Les inégalités de revenu, une injustice sociale ?


Le fossé des revenus entre les qualifiés et les moins qualifiés a augmenté. Alors que le pouvoir d'achat de ceux qui avaient abandonné leurs études au lycée n'a pas progressé, que celui des bacheliers a légérement augmenté, celui des diplômés des formations supérieures a largement progressé. Ceux qui s'enrichirent le plus furent les diplômés d'écoles de commerce (MBA), ceux qui poursuivirent de hautes études de droit. Le niveau d'étude a donc été un vecteur important d'inégalité des revenus. L'augmentation des revenus réels des plus éduqués transcende les sexes et les ethnies, elle concerne aussi bien les hommes que les femmes, les afro-Américains que les blancs. En conséquence les inégalités de revenus parmi les mieux formés se sont réduit énormément entre hommes et femmes, blancs et minorités.

Alors que les gains que permet une formation augmentent, une partie importante de ceux qui arrêtaient leurs études au niveau bac se mit à les poursuivre. Ceci concerne encore une fois les deux sexes et toutes les catégories ethniques. L'augmentation du nombre de femmes s'inscrivant en université fut si rapide qu'elles en devinrent majoritaire. Les femmes se tournèrent aussi vers des des cursus plus rémunérateurs, tels que le commerce, le droit et la médecine, abandonnant relativement des orientations plus traditionnelles telles que l'enseignement ou l'assistanat médical. Les inégalités de revenus dues à la formation sont largement imputable à la forte demande en personnel très qualifié. Ceci ne peut étonner avec le développement de l'informatique, d'Internet et des avancées récentes dans le domaine des bio-technologies.

La mondialisation est également un facteur de hausse de la demande de productions et services offerts par des personnels très qualifiés, que ce soit aux États-Unis ou dans d'autres pays développés. Elle a poussé au remplacement des productions locales faiblement qualifiées par des importations de produits intensifs en main d'oeuvre peu qualifiée des pays où le travail est moins cher.

La rentabilité des études supérieures a donc décollé lors des dernières décennies, au rythme de la demande plus forte en connaissances et qualifications. Cette plus grande rentabilité a donc incité les jeunes à poursuivre leurs études. Certains pourraient se demander si la rentabilité des études supérieures aux États-Unis a augmenté autant que cela dans la mesure où le coût des études s'est grandement accru lors des 25 dernières années. En réalité c'est bien la hausse de la rentabilité des études qui a provoqué la hausse de leur coût. Pablo Pena, dans le cadre d'une thèse de doctorat à l'université de Chicago avance; de façon convaincante, que les frais d'inscription augmentent en partie du fait de la volonté des étudiants d'investir davantage dans la qualité de leur formation. L'augmentation des dépenses de formation universitaire par étudiant est largement compensée par les perspectives plus rémunératrices des emplois accessibles grâce à une meilleure qualité des études. Ceci m'amène à une question que l'on pourrait juger provocatrice. Une augmentation des inégalités de revenus qui serait le résultat de rémunérations plus fortes en lien avec des compétences et des formations supérieures de qualité doit-elle être considérée comme positive ou négative ? Une plus grande rentabilité des capitaux investis sont un signe d'une hausse de la productivité dans une économie donnée, ceci vaut aussi bien pour le capital matériel que pour le capital humain. L'impact initial d'une plus grande rentabilité du capital humain est le creusement des inégalités de revenus, mais cet impact peut s'amortir voire s'inverser au fur et à mesure que chacun réalise le choix d'investir dans son capital humain. J'en conclus que les forces déterminant l'augmentation des inégalités aux États-Unis est globalement positif car ils se reflètent dans l'augmentation de la rentabilité des investissements en capital humain. Ne nous congratulons pas pour autant, car pourquoi ne pas encourager davantage le développement des études quand les gains qui en découlent sont si évidents ? Et pourquoi les jeunes Américains qui abandonnent les études après le lycée parmi les Noirs et les Hispaniques restent toujours aussi nombreux ? La réponse à ces deux questions.se trouve en partie dans l'éclatement des familles américaines et les faibles niveaux de compétences acquis par les enfants de familles monoparentales. Les capacités cognitives se développent dès le plus jeune âge, alors que mon collègue, James Heckman a démontré que les capacités non-cognitives telles que l'habitude d'étudier, d'arriver à l'heure à ses rendez-vous et de se plier aux obligations induites par la vie en société, se fixent plus tard mais néanmoins à un âge relativement jeune. Ainsi, c'est ceux qui ont laissé tomber leurs études au lycée semblent souffrir de sérieuses déficiences en matière de capacités non-cognitives. Donc, au lieu de nous lamenter sur l'élargissement du fossé des revenus lié à des niveaux hétérogènes de formation, nous devrions nous concentrer sur le moyen d'augmenter la part des Américains qui terminent leur cursus lycéen et poursuivent des études supérieures. C'est là véritablement un challenge difficile dans la mesure où les solutions ne sont ni bon marché ni faciles. Mais ce serait un désastre que de se concentrer sur les seules inégalités de revenus car ceci conduirait à augmenter les impôts et autres pénalités sur les hauts revenus résultant de formations supérieures et enfin il en résulterait une grande réduction de la productivité par le découragement des investissements en capital humain.

Gary BECKER

 

Question

1. Les frais de scolarité dans le supérieur sont importants aux États-Unis, cela décourage-t-il les jeunes à aller à l'université ? Expliquer.
2. La gratuité des études est-elle une garantie de l'égalité des chances ?
Non, car les formations de qualité permettant une évolution sociale sont chères, elles doivent donc être considéré comme un investissement pour les meilleurs élèves, quelque soit le niveau de revenu de leur famille.
3. Les inégalités de revenus peuvent-elle être justifiées ? Développer.
4. De quelle façon les politiques tentent-ils de résorber les inégalités de condition ? Montrez que de telles solutions sont injustes et pénalisent le développement économique.
5. Comment faire alors passer ces mauvaises solutions auprès de la population ?

Pourquoi l'élargissement du fossé entre les revenus est un faux problème ?

Becker explique de façon convaincante la hausse des inégalités de revenus aux États-Unis, je rajouterais seulement qu'au fur et à mesure qu'une société devient plus ouverte à la concurrence et au mérite, les inégalités de revenus augmentent. Et l'on peut imputer cette hausse des inégalités à d'autres inégalités notamment en matière de QI, d'énergie, de sociabilité, d'ambition, de talent, de chance. Les politiques gouvernementales destinées à réduire les inégalités de revenus telles que la forte progressivité de la taxation des revenus et les allocations sont de nature à réduire la somme des richesses crées dans la société. En conséquence de telles politiques ne devront pas être appliquées à moins que le creusement des écarts de revenus ne constitue un problème social. Mais est-ce le cas ? Je suis d'avis que cela dépend du revenu moyen de la population (et donc du niveau de richesse de la société), du niveau général de l'évolution des revenus (à la hausse ou à la baisse), de la façon dont les richesses sont réparties. Plus le revenu moyen est élevé dans une société, moins les inégalités générent des troubles sociaux. La raison en est qu'attendu la décroissance de l'utilité marginale des revenus, les gens qui vivent correctement ne se sentent pas privés du fait de ne pas gagner davantage. Si leurs revenus sont en croissance ils se satisferont de constater la hausse de leurs revenus et auront moins tendance à se braquer sur le fait que les revenus d'autres personnes ont augmenté davantage que les leurs. (...)

Alors que dans des sociétés plus pauvres, ainsi que le révèlent des études sur des sociétés paysannes du Tiers-Monde, l'envie est largement répandu tant et si bien que si l'on préférera brûler la belle ferme du voisin plutôt que de s'efforcer d'en acquérir une identique. (...) Quant à la façon dont les richesses sont réparties, si, bien que le revenu moyen puisse être élevé et en croissance, il existe une petite catégorie de gens très riches, une petite classe moyenne et une large majorité de la population vivant dans la pauvreté, alors la société sera probablement instable. En effet, une majorité de pauvres et une minorité de riches implique que cette minorité ne puisse défendre l'ordre social établi bien longtemps. Les Américains possèdent un revenu moyen important et les ressources des différentes catégories sociales sont en hausse, bien qu'en moindre hausse que celles de la catégorie la plus riche. On ne sera alors pas surpris que l'écart croissant des revenus ne provoque que peu de mouvements sociaux et de bien faibles revendications en faveur d'une plus grande progressivité de l'impôt. (...)

Au-delà des revenus monétaires il faut aussi considérer l'augmentation séculaire de la qualité des produits et services disponibles. Pensons, par exemple, aux extraordinaires améliorations en ce qui concerne les automobiles, la médecine, l'électronique. Les Américains dont les revenus n'ont pas cru à un rythme supérieur à celui de l'inflation vivent cependant mieux qu'autrefois, ils s'en rendent compte et c'est pour celui qu'ils n'exigent pas une redistribution autoritaire. Un facteur culturel réduit également les tensions sociales aux États-Unis, il s'agit de l'absence de traditions aristocratiques. Il n'existe pas de goûts particuliers, d'accents, de façon de s'habiller qui distinguent les riches des pauvres. Les riches ont accès à des biens de meilleure qualité, mais ils n'agissent pas comme si ils étaient supérieurs à tous les autres. Le riche joue souvent au golf mais c'est aussi souvent le cas de la classe moyenne. Laquelle aime suivre les matchs sportifs à la télévision ou dans les tribunes, un goût qui appartient aussi souvent aux riches. En fait l'augmentation des inégalités de revenus est aussi, en partie, due à la hausse des flux d'immigration dans la mesure où les immigrés, légaux ou non, vont souvent travailler pour des salaires plus faibles que les nationaux. Cependant les immigrés ne vont pas comparer leur situation à celle des Américains les plus riches, mais plutôt à celle qui était la leur dans leur pays d'origine. (...)

Richard POSNER

Question

1. Comment évoluent les inégalités de revenus dans des sociétés qui se développent ?
2. Pourquoi l'utilité marginale des revenus est-elle décroissante ? Et comment cela explique-t-il la baisse des troubles sociaux ?
3. Comment peut-on évaluer l'évolution du niveau de vie ?
4. En quoi les conflits sociaux possèdent une dimension culturelle ?
Égalitarisme