Mutation du travail et conflits sociaux


I. Des conflits du travail aux conflits sociaux

Depuis la révolution industrielle, les grands conflits sociaux sont liés à des conflits du travail, qu'il s'agisse de la révolution de 1848, des grandes grèves de 1936 ou de 1968 en France, ou encore plus récemment des mouvements de décembre 1995.

Pourquoi ces conflits sociaux naissent-ils de conflits du travail ?

A. Les sources des conflits du travail

Le lieu de travail est le centre de la vie des salariés qui y passent la plus grande partie de leur temps et y créent des relations sociales. Mais les relations de travail sont marquées par des inégalités dans la mesure où la division du travail introduit des différences en matière de statut (cols blancs et cols bleus), de métiers, de place dans la hiérarchie et de rémunération. Que faut-il pour que ces inégalités dégénèrent en conflit du travail ?

1. De la perception des inégalités au conflit du travail

Les inégalités, quelle que soit leur évolution, qu'elles soient justifiées ou non, elles sont toujours contestées par une partie de la population.

Il n'est donc pas étonnant que les avantages accordés à une personne ou à un groupe entraînent la jalousie - ou les justes récriminations ! - de ceux qui en sont privés.

Les dirigeants salariés de certaines grandes entreprises ont été contestés pour les très fortes augmentations de leurs rémunérations. L'énorme prime de licenciement (golden parachute) de Noël Forgeard d'EADS a suscité des remous dans l'entreprise alors que d'autres salariés s'étaient vus refuser une augmentation de leurs salaires.

 

La perception individuelle d'une inégalité peut être source d'émulation : les individus en concurrence les uns avec les autres sont à la recherche de promotions en mettant en avant leur industrie et leur ingéniosité. Il n'y a pas là de conflit social.

Un salarié peut aussi se considérer victime d'une injustice, il pourra saisir le Conseil des Prud'hommes contre son employeur. Cette fois il y a bien conflit, mais ce n'est toujours pas un conflit social puisqu'il s'agit d'un conflit individuel.

 

L'émergence d'un conflit collectif du travail implique donc une dimension collective et un sentiment d'injustice ou une volonté de mettre en place un rapport de force.

Ce conflit doit se cristalliser autour d'un objet qui est une revendication réclamée par certains et que d'autres ont le pouvoir de satisfaire ou de ne pas satisfaire. Le conflit social tend à donner à ceux qui revendiquement un pouvoir de nuisance dans un jeu donnant-donnant : la direction donne satisfaction aux revendications et les salariés mobilisés cessent le conflit qui pourra souvent prendre la forme d'un arrêt de travail concerté (grève).

Le conflit du travail est bien un rapport de force qui remet en cause la cohésion dans l'entreprise. Il comporte un aspect matériel qui est la satisfaction de la revendication, mais aussi un aspect symbolique qui est la victoire ou la défaite dans le conflit, de cet aspect dépend à l'avenir le rapport de force entre la base et la direction.

2. La division du corps social

Des identités professionnelles vont se construire en partie en se distinguant des autres professions de l'entreprise et en fonction de la place de la profession dans la hiérarchie. Elles vont se structurer en fonction de valeurs partagées qui pourront fonder un antagonisme vis-à-vis d'autres groupes au sein de l'entreprise et même au sein de la société. Par exemple les ouvriers manutentionnaires affirment des goûts et des références différentes de celles de l'encadrement, les commerciaux ne cultivent pas les mêmes qualités que les comptables, ... Chacun de ces groupes voudra mettre en évidence son caractère indispensable, affirmera la valeur de son métier.

Le premier point d'opposition est, bien sûr, les inégalités de rémunérations. Chaque groupe a une idée différente de la valeur des métiers, et donc des inégalités " justes " ou " injustes " -. Par exemple le manutentionnaire se considérera généralement comme trop peu payé face aux cadres dont il pourra minimiser l'importance des fonctions. Les cadres dirigeants dont les salaires sont critiqués mettront en avant les nombreuses responsabilités qu'ils occupent, les enseignants dont le temps de présence devant élève est critiqué avanceront au contraire qu'ils ne sont pas assez rémunérés considérant leur rôle fondamental dans la société ;-)

 

L'organisation matérielle du travail doit permettre la construction de cette identité professionnelle.

Il faut qu'un collectif de travail se forme pour que ceux qui travaillent dans la même profession puissent se rencontrer, communiquer, déterminer des objectifs et intérêts commun. Marx expliquait ainsi au XIXème siècle que les paysans français étaient trop dispersés géographiquement pour s'organiser et se révolter ; pareillement les ouvriers dans le système artisanal médiéval avaient davantage de contact avec leur patron qu'avec les autres ouvriers donc la conscience d'appartenance à une même classe sociale était inexistante.

Inversement, avec le développement de la Révolution Industrielle, le regroupement des ouvriers dans les ateliers puis dans les grandes usines, où l'on travaille ensemble, fait la pause ensemble, mange ensemble, où l'on se rencontre en allant au travail et en repartant chez soi, a incontestablement favorisé l'organisation des ouvriers. L'identité professionnelle va donc déterminer une conscience sociale dans la vision marxiste, c'est-à-dire l'intégration d'intérêts propres à un groupe et antogoniques à ceux d'un autre groupe.

3. Société et conflits du travail

Les conflits du travail diffèrent suivant le type de société où ils prennent place :

dans les pays à forte tradition communiste (France, Italie, Espagne, ...) les conflits du travail dégénèrent facilement en grève et ont des motifs sous-jacents davantage politiques que professionnels. Alors que dans les pays communistes les conflits du travail ne sont pas censés exister et la grève est illégale ;

dans les pays à forte tradition de compromis social (États-Unis, Allemagne, Japon, ...) les conflits du travail se règlent plus facilement et ne dégénèrent que rarement dans des affrontements durs.

 

Les conflits les plus durs ne sont donc pas liés aux injustices les plus fortes.

Ainsi de la tradition de lutte ou de compromis dépend des antagonismes entre identité professionnelle, de l'attitude des syndicats et des médias. Les grèves et les manifestations d'une partie des salariés d'EDF contre l'ouverture du marché de l'électricité n'ont donc pu obtenir du succès que grâce à la détermination de la CGT dont le pouvoir au sein d'EDF est très important, mais aussi grâce à une mobilisation des medias présentant de façon défavorable le processus d'ouverture du marché donc visant à attirer la sympathie de la population sur ce mouvement.

B. Du conflit du travail au conflit social

1. La théorisation marxiste des conflits du travail

Marx présente les conflits du travail comme issus du rapport de production capitaliste opposant les salariés qu'il appelle les prolétaires - ne disposant que de leur force de travail - aux capitalistes - possédant les moyens de production, c'est-à-dire le capital -. Les salariés vont donc louer leur travail aux capitalistes, qui s'accaparent la valeur de la production en échange du versement d'un salaire. Or, toujours selon Marx, le salaire versé est toujours inférieur à la valeur de la production du prolétaire et permet donc au capitaliste d'obtenir une plus-value - différence entre la valeur de la preoduction des prolétaires et les salaires qui leur sont attribués -profit.

 

Les conflits du travail ont donc pour objet la plus-value que les capitalistes tentent à augmenter par l'augmentation de la productivité, du temps de travail et la baisse des salaires alors que les prolétaires cherchent le contraire. Pour Marx, le rapport de force n'est pas en faveur des prolétaires tant que ceux-ci n'ont pas conscience d'appartenir à une "classe sociale exploitée dont les intérêts sont opposés à ceux des capitalistes". Ainsi, faute de s'organiser les prolétaires se feraient concurrence sur le marché du travail où existe une réserve de chômeurs prêts à travailler pour pas cher, ce qui permettrait aux capitalistes de toujours trouver de la main-d'oeuvre employable pour un alaire de subsistance (suffisamment pour se maintenir en vie et nourrir leurs enfants, mais pas plus).

Pour aller plus loin : Marx, la lutte des classes

2. L'organisation des classes antagoniques

Le mode de production détermine donc, selon Marx, des intérêts contradictoires structurant des classes antagoniques. Les conflits du travail qui est résultent sont donc des conflits qui remettent en cause l'ordre social établi.

 

Les acteurs de cette lutte des classes vont donc s'organiser sur le lieu de travail et dans la société.

D'un côté les prolétaires vont se regrouper dans des syndicats afin d'exercer des actions revendicatives - avec une logique non de compromis mais d'affrontement - ; mais aussi dans un parti politique visant à renverser le capitalisme : le parti communiste.

D'un autre côté, les capitalistes procédaient de même, en se structurant en organisations patronales et en constituant des partis bourgeois destinés à maintenir l'ordre social.

 

 

II. Transformation des conflits du travail

La vieille vision marxiste théorisant les conflits sociaux en lutte de classes entre les ouvriers et les patrons est sortie du cadre de l'entreprise pour fonder des identités politiques et des modèles de société qui se sont effondrés de par leur brutalité et leur inefficacité. Mais dans l'entreprise aussi cette vision a vécue, le travail des ouvriers a fortement changé et l'identité ouvrière a muté pour faire éclater le groupe social ouvrier.

A. Les mutations du travail

1. La diminution de la part des ouvriers dans la population active

Le recensement de mars 1999 en France met en évidence la poursuite du mouvement amorcé dès le milieu des années 1970 : les ouvriers représentaient encore plus de 7 millions d'individus en 1982, ils étaient 6,5 millions environ en 1990 et 5,9 millions seulement en 1999. La diminution des effectifs ouvriers est donc forte : - 15 % entre 1982 et 1999, leur part dans la population active baisse davantage encore puisque, dans le même temps, la population active occupée augmentait. Les recensements de l'INSEE situent la P.C.S. " ouvriers " à 32,8 % de la population active occupée en 1982 puis à 25,6 % en 1999.

2. Les ouvriers ne sont plus ce qu'ils étaient

Encore faut-il savoir de qui on parle lorsque l'on évoque la PCS "Ouvriers". La vision traditionnelle de l'ouvrier travaillant à la chaîne dans l'industrie est déconnectée d'une réalité qui ne concerne plus la majorité des ouvriers puisqu'en 2001, il y a plus d'ouvriers travaillant dans le tertiaire (hôtellerie-restauration, transports, par exemple) que d'ouvriers travaillant dans le secondaire en France. Quant aux ouvriers de l'industrie ils sont de moins en moins affectés aux chaînes de montage dans la mesure où le travail s'automatise. Si l'ouvrier perd sa place derrière la chaîne, il en gagnera une devant le robot ou des outils sophistiquées. L'ouvrier dans l'industrie sera donc plus souvent affecté à l'entretien et à la maintenance des machines ou encore au tri, à l'emballage, à lamanutention qu'à la production stricto sensu.

Cette évolution va de paire avec une complexification des tâches que l'ouvrier doit accomplir : les tâches se sont enrichies et diversifiées. Par rapport à l'ouvrier exécutant toujours le même geste sans réfléchir, même si ce type d'activité existe toujours chez les OS (ouvriers spécialisés), il faudra plus souvent travailler en autonomie, savoir réagir à des pannes, résoudre des problèmes de façon efficace et rapide. Pour cela on aura besoin d'OQ (ouvriers qualifiés) voire d'OHQ (ouvriers hautement qualifiés) pour travailler dans des activités où technicité et précision sont indispensables comme par exemple le nucléaire. Les ouvriers doivent donc être plus qualifiés qu'autrefois ceci se traduit par l'exigence de diplômes professionnels de la part des employeurs tels que des CAP, des BEP, des baccalauréats professionnels.

3. L'éclatement des collectifs de travail

L'usine Renault de Boulogne-Billancourt était l'illustration même des collectifs de travail géants où régnait une agitation sociale propice à déclencher et à répandre des mouvements sociaux pour des motifs d'ordre plus souvent politiques que professionnels. Le mouvement communiste et son relais, la CGT, mobilisait facilement dans les grandes usines. Mais aujourd'hui Renault Billancourt a fermé et la présence ouvrière dans les usines est moins importante du fait de l'automatisation des tâches de production. Certes certaines activités de production ont subi une faible modernisation mais on ne les trouve plus dans les pays développées.

Il reste bien sûr le secteur des services où la concentration ouvrière est importante, mais les effectifs des entreprises du tertiaire sont traditionnellement plus faibles que ceux des industries, tous secteurs confondus les ouvriers se côtoient beaucoup moins et sont davantage en relation avec des employés, des professions intermédiaires et des cadres.

B. La condition ouvrière

1. La fin de l'identité ouvrière

Les collectifs de travail ouvriers partiellement disparus, les rapports plus importants avec d'autres professions et catégories socio-professionnelles, l'évolution de la situation professionnelle tout au long de la vie ne figent plus l'ouvrier dans son identité professionnelle. La mutation du monde ouvrier comme nous l'avons vu c'est aussi une plus grande hétérogénéité dans les situations professionnelles : OS et OHQ ne travaillent pas dans les mêmes situations et pour les mêmes salaires, c'est encore un changement d'habitat avec la fin de la concentration ouvrière dans des grandes barres HLM.

Le mythe marxiste de la paupérisation absolue du prolétariat ne se concrétise donc pas. Au contraire le nivreau de vie des salariés s'améliore et les ouvriers, qui en étaient la frange la moins favorisée, augmentent rapidement leur niveau de revenu et leur consommation lors des décennies 1960 et 1970. Comme les "bourgeois", ils ont désormais accès à des biens de consommation durable comme la télévision, la machine à laver, le téléphone et l'automobile. Ils peuvent même espérer avoir accès à la propriété immobilière grâce au crédit ce qui est un élément de changement de leur mode de vie et de leurs conceptions. En effet, c'est la culture ouvrière qui disparaît chez certains : dans les foyers ce n'est plus seulement à l'homme de travailler, le travail manuel n'est plus autant valorisé et la cité ouvrière perd de son attrait. Les foyers ouvriers ne se reconnaissant plus tous comme tels surtout lorsqu'ils peuvent compter sur deux salaires, que leurs enfants peuvent poursuivre des études et qu'ils habitent dans un pavillon qui leur appartient. Pour Henri Mendras les conditions de vie des ouvriers rejoignent alors celles d'une grande classe moyenne.

2. Mais l'ascenseur social est en panne

Les progrès techniques et la croissance sont respectivement à l'origine des mutations de l'emploi ouvrier et de la hausse de leur niveau de vie. En dehors de ces éléments la mobilité sociale nette, c'est-à-dire celle qui ne résulte pas des transformations de l'emploi, est faible. Ce qui signifie que les enfants d'ouvriers sont très majoritairement devenus des ouvriers, et ce, même si leur scolarité a été plus longue que celle de leurs parents. Ce phénomène à travers lequel l'augmentation des études et l'obtention de diplômes d'une génération à une autre ne permet pas un accès à des postes plus importants est appelé le paradoxe d'Anderson, il est d'autant plus fort en France avec la dévaluation des diplômes et le fort taux de chômage des jeunes.

D'ailleurs ce chômage avant le premier emploi, dit chômage d'insertion, touche surtout les enfants d'ouvriers, il en va de même de la précarité du travail, c'est-à-dire les allers et retours entre chômage et CDD. Si les ouvriers les moins favorisés ne valorisent pas suffisamment les études de leurs enfants, les enfants d'ouvriers à leur tour peuvent avoir une image dégradée du travail ouvrier quant à sa pénibilité et à la faible différence entre revenu d'activité ouvrière non qualifiée et revenu d'inactivité. Ceci ne pousse ni à la poursuite d'études supérieures ni à l'insertion professionnelle par le bas, même si les possibilités de carrière existent.

 

III. Le rôle des syndicats dans les conflits sociaux

A. L'institutionalisation des conflits

1. Les syndicats organisent l'action collective

L'action collective a un coût et nécessite d'être organisée, c'est là que les syndicats trouvent leur rôle dans la mesure où ils possèdent des moyens financiers et sont passés experts dans l'art d'organiser et de conclure des rapports de force dans le domaine du travail.

 

En effet les syndicats considérés comme représentatifs par les pouvoirs publics (CFDT - Confédération Française Démocratique du Travail - ; CFTC - Confédération Française des Travailleurs Chrétiens - ; CGC - Confédération Générale des Cadres - ; CGT - Confédération Générale du Travail - ; FO - Force Ouvrière -) :

possédent comme tous les autres syndicats la personnalité juridique et donc un patrimoine, et en l'occurence ces syndicats sont riches. En effet, non seulement ils perçoivent des cotisations de leurs adhérents, des dons de personnes physiques ou morales partiellement déductibles des impôts, mais aussi de fortes subventions publiques. En outre les employeurs doivent financer les sections syndicales dans leur entreprise afin de leur donner les moyens de fonctionner (local, panneau syndical, rémunération des heures consacrées à leurs activités syndicales pour les salariés élus - qu'ils soient élus délégués du personnel ou membres du comité d'entreprise - et les délégués syndicaux - nommés dans l'entreprise par leur syndicat - on parle là de crédits d'heure). Enfin les syndicats peuvent contrôler des comités d'entreprises comme par exemple celui d'EDF, le plus riche de France, contrôlé par la CGT et bénéficiant d'un budget annuel de 400 millions d'euros et employant 5 000 salariés ;

ont une tradition très ancienne de revendication donc offrent un cadre aux conflits sociaux et peuvent mobiliser des militants syndicats rémunérés, les permanents, pour assurer la coordination, la publicité donc l'efficacité du mouvement.

 

Les actions menées par les syndicats possédent un caractère collectif dans la mesure où y prennent part des salariés syndiqués ou non. Elles peuvent prendre la forme de pétitions, de grèves, de manifestations, ...

Ces actions portent sur des revendications à satisfaire : qu'il s'agisse d'obtenir des rémunérations plus avantageuses, de meilleures conditions de travail, de faire revenir l'entreprise sur une décision (par exemple de fermer une usine, de délocaliser, de licencier, ...). Dans les entreprises publiques où les mouvements sociaux sont fréquents les revendications sont souvent liées au maintien d'avantages catégoriels, à l'obtention d'autres avantages auprès du gouvernement ou à la contestation de mesures gouvernementales (durée de cotisation à la sécurité sociale, ouverture du capital de France Télécom, mise en concurrence d'EDF entre autres exemples).

Plus généralement les actions menées par les syndicats cherchent à établir un rapport de force avec la direction, de l'état de ce rapport de force dépendra la capacité d'obenir facilement ou non la satisfaction de tout ou partie des revendications.

2. Les syndicats sont un cadre institutionnel

Le syndicat se prétend être un cadre institutionnel démocratique et représentatif :

Institutionnel dans la mesure où les syndicats dits représentatifs sont considérés comme des partenaires sociaux car la loi leur confère le droit de négocier avec les représentants des employeurs des accords collectifs (portant sur un point de la relation de travail) et des conventions collectives (portant sur tous les éléments de la relation de travail) qui seront opposables à la direction de l'entreprise. Ce qui signifie que la direction ne pourra se soustraire à ces conventions collectives.

 

Démocratique puisque les salariés élisent périodiquement leurs représentants du personnel ainsi que leur comité d'entreprise et les juges prud'hommaux parmi les candidats présentés par les syndicats dits représentatifs. Cependant seuls ces cinq syndicats représentatifs sont autorisés à proposer des candidats à ces élections, les salariés qui désirent s'exprimer sont donc confrontés à un choix restreint. Démocratique aussi puisque comme dans n'importe quelle association ou parti politique, les adhérents de chaque syndicat peuvent s'exprimer sur les orientations de leur syndicat et élire entre autre leur secrétaire général.

 

Représentatif dans le sens où ce sont les syndicats qui sont les plus souvent à l'initiative du conflit social dans lequel ils mobilisent leurs adhérents. L'issue du conflit dépend donc de négociations entamées entre la direction et des personnes représentatives du mouvement social, lesquelles personnes sont les délégués syndicaux. Faute d'avoir affaire à un mouvement lancé par des syndicats il est difficile de trouver des interlocuteurs pouvant s'exprimer valablement au nom de la base du mouvement, auquel cas la base peut renier les arrangements convenus par leurs représentants improvisés. Mais la part de plus en plus restreinte des salariés français adhérant à des syndicats remet largement en cause cette représentativité et amène à s'interroger sur leurs prérogatives en matière de négociations collectives.

3. Les syndicats limitent-ils les débordements sociaux ?

Si les syndicats sont les intermédiaires obligatoires dans le conflit social, on leur accorde aussi un rôle de prévention des conflits. En effet la grève est coûteuse dans la mesure où elle perturbe le fonctionnement normal de l'entreprise et met donc en danger le chiffre d'affaires de l'entreprise ainsi que la relation client ; elle est coûteuse pour les salariés qui, grévistes ne percevront pas leur salaire pendant la durée de la grève, non grévistes pourront dans certains cas subir des mesures de chômage technique. La grève est donc une menace brandie par les syndicats qui n'hésiteront pas à en déposer un préavis pour obtenir davantage lors des négociations permanentes avec la direction.

 

.Dès lors que l'on rentre dans un conflit social, la question des méthodes de revendications se pose. Elle est importante parce que des "dérapages" sont toujours préjudiciables à la cause défendue, même si ils peuvent être sciemment utilisés pour forcer l'État à intervenir comme dans le cas de l'affaire Cellatex.

 

 

L'affaire Cellatex

L'occupation de l'usine de synthèse textile Cellatex, à Givet en France, une ville de 8 000 habitants de l'Ardenne tout près de la frontière belge, par ses 153 salariés a pris fin le 21 juillet 2000. L'occupation a commencé le 5 juillet dernier, alors qu'un juge déclarait Cellatex en faillite et ordonnait sa liquidation.

 

Dès le début de l'occupation, les ouvriers avaient menacé de faire exploser l'usine à l'aide des 46 tonnes de sulfure de carbone sur place. Ce produit chimique entre dans la fabrication de textiles comme la rayonne.

Lundi le 17 juillet, après une rencontre avec le nouveau préfet de l'Ardenne, Jean-Claude Vacher, les travailleurs en colère avaient relâché plusieurs centaines de litres d'acide sulfurique teint en rouge dans un petit affluent de la Meuse, qui prenant sa source au nord de la France, traverse la Belgique et les Pays-Bas. Les ouvriers ont cherché à utiliser l'intérêt pour l'environnement pour faire pression sur le gouvernement français et la compagnie Rhône-Poulenc, les propriétaires de l'usine jusqu'en 1991, pour qu'ils augmentent leurs primes de licenciement.

 

Représentés par Christian Larose, secrétaire de la fédération textile CGT, les travailleurs demandaient que leurs salaires actuels soient protégés pour les 24 prochains mois, en plus d'une prime de départ de 150 000 francs et d'un congé de conversion de 18 mois avec 85 % de leur salaire brut. Le préfet a répondu que les salariés avait déjà reçu plus que le minimum prévu par la loi, avec une prime maximale de 2 500 francs par mois pour couvrir le manque à gagner sur leur salaire dans le cas où ils se reclasseraient, et une prime de départ de 50 000 à 60 000 francs. Finalement, les travailleurs ont obtenu 80 000 francs.

 

Le gouvernement français, voulant éviter que cette lutte puisse servir de précédent, le financement sera pris en charge par des institutions locales. Le ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre Chevènement a déclaré : « Il n'est pas acceptable que, quelle que soit la situation difficile, les salariés puissent prendre en otages les populations avoisinantes, pas davantage que les riverains de la Meuse, en France, en Belgique, en Hollande, en répandant de l'acide sulfurique dans ce fleuve ». Robert Hue, dirigeant du Parti communiste français a déclaré qu'il comprenait le désespoir des ouvriers de Cellatex mais les a exhortés à ne pas se « couper de l'opinion publique ». Le porte-parole national des Verts, Denis Baupin, a lui déclaré « que l'on ne peut être que choqué par un tel acte, un précédent inquiétant en matière de conflits sociaux ».

 

 

Mais les syndicats se veulent aussi les "flics" du Code du travail et des conventions collectives dans l'entreprise, alliés aux inspecteurs du travail, ils n'hésitent pas à faire rentrer le juge dans l'entreprise. Le recours à la justice est en effet un moyen de faire arbitrer les litiges par les tribunaux sans passer par le conflit social. De ce point de vue, les entreprises ressemblent de plus en plus à la société, qui se civilise en remettant la charge de la résolution des conflits à une institution judiciaire indépendante.

L'existence de syndicats facilite donc grandement l'action collective, tout en prétendant la canaliser. En ce sens, le syndicalisme peut être considéré comme un facteur de conflictualité sociale. C'est d'ailleurs en partie pour cette raison que les grèves en France sont plus importantes dans le secteur public que dans le secteur privé : les syndicats y sont encore relativement puissants et bien implantés. C'est pour cela aussi que les chefs d'entreprise sont souvent réticents face à l'implantation de syndicats. Ceux-ci sont effectivement un contre-pouvoir dans l'entreprise et disposent d'après la loi de prérogatives importantes (délégué syndicaux, délégués du personnel, comité d'entreprise), l'employeur ne peut intervenir dans les affaires sous peine de délit d'entrave, il ne peut licencier un délégué syndical sans l'avis de l'inspecteur du travail.

B. Des syndicats en perte de vitesse

1. La désyndicalisation dans les pays industrialisés

Le taux de syndicalisation s'exprime comme la part des syndiqués dans la population active occupée. Au lendemain de la seconde guerre mondiale le taux de syndicalisation en France était supérieur à 40 %, il a ensuite diminué de façon constante pour attendre 7 % en 2003 soit le taux le plus faible des pays industrialisés. Mais si l'on ne tient compte que du taux de syndicalisation dans le secteur privé alors ce taux se retouve à 3 % seulement, effectivement les gros effectifs syndiqués se situent dans le secteur public alors que les PME sont bien souvent un désert syndical.

 

Moins de syndiqués c'est aussi moins de conflits sociaux. On peut constater en effet que le nombre de conflits - mesuré par le nombre de journées de travail perdues du fait des grèves - a chuté pour passer de 4 millions de journées perdues par an pour fait de grève au milieu des années 1970 à moins d'un million depuis 1985. Cette diminution peut étonner : on a parfois l'impression, à tort, que les grèves sont plus nombreuses que jamais. En fait, elles ont beaucoup plus diminué dans le secteur privé que dans le secteur public, là où les grèves gènent davantage les usagers confrontés à des monopoles de services publics comme par exemple la SNCF.

2. Les causes de la désyndicalisation

Selon les syndicats :

 

La mutation du travail est l'explication structurelle de la désyndicalisation. Comme nous l'avons vu la baisse des effectifs ouvriers et l'éclatement des collectifs de travail ainsi que le déplacement de l'emploi ouvrier vers le tertiaire caractérisent cette mutation du travail. Or traditionnellement les syndicats regroupent l'essentiel de leurs effectifs chez les ouvriers travaillant dans les grandes usines.

 

L'insécurité de l'emploi est l'explication conjoncturelle de la désyndicalisation. Le développement des formes précaires de l'emploi (contrats de travail en CDD, intérim, temps partiels, contrats aidés) et l'importance du chômage impliquerait que les salariés évitent de se mettre en porte à faux vis-à-vis de leurs employeurs en se syndiquant ou en se mettant en grève.. Dans ce cas, on peut penser que si la croissance repartait et si le chômage diminuait sensiblement et durablement, le nombre des conflits pourrait repartir à la hausse. Mais ceci est une explication apportée par les syndicats, elle est peu crédible car c'est justement la peur du chômage et des licenciements qui permet de mobiliser lors des plans sociaux. De plus le chômage est aussi le résultat de l'absence de flexibilité du marché de l'emploi, absence de flexibilité dont les syndicats sont les premiers responsables.

 

D'autres causes :

 

L'institutionnalisation des syndicats est poussée assez loin en France car les syndicats dits représentatifs sont considérés comme des partenaires sociaux. Les autres partenaires sociaux sont les syndicats dits représentatifs d'employeurs que sont le MEDEF - Mouvement des Entrepreneurs de France - et la CGPME - Confédération Générale des PME -. Ensemble ces partenaires sociaux, représentant des salariés et des employeurs gèrent la Sécurité Sociale, ils siègent également au Conseil Économique et Social, enfin ils émettent des propositions en direction du gouvernement et donnent leur avis sur tous les projets de réforme. Non élus par l'ensemble des citoyens, les syndicats disposent donc d'un pouvoir disproportionné eut égard à leur manque de représentativité., ceci conduit beaucoup de salariés à s'en méfier.

 

Ce pouvoir des syndicats ne gêne pas les marxistes. Ce qui les dérange c'est la volonté de compromis social alors que, toujours selon les marxistes, les syndicats devraient mener le rapport de force à son terme c'est-à-dire vers une grève générale amorçant un processus révolutionnaire. Au lieu de cela, les syndicalistes aménagent le capitalisme, c'est pourquoi les terroristes d'extrême gauche italiens des Brigades rouges tiraient dans les jambes des syndicalistes.

Tous les syndicats français ne jouent cependant pas de la même façon le jeu du compromis. Ainsi la CGT, très proche du PCF, menace souvent de la grève générale. Plus radical encore, le nouveau syndicat SUD - Solidaires, Unitaires, Démocratiques -, constitué à partir de dissidents d'extrême gauche de la CFDT permet de regrouper ceux pour qui le syndicalisme est avant tout un terrain de la lutte politique et sociale contre le capitalisme.

 

Alors que l'extrême gauche reproche aux syndicats représentatifs un manque d'implication révolutionnaire, il apparaît tout de même que le paysage syndical français est très politisé à gauche. Ce constat apparaît évident en comparaison du syndicalisme américain ou encore allemand davantage basé sur le compromis social avec des taux de syndicalisation bien supérieurs. Il est donc indéniable qu'une des causes majeures de la désaffection des français pour les syndicats est lié à l'incapacité des appareils syndicaux à s'adapter aux mutations d'une société qui a besoin d'ouverture et de réformes. Ce n'est pas un secret que de révéler que les syndicats de salariés en France s'opposent aux réformes, à la mondialisation et défendent becs et ongles des intérêts catégoriels.

3. Obligatoirement syndiqués !

Les syndicats considèrent qu'ils sont à l'origine de l'augmentation du niveau de salarié en pesant sur la répartition de la valeur ajoutée au profit des salariés. Ce jugement n'est pas très réaliste dans le sens où les "conquêtes sociales" de 1936, de 1968, de 1981 ne sont pas possibles sans l'augmentation de la productivité sur laquelle les syndicats n'ont pas de prise.

 

Chacun sait aussi que seule la puissance syndicale et l'intervention de l'État permirent aux masses de recevoir enfin les miettes de leurs efforts. Eh bien, c'est faux, archifaux, démontrent patiemment et tranquillement quantité de jeunes historiens britanniques. Après avoir reconstitué l'évolution du produit national de la Grande-Bretagne au cours des XVIIIième et XIXième siècles, l'un d'eux, Ronald Hartwelle, démontre que le revenu par tête a augmenté de 50 % entre 1700 et 1780, de 50 % à 100 % entre 1780 et 1850, de 80 % à 100 % de 1850 à 1914. Prodigieux bonds en avant pour l'époque !

 

Deux autres professeurs britanniques, Norman Gash et Rhodes Boyson, ont étudié de près la condition ouvrière dans le Lancashire au XVIIIe siècle. Ils écrivent : " Nous semblons oublier que, aussi pénible qu'il fut, le passage à l'usine représentait pour beaucoup d'ouvriers de l'époque, même des femmes et des enfants, une véritable libération par rapport aux conditions de vie infernale qui étaient le lot des journaliers agricoles ou des travailleurs à domicile de la période préindustrielle dont aujourd'hui nous idéalisons la situation, avec nos yeux d'hommes du XXe siècle. De même, nous oublions que le travail à l'usine et dans la mine, pour beaucoup d'enfants, valait tout de même mieux que de périr de faim, et que, de toute façon, dès le milieu du XIXe siècle, grâce à la progression du niveau de vie permise par les salaires industriels, le travail des femmes et des enfants était pratiquement en voie de disparition avant même que l'État n'intervienne. Ce n'est pas le pouvoir politique qui mit fin au scandale du travail des enfants, mais bien le succès même du capitalisme industriel à promouvoir la hausse du pouvoir d'achat des masses et à révolutionner par là les conditions de vie familiale. "

Maurice Roy, Vive le capitalisme, 1977

 

Partant néanmoins du mythe du syndicat porteur de progrès social, les ténors de la contestation en déduisent que les conflits sociaux profitent à l'ensemble des salariés sans qu'ils aient nécessairement intérêt à y participer ou à se manifester en tant que membres d'un syndicat. C'est là la théorie des "passagers clandestins" des conflits sociaux.

 

Examinons cette théorie un peu plus en détail :

Les coûts : l'adhésion à un syndicat suppose cotisation, mais aussi une éventuelle discrimination dont pourrait être victime le syndiqué de la part de son employeur (discrimination tout à fait illégale), de plus la participation à une grève entraîne la perte de journées de salaire. L'ensemble de ces coûts repose donc sur les syndiqués et les grévistes exclusivement.

Les gains : les avantages sociaux obtenus seront dus à l'ensemble des salariés de l'entreprise, qu'ils soient ou non syndiqués, qu'ils aient ou non participé au conflit.

Globalement les seuls à payer les coûts du conflit seraient donc les syndiqués et les grévistes. En conséquence, un simple calcul utilitariste nous indique qu'il faut mieux ne pas s'engager dans l'action syndicale tout en profitant de ses fruits. Mais si tous adoptent ce raisonnement nul ne fera le choix de se syndiquer ou de se mettre en grève.

Les syndicats en viennent donc à réclamer soit le "closed shop" (les avantages obtenus ne seront conférés qu'aux syndiqués) mais ceci pose en problème en terme d'égalité des droits,; soit l'adhésion obligatoire de tous les salariés à un syndicat - et pourquoi pas la participation obligatoire aux grèves ? -.

 

Ce raisonnement a tout de même des failles sachant que les effectifs syndiqués sont concentrés dans les grandes entreprises et les administrations.

En terme de coûts par exemple c'est plutôt la non adhésion au syndicat qui peut être coûteuse en terme de discrimination dans les administrations alors que l'adhésion peut entraîner un certain nombre d'avantages comme la protection contre le licenciement, l'obtention d'un pouvoir dans l'entreprise, ... Quant aux gains du conflit social ils ne sont pas forcément recherchés par l'ensemble des salariés qui peuvent contester l'objet de la grève et les motivations véritables des grévistes.

La théorie des "passagers clandestins" des mouvements sociaux n'empêche pourtant pas ces conflits d'exister. Il y a donc bien d'autres gains liés à la participation à ces mouvements comme la volonté d'être reconnus en tant que militants d'une cause et d'autres avantages symboliques tels que la reconnaissance des autres, l'estime de soi, la quête de notoriété ... ou encore la rancoeur vis-à-vis de la direction.