Tout est-il externalité positive ?
Attention jardins fleuris : taxes à l'horizon !
Dans la précédente chronique, j'ai voulu montrer comment la nouvelle microéconomie met en situation des producteurs sciemment caricaturés et incapables de prendre les décisions qui iraient dans le sens de l'intérêt général. Mais les consommateurs n'ont pas meilleure allure. Dans son manuel de micro-économie contemporaine, le professeur Picard définit les externalités de consommation pour mieux fragiliser la légitimité du choix individuel : " Il y a des économies externes de consommation lorsque ce sont les décisions d'un consommateur qui profitent à d'autres agents sans qu'il y ait compensation monétaire. Par exemple, quand je repeins la façade de ma maison, quand j'entretiens mon jardin ou que je fleuris mon balcon, cela apporte presque autant de satisfaction à mes voisins qu'à moi-même et ceux-ci ne me dédommagent pas pour le service rendu "[Picard 2002 :507]. Ce type d'observation repose sur une conception bien étrange de la rationalité individuelle. Si mon voisin prend la décision de refaire sa façade, il en assume la conséquence. Imaginez toutes les factures que vous recevriez si l'on tirait les conséquences d'une telle proposition théorique. Après tout, je profite non seulement du fait que la façade de mon voisin est refaite ou du fait que son balcon est fleuri, mais aussi du fait qu'il est bien habillé, en bonne santé ou courtois. Dois-je alors participer aux coûts de son habillement, de sa santé et de son éducation ? D'une certaine manière, c'est ce que nous faisons en participant via l'impôt au financement des biens publics. Mais en généralisant le principe d'externalités de consommation, la sphère des biens privés se rétrécit dangereusement. |
On sait pourtant ce qu'il advient si l'on décide de faire supporter aux autres les conséquences financières de nos propres choix, sous prétexte de l'existence d'effets externes dont on peut toujours montrer l'existence après coup. Par ailleurs, l'observation du professeur Picard laisse penser que ma satisfaction de mettre des fleurs à mon balcon est diminuée du fait que cela profiterait à mon voisin. On n'admet pas une seconde que mon intérêt personnel puisse aussi être lié au fait d'entretenir des relations de bon voisinage, relations qui seront justement améliorées si je décide d'entretenir mon balcon. Voyant que je procède ainsi dans un souci de bon voisinage, on peut penser que mon voisin procédera de la même manière et les résidents vivront dans un environnement fleuri. La poursuite de l'intérêt personnel - pour peu que l'on ne s'attache pas à une vision volontairement biaisée et caricaturale de l'intérêt personnel - rejoint dans bien des cas l'intérêt commun. N'est-il pas dans l'intérêt d'un salarié que son entreprise prospère ? Employés et employeurs ont-ils toujours nécessairement des intérêts antagoniques ? C'est en tout cas l'intérêt bien compris des professionnels de la lutte des classes de nous le faire croire.
La question de l'éducation des enfants obéit à une problématique similaire. En tant que parent, la réussite de l'éducation des enfants est sans conteste une grande satisfaction ; et elle évitera bien des soucis et bien des déboires aux parents. Des enfants bien éduqués sont aussi un bien pour la collectivité. Est-ce à dire que les parents ne vont pas faire tous les efforts possibles pour réussir l'éducation de leurs enfants parce qu'ils ne vont pas prendre en compte le "gain social" ou parce qu'ils ne seront pas dédommagés par la société pour leur effort éducatif ? C'est prêter une rationalité bien suspecte aux parents (que l'on peut certes développer dans la pratique sous l'effet de la généralisation du revenu social). C'est surtout ne pas comprendre les ressorts profonds du comportement humain. Il est vrai que certains responsables politiques concluent que les parents devraient recevoir un " salaire parental " du fait qu'ils élèvent des enfants de la même manière que certains syndicats étudiants défendent l'idée d'un salaire pour les étudiants dont les efforts profiteront à la collectivité dans le futur. Mais qui profite de qui ? Les parents ne devraient-ils pas demander des compensations à leur progéniture pour les sacrifices qu'ils consentent dans leur périlleuse aventure parentale ? Mais mon fils ne serait-il pas en droit de réclamer une compensation financière lorsque je lui demande de ranger la table après le diner ? (Il s'y essaie chaque fois...) On voit bien qu'à poser le problème ainsi, on le rend insoluble et l'on prend le risque de casser le lien social qui unit les individus au sein de toutes formes de collectivité (famille, entreprise, université, collectivité nationale).
L'égoïsme supposé des individus contient aussi les intérêts et les opinions d'autrui tandis que le vrai égoïsme est exarcerbé par la redistribution aveugle qui permet aux uns de vivre au dépend des autres. En inventant la science économique, l'analyse de Adam Smith élargit et enrichit la notion d'intérêt individuel en y intégrant le souci pour les proches et pour les gens avec lesquels nous " sympathisons ". L'individu n'est absolument pas cet homo economicus isolé et autonome, calculateur froid et sans passion qui sert d'épouvantail par trop commode à tous ces nouveaux économistes et aux myriades d'anti-libéraux qui pullulent en nos contrées hostiles. Rejetant cette conception qui fait du principe de liberté un principe d'harmonie sociale, la nouvelle théorie économique se complait à définir un individu à la rationalité défaillante - mais qui ne correspond ni à la réalité des comportements constatés, ni à la conception beaucoup plus riche qu'en avaient les économistes classiques, ni à la nature profonde de l'être humain - pour en conclure de manière quasi tautologique à la défaillance de marchés libres.
1.
Dans la logique des théoriciens keynésiens des externalités
doit-on fleurir son balcon ou repeindre sa façade ?
Non, à moins
que les voisins ne me paie pour cela, puisqu'ils en profitent.
2.
Pourquoi une telle logique est-elle absurde selon l'auteur ?
Bien des comportements
adoptés sans calculs vont créer des externalités positive,
dans la logique de l'auteur du manuel de micro-économie on pourrait supposer
que l'Etat doive intervenir pour encourager financièrement ces comportements
par des subventions par exemple. Ceci reviendrait à étendre la
tutelle de l'État sur la société et sur les comportements,
cela relève aussi d'une ignorance des motivations individuelles.
3. En quoi le projet de création d'un salaire parental est dans la logique de la prise en compte des externalités, mais en quoi est-il moralement choquant ?