Les nouveaux mouvements sociaux et l'action collective

 

I. La diversification des mouvements sociaux

 

A. Distiguer les nouveaux mouvements sociaux des formes traditionnelles du mouvement social

1. Des mouvements non liés à des conflits du travail

La notion de "nouveaux" "mouvements sociaux" est ambigüe de par les deux termes qui la compose.
Ce qui caractérise ces mouvements dits sociaux est d'abord leur aspect revendicatif auquel on accole le terme de "mouvement social" c'est-à-dire la notion d'une revendication collective exercée par un ou des groupes coordonnés.
Mais en quoi ces mouvements sociaux sont-ils nouveaux et se distingueraient donc des vieux mouvements sociaux ? Par l'absence de la dimension du "conflit de classe" opposant traditionnellement la prétendue partie exploitée de la population à la partie exploiteuse, ce qui correspond selon Marx à l'opposition entre prolétariat et bourgeoisie dans la société capitaliste. Ces vieux mouvements sociaux s'appuyant sur des identités socio-professionnelles ont donné naissance notamment à certaines organisations politiques réformistes ou révolutionnaires et aux syndicats. Par contre les nouveaux mouvements sociaux ne feront pas explicitement référence aux rapports de production dans une société.

2. L'identité des NMS

Les revendications des NMS portent sur des valeurs et des modes de vie fondant des identités. On retouve par exemple des écologistes ou des chasseurs, des pacifistes, des régionalistes, des féminsites, des homosexuels, les uns effectivement revendiquent un mode de vie particulier, les autres (et quelquefois les mêmes) se mobilisent contre ce qu'ils considèrent être des traitements injustes ou des discriminations. Mais quelquefois ces mouvements peuvent se radicaliser et divisent leurs membres : éclatement en France du mouvement écologiste, des féministes, ... Les NMS qui font le plus parler d'eux sont radicaux et se mobilisent autour des craintes technologique (éco-warriors, partisans de la décroissance, anti-OGM), des revendications identitaires (féminisme des Chiennes de Garde, Indigènes de la République, Act Up, mouvements indépendantistes) ou des prises de positions davantage anti que pro (antimondialisation, antilibéralisme, anticapitalisme, anti-sionisme, anti-américanisme, ...) donnant une allure plus présentable aux mouvements d'extrême gauche recyclés en ONG internationales. Mais les NMS ne sont pas toutes très engagées à gauche, même si elles sont moins visibles des NMS s'engagent contre les fiscalisme (Contribuables Associés), contre l'asservissement de l'individu par l'Etat et pour la mondialisation (Libertariens).

 

DürerL'intolérance des "nouveaux mouvements"

 

Néoréacs contre néocons J'appartiens, en très bonne compagnie (Hélène Carrère d'Encausse, Alain Finkielkraut, André Glucksmann...), selon notre confrère Le Nouvel Observateur, à une nouvelle famille d'esprits, «les néoréacs».

Pour paraphraser le Shakespeare de Jules César : «Si tel était le cas, ce serait une lourde faute et lourdement devrons-nous en répondre un jour.» Au-delà de toute polémique, j'ai essayé de comprendre ce que cette nouvelle épithète pouvait bien signifier aujourd'hui. Et voici la réponse : un néoréac n'est néo que parce que la forme de réaction qu'il incarne est nouvelle, tout autant que le progressisme qu'il combat s'appuie sur un paradigme non moins nouveau. J'ai donc essayé de résumer les directions stratégiques du néoprogressisme.

 

J'en vois six.

1) Le nouveau progressisme est d'abord écologique. Il considère l'avenir même de la Terre comme menacé et prône coûte que coûte le ralentissement de l'actuelle croissance génératrice de catastrophes. A cet égard, il se défie considérablement de la science, des OGM qui empoisonnent les cultures aux nanotechnologies qui pourraient permettre un jour le contrôle du cerveau humain. Contre le réchauffement planétaire, il prône la frugalité franciscaine, évidemment nouvelle.

2) Le néoprogressisme est un antimondialisme. De même qu'Adam Smith en son temps avait révélé le paradoxe du caractère bénéfique de l'étroitesse égoïste et épargnante du consommateur individuel, laquelle en favorisant la concurrence provoquait un enrichissement général ; de même, aujourd'hui, les manifestants casseurs qui accompagnent les réunions du G 8, les grévistes qui refusent les délocalisations et les protectionnistes qui passent des incendies de pneus au rétablissement des barrières douanières, finissent par apporter du bien et du vrai en ralentissant le processus de libéralisation des échanges qui n'est pas soutenable pour nos économies, encore moins pour nos sociétés. Il faut reprendre en main, là aussi pour le ralentir, le processus d'unification de l'Europe, et au sein de celle-ci favoriser un protectionnisme continental contre les Etats-Unis et la Chine. Le néoprotectionnisme veut dissocier le triptyque salaire-emploi-productivité en montrant qu'il existe d'autres manières de produire, génératrices d'emploi (les 35 heures) et d'autres sources du salaire que l'augmentation de la productivité : la hausse des impôts, moyen imparable d'une authentique redistribution sociale.

3) Le néoprogressisme tient les Etats-Unis pour l'ennemi de la planète. Parce que les Etats-Unis sont le centre névralgique de la mondialisation productiviste, ils détruisent les sociétés qui leur résistent tout autant que la biodiversité. Comme toute équation peut se lire dans les deux sens, il en résulte qu'aucun adversaire des Etats-Unis ne peut être résolument mauvais : certains tels que le Vénézuélien Chavez, le Zimbabwéen Mugabe ou certains mollahs iraniens présentent encore quelques rugosités parfois gênantes. Mais l'essence de leur combat produit les mêmes effets progressistes à terme que la résistance au changement de toutes les forces organisées de l'hémisphère Nord. Un seul régime issu du tiers-monde révolutionnaire est intégralement pervers, c'est celui de la Chine qui imite notre productivisme et notre indifférence aux véritables damnés de la terre.

4) Le néoprogressisme condamne aussi bien sûr les alliés des Etats-Unis qui sont soit les relais de leur système social (l'Angleterre), soit les piliers de leur ordre stratégique (Israël ou le Japon). Il se méfie évidemment de lobbies mondialistes qui veulent dicter une politique mondialiste excessive à la France. Si les lobbies anglais et japonais sont surtout économiques, le lobby israélien s'appuie sur une forme nouvelle de communautarisme qui fait des communautés juives et des juifs favorables au sionisme un groupe totalement acquis au phénomène néoréac, et donc à ce titre objet d'une suspicion très particulière. Les bons juifs sont évidemment les juifs antisionistes comme l'étaient pendant l'affaire Dreyfus les Israélites qui choisissaient le baptême.

5) et 6) Il résulte enfin de toutes ces considérations que la planète sera sauvée par la révolte des damnés de la terre, cette fraction du Sud qui, abandonnée de la mondialisation, développe de Porto Alegre à Pyongyang et jusqu'au coeur de nos banlieues un Grand Refus qui a pris la place du combat aujourd'hui éteint du prolétariat des métropoles. Bien sûr un nouvel islam politique est amené à y jouer un rôle croissant, à l'instar de ce qui s'est produit déjà aux Etats-Unis avec l'islam afro-américain prosélyte de Farrakhan. Il est grand temps, pour les Européens en particulier, de tendre la main à ces mouvements et à se dissocier clairement de l'anti-islamisme que pratiquent les américano-sionistes d'une part, les néostaliniens russes d'autre part. Il est absolument certain que je me trouve de l'autre côté de la barricade, à l'énoncé de ces six thèses qui en pointillé révèlent aussi clairement mes six contre-thèses, dont j'épargnerai ici l'énoncé à nos lecteurs. D'accord donc pour le néologisme néoréac. Mais le néoprogressisme ainsi redéfini est-il toujours si progressiste ? Je le vois pour ma part plutôt porteur d'une authentique révolution conservatrice à l'échelle planétaire. Alors ne serait-il pas plus justifié de dire que le combat des néoréacs se livre plutôt contre les néoconservateurs de demain, en abrégé bien sûr les néocons. C'est la lutte finale.

 

Alexandre ADLER, Le Figaro, 08 décembre 2005

 

1. Qu'est ce qu'un réactionnaire, un progressiste ?

2. A quels mouvements serait-il justifier d'accoler l'adjectif réactionnaire selon Alexandre Adler ?

3. Qui est Alexandre Adler ?

4. Quels points commun peut-on établir entre ceux qui se font nommer "progressiste", d'où viennent leurs idées ?

 

B. Organisation, actions et objectifs

1.Des organisations faiblement hiérarchisées ?

On a tendance à considérer que les nouveaux mouvements sociaux acceptent moins facilement la délégation d'autorité des militants à la direction des mouvements, d'ailleurs les NMS se veulent issues de la société civile et se revendiquent de la démocratie directe. La base y favorise une sorte de démocratie directe par assemblée générale dans laquelle les dirigeants perdent leur délégation d'autorité pour se voir remettre un mandat impératif, c'est-à-dire un pouvoir de les représenter dans le cadre d'un mandat définissant strictement leur conduite politique.

Mais on retrouve aussi cette tendance de plus en plus communément dans les partis ou les syndicats, effectivement les dirigeants y sont de plus en plus contestés par leur base (renvoi de Nicole Notat de la tête de la CFDT, fronde des militants socialistes avec apparition de factions rivales et de tendances au sein du PS, mise en cause du choix de la direction en faveur du "Oui" à la constitution européenne, base UMP qui impose Sarkozy contre l'avis du président de la république).

2. Conquérir le pouvoir ?

Bien que l'on prête à José Bové et aux mouvements écologistes et d'extrême gauche animant certains NMS comme Attac des ambitions de conquérir le pouvoir notamment par la voie électorale, la plupart de ceux qui s'engagent dans ces mouvements n'y croient pas vraiment et utilsent le vote davantage comme un moyen de pression contre le gouvernement afin d'obtenir des avantages ou de bloquer des politiques. Ainsi ce qui distingue plus particulièrement les NMS ce sont les moyens d'actions, lesquels ont pour but d'infléchir la norme sociale par la propagande légitimisant leurs revendications.

3. Des actions médiatiques

Ainsi, il s'agit moins pour eux de participer aux instances gouvernementales ou au processus électoral que de se faire connaître en captant l'attention des media par des actions spectaculaires qu'elles soient légales ou non. Parmi les actions légales, on peut noter des campagnes de pétitions, des manifestations festives comme la Gay Pride organisée par les mouvements homosexuels, la marche des Beurs en 1983, les testing de SOS Racisme, les Forums Sociaux organisés par les antimondialistes. Mais souvent les actions deviennent illégales comme par exemple l'occupation de l'église Saint Bernard organisée par les associations de défense des sans-papiers en 1996, les réquisitions de logement du DAL (Droit au Logement), les mises sous préservatif de bâtiments public par Act Up, les arrachages de maïs transgénique ou le saccage de Mac Donald's par la Confédération Paysanne avec les appels à la désobéissance civile lancée par José Bové. Les actions peuvent prendre un cours encore plus violent avec les Black Blocks participant aux rassemblements antimondialisations lors de grandes réunions internationales (G8) et attaquant masqués les vitrines d'entreprises multinationales, la tactique de l'agit-prop consiste là à des provocations permettant une réplique policiaire à même de leur donner une image de victime devant les medias.

 

Emergeant sur la scène politique lors des troubles organisés contre le sommet de l'OMC de Seattle, les Black Blocks affichent des objectifs clairement définis. Ils entendent "apporter une radicalité au mouvement altermondialiste en y intégrant la violence offensive et défensive contre les forces policières des Etats bourgeois" et proposer "un nouveau cadre aux militants en dehors des partis et des organisations politiques traditionnels". Le tout basé sur un mode d'organisation "horizontal, fluide et évolutif". A ce titre, ils sont assez représentatifs des NMS avec en plus la violence revendiquée en tant que moyen d'action.

4. Agir sur les normes sociales et les normes juridiques

A travers ces actions les NMS ont compris que l'attention des chaînes de télévision, des radios, des journaux, est de nature à légitimer leurs combat et que le soutien de l'opinion publique exerce une pression sur le gouvernement. Ainsi même des actions illégales peuvent être considérées comme légitimes voire légalisées ainsi que dans l'exemple de l'acquittement des "faucheurs volontaires" par le tribunal d'Orléans. Dans d'autres domaines ils obtiennent des gouvernements le passage de leurs exigences dans la norme juridique pour la création de nouveaux droits ou d'interdictions : loi Veil sur l'IVG, lois Gayssot contre l'expression de propos ou d'idées racistes, puis homophobes, PACS, appui de Chirac à une taxation des transactions financières dans l'esprit de la taxe Tobin revue par Attac, création d'une Haute Autorité contre les discriminations à l'embauche, valeur constitutionnelle du principe de précaution, condamnations pénales de personnes victimes du testing....

 

Les apprentis sorciers

En relaxant les faucheurs d’OGM au nom du principe de précaution les juges instaurent «un droit à détruire».

En acquiesçant au souhait du Président de la République – majorité présidentielle oblige - d’inscrire le principe de précaution dans la Constitution, la droite, comme nous l’avions dit, a joué les apprentis sorciers et commis une grave erreur. Inscrire ce principe de précaution dans la Constitution constituait, non seulement un risque pour le progrès, mais aussi un risque pour le droit. Nous verrions, pronostiquions-nous alors pour forcer le trait «José Bové mettre en accusation les autorités publiques pour ne pas avoir détruit avant lui les expérimentations d’OGM !» Ce faisant nous ne pensions pas que la réalité juridique donnerait si rapidement raison à nos craintes. Constitutionnaliser le principe de précaution revenait à poser au sommet de notre Droit, au côté de notre conception d’une liberté responsable celle d’une liberté «présumée coupable» en conflit avec la conception traditionnelle des droits de l’homme qui veut que la loi ne peut interdire que ce qui nuit à autrui, et que la preuve est à la charge de l’accusateur. Le pouvoir politique et l’administration se voient ainsi de fait conférer le pouvoir -et même imposer le devoir- de prendre des mesures d’interdiction d’une activité pour des motifs qu’on ne peut démontrer «Il ne s’agit plus d’agir en fonction de la réalité d’une menace, mais d’agir dès que l’on a des doutes. Alors le soupçon l’emporte sur la preuve, la responsabilité collective sur la responsabilité individuelle.»

Résultat : le 9 décembre 2005, dans une décision sans précédent, le tribunal correctionnel d’Orléans a relaxé les faucheurs volontaires d’OGM et même reconnu la nécessité de leur action (décision suivie le 13 janvier par le tribunal de Versailles pour d’autres faucheurs volontaires). L’argumentation utilisée pour justifier ce jugement est à peu près la suivante :

1 – Les prévenus ont «un droit à valeur constitutionnelle de ' vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé' reconnu par l’article 1er de la Charte de l’environnement 2004, droit accompagné de l’affirmation d’un nécessaire principe de précaution ».

2 – Même si les prévenus avaient d’autres moyens d’agir pour obtenir satisfaction «l’état de nécessité autorisait justement une action 'préventive' permettant de sauvegarder les valeurs sociales 'prééminentes' en sacrifiant les moindres valeurs représentées par les enseignements pouvant être tirés de ces essais».

3 – En conséquence les prévenus sont relaxés car ils ont «adopté un comportement responsable au regard de l’infraction commise et de ses conséquences, sans chercher à se soustraire à l’action publique...ainsi, une stricte proportionnalité entre les moyens mis en oeuvre et la gravité de la menace» sont relaxés.

Conclusion aussitôt tirée par les faucheurs volontaires ainsi relaxés : l’illégalité des OGM est enfin reconnue puisque leur destruction est qualifiée «d’état de nécessité».

 

Dorénavant écrivent-ils «il y a ' un droit à détruire' pour chaque citoyen et ' un devoir d’interdire ' pour l’Etat». Toutes nos félicitations à la majorité présidentielle disciplinée qui a ainsi permis cette contribution au progrès scientifique et cette féconde révolution constitutionnelle !

Alain MADELIN, la Lettre du Cercle des Libéraux, le 27 janvier 2006

1. En quoi les pressions de certaines NMS font-elle bouger les normes juridiques ?

2. Cette évolution des normes remet-elle en cause certains principes consitutionnels, lesquels, pourquoi et ces évolutions sont-elles souhaitables selon vous ?

3. En quoi la raisonnement du tribual correctionnel d'Orléans est-il critiquable ?

 

 

II. Expliquer l'action collective

A. L'approche individualiste d'Olson

1. Coûts et avantages de l'action collective

Mancur Olson, un des théoriciens du Public Choice, développe une théorie sociologique fondée sur une approche de l'individualisme méthodologique afin d'expliquer comment les individus s'organisent dans le but de satisfaire un objectif qui leur est commun. Cette approche se fonde sur le principe d'une maximisation des avantages et d'une minimisation des coûts dans l'action collective. En effet, l'acteur potentiel d'un mouvement social tiendra compte du coût de son militantisme en temps, en investissement financier, mais aussi en étant conscient que son action suppose certains risques pour la réputation, la sociabilité. D'un autre côté l' action collective peut rapporter par la satisfaction des revendication et la création d'un contre-pouvoir, elle peut offrir ainsi des avantages matériels, de la puissance, une reconnaissance

2. Le paradoxe d'Olson

Le comportement type de maximisation de l'homo oeconomicus conduit alors au paradoxe d'Olson : dans un groupe chacun cherche à bénéficier des résultats de l'action collective sans en payer le coût. Plus la taille du groupe est importante plus chaque membre considère que sa mobilisation individuelle aura un impact faible pour un avantage limité. C'est ce qui explique notamment l'inorganisation de groupes de pression importants comme les contribuables. A contrario de petits groupes seront plus facilement organisables, l'action de chacun pourra être déterminante et les gains seront donc concentrés : "Comme les groupes relativement petits sont fréquemment capables de s’organiser sur la base du volontariat et d’agir en conformité avec leurs intérêts communs et que les grands groupes ne sont pas dans l’ensemble en mesure d’y parvenir, l’issue du combat politique qui oppose les groupes rivaux n’est pas symétrique… Les groupes les plus petits réussissent souvent à battre les plus grands qui, dans une démocratie, seraient naturellement censés l’emporter. » (Mancur Olson, Logique de l’action collective). Le paradoxe d'Olson interpelle donc sur le pouvoir de la rue qui serait plus fort que celui de la démocratie. Les décisions politiques seraient alors davantage dictées par les minorités agissantes que par la majorité silencieuse.

3. Les politiques d'incitation sélective

La mobilisation collective est donc fragile et sujette au phénomène de "free rider", même dans les petits groupes. Certains sociologues parlent d'un "contrat social implicite" créant une communauté entre les participants à l'action collective. La perennité de l'action est en effet menacée, ne serait-ce que par son succès ou par les avantages obtenus pouvant justifier la fin de la mobilisation (rapport coût-avantage là encore). Des politiques d'incitation sélective particulièrement efficaces dans les groupes restreints pourront donc être entreprises, elles ont pour but d'augmenter les gains de ceux qui participent à l'action et d'augmenter les pertes de ceux qui n'y participent pas.

On parlera ainsi d'incitations sélectives positives à travers le modèle des closed shop que certains syndicats voudraient faire adopter et qui prévoit que les avantages obtenus par la mobilisation ne seront concédés qu'à ceux qui se sont mobilisés. Par exemple l'adhèsion à un syndicat deviendrait obligatoire pour bénéficier des avantages sociaux obtenus lors des conflits, ces avantages deviendraient alors des biens sélectifs. Les incitations sélectives peuvent être aussi négatives, c'est le cas d'une réprobation du groupe envers ceux qui ne participent pas à l'action (les non grévistes traités de "jaunes" par les grévistes), il est aussi possible de pénaliser financièrement ceux qui ne participent pas (le CDCA prélevait des cotisations élevées remboursées en partie sous condition de participation aux manifestations).

B. Les approches structurelles (dues aux évolutions de la structure de la société)

1. L'analyse d'Alain Touraine

Alain Touraine, sociologue français a analysé les NMS en considérant le passage d'une société industrielle à une société post-industrielle, passage qu'il situe dans les pays développés à partir de 1968. La différence entre ces deux sociétés serait une domination qui passerait des mains de ceux qui contrôlent les moyens de production à ceux qui détiennent information, savoir, connaissances : les technocrates qui gouvernent et conseillent les politiques. Alors que les mouvements sociaux d'avant 1968 avaient pour cadre l'usine et le conflit social entre les ouvriers et les patrons. Les NMS quitteraient le cadre du lieu de travail et plus généralement de l'entreprise pour des revendications plus sociétales : mouvements étudiants, féministes, antiracistes.

Un mouvement social se structure selon lui autour de deux éléments. D'abord le "sujet" qui est l'individu agissant et voulant être reconnu comme un acteur de la société, que ce soit en tant que consommateur, producteur, citoyen, contribuable, ... Puis le "mouvement social" qui unit les sujets dans une action collective à but d'intégration ou de quête utilitariste. Mais tout mouvement de contestation n'est pas un mouvement social, Touraine baptisera donc de "mouvement sociétal" tout effort coordonné de contestation de l'orientation de la société.

Un mouvement social aurait selon Touraine trois caractéristiques :
il se place sur le lieu du conflit social créant l'identité collective ;
il désigne clairement un ennemi social donc un autre groupe capable d'user de moyens de coercition ;
il possède un projet de changement social.

Les acteurs sociaux du mouvement de décembre 1995 prétendaient satisfaire à ces caractéristiques dans la mesure où leur projet aurait consisté à se réapproprier la politique et à participer à des débats usurpés par les spécialistes. Mais un tel projet est systématiquement mis en avant par les mouvements d'extrême gauche et les techniques de débat en AG (ersatz de démocratie directe) y sont tout sauf démocratiques. Pour Touraine ce mouvement ne satisfait pas ces trois critères et on ne peut donc, pour Alain Touraine, parler alors strictement d'un mouvement social. Il y aurait un décalage beaucoup trop grand entre ceux qui se mobilisent et qui appartiennent à une classe moyenne salariée (enseignants, cheminots, salariés du privé) et de l'autre côté le monde des exclus du travail (sans papiers, mouvements de chômeurs) qui tendait aussi à y participer. Ainsi, le mot d'ordre de ce mouvement "tous ensemble !", masque une pluralité d'intérêts trop divergents pour que puisse en émerger un projet cohérent de changement social. En réalité, il ne s'agissait pas d'une volonté de changement social mais d'un mouvement défensif visant à conserver des "acquis".

Mais soit les caractéristiques de Touraine ne tiennent pas, soit elles tiennent et ce que l'on illustre comme "mouvement social anti-libéral" ne constitue pas vraiment un mouvement social mais un mouvement de conservatisme social arc-bouté sur le "modèle social français", la peur du changement et la nostalgie d'un keynésiano-fordisme dans lequel l'Etat fait office de thaumaturge. Il en demeurerait quand même d'authentiques NMS autour d'identités particulières ou de projets alternatifs comme les Libertariens. Par ailleurs les NMS antilibérales déclarent s'en prendre aux technocrates (contre la technocratie internationale de l'OMC) mais en réalité ils désirent faire pression sur eux et y réussissent souvent, car technocrates et NMS ont souvent le même ennemi : le marché libre c'est-à-dire un processus résulte de l'interaction de milliards de décisions individuelles librement décidées.

2. L'analyse de Ronald Inglehart est différente

Ronald Inglehart développe dès 1977 la théorie de la Révolution silencieuse à partir d'une étude réalisé sur l'Allemagne, la Belgique, l'Italie, la France, les Pays-Bas, le Royaume Uni et les Etats-Unis à travers laquelle il met en évidence que plus une société est développée plus les valeurs auxquelles adhèrent la population sont de nature "post-matérialistes". Ceci l'amène à considèrer que les générations évoluent dans leurs conceptions en fonction des évolutions de la société, à partir de là il montre que le passage de la société industrielle à la société "post-matérialiste" implique, dans les pays développés, un changement de valeurs fondé sur des besoins différents. En l'espèce, le développement ayant permis la satisfaction des besoins matériels, ce sont désormais des besoins d'appartenance et de reconnaissance qui font l'objet des revendications des NMS. Il explique aussi les moyens différents d'actions par la capacité de mobiliser les media dans une civilisation de la communication, et un engagement moins docile dans des structures politique de par un niveau d'éducation plus élevé et une volonté de s'affirmer individuellement en dehors du simple processus démocratique.

L'identité sociale se définit par rapport à des traits objectifs, mais aussi subjectifs liés aux jugements de valeur de la société. L'évolution de ces jugements de valeur va être le but de l'action collective, il s'agira alors de corriger une image dévalorisée et plus radicalement de redéfinir l'identité, le meilleur exemple d'un tel mouvement est celui des Droits Civiques pour les Noirs Américains dans les années 60. Action qui a conduit à une nouvelle percetion des Noirs par les autres mais aussi par eux-mêmes. Inglehart en déduit que les NMS réalisent un travail identitaire, qu'il s'agisse de la redéfinir (homosexuels, féministes, clandestins devenus sans-papiers) ou de la conserver (agriculteurs, chasseurs).

Mais la lecture d'Inglehart est criticable : les NMS n'apparaissent pas comme si nouveaux que cela et n'appartiennent pas en propre à des sociétés riches. On retrouve dès le début du vingtième siècle et même avant des régionalistes, des pacifistes, des suffragettes devenues féministes, mais aussi des mouvements technophobes. Leurs actions ne sont pas non plus nouvelles : boycott, grève de la faim, forme de protestations non violentes avec Gandhi, mais aussi attentats avec les anarcho-syndicalistes. Ces mouvements ne sont pas non plus si différents dans leur fonctionnement des partis politiques et certains le deviennent d'ailleurs : CPNT avec les chasseurs, partis écologistes, ils ne disparaissent pas non plus avec l'aboutissement de leurs revendications, ils s'institutionnalisent. Par ailleurs ils ne se distinguent pas nécessairement des mouvements traditionnels, le mouvement antimondialiste est mené par les théoriciens marxistes de l'impérialisme et draine les frustrés de la chute du communisme à l'Est.