.

3. L'obtention de droits sociaux dans les PED permettrait-elle le développement ? Non, elle détruirait leur avantage dans la compétition internationale.

4. Des clauses sociales et environnementales

Des clauses sociales au commerce international consisteraient à restreindre les importations de produits fabriqués dans des pays où les salaires seraient faibles, les mineurs au travail et les droits syndicaux inexistants (selon les critères de l'Organisation Internationale du Travail), les clauses environnementales reviennent au même principe et ont pour but de sanctionner les productions polluantes et non conformes au respect du critère de développement durable. Ces clauses seraient pour leurs défenseurs une façon de contrer le "dumping social". Mais elles ignorent le fait que des garanties sociales ne peuvent être offertes qu'au cours d'un processus long de développement de la productivité, par exemple la réduction du temps de travail à salaire égal n'est pas possible sans hausse de la productivité.

Des clauses sur le travail des enfants

Par ailleurs les PED voient dans l'éventuelle mise en place de ces clauses une nouvelle forme de protectionnisme à leur encontre. Il faut rappeler à cet égard que l'ouverture des marchés mondiaux s'est fait au cours des cinquantaine dernières années avec des exceptions pour les produits agricoles et les produits textiles. Or les uns et les autres sont des secteurs pour lesquels les PED possèdent des avantages comparatifs en raison de leur abondante main d'oeuvre non qualifiée. La CNUCED a estimé que le manque à gagner par le protectionnisme sur ces secteurs représente une perte de 700 milliards de dollars par an, soit 14 fois le montant de l'aide au développement accordé à ces pays.

Jean-Marc Siroën montre aussi que sans aller jusqu'aux clauses sociales et environnementales la généralisation de la labellisation est facteur d'exclusion des produits non labellisés conduisant à pénaliser les PED face aux pays industrialisés qui disposent d'un avantage comparatif dans la production de biens satisfaisant aux plus hauts critères sociaux et environnementaux. A cela Diana Brand et Ralf Hoffmann ajoutent que " parce que le caractère "insupportable" de l'augmentation des charges liées au travail ne concernerait que les pays ne pouvant supporter le surcoût associé, certains pensent qu'une harmonisation mondiale en matière de normes de travail frapperait de plein fouet les pays les plus pauvres, qui ne sont pas précisément ceux auxquels on reproche habituellement de pratiquer le "dumping social"".

Plus qu'une chance, la mondialisation est LA chance des pays pauvres. Les efforts des antimondialisations et des Etats du Nord, plus particulièrement de la France, vont dans le sens de l'exclusion de ces pays. Comment s'étonner alors que les pays les plus pauvres dénoncent la volonté d'imposer des clauses sociales ou environnementales ? Clauses qui en fait n'ont été introduites non par d'hypocrites préoccupations morales, mais pour exclure une concurrence préjudiciable aux entreprises des pays riches. C'est le même réflexe protectionniste du Nord qui est dénoncé par des ministres brésiliens et sud-africains qui remarquent que le marché agricole mondial est faussé par des subventions d'un milliard de dollars par jour des pays riches dans ce secteur. J'en passe pour le secteur textile et tout le reste. N'oublions pas après tout qu'en à peine plus de 30 ans la Corée du sud est passée du statut de pays pauvre à pays riche à coups de ce que certains qualifieraient de " dumping social ". A côté la Corée du nord, par les merveilles du socialisme, n'ennuie pas un seul lobby de pays riches, sa population en crève la bouche ouverte dans une indifférence pratiquement absolue !

Pour contrer un dumping social, mais aussi écologique, les tenants de l'antimondialisation proposent, au-delà des clauses sociales ou environnementles dans le commerce, la création d'un droit social international (défendu aussi par le BIT). Cette lutte contre la concurrence réglementaire suppose des lois s'appliquant à tous les Etats, en clair la constitution d'un super Etat mondial permettant à la logique politique de s'imposer contre la logique économique. C'est serait alors fini des espaces d'autonomies gagnés par la mondialisation et des possibilités de sanctionner les mauvaises politiques économiques. Un tel projet est évidemment incompatibles avec le libéralisme.

5. La logique politique contre la mondialisation

La logique politique favorise des intérêts bien déterminés et identifiables attachés à des individus ou à une catégorie d'individus dont on sollicite les suffrages. Ainsi la logique politique n'est pas favorable aux contribuables et aux consommateurs, lesquels ne sont pas organisés en groupe de pression. Par contre elle est favorable à des groupes de pression organisés comme ceux des producteurs  nationaux qui craignent la concurrence de produits étrangers (textile chinois), ceux organisations paysannes qui refusent une concurrence plus dure avec ceux d'entre eux qui adoptent les OGM, ceux des syndicats qui refusent les innovations technologiques porteuses de destruction-créatrice, ou les délocalisations qu'ils présentent comme exploitation des travailleurs des PED. Mais le mouvement antimondialiste, tout en étant issu des pays les plus riches, se veut mondial, ce qui l'expose à des contradictions. Par exemple il soutient la PAC en Europe mais se sert de l'argument de la PAC dans les PED qui en pâtissent afin de justifier des mesures d'autarcie agricole.

En outre il faut souligner que la logique qui consiste à taxer certains au bénéfice d'autres n'est pas étrangère à la sphère publique prétendant défendre l'intérêt général. Rappelons nous de la motivation des interventions de l'Etat dans le cadre de ce qui est présenté comme externalités. Le projet de taxe Tobin rentre dans ce cadre, les antimondialistes désignent les mouvements de capitaux comme néfastes (donc à externalité négative) et réclament leur taxation pour financer des aides publiques. Le développement des marchés financiers limite aussi l'emprise des Etats sur le financement des entreprises, les intérêts des hommes politiques et des antimondialisations sont là encore convergents ...

Le débat marché-État : qui dirige l'économie mondiale

B. L'épreuve des faits

1. Logique dynamique contre logique statique

La logique des antimondialistes et celle des défenseurs de la mondialisation sont inconciliables, les uns adoptent une logique statique basée sur l'émotion et le spectaculaire. Ils mettent en évidence des images-choc comme le travail des enfants dans le Tiers-Monde ou un salarié d'usine sidérurgique licencié après 30 ans de travail, ils insistent sur l'écart de richesse entre les 20 % de la population des pays riches et les 80 % de la population des pays pauvres. Mais concevoir la réalité du monde c'est adopter une vision dynamique dans laquelle les équilibres ne sont pas figés, ceux qui adoptent cette logique ne nient pas les inégalités dans le monde mais montrent que la résolution de ces inégalités passe par la création de richesses que permettent les échanges sans contrainte dans le cadre de la mondialisation, mais aussi par la logique d'une concurrence mondiale qui pousse aux innovations technologiques. Ainsi le travail des enfants a existé aussi au début du développement des pays riches, ce problème ne peut pas se résoudre par une scolarisation imposée, mais par l'augmentation du niveau de vie de leur famille qu'implique leur accès à un emploi (rappelons nous que la croissance permet le développement - dont la scolarisation - qui permet ensuite une croissante plus forte) - donc vision dynamique -. Le licenciement des salariés non qualifiés dans des secteurs d'anciennes technologies des pays riches est compensé par la création d'emplois dans des secteurs utilisant des technologies plus avancées, il permet aussi le développement d'emplois d'ancienne technologie dans les pays pauvres. Il reste que les salariés non qualifiés licenciés en France se requalifient difficilement même si des conventions de conversions sont proposées.

2. Autarcie ou intégration, qui sont les gagnants ?

Comparez l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest, la Corée du Nord et la Corée du Sud, la Chine maoïste et Taïwan. Dans chacun de ces cas, les premières nommées choisirent - ou furent contraintes de choisir - l’isolement, alors que les secondes optèrent pour l’intégration économique mondiale. Après une quarantaine d’années, les revenus réels par habitant y étaient au moins trois fois plus élevés. On dispose là de ce que l’histoire offre de plus proche d’une série d’expériences économiques contrôlées. Leurs résultats expliquent pourquoi la Chine s’est libéralisée, pourquoi l’Union soviétique s’est effondrée.

 Entre 1965 et 1995, par exemple, les revenus réels par tête des nouveaux pays industrialisés d’Asie ont été multipliés par sept, cependant que quadruplait leur part du commerce mondial. De la même manière, on peut dater le début de la période de développement rapide de la Chine : c’est celui de sa décision de libéraliser l’agriculture et de s’ouvrir à l’économie mondiale. Là où le commerce a été mis au poste de commandement, les flux de capitaux ont suivi : la Chine a accueilli à elle seule davantage d’investissements en 1996 que la totalité des pays en voie de développement en 1989.

Les produits indiens s'exportentConsidérons par exemple deux pays immenses par leur territoire, gigantesques par leur population et à croissance désormais affirmée (la Chine et l'Inde) ; considérons en outre deux des quatre « dragons » (Corée du Sud et Taiwan), deux des trois « tigres » (Thaïlande et Indonésie) et, en Amérique latine, le Brésil et le Mexique qui s'érigent de plus en plus, depuis deux décennies, en véritables puissances économiques (au point d'avoir intégré l'OCDE); soit au total huit pays assurément en voie d'émergence certaine et soutenue. Ces pays présentent, en effet, des taux de croissance très soutenus de leur PIB (Inde, Chine, depuis 1973), parfois impressionnants (Corée du Sud, Taïwan, Indonésie, Thaïlande, depuis 1950), toujours substantiels (Brésil, Mexique), compris en moyenne annuelle entre 4,3 et 8,2% par an sur l'ensemble de la période1950-1998, selon le pays considéré. Il n'est pas moins clair que la croissance des exportations a, dans cet échantillon, toujours accompagné la croissance économique globale, et ce tout particulièrement pour les années 1973-98. Pour cette période, en effet, la croissance du rapport « exportations/PIB » est spectaculaire: il passe en moyenne de 4,30% (1973) à 14,06% (1998). C'est sans doute là une belle expression, parmi tant d'autres, d'une mondialisation en marche que l'on ne se sent vraiment pas incité à charger de tous les maux de la création d'autant que ces huit pays, qui faisaient totalement partie du monde très sous-développé au début des années 1950, rassemblaient à eux seuls, en 1998, près de 48% de la population mondiale…

 

Roland GRANIER, "La mondialisation n'est pas un phénomène nouveau", Le Québecois Libre, 10/05/2003

 

Le développement autocentré

La recul de la pauvreté

 

IV. La mondialisation culturelle

A. Diversification ou homogénéisation des goûts ?

Supposer la disparition des cultures locales implique l'acculturation au profit d'un autre culture, on parlera alors d'assimilation. On peut supposer aussi un métissage culturel dans lequel chaque culture réalise un apport à l'autre, ce qui résulte en une intégration culturelle.

1. Un zapping culturel ?

La mondialisation possède des aspects culturels importants. En effet c'est l'ouverture des goûts à des produits venant du monde entier, c'est aussi l'adoption de comportements qui font évoluer les normes sociales. A ces égards on peut penser au Coca Cola consommé partout dans le monde, au lancement mondial par Virgin d'albums du Sénégalais Youssou N'Dour ; on peut aussi évoquer la diffusion mondiale de codes vestimentaires chez les jeunes, l'universalisation des droits de l'homme dans la conscience mondiale ou plus prosaïquement l'aspiration à la consommation de loisirs. Pourtant, en matière de goûts et d'évolution des normes la mondialisation est décriée, pour beaucoup mondialisation = américanisation ="macdonalisation" = homogénéisation = le "meilleur des mondes" voire big brother. En réalité la mondialisation des goûts c'est surtout un choix subjectif de chacun pour ce qu'il juge être le meilleur de ce que le monde peut nous apporter. Il y a beaucoup de côté américain dans le meilleur mais aussi une acculturation très propice à sortir du tribalisme, l'engouement pour le bouddhisme, la world music, c'est surtout cela la mondialisation. A côté on peut ne pas adhérer à tout, rejeter le rap par exemple ou encore les fast foods, mais ce qui compte est que les différences de goûts vont moins être liées à la nationalité qu'aux choix de chacun. Je suis 
noir et je n'aime pas le manioc

Les cultures persistent mais peuvent être moins prégnantes : ce n'est pas parce que l'on est Afro-américain ou Afro-européen que l'on doit aimer la culture urbaine, Gaston Kelman auteur français d'origine camerounaise le raconte d'ailleurs dans son livre best seller : "je suis noir et je n'aime pas le manioc.

 

2. Homogénéisation, destruction des cultures locales

 

Paradoxalement, ce sont les mêmes qui se disent socialistes (et le socialisme des doctrinaires prône l'homogenéisation culturelle mondiale pour imposer un gouvernement mondial) et qui réclament plus de métissage.

Mais ils ne défendent en fait qu'une conception unilatérale du métissage : les occidentaux vers les autres peuples. On s'extasie de siroter un thé vert ou de manger des nems, mais on s'offusque d'imaginer des africains ou des indiens gober des bigmacs ou se rafraîchir au coca !

Mais, au delà de la libre circulation des marchandises, la mondialisation peut aussi influer sur les cultures locales par les IDE qui conduisent à utiliser une organisation productive et à développer des techniques de productions étrangères aux traditions locales pré-industrielles. Certains, sur la lancée de Polanyi, parlent aussi d'une marchandisation des sociétés où les IDE s'implantent mettant à mal les traditions d'entraide, de dons et l'auto-subsistance vivrière.

A cela on peut répondre que le développement, même dans les pays occidentaux, est ainsi passé par une phase d'acculturation dans laquelle l'industrialisation a bouleversé profondément les modes de vie créant des phénomènes de rejet autour notamment du mouvement luddite (anti-machinisme) et des critiques de la relation salariale. Les antimondialistes développent donc contre l'assimilation issue de la mondialisation les mêmes diatribes utilisées contre le capitalisme parlant de cultures basées sur le don détruites par les règles économiques de l'économie de marché et le désir de consommations individuelles. En filigrane se trouve une critique de l'évolutions des mentalités s'occidentalisant dans le sens de la perte des valeurs collectives (tribales) au profit de l'individualisme. Voir le chapitre sur la Kula.

B. Une américanisation du monde ?

1. Une tendance imprimée par les multinationales ...

La société de consommation mondiale permet d'élever les niveaux de vie, elle offre un accès de plus en plus important à des produits standardisés. Mais là aussi le désir de porter un tee shirt plutôt qu'un pagne est conçu comme le fruit d'un complot impérialiste véhiculé à travers la publicité et visant à détruire des cultures pour imposer un modèle de consommation destiné à doper les ventes. Il est vrai que les économies d'échelles permettent de baisser les coûts de revient de façon d'autant plus importante que la production donc les ventes sont massives. Or les débouchés internationaux sont le seul moyen de produire en masse, il faut donc viser des marchés proches dans lesquels les consommateurs ont les mêmes habitudes de consommation. Mais il n'en reste pas moins qu'une partie de la population mondiale n'est pas encore en mesure de consommer suivant les critères occidentaux bien qu'elle y aspire. L'achat de produits de grande consommation n'est pas sur place vue comme une domination mais davantage comme un symbole d'élévation sociale.

Les multinationales utilisent souvent les économies d'échel le et localisées dans de nombreux pays, elles produisent et commercialisent sur des marchés différents. Si on pense à des multinationales vendant des produits devenus modèles de consommation, on peut citer Nike, Mc Donald's, Coca Cola, Microsoft, les studios MGM ou Universal. Toutes ces entreprises ont leur siège social aux Etats-Unis et vendent des produits typiques de la culture américaine.

Peut-on alors parler de dictature de la culture américaine ? Non bien sûr car nul n'est obligé de consommer des produits d'origine américaine. Comment expliquer alors cette situation ? La théorie de la demande représentative de Linder nous répond puisque le marché américain est très important (plus de 300 millions de consommmateurs) et s'étend facilement au marché canadien, de plus l'utilisation répandue de la langue anglaise permet de rentabiliser facilement les films et les medias (CNN, Time-Warner, ...). Par ailleurs les Etats-Unis sont en avance dans le domaine des technologies, ce qui est déterminant en matière de coût et de produits (innovations de procédés et de produits, Schumpeter).

2. ... ne déterminant que de vagues leadership culturels

Cette dernière explication devrait remettre en cause le leadership américain puisque les entreprises japonaises ont aussi misé sur l'innovation. Et c'est bien le cas puisque Sony, Honda, Hitachi, Nintendo sont aussi des multinationales qui comptent et mettent sur le marché mondial des produits très appréciés fruits des dernières technologies. L'industrie du manga et des desssins animés japonais permettent aussi d'universaliser des traits de la culture japonaise (des productions de la fin des années 70 avec Goldorak à Miyazaki avec le voyage de Chihiro).

Mais c'est aussi le mode d'organisation de la production à la japonaise qui s'est imposé avec le Toyotisme bouleversant le fameux consensus fordiste des Trente Glorieuses en imposant la qualification et la polyvalence chez des salariés devant travailler en juste à temps avec le souci de la qualité . On retrouve l'origine du Toyotisme dans le culte de l'excellence et du travail prégant au sein de la mentalité nippone et façonné par un système éducatif très sélectif dès la maternelle et jusqu'à l'université où l'apprentissage par coeur est prépondérant et la compétition entre les élèves impose un rythme de travail très important complété par des cours du soir. C'est là un autre modèle emprunté pour ses traits les plus performants (les dirigeants non Japonais qui ont opté pour le Toyotisme n'en ont pas nécessairement repris tous les éléments originels, dont le culte à l'entreprise et certaines pratiques humiliantes) et qui comme le modèle américain suscite des réactions de rejet quasiment racistes comme dans la déclaration d'Edith Cresson, alors premier ministre socialiste : « Les Japonais travaillent comme des fourmis (...). Nous voulons vivre comme des êtres humains. »

On peut donc plus justement parler d'une mise en concurrence des types de consommation mais aussi des modes de production quelque soit leur nationalité d'origine, le benchmarking se développe, informé sur les pratiques et les produits, les dirigeants d'entreprises choisissent de copier ce qui marche ailleurs. Bien sûr cette concurrence peut conduire à une uniformisation mais pour le meilleur. Cette uniformisation peut même alors jusqu'aux systèmes politiques et expliquer en partie la chute du communisme et le déploiement de la démocratie capitaliste.

C. Des résistances à la mondialisation culturelle

1. La question des droits de l'homme et de la liberté d'expression

Mais les valeurs de la démocratie et du libéralisme génèrent un rejet qui peut se vouloir culturel. Le multipartisme peut poser problème, "le multipartisme est une multi cochonnerie" dixit Fidel Castro, la liberté d'expression aussi comme en Chine Populaire où le moteur de recherche Google est prié de censurer les accès à des sites favorables à la démocratie partout dans le monde. Dans une moindre mesure la censure existe aussi ailleurs puisque la liberté absolue d'expression à l'américaine protégée par le premier amendement se heurte à la loi Gayssot comme dans l'affaire de vente aux enchères d'objets nazis de la seconde guerre mondiale sur Yahoo dont l'accès a dû être fermé pour les français. Ici c'est bien l'Internet qui est en question comme vectreur d'informations et de contenus accessibles dans le monde entier et donc comme partie prenante de la mondialisation informationnelle donc vecteur d'un accès à des contenus culturels différents. Mais là aussi les contenus anglo-saxons étant les plus importants certains en déduisent une "américanisation des esprits".

2. La résistance des rigoristes

C'est aussi ce que redoutent ceux qui reprochent une "contagion des valeurs occidentales", qui au-delà de la démocratie sont un libéralisme en matière sociétale se caractérisant par la tolérance de ce qui est déviance grave dans certaines cultures. A ce titre on peut citer la pornographie, l'homosexualité, la tolérance religieuse, la consommation d'alcools, l'égalité de droits hommes-femmes. Les mouvements ultra-conservateurs et plus particulièrement intégristes refusent donc la contagion de ce qu'ils perçoivent comme permissivité voire "anomie"et qui serait issue de la mondialisation culturelle.

Ainsi des pays comme l'Iran ou l'Arabie Saoudite filtrent soigneusement les contenus du Net et vérifient à leurs frontières que nul objet des démocraties occidentales dissolues et contraire au Coran ne passent. Par exemple il y est culturellement choquant d'exposer le corps de la femme, les magazines de vente par correspondance présenteront donc les sous-vêtements sans mannequin ; même les femmes étrangères en visite devront arborer un voile afin au moins de ne pas exposer leur chevelure. On évitera aussi les films occidentaux qui, de plus en plus il est vrai, introduisent des scènes de sexe ; à la place seront importées des productions indiennes (premier producteur de films mondiaux avant les Etats-Unis) dont les intrigues se distinguent notamment par la chasteté des acteurs.

3. L'exception culturelle

L'exception culturelle est portée par les gouvernements français dans l'objectif de maintien d'éléments culturels qui serait notamment menacés par la concurrence anglo-saxonne. Cette exception concerne ainsi le cinéma, la chanson, le livre et la presse écrite. Elle prévoit l'obligation pour les chaînes de télévision de participer au financement de films français, un quota de production française à la télévision, mais surtout une taxe sur les entrées en salle de cinéma pour financer un fonds de soutien à la création cinématographique française, ainsi même ceux qui vont voir des films étrangers financent le film français. En matière de chanson, elle passe par des quotas de diffusion de chansons françaises dans les radios ; pour les livres elle implique le prix unique fixant un prix plancher sous lequel ou ne peut vendre des livres neufs, ceci afin de soutenir le revenu des éditeurs et des écrivains français. L'exception culturelle permet donc de subventionner la production culturelle française qu'elle soit ou non consommée afin justement de permettre et de stimuler cette création même si elle n'est pas nécessairement en phase avec le public. Ceci revient à sortir la production culturelle du marché selon le principe "la culture n'est pas une marchandise" et qui revient en fait à réglementer son offre et sa demande plutôt que d'en laisser libre l'offre et la demande sous prétexte justement que la demande en serait trop faible aussi bien sur le marché français que sur ceux d'exportation.

Cette exception de nature protectionniste fut mise au pilori par l'OMC qui a réclamé, sans succès, que l'audiovisuel ne soit pas exclu des négociations sur l'ouverture des marchés. Au contraire, Jacques Chirac annonce que : "la France, terre de création, a milité avec les francophones en faveur de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle adoptée à l'autome 2001 par la Conférence générale de l'Unesco. Dans le même esprit, nous avons obtenu ensemble la reconnaissance de l'exception culturelle par l'OMC. Il est ainsi admis que les biens culturels ne sont pas des biens marchands comme les autres et que les Etats doivent pouvoir soutenir leurs créateurs et leurs artistes par des mécanismes de leur choix".

S’ils ne sont pas des biens comme les autres, les biens culturels, et l’industrie du divertissement, un peu trop facilement appelée Culture, répondent aussi aux lois économiques. Ils dépendent de l’industrie qui les fabrique, des technologies et des préférences des consommateurs, c’est-à-dire du public qu’il ne faut quand même pas oublier. En d’autres termes, de l’offre et de la demande.

Le paysage audiovisuel a considérablement changé durant les dernières années du vingtième siècle. D’une production qui relevait pour beaucoup d’un monopole étatique, on est passé à une industrie concurrentielles entre sociétés majoritairement privées. Et ces évolutions ne sont pas terminées. Les Etats-Unis qui, eux, avaient pris ce virage avant le reste du monde et n’avait jamais enfermé leur télévision dans le carcan étatique, avaient plusieurs longueurs d’avance. Ils avaient compris que la petite boîte relevait d’une industrie et surent tirer parti des évolutions technologiques : câbles, satellites dont le coût de lancement chutait rapidement, miniaturisation des paraboles qui permettaient, à des prix de plus en plus modiques, l’accès à des centaines de chaînes. Résultat, on est passé en quelques années d’un marché à offre plutôt réduite à une véritable explosion de cette offre, avec une demande accrue de films, de séries, de documentaires, de débats, de sports, etc … Et l’arrivée du câble et de la télévision numérique ne va pas freiner ce mouvement. Sans parler de l’Internet et de ses multiples ramifications dans les médias.

Deux autres caractéristiques de cette offre ont favorisé films et séries venues d’Outre-Atlantique. Bien sûr l’anglais, qui est devenu la langue mondiale par excellence. Mais aussi l’immense marché américain qui permet de couvrir les coûts de fabrication des productions et de les revendre ainsi « amorties » à travers le monde à des prix défiant toute concurrence.

Quant à l’exception culturelle, Mozart écrivait à un de ses amis : « Crois-moi, mon seul objet est de gagner autant d’argent que possible, après tout après la santé, c’est la meilleure chose à posséder. »

Charlie Chaplin a dit : « Je me suis lancé dans le cinéma que pour l’argent, l’art n’est venu qu’après. Si les gens sont désillusionnés par ces remarques, tant pis. C’est la vérité. »

Maintenant des quotas sont mis en place. Que penser de ces navets produits uniquement pour remplir lesdits quotas et récolter les subsides au passage ? Vous savez comme moi que la plupart de ces films ne sont plus payés par les billets qu’achètent les spectateurs, mais qu’ils sont payés avant même d’être présentés au public par les prélèvements imposés aux télévisions. En 1998, sur 134 films français, une vingtaine à peine ont couvert leurs frais. En 1999, c’est la débandade : seulement 3 films français sur 180 auraient remboursé leurs coûts de production grâce à la projection en salle !

 

La mondialisation racontée à ma fille, Ed. Seuil,  André FOURCANS

 

 


J'espère que ce cours vous
a plu, c'est un de mes préférés