La plupart des monopoles ne résultent pas d'hommes d'affaires cupides mais d'agressions réalisées en notre nom.
Lors des derniers chapitres, nous avons vu comment l'agression réglementaire a empêché les plus pauvres de créer des richesses, a conduit à l'inflation et à une baisse de notre niveau de sécurité.
Les petites entreprises ne survivent pas toujours aux coûts croissants de l'hyper-réglementation et donc les grandes entreprises deviennent dominantes. L'agression réglementaire que nous appelons de nos vœux afin de nous protéger d'entreprises qui pourraient nous exploiter nous met en réalité sous leur emprise. En tentant de contrôler les autres c'est nous qui tombons sous leur dépendance.
La pyramide du pouvoir
Ce concept est illustré graphiquement par la pyramide du pouvoir (figure 7.1). En l'absence d'agressions réglementaires la base de la pyramide est large dans la mesure où nos choix en matière de biens et services à consommer l'est également. Nos coûts sont faibles de par la liberté de choix qui nous est laissée. Les fournisseurs de services se font concurrence pour obtenir notre clientèle.
Si l'on y ajoute des interventions publiques sous formes de contraintes un certain nombre de marchandises ne nous seront plus accessibles, les prix augmentent donc comme nous l'avons vu dans les chapitres 4 à 6. Les consommateurs qui doivent s'acheter des produits ou de services faisant l'objet de réglementations devront s'en passer ou s'en procurer autrement.
La réglementation peut mener à la création d'un monopole au profit d'un fournisseur. La concurrence est ainsi éliminée, par la force si nécessaire. Lorsque ce deuxième niveau d'agression se rajoute au premier, les prix grimpent encore plus et la disponibilité du produit ou service est encore plus faible. Les consommateurs sont contraints d'avoir recours aux services du monopoleur, de se passer de ce dont ils ont besoin, ou de se fournir eux-mêmes ce service.
Les services de réseaux qui passent souvent pour des services publics constituent cette deuxième forme d'agression, les monopoles qui jouissent de la protection publique grossissent et finissent par obtenir un pouvoir de contrôle sur nos vies. Il en résulte une limitation de notre liberté de choix et de notre pouvoir d'achat.
Le troisième niveau d'agression intervient lorsque ceux qui ne recourent pas au service du monopole sont obligés de subventionner ceux qui y ont recours. Habituellement de tels services portent l'estampille " service public ". Par exemple le service postal américain a besoin d'être subventionné dans la mesure où il connaît des déficits structurels même si il facture ses services.
Les " services publics " coûtent ont en général deux fois plus de frais que les entreprises privées pour des raisons que nous examinerons plus tard. Dans le troisième niveau d'agression, même si le consommateur réussit à se passer des services du monopoleur il doit participer tout de même à son financement.
Figure 7.1. La pyramide du pouvoir
Mais un quatrième niveau d'agression peut se rajouter quand justement il devient impossible de se passer du monopole de service public. Faire sans ou se procurer ses propres services n'est plus légalement possible. Á chaque nouveau niveau d'agression, le choix des consommateurs se trouve un peu plus restreint jusqu'à ce que toute possibilité de choix leur soit retirée. Les chapitres 9 et 10 entreront dans le détail des implications du monopole monétaire et éducatif.
L'agression par le biais de l'État est la façon par laquelle les différents niveaux de restriction des libertés se surajoutent. C'est pourquoi dans l'esprit du peuple l'État se personnalise que ce soit l'Oncle Sam (ou Marianne) (1). Mais observons l'histoire de l'Amérique pour voir comment nous en sommes arrivés là.
John D. Rockefeller et la Standard Oil
Il arrive que les consommateurs votent avec leurs dollars pour donner un monopole à un fournisseur de services exceptionnel. Ce fut le cas en faveur de John D. Rockefeller, par exemple. Celui-ci, en développant des innovations et la recherche d'économies, avait réussi à baisser le prix du gallon de kérosène de 58 cents à 8 cents entre 1865 et 1885 (2). Il fut capable d'une telle prouesse en s'attachant les meilleurs employés grâce à une politique de salaires généreuse et à la mise en place d'un système de prévoyance retraite (3).
Comme Rockefeller a choisi d'attribuer une plus grande part de la valeur ajoutée à ses employés, il parvint à rassembler une équipe très motivée. Ainsi l'équipe de scientifique de la Standard Oil a pu mettre au point des techniques plus efficaces de raffinage (4), a pu utiliser des sous-produits miniers pour faire du fuel (5), a appris à mettre au point un système de désulfurisation du pétrole. Avant ces recherches, seuls les plus riches pouvaient avoir les moyens de s'éclairer des nuits entières avec des bougies ou de l'huile de baleine.
De telles innovations ont rendu le kérosène abordable pour quelques centimes de l'heure et ainsi transformé la façon de vivre des Américains moins fortunés (7). Ceux-ci ont donc voté avec leurs dollars pour faire de la Standard Oil de Rockefeller leur fournisseur exclusif de kérosène, en 1879 il contrôlait 90 % du raffinage mondial de pétrole (8).
Et les travailleurs américains ne furent pas les seuls à profiter des prix plus faibles en matière de kérosène puisqu'au fur et à mesure que le prix du kérosène baissait, la demande d'huile de baleine suivit la même courbe descendante. La chasse à la baleine devint moins rentable. La flotte des 735 baleiniers de 1846 fut réduite à 39 en 1876 (9). Si nous n'avons pas su faire une richesse de ce kérosène si peu onéreux, les baleines auraient pu disparaître de la planète. C'est grâce à Rockfeller que nous avons pu substituer une ressource abondante (le kérosène) à une ressource en déclin (l'huile de baleine). Notre actuelle dépendance vis-à-vis des énergies fossiles pourrait aussi disparaître par notre recours à des énergies virtuellement inépuisables comme l'énergie solaire ou le nucléaire.
Comment le marché protège les consommateurs
La Standard Oil a récolté ce qu'elle a semé et a pu acquérir ainsi sa position dominante. Pour autant, elle n'a pas pu augmenter ses prix sous peine d'attirer des concurrents potentiels qui auraient pu détourner une partie de leur clientèle en vendant moins cher. Le marché, libre de l'agression réglementaire, protège le consommateur de tarifs trop élevés.
Rockfeller a tenté d'organiser les raffineurs indépendants afin de maintenir des prix élevés (10). Cependant les profits que l'on pouvait tirer en cassant cette entente sur les prix étaient tellement alléchants que quelques raffineurs passèrent outre les accords conclus. Rockfeller découvrit qu'un marché libre était capable de mettre en échec ses tentatives d'exploiter les consommateurs. Il ne fut d'ailleurs pas le dernier à prendre une telle leçon. En 1907, les industriels de l'acier ont tenté de s'entendre sur les prix en se constituant en cartel, avec le même résultat que Rockfeller (11).
Les déboires des tentatives de contrôle du marché par Rockfeller incitèrent des outsiders à détourner les consommateurs de la Standard Oil. Bien évidemment, quelques entreprises essayèrent d'avoir recours aux services de raffineurs qui leur offraient de meilleurs tarifs.
Rockfeller réagit en rachetant ces nouveaux concurrents, mais il ne pouvait pas pour autant jouir longtemps de prix de monopoles, car d'autres apparurent sur le marché et le concurrencèrent en espérant se faire racheter au prix fort.
Alors que l'autorégulation du marché mettait en échec les tentatives de constitution de son monopole, l'intervention de l'État pouvait aboutir à la consolidation de ses positions. La plupart des transports ferroviaires étaient subventionnés. Si le marché avait du développer un système de transport privé, le transport du pétrole aurait vraisemblablement été davantage décentralisé au bénéfice de la concurrence.
Les chemins de fer ont aidé Rockefeller à maintenir sa domination sur le marché grâce à des réductions obtenues par l'importance des volumes transportés (12). De plus les chemins de fers se sont engagés dans la conclusion d'accords d'exclusivité avec la Standard Oil. En retour, certaines compagnies ferroviaires se sont entendues secrètement pour payer à Rockefeller un partie des coûts supplémentaires imputés aux concurrents de la Standard Oil pour le transport de leur pétrole. Lorsque ceci devint notoire les exploitants pétroliers refusèrent de continuer à vendre à la Standard Oil. Des milliers de personnes manifestèrent contre la société de Rockefeller et entamèrent un boycott (13). Les fournisseurs et les consommateurs punirent Rockefeller pour un comportement qu'ils jugèrent déloyal. Rockefeller cessa donc d'étendre son empire afin de continuer à pouvoir travailler (14).
La seule façon pour Rockefeller de tourner les rigueurs du marché était de s'en remettre à l'État. Il a donc demandé aux parlementaires d'évincer ses concurrents à sa place. Lorsque la Tidewater Pipe Line Company mit en péril la suprématie de Rockefeller, il parvint à obtenir le monopole sur la fabrication de pipelines dans tous les États où la Tidewater opérait (15).
Pourtant, en dépit des manœuvres de Rockefeller, le marché parvint à protéger les consommateurs de l'exploitation monopolistique. Rockefeller fut dans l'obligation de maintenir des prix faibles ou de perdre des clients. Cependant, presque 4 ans après avoir obtenu 90 % du marché, les concurrents de la Standard Oil ont doublé le volume de leur marché (16). En 1884 une centaine de raffineries étaient en fonction (17). En 1911 la Standard Oil ne raffinait que 64 % du pétrole domestique. La concurrence incluait Gulf, Texaco, Union, Pure Oil et Shell (18). La procédure lancée la même année contre la Standard Oil dans le cadre de la loi Anti Trust, payée par l'agent des contribuables, apparaissait comme manifestement redondante puisque le marché avait repris le contrôle de la situation.
Et en effet l'empire Rockefeller se dégonfla : en 1882, il raffinait 85 % du pétrole mondial mais en 1888, le pétrole russe entama la part de marché de la Standard Oil qui tomba à 53 % (19).
En outre le kérosène qui avait remplacé l'huile de baleine pour l'éclairage fut lui-même remplacé par le gaz naturel et l'électricité dès le début des années 1900 (20). Finalement ce sont les nouveaux produits, fruits de l'innovation, qui permettent la création de monopoles toujours grignotés par la logique du marché.
Bill Gates et Microsoft
C'est encore le marché qui a permis de ne pas transformer la domination de Microsoft en un monopole abusant les consommateurs et ceci bien avant ses problèmes avec la loi anti-trust. En 1997, Microsoft fut poursuivi pour monopole car il était anticipé que le système d'exploitation Windows devrait équiper 95 % des ordinateurs. En 1998, A pple qui utilise le système d'exploitation MacOS avait obtenu 10 % du marché (21). Au milieu des années 2000, Microsoft n'équipait plus que les deux tiers des ordinateurs personnels, Linux et MacOS se partageant le reste. Pour les ordinateurs professionnels la performance de Microsoft est plus mauvaise puisque moins d'un tiers des réseaux utilise Windows (22).
Il apparaît donc que Microsoft ne détient pas le monopole des systèmes d'exploitation et perd même du terrain. Le développement en cours des systèmes d'exploitation sur le web pourrait même mettre Windows hors course d'ici quelques années (23). L'autorégulation du marché protège les consommateurs du monopole de Microsoft avec la force d'innovation issue de la concurrence.
Les produits Microsoft sont rarement vendus aux plus hauts tarifs, le coût de Windows en dollars réels a baissé de 53 % entre 1990 et 1998 (24). Le succès de Microsoft s'est fait sur des prix modérés et des volumes importants, ainsi lorsque Microsoft crée de nouvelles applications, le prix de ces applications comme par exemple le traitement de texte a baissé quatre fois plus vite que là où Microsoft n'est pas présent (25). Microsoft a gagné des consommateurs de la même façon que Rockefeller - en insistant sur la qualité et les prix bas.
Ainsi Microsoft a donné l'explorateur Internet Explorer avec ses systèmes d'exploitation Windows. Le ministère américain de la justice a considéré que ce don constituait une concurrence prédatrice dans la mesure où la vente d'autres moteurs de recherche comme Netscape en a souffert.
Bien évidemment, Netscape dominait le marché des navigateurs avant d'être supplanté par Internet Explorer, et l'a dominé exactement de la même manière - en offrant gratuitement son navigateur (26). Ceci n'a pas empêché Netscape et d'autres concurrents de Microsoft de se plaindre de cette pratique auprès du ministère de la justice pour " prix prédateurs " (27). Netscape voulait continuer à vendre son navigateur mais beaucoup n'en voulait plus dans la mesure où il pouvait en obtenir gratuitement la version de Microsoft !
Netscape et les autres concurrents de Microsoft auraient pu employer leur temps, leur argent et leurs efforts déployés dans ce procès par la recherche de moyens de convaincre les consommateurs. Mais ils ont préféré se tourner vers la possibilité d'agresser par le biais de règles étatiques afin de contraindre Microsoft à cesser de fournir son navigateur.
De telles tactiques ne sont pas inhabituelles. La plupart des affaires de procès anti-trust sont nés de plaintes de concurrents et non de consommateurs (28). Ainsi il apparaît que les mêmes groupes de pression soutiennent les lois anti-trusts et les réglementations, ceux-là même qui veulent étrangler la concurrence sans avoir à regagner leurs clients perdus.
De toute évidence, les politiciens qui brandissent l'arme de la réglementation ne font que favoriser les généreux donateurs à leur campagne. Alors que, depuis 1995, Bill Gates a favorisé l'investissement dans le développement de ses produits plutôt que dans le soutien aux partis. Un seul lobbyiste à plein temps travaillait à Washington pour le compte de Microsoft et les dons qu'il a pu réaliser ne se montent qu'à 16 000 dollars (29). En 1996 Microsoft corrige le tir et verse pour 250 000 dollars de contributions aux partis (30).
Cette guéguerre des dons entre Microsoft et ses concurrents ne fait que gaspiller les ressources des consommateurs. Aucune création de richesses n'en résulte et ceci nous appauvrit même. Des richesses sont transférées des consommateurs et des contribuables aux politiciens et aux avocats.
Nous n'avons pas besoin d'utiliser l'agression réglementaire pour prévenir les monopoles, le marché suffit largement. Le seul moyen pour une entreprise de maintenir sa domination est de servir ses clients mieux que qui que ce soit d'autre. Peu d'entreprises peuvent maintenir cet exploit à long terme.
Alcoa Aluminium
Une de ces companies est l'Aluminum Company of America (Alcoa), laquelle a pu conserver 90 % du marché pendant presque un demi-siècle (les 10 % restants venaient des importations). Durant tout ce temps Alcoa a ramené
le prix de l'aluminium de 8 dollars à 22 cents la livre, c'est-à-dire davantage encore que ne l'a fait Rockefeller pour le pétrole et Bill Gates pour les logiciels. Mais à la différence de Standard Oil et de Microsoft, Alcoa n'a jamais été accusé de menées commerciales louches, seulement d'abus de position dominante pour être " … une grande organisation ayant l'avantage de l'expérience, des contacts commerciaux, et d'un personnel très qualifié " (31). Pour le dire autrement Alcoa s'est davantage préoccupé de ses clients que ne l'ont fait tous ses concurrents.
Alcoa n'a fait que récolter ce qu'elle avait semé. Le procès intenté par le gouvernement américain n'avait aucune utilité, au contraire il porta atteinte aux clients d'Alcoa qui dû augmenter ses tarifs pour payer les frais de justice. L'argent des contribuables avait aussi été gaspillé dans cette affaire.
Le monopole de Bell garanti par ses brevets
Sur un marché libre les monopoles sont rares. Ils n'existent que dans les cas où une entreprise sert mieux ses clients que tous les autres concurrents potentiels, par contre les monopoles incontestables créés par l'État sont communs.
En fait, le terme de monopole fait originairement référence à un privilège accordé par l'État. Les dirigeants voulaient garantir le monopole à un seul fournisseur de service et interdire qu'on leur fasse concurrence (32). En retour l'entreprise bénéficiant de ce monopole pouvait partager ses profits avec ses protecteurs.
Dans bien des pays les brevets attribuèrent à leurs détenteurs un monopole exclusif sur leur produit. Aux Etats-Unis le brevet est accordé pour une période de 17 ans. En théorie le brevet encourage l'innovation en récompensant les inventeurs d'une exclusivité sur leur trouvaille.
Les brevets ne sont devenus essentiels dans l'industrie pharmaceutique qu'à la suite des réglementations de la FDA qui rendirent particulièrement long les délais de développement de nouveaux médicaments. D'ailleurs une enquête révèle que c'est bien l'industrie la plus réglementée qui a le plus besoin des brevets, à savoir l'industrie pharmaceutique. Plus de 60 % des médicaments n'auraient pas été lancés en leur absence (33). En raison du temps nécessaire à leur mise sur le marché qui a augmenté de façon substantielle depuis le début des années 80, date à laquelle cette étude fut menée, ainsi l'industrie pharmaceutique dépend encore davantage des brevets.
Découvrir de nouvelles façons de faire usage de ressources déjà connues est une façon de créer des richesses, c'est ainsi d'ailleurs que fut inventé le téléphone. Comme une idée en entraîne une autre, il arrive que plusieurs personnes inventent presque simultanément des versions proches d'un même nouveau produit. C'est ainsi qu'Alexander Graham Bell, Elisha Gray et Antonio Meucci développèrent séparément et simultanément ce qu'il est convenu d'appeler le téléphone. Pourtant l'office américain des brevets accorda le monopole d'exploitation de cette invention à Bell puisqu'il s'était rendu dans leurs bureaux trois heures avant Gray (34). Meucci avait déposé son invention des années avant Bell et Gray, il attaqua donc la décision d'octroi du brevet à Bell. La bataille juridique favorisa finalement Bell (35).
Pourquoi tous les inventeurs ne peuvent-ils pas librement vivre des richesses qu'ils ont créées ? Le monopole de Bell empêcha Gray et Meucci d'utiliser leurs propres idées !
Le brevet Bell fut le plus lucratif de l'histoire car il permet à son créateur de détenir le monopole d'exploitation du téléphone jusqu'en 1894. Bell commercialisa d'abord son invention auprès d'un public de professionnels et de personnes très aisées, quand le brevet tomba dans le domaine public d'autres entreprises se mirent à proposer des services de téléphonie auprès de la classe moyenne et dans les zones rurales (36). Les nouveaux opérateurs étaient moins chers car ils cherchaient à obtenir de nouveaux clients moins fortunés. Les nouveaux abonnés furent satisfaits de cette nouvelle donne, en 1907 quelques 20 000 opérateurs contrôlaient la moitié des installations téléphoniques. C'est avec la fin du monopole Bell, que le taux d'équipement téléphonique explosa (graphique 7.2) alors que les nouveaux concurrents amputèrent les profits de Bell de 80 % (37).
L'autorégulation du marché permis encore de protéger les consommateurs des profits de monopole.
Alors que le téléphone passa du rang de nouveauté à celui d'outil domestique indispensable, les opérateurs indépendants développèrent un projet de partage du réseau (38). Le marché encourageait la coopération. Les opérateurs indépendants, en évitant de multiplier les infrastructures téléphoniques pouvaient mieux server leurs clients à moindre prix, ce qui leur permit d'engranger les profits.
Les riches s'enrichissent grâce à notre aide
Theodore Vail, le nouveau PDG de Bell était déterminé à reconstituer son monopole. Au lieu de trouver les moyens de mieux satisfaire les clients du marché que ses concurrents indépendants, il voulut obtenir une licence exclusive garantie par l'État. Il voulait ne plus laisser le choix aux consommateurs, les contraindre à avoir recours aux services de la Bell Company ou se passer de téléphone.
Pour convaincre les Américains de l'appuyer il répandit le bruit selon lequel la concurrence conduisait à multiplier les infrastructures et donc à pénaliser les consommateurs, il s'appuyait pour cela sur la notion de monopole " naturel " dans les services de réseaux. S'il avait eu raison Bell n'aurait jamais été confrontée à une concurrence qui lui tailla des croupières !
Taux d'installation téléphoniques exprimé comme l'augmentation en pourcentage des installations téléphoniques pour 1 000 habitants dans la période antérieure. Sources : L.S. Hyman, R.C. Toole, et R.M. Avellis, The New Telecommunications Industry: Evolution and Organization, Vol. 1. (Vienna, VA: Public Utility Reports, Inc., 1987) as reported in A.D. Thierer, "Un-natural Monopoly: Critical Moments in the Development of the Bell System Monopoly," Cato Journal 14: 267-285, 1994.
Si notre voisin Georges nous demandait d'écarter tous les concurrents qui pourraient lui faire de l'ombre auprès de sa clientèle, nous le regarderions avec suspicion. Pourtant, dès 1910, des autorités locales n'autorisaient qu'une seule société de téléphonie à opérer dans leur région (39). Ainsi les autres sociétés n'avaient pas le droit de proposer leurs services à des consommateurs qui auraient pu les préférer. Puisque Bell était la plus grande société de téléphonie, elle avait les moyens de faire un lobbying efficace auprès des commissions de service public et fut presque toujours préférée aux compagnies indépendantes.
Bien que Vail prétendait jouir d'un monopole naturel dans le cadre de la mise en place d'un service universel, le nombre d'installations téléphoniques baissa à mesure que les indépendants furent hors jeu. Ainsi le taux d'installations d'après 1910 fut comparable à ce qu'il fut lors de la première période de monopole de Bell (schéma 7.2). Dans la mesure où il n'y avait qu'un téléphone pour 10 personnes, la retour à une croissance modeste du nombre d'abonnés révélait davantage une insatisfaction vis-à-vis du monopole de Bell qu'une saturation du marché (40).
L'exploitation des consommateurs
Comment les consommateurs étaient-ils protégés des abus tarifaires du nouveau monopole d'ATT ? Les nouvelles lois lui permirent d'appliquer des tarifs assez élevés pour couvrir tous leurs coûts et générer un profit fixé d'avance. Avec des profits garantis ATT pouvait se permettre de payer le maximum pour ses équipes de recherche-développement, lesquelles purent développer des produits sous licence en matière de radio, de télévision, de cinéma et d'électronique. ATT n'avait par contre pas trop intérêt à innover en téléphonie puisque la technologie qui lui aurait permis de baisser ses coûts et donc de profiter pour partie aux consommateurs, ne lui aurait pas permis de générer des profits supplémentaires - eh oui les profits sont fixés d'avance - . Ce sont donc les consommateurs qui ont payé la R&D d'ATT et qui lui ont donc permis de prendre l'avantage dans d'autres secteurs industriels (41).
Lors de la crise de 1929, ATT pu encore se permettre de servir des dividendes importants à ses actionnaires (42). Si les abonnés du téléphone n'avaient aucune envie de subventionner le développement d'ATT ou le financement de ses actionnaires, ils n'allaient pas jusqu'à se passer de téléphone.
Notre agression réglementaire nous a coûté plus qu'un service téléphonique facturé au prix fort. Alors qu'ATT s'enrichissait et que ses innovations commencèrent à affecter d'autres industries, le département d'État à la justice poursuivit ATT au nom de la loi antimonopole pour l'empêcher de s'implanter dans la radio, dans le secteur de la radio-télédiffusion et du cinéma (43). Non content de débourser un maximum, les Américains devaient payer plus d'un milliard de dollars de taxes chaque année afin de payer les organes de réglementation du monopole (44). Si on avait laissé faire le marché ces dépenses auraient été évitées.
En 1984 un procès anti-trust a mis fin aux 75 années de monopole d'ATT sur les appels longue distance. Alors que de nouvelles compagnies vinrent se situer sur ce marché, les tarifs des appels longue distance baissèrent de 30 % dans les cinq ans consécutifs à la fin du monopole (45). Lorsque l'agression réglementaire est supprimée le marché se charge de protéger les consommateurs. Ceci se démontre facilement, puisque le maintien du monopole d'ATT sur les appels locaux permet une hausse de 50 % des tarifs sur ces même cinq années (46).
.En 1987, sept des compagnies téléphoniques nées de l'éclatement de Bell surperformèrent les gains des plus grandes sociétés américaines. Pendant toute la période durant laquelle les autres compagnies téléphonique ne pouvaient pas utiliser le réseau d'ATT, ils utilisèrent des réseaux satellitaires et des réseaux micro-ondes.
Vers la fin des années 80 les lignes téléphoniques d'entreprise s'étaient en majorité détourné du réseau ATT (48). Les entreprises avaient fait ce choix par souci d'économie, ce qui confirme bien le fait qu'ATT surfacturait les appels locaux donc exploitait le consommateur pour se refaire des marchés perdus sur les longues distances. Même la Commission Fédérale à la Communication, l'agence du gouvernement chargée du contrôle des compagnies de téléphonie, n'utilise pas le réseau ATT ! (49)
Alors que l'usage du téléphone portable devint plus économique, les gens se mirent à l'utiliser à la place de leur téléphone fixe. Voila qui montre encore une fois que les innovations permises par le marché permettent de donner le choix aux consommateurs créant un service qui se substitue à celui détenu en monopole par l'agression réglementaire. Finalement, par la force des choses le monopole dû finalement être levé dans les communications locales.
L'industrie téléphonique constitue seulement un exemple de ces " monopoles naturels " qui finalement ne sont pas si naturels que cela. La télévision par câble en est un autre. Nous avons créé ces monopoles exploitant leurs clients avec notre volonté d'agression par État interposé.
Même lorsque nous abaissons suffisamment les armes de l'État pour autoriser l'apparition d'un seul fournisseur supplémentaire nous gagnons du pouvoir en tant que consommateurs.
Par exemple, dans les quelques villes où l'État autorisait la présence de deux fournisseurs d'énergie les prix étaient plus faibles que dans les villes où seul un fournisseur était habilité (50). Malheureusement, les coûts ne sont qu'une partie du prix que nous payons pour cette agression réglementaire.
Comment les monopoles réglementaires nuisent à l'environnement
Les monopoles réglementaires ont contrubué pour une part importante à notre dependence vis-à-vis des energies fossils. Au début des années 1900, par exemple, bien des papeteries produisaient leur électricité à partir de la vapeur. Ils ne purent plus commercialiser cette énergie produite car les infrastructures énergétiques publiques obtienrent un monopsone (51). Des usines utilisant des énergies alternatives ne le purent plus non plus. La production centralisée d'énergie dépendant des énergies fossiles devint la norme. De même que pour ATT, les infrastructures publiques n'avaient aucun intérêt à économiser l'énergie ou à développer des énergies alternatives.
D'ailleurs leur profit ne dépendait pas des consommateurs mais des politiciens. C'est la politique qui dirigeait, pas le peuple.
Un jeu à somme négative
Personne ne gagne lorsqu'un deuxième niveau d'agression crée des monopoles non contestables. Les petites entreprises comme les compagnies indépendantes de téléphone sont mises hors jeu, abandonnant les consommateurs à la merci des monopoles. En conséquence les consommateurs paient plus pour avoir moins.
Cependant, même les monopoles sont perdants. Quand des innovations, telles que les téléphones portables, rendent les monopoles non contestables obsolêtes, ces monopoles perdent toute capacité compétitive. Finalement le monopole lui-même peut-être l'objet d'actions antimonopoles comme ATT a pu le découvrir. En 2000, AOL, qui soutenait le procès du ministère de la justice contre Microsoft, devint la cible de la commission fédérale du commerce au sujet du marché des SMS (52). De telles poursuites signifient aussi un alourdissement des factures et des tarifs plus élevés pour l'américain moyen.
L'autorégulation par le marché est tellement efficace dans la dissolution des monopoles que les réglementations relatives à la préservation de la concurrence sont redondantes et porteuses de gaspillages dans la mesure où les procès antitrusts consomment des ressources sans créer de richesses. Lorsque les entreprises dominantes doivent se défendre contre des procès antitrusts ou faire du lobbying pour les dissuader, elles ne sont pas en mesure d'investir autant pour développer leur production. Donc, elles embauchent moins ce qui est une conséquence directe des procès (53).
La plus grosse perte est cependant sensible dans le domaine de l'innovation. Les monopoles non contestables n'ont pas particulièrement besoin d'innover, ATT réalisait les mêmes bénéfices que cette société innove ou non.
Si notre agression réglementaire avait conférée un monopole à IBM dans le domaine des ordinateurs, les PC et les ordinateurs portables auraient pu ne jamais exister. En 1943 le directeur d'IBM Thomas Watson Sr pensait qu' " il existait un marché mondial qui permettarait de vendre environ 5 ordinateurs ". Au milieu des années 1970, un cadre dirigeant de Xerox demanda à Steve Jobs, fondateur d'Apple, " Pourquoi tout le monde voudrait-il posséder un ordinateur chez soi ? " (54). Une grande partie des innovations sont issues des start-ups, telles que celle que lança Jobs dans son garage. Lorsque des lois refrénent les appétits d'entrepreneurs ambitieux nous sommes tous perdants. Nos revenus ne peuvent nous offrir ce qui n'a pas encore été inventé.
Une meilleure solution
Il est rare de trouver des monopoles sur un marché libre. Seules les entreprises capables de bien servir leurs clients sur une longue période peuvent maintenir leur domination sur le marché. Si les entreprises augmentent leurs prix alors de nouveaux concurrents apparaissent rapidement. Seules des agressions réglementaires peuvent maintenir l'exploitation d'un monopole sur une longue période.
Heureusement, les coûts financiers et écologiques de la réglementation deviennent tellement évidents que les monopoles commencent à être démantelés. En 1978, le Congrès des États-Unis mis fin aux monopoles publics en matière énergétique. Les services publics achètent désormais leur électricité à des tarifs plus faibles auprès de centrales électriques utilisant des sources d'énergie renouvelanles telles que le vent, l'eau ou la cogénération vapeur. De petites centrales électriques fonctionnant avecde vieux pneus ou de la bouse de vache apparaissent également (55) ! Avant 1978 si vous vouliez construire un moulin et vendre l'électricité produite en surplus à vos voisins, alors les agents de l'État vous en auraient empêché afin de sauvegarder le monopole pas si naturel que cela de l'énergie.
La déreglementation de l'électricité s'est depuis répandue dans le monde, ce qui a permi aux consommateurs australiens et britanniques d'économiser en moyenne respectivement 24 et 26 % sur leurs factures (56).
Aux États-Unis, bien des États ont conservé le principe du monopole énergétique non contestable en dépit du fait que le Congrès en ait abrogé la règle. En 1996, l'État de Pennsylvanie débuta l'ouverture de son marché de l'énergie. Les consommateurs purent payer 30 % moins chers et optent pour des sources d'énergie vertes (57).
Des prix moins élevés cela signifie que de la richesse a été créée plus efficacement. Plus nous économisons de temps et d'énergie à produire des " anciennes " richesses, plus nous sommes capables d'affecter des ressources à la création de " nouvelles " richesses. Comme des richesses sont produites à travers de nouvelles activités, l'emploi augmente. Le délégué aux finances de l'État de Pennsylvanie a estimé que la déréglementation de l'énergie permettait la création de 36 000 emplois de 1996 à 2004 (58). La déréglementation c'est moins d'agression étatique, au lieu de forcer la main elle permet de respecter les choix de chacun.
Pourtant en 1996, l'État de Californie a tenté de "déréguler" le marché de l'énergie tout en créant de nouveaux contrôles sur les centrales énergétiques. Les compagnies privées d'électricité étaient obligées de vendre et d'acheter de l'énergie à travers une bourse publique en situation de monopole. Ce monopole ne vendait plus son énergie par des contrats à long terme qui auraient permi aux sociétés privées d'anticiper leurs coûts et de fixer des tarifs stables (59).
Alors que de nombreuses entreprises aient demandé la permission de construire de nouvelles centrales électriques en Californie, elle ne leur fut pas accordée. Ainsi que ceux de la FDA, les fonctionnaires californiens sont si lents à émettre une autorisation qu'aucune grande centrale électrique n'a été bâtie durant les dix dernières années, même si la hausse de la demande d'énergie a atteint 25 % (60).
Il n'est pas surprenant que la Californie récolte ce qu'elle a semé. Les prix se sont envolés et l'électricité dû être rationnée, cet échec signifie bien que la déréglementation devrait consister en moins de réglementation plutôt qu'en de nouvelles réglementations.
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La règle bureaucratique des deux : le fait de retirer une activité de la sphère privée au profit de la sphère publique conduit au doublement de ses coûts de fonctionnement.
Thomas Borcherding, Budgets et bureaucrates : les sources de la croissance de l'État
Nous devons toujours avoir à l'esprit que nous raffinons le pétrole pour l'homme du commun et que nous nous devons de lui procurer de l'énergie bon marché et de bonne qualité.
John D. Rockefeller, fondateur de la Standard Oil
… les hommes les plus riches de ce monde sont ceux qui ont fait de leur mieux pour se mettre au service des autres, et plus particulièrement des hommes de modeste condition. … Henry Ford devint plus riche que Bentley, il voulu construire ses automobiles pour l'Américain moyen . … La poursuite du profit est l'activité la plus en adéquation avec les besoins de l'homme.
Walter Williams, ALL IT TAKES IS GUTS
Si les pêcheries de baleines s'étaient adaptées à la hausse de 300 % de la population entre 1850 et 1900, la plupart des espèces de baleines n'existeraient plus aujourd'hui.
James S. Robbins, The Foundation for Economic Education
… les économistes savent depuis longtemps que les monopoles privés sont éphémères.
Peter Drucker, INNOVATION AND ENTREPRENEURSHIP
Les lois antitrusts dans ce pays sont un fatras d'irrationalité économique et d'ignorance.
Alan Greenspan, gouverneur de la banque centrale américaine
Vous arnaquer les gens si vous leur vendez plus cher que les autres, mais vous faîtes une concurrence déloyale si vous vendez moins cher ! Et ne vendez pas non plus au même prix que les autres sinon on vous accusera de collusion !
R.W. Grant, THE INCREDIBLE BREAD MACHINE
...même le chef des experts du gouvernement, l'économiste Franklin Fisher, a admis que Microsoft avait nuit à ses concurrents mais en aucun cas aux consommateurs.
David Kopel, INTELLECTUAL AMMUNITION
Microsoft ne serait pas aujourd'hui dans une situation difficile s'il avait été moins compétitif et s'il avait plut davantage aux décideurs de Washington.
-Richard McKenzie University of California, Irvine
Monopole : droit concédé par un État donnant le contrôle exclusif d'une activité commerciale à une seule partie.
-AMERICAN HERITAGE DICTIONARY, 2000
L'Office des brevets octroya à Bell le brevet n°174 465, un morceau de papier qui eut plus de valeur que tout ce qu'émis jamais l'Office des brevets.
Joseph C. Goulden MONOPOLY
Ce fut lors des périodes de guerres commerciales que les produits furent démocratisés et ont pu se répandre le plus rapidement dans la population tout en étant l'objet du rythme le plus rapide d'innovations.
Peter Samuel UNNATURAL MONOPOLIES
Le trait marquant de la vie politique américaine au début du vingtième siècle est que ce sont les grandes compagnies qui menèrent la lutte en faveur de la réglementation de l'économie.
Gabriel Kolko THE TRIUMPH OF CONSERVATISM
Globalement les monopoles favorisent les riches alors que la concurrence favorise les pauvres.
George Watson JOURNAL OF ECONOMIC AFFAIRS
Dans les deux premières années de la déréglementation les prix ont baissé de 4 à 15 %, et quelquefois davantage pour certaines catégories de consommateurs. Dans les 10 ans qui ont suivi les prix ont chuté de 25 % et quelquefois de près de 50 %.
Robert Crandall et Jerry Ellig ECONOMIC DEREGULATION AND CUSTOMER CHOICE: LESSONS FOR THE ELECTRIC INDUSTRY |