La mondialisation racontée à ma fille (extraits)
En dépit de leur montant en apparence colossal, les investissements directs à l’étranger ne représentent guère que 6 % des investissements annuels des pays industrialisés. Quant aux entreprises multinationales type, les deux tiers de leurs productions et de leurs emplois se trouvent dans leur pays d’origine [...]
Le protectionnisme coûte cher, ce coût a été estimé par l’Institute for International Economics mais également par Patrick Messerlin, professeur à Sciences Po. Ainsi le coût des barrières au commerce est estimé à 7 % du revenu de l’ensemble de l’Europe, soit 500 à 600 milliards d’euros, un peu moins que le budget annuel de la France. Autrement dit, 500 à 600 milliards d’euros qui sortent de la poche du contribuable ou du consommateur européen. Et ne crois pas que tout cet argent soit dépensé dans l’intérêt de la collectivité dans son ensemble. Ce sont les entreprises protégées qui en tirent le principal avantage … et elles ne sont pas toutes européennes (les exportateurs japonais de voitures qui les vendent plus cher qu’ils ne le feraient s’il n’y avait pas de quotas sur leurs ventes, la multinationale Chiquita qui gonfle ses profits en écoulant ses bananes à un prix supérieur à celui qu’elle demande aux USA, etc …) Et si cette politique protège quelques emplois – peu, Messerlin les estime à environ 200 000 pour toute l’Europe -, elle le fait à un coût faramineux qui autoriserait l’achat d’une Rolls-Royce tous les ans à chacun de ces travailleurs ! [...]
Les pays en développement seraient étouffés si on leur imposait des normes communes, normes qui ne manqueraient pas bien sûr d’être celles des pays riches. D’ailleurs, les pays du Sud soupçonnent ceux du Nord d’utiliser ce type de revendication pour se protéger de la concurrence qu’ils pourraient leur faire – et ils n’ont peut-être pas tout à fait tort … Ce n’est pas le fruit du hasard si le Sud est le plus acharné contre des normes sociales et environnementales internationales. Alors, où est le « juste », où est le « moral » en cette affaire ? Faut-il, pour des raisons, de très bonnes raisons, sociales ou environnementales, freiner le développement de maintes zones défavorisées et aggraver leur pauvreté ? [...]
Shell et TotalFina ont perdu beaucoup de leur superbe après les marées noires dont elles furent portées responsables. Et Union Carbide, comment oublier les plus de 8 000 morts provoqués par l’explosion de son usine indienne au milieu des années 1980 ? Même si rien ne peut racheter les pertes de vies humaines, ce dramatique accident a coûté les yeux de la tête à la société américaine. Et puis, plus près de nous, te souviens-tu du boycott mondial que du subir Reebok lorsque fut révélé que ses ballons de foot étaient fabriqués par des enfants pakistanais de 12 ans ? La firme en tira vite les conclusions pour redorer son blason et son image : elle monta de toutes pièces une nouvelle usine de fabrication, avec observateurs indépendants, et lança une gigantesque campagne de publicité sur ses nouveaux ballons « fabriqués sans le travail des enfants ». Et Nike, n’a-t-elle pas également subi les foudres des organisations non gouvernementales pour les salaires de misère qu’elle versait dans certains pays en développement ? Elle a depuis ajusté ses positions. Nike toujours et Shell considèrent maintenant de leur mission d’améliorer les conditions de travail, non seulement dans leurs usines, mais aussi dans les pays où elles produisent [...] |
On estimait, il y a peu, à 120 millions le nombre d’enfants entre 5 et 14 ans travaillant plus de 10 heures par jour. En ajoutant le temps partiel, le chiffre monte jusqu’à 250 millions ! Et, pour agrémenter le tout, souvent dans des conditions d’hygiène déplorables et avec des risques d’accident élevés. Seul indice encourageant : la baisse depuis une cinquantaine d’années de la proportion d’enfants au travail (environ 30 % en 1950, dans les 15 % en l’an 2000, d’après l’Organisation Internationale du Travail).
Un chercheur de l’université de Cornell et de la Banque Mondiale montre que l’interdiction d’importer des produits fabriqués à l’aide du travail des enfants peut détériorer la condition des enfants en question, tout simplement en les coupant de toute source de revenu ou en les incitant à la prostitution. Une étude de l’UNICEF va d’ailleurs dans ce sens, révélant que 5 000 à 7 000 jeunes Népalaises sont tombées dans la prostitution à la suite de l’interdiction de production des tapis et des carpettes qu’elles fabriquaient.
Il faut bien comprendre que, comme lors de temps pas si anciens chez nous, les familles des pays pauvres d’aujourd’hui ont besoin du salaire de leur progéniture pour simplement survivre. Interdire leur travail peut faire sombrer maintes de ces familles dans la famine si aucune mesure financière ne vient prendre le relais. Dans des pays tels que l’Ethiopie, où plus de 42 % des 10-14 ans sont à la tâche, une cessation soudaine de leur activité aurait le même effet qu’une terrible famine.
Lorsque des lois sur la scolarisation obligatoire existent, et c’est le cas dans beaucoup de pays pauvres, elles sont très difficiles à financer d’abord, ensuite à faire respecter, surtout dans les zones rurales et les quartiers déshérités des grandes villes. En raison de leur grande pauvreté, les parents préfèrent souvent que leurs petits turbinent plutôt que des les envoyer à l’école …[...]
D’après The Economist, un expert de la Banque mondiale estime par exemple que si l’aide considérable accordée à la Zambie (jusqu’à 12 % de la richesse nationale) entre 1961 et 1994 avait joué le rôle qu’on aurait été en droit d’en attendre, le revenu par habitant de ce pays aurait dû atteindre les 20 000 dollars … alors qu’il a stagné autour de 400 dollars. Belle réussite ! D’autant que le pays voisin, le Botswana, qui partait d’une situation identique, crut à un rythme époustouflant durant la même période.
Une étude récente, toujours de l’organisme washingtonien, a analysé la situation de 56 pays recevant des aides. Ceux qui suivaient de bonnes politiques (inflation faible, budget sous contrôle, ouverture internationale) et possédaient de bonnes institutions (corruption minime, règles juridiques solides, administration efficace) tiraient bénéfice de l’aide. Les autres, non. Les nations mal gouvernées avaient un taux de croissance très faible, voire négatif, et ce quels que soient les montants financiers accordés. Les nations bien gérées, même avec des soutiens réduits, voyaient leur niveau de vie monter de façon régulière ; celles qui recevaient des aides plus conséquentes croissaient encore plus rapidement [...]
Ce n’est pas parce que Ford et Volkswagen sont d’éléphantesques entreprises internationalisées qu’il faut les casser. Leur marché est le monde et leur secteur très concurrentiel. Le risque d’excès de puissance est donc plus faible que sur d’autres secteurs dont la taille des firmes est moindre mais le marché plus étroit et la concurrence moins intense. Et puis, les progrès technologiques n’exigent-ils pas que les innovations puissent profiter suffisamment longtemps des gains qu’ils leur procurent, c’est-à-dire d’une dose minimale de pouvoir sur leur marché ?
Engageraient-ils dans le cas contraire les dépenses souvent abyssales qu’implique l’innovation ?
Nous avons discuté du risque de concentration de pouvoir que pouvait entraîner la globalisation, mais l’impact peut aussi être inverse. Autrement dit, intensifier la concurrence en ébréchant le pouvoir de certains petits malins sur les marchés nationaux. Qui s’en plaindrait, hormis les propriétaires et peut-être les salariés des entreprises mises sur le gril ? [...]
Dans le dernier quart du vingtième siècle, les Etats-Unis ont fabriqué 46 millions d’emplois supplémentaires, alors que l’Union européenne, de taille comparable, se contentait de 8,5 millions. Et qu’on ne vienne pas me dire, comme c’est de bon ton du côté de la Seine, qu’il s’agit de Mc Jobs, puisque environ les deux tiers des nouveaux emplois sont des emplois qualifiés. Certes les Américains ont cinq fois plus de « chance » de perdre leur emploi, mais mettent aussi cinq fois moins de temps pour trouver une nouvelle place. Résultat ? Un chômage des plus réduits depuis longtemps et une proportion de personnes restant plus durablement sur le carreau (plus d’un an) incomparablement plus faible que sur notre Continent.
L’ascenseur social américain fonctionne bien aussi, puisque selon une étude de l’université du Michigan, seulement 5 % de ceux qui se trouvaient dans les 20 % des revenus les plus faibles en 1975 y étaient encore au début des années 1990.
Quant au seuil de pauvreté, définis par un revenu inférieur à la moitié du salaire médian, et ajusté en parité de pouvoir d’achat d’après ce seuil américain (22 dollars par personne et par jour), il n’est pas significativement différent en France avec 12 %, au Royaume-Uni avec 13 % ou aux Etats-Unis avec 14 % [...]
Il serait facile d’assurer l’égalité par la distribution d’une part de gâteau identique pour tous … si la taille dudit gâteau ne dépendait pas, justement, de la façon dont il est partagé. Sans stimulations suffisantes pour pétrir la pâte, notre pâtisserie se réduirait à quelques miettes. D’où l’importance de partager, mais pas de façon égale pour éviter que la portion de chacun ne se réduise comme peau de chagrin. Eh oui, la nature humain est ainsi faite que, si elle ne récolte pas une part suffisante des fruits de son travail, elle cesse de se décarcasser … et le niveau de vie chute. Plutôt de bon sens, non ? [...]
La mondialisation racontée à ma fille, Ed. Seuil, André FOURCANS
Autre élément essentiel : l’arrivée de multinationales étrangères qui ont offert au Vietnam l’accès aux bienfaits de la mondialisation - de nouvelles idées, des capitaux et des technologies nouvelles. L’entreprise Nike est souvent stigmatisée comme un ennemi des pauvres. Mais lorsque j’ai visité la succursale Nike de Saïgon, le délégué syndical local m’a raconté que même les dirigeants du Parti communiste utilisent les usines comme un exemple positif, où les ouvriers gagnent bien leur vie et bénéficient d’un environnement de travail sain. Lorsque Nike s’est implanté il y a dix ans, les ouvriers marchaient des heures pour se rendre au travail ; trois ans plus tard, ils avaient les moyens d’acheter des vélos ; trois ans de plus, et ils y allaient tous en mobylette.
J’ai fait la connaissance de Tsi-Chi, une jeune femme vietnamienne. Son travail chez Nike lui a permis de délaisser son travail malsain sur la ferme familiale, où elle devait passer ses journées dehors sous le soleil brûlant ou pendant la saison des pluies. Aujourd’hui, elle gagne cinq fois plus qu’avant, plus que son mari - ce qui lui permet aussi d’être indépendante. Il y a une génération, elle aurait été obligée de mettre son fils au travail très jeune. Mais Tsi-Chi m’a dit qu’elle veut lui offrir une bonne éducation, pour qu’il puisse devenir médecin un jour. Elle n’est pas un cas exceptionnel. En réalité, la croissance a vaincu là où l’interdiction a échoué : depuis dix ans 2,2 millions d’enfants sont passés du travail à la salle de classe. Si les multinationales et des salaires plus élevés représentent l’exploitation, alors notre problème est tout simplement que les pays pauvres ne sont pas suffisamment exploités ... Si les antimondialistes devaient obtenir gain de cause, si nous boycottions tous les produits fabriqués par la main d’œuvre bon marché, Tsi-Chi perdrait son emploi et serait contrainte de retourner à la ferme et de mettre son jeune fils au travail.
1. Quelles sont les idées développées dans ces extraits ? Vous les synthétiserez les unes après les autres.
Des IDE modestes ; le protectionnisme coûte cher aux contribuables et aux consommateurs et protège peu d'emplois ; l'application de normes sociales internationales se ferait au préjudice des PED ; les multinationales ont intérêt à améliorer les conditions de travail dans leurs usines des PED ; l'interdiction du travail des enfants se ferait au préjudice des enfants et de leur famille ; l'aide internationale n'est efficace que si les pays aidés sont bien gérés ; vouloir réglementer la concentration des entreprises c'est atteindre à leur capacité d'innovation ; le modèle social américain créé des emplois et génére l'ascension sociale contrairement au modèle social français ; l'égalité ne permet pas la croissance.
2. Cherchez des arguments contraire à ceux employés ici, lesquels vous convainquent le mieux ?