Le dénuement de l'Europe pré-capitaliste
Pauvres à en mourir
Avant les prémisses du capitalisme industriel la plus grande partie des Anglais connaissait des conditions de vie misérables. Le plus grand dénuement était la condition la plus répandue, la mort par inanition n'était pas exceptionnelle et le pays était ravagé par la pauvreté. Il est difficile pour nos contemporains des pays occidentaux industrialisés de concevoir le degré de pauvreté qui sévissait dans l'Europe pré-capitaliste. Dans la ville de Lyon, dans la France du dix-septième siècle, on estimait qu'être pauvre signifiait gagner quotidiennement moins que le prix de la ration nécessaire de pain. En d'autres termes, un pauvre ne gagnait même pas de quoi satisfaire sa survie. Le quart à la moitié de la population anglaise du dix-septième siècle subsistait ainsi à la limite du revenu de survivance. Si le bureau Américain des statistiques du travail devait estimer de la même façon le seuil de pauvreté, les Américains se situant à ce niveau gagneraient 18 dollars par mois. L'Angleterre connaissait tellement de problèmes avec les vagabonds sans le sou qu'en 1547 le Parlement vota une loi prévoyant qu'ils devraient être mis en esclavage. Deux ans plus tard cette loi fut abrogée, tout simplement parce que les législateurs n'étaient pas parvenus à déterminer qui ces travailleurs forcés devraient servir. Ceci peut aujourd'hui paraître incroyable aux Occidentaux que nous sommes, mais telle fut bien la condition de la plus grande partie de la population d'alors.
La plupart des privations de l'époque post-médiévale et pré-capitaliste furent causés par le manque de connaissance scientifiques, technologiques et médicales. Le contrôle de l'Etat sur l'économie fut aussi un facteur d'exacerbation de la pauvreté et de la misère. L'acronyme CSGAT (Corporatisme, servage, droits sur les grains et l'alcool, taxes) illustre parfaitement les politiques malsaines menées par l'Etat. Les lois ne permettent pas à chacun d'exercer la profession de son choix, elles limitent la pratique de certains métiers aux membres des corporations (organisations professionnelles détenant le monopole légal d'exercice de professions). Les lois consacrent dont le rôle de ces corporations imposent de longues périodes d'apprentissage pour pouvoir devenir un professionnel, elles interdisent ainsi aux travailleurs pauvres même doués de prétendre à entrer dans les corporations. En effet, les réglementations drastiques propres à la corporation et les coûts induits par la période de compagnonnage (apprentissage) étaient hors de portée des gens du commun. Adam Smith avait ouvertement critiqué ces lois au dix-huitième siècle, mais elles durèrent encore pendant des siècles.
Un autre problème porte sur la pratique du servage qui se perpétue dans l'ère post-médiévale et se termine en Europe occidentale seulement aux quinzième et seizième siècle, et un peu plus tôt en Angleterre. Sous le servage, un paysan était légalement attaché à la terre, il devait le service militaire à son seigneur et était à la merci du juge, d'un jury et d'un exécuteur, lesquels obéissaient au seigneur. "Le seigneur féodal .. pour toutes choses pratiques ... assure les fonctions de l'Etat : il est en même temps policier, juge et législateur. Ses paysans n'ont pas le droit de quitter son domaine ..son revenu est issu de son pouvoir sur ses serfs et de son rôle de collecteur des impôts". Bien que les serfs possédaient certains droits et que les seigneurs avaient quelques obligations vis à vis d'eux, leur statut ne demeuraient pas moins proche de l'esclavage.
Les conséquences économiques du servage
Les conséquences économiques délétères de cette institution devaient apparaître. Par l'asservissement des paysans et leur attachement à la terre, la mise en place d'une force de travail mobile fut rendue impossible. Cette institution fut un composant du système militarisé responsable de guerres perpétuelles et de destruction. Plus encore, en empêchant le peuple d'avoir accès à la propriété privée et à la recherche du profit, le servage n'incita pas à la hausse de la productivité agricole. Le systèle féodal a donc largement contribué à la pauvreté quasi généralisée règnant encore jusqu'à la naissance de l'ère moderne. Même en Angleterre, où le servage fut pratiquement éradiqué depuis la fin du quatorzième siècle, il en est resté un système oppresif et paupérisant contre lequel des hommes luttèrent durant des siècles. Ainsi l'économiste Angus Maddison a estimé que le revenu européen moyen annuel par tête est passé de l'équivalent de 215 dollars en 1500 à seulement 265 dollars en 1700.
Plus tard, à l'aube de la Révolution Industrielle, le gouvernement Britannique a imposé les lois sur les grains. Ces lois ont consisté à imposer des droits de douane élevés sur ces produits sous prétexte de défendre les intérêts des propriétaires fonciers Anglais. L'augmentation artificielle des prix des produits alimentaires qui résulta de ces lois protectionnistes se répercuta sur les pauvres, lesquels plus que tous les autres, avaient à gagner à des prix faibles que permettrait le libre-échange des grains et d'autres biens alimentaires. Cette politique gouvernementale a largement contribué à la forte mortalité et à l'alcoolisme qui frappa les plus pauvres au dix-huitième siècle. L'historien Anglais, Dorothy George nous a dressé un tableau assez édifiant de la vie Londonienne avant la Révolution Industrielle. "Au milieu du dix-huitième siècle le nombre de décès annuels à Londres excédait le nombre des naissances ..." En fait c'est tout au long de la première moitié du dix-huitième que les archives révèlent que la nombre d'obsèques est deux à trois fois plus important que le nombre de baptêmes ; par exemple en 1741 il y eu 32 169 enterrements à Londres contre seulement 13 571 baptêmes en 1742. Selon les chiffres les plus fiables disponibles à l'époque, le taux de décès à Londres était de 1 pour 25 en 1700, de 1 pour 20,5 en 1750, de 1 pour 35 entre 1797 et 1801, de 1 pour 38 entre 1801 et 1811, de 1 pour 40 en 1821. Le taux de mortalité à Londres a donc décru à partir de la moitié du dix-huitième siècle.
Andrew BERSTEIN, The Capitalist Manifesto : The Historic, Economic and Philosophic Case for Laissez-Faire
Questions
1. En quoi le servage est-il un obstacle à la croissance économique ?
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