Les sources et les limites de la croissance
Nous savons ce qu'est la croissance et nous nous sommes interrogés sur ses origines en nous posant la question : "que faut-il pour se développer ?" Nous allons dans ce chapitre approfondir les sources de la croissance et revenir sur les fondements d'une vision pessimiste des conséquences de la croissance, dépassant celle-ci nous pouvons nous demander s'il faut limiter la croissance et si elle peut être amenée à rencontrer ses propres limites.
I. Facteurs de production et productivité
A. Produire plus
Reprenons l'exemple de Jean-François, nous nous rappelons que celui-ci s'était improvisé cuisinier et avait choisi de vivre de ce métier. Sa spécialité c'est les pizzas, mais il les produit lentement et elles ne sont pas excellentes. La valeur ajoutée qu'il crée contribue à la croissance économique (en passant ici d'une logique microéconomique à une logique macroéconomique), mais pour qu'il continue à dégager une valeur ajoutée dans un contexte de concurrence il faut qu'il produise des pizzas de meilleure qualité. Si il veut s'enrichir il faudra également qu'il augmente sa valeur ajoutée, donc qu'il contribue à davantage de croissance.
1. La combinaison des facteurs de production
Comment atteindra-t-il cet objectif ?
Jean-François reconnaît qu'il n'est pas le meilleur pizzaïolo, il pourrait donc se payer une formation qui lui apprendrait à produire des pizzas plus goûteuses et lui permettrait d'acquérir le tour de main pour en fabriquer davantage dans une heure de travail. Il pourrait aussi s'acheter un autre four à l'identique, ou mieux un four plus performant cuisant plus de pizzas à la fois pour une cuisson donnant une jolie pâte dorée. Pour produire plus de pizzas il lui est aussi possible d'augmenter son temps de travail ou de demander l'aide de son frère quand il n'arrive plus à suivre le rythme des commandes. Et puis Jean-François est ingénieux, il pourrait créer de nouvelles spécialités, trouver de nouveaux procédés de fabrication que ses concurrents ne possèdent pas.
2. Croissance extensive et croissance intensive
Parmi ces différentes solutions pour augmenter la valeur ajoutée qu'il dégage, Jean-François a demandé de l'aide à son frère. Et si ensemble ils produisent deux fois plus de pizzas, le doublement de la valeur ajoutée devra être divisé par 2. Jean-François n'aurait donc pas augmenté la valeur ajoutée qu'il dégage puisqu'à lui seul il ne produit pas plus de pizzas. Il peut aussi travailler plus longtemps pour augmenter sa production, sa valeur ajoutée sera plus importante, mais dans les deux cas que nous venons de voir, sa VA horaire ne change. On dira alors que la productivité de son travail n'augmente pas, la productivité du travail se calculant par le ratio : nombre de produits fabriqués/nombre d'heures de travail nécessaires à la fabrication de ces produits.
Nous avons vu aussi que Jean-François pouvait aussi acheter un four à l'identique, ce four est un bien nécessaire à la fabrication d'autres biens on l'appelle du capital fixe et son acquisition constitue un investissement coûteux, on dit aussi une Formation Brute de Capital Fixe (FBCF). Ce four n'est pas meilleur que son autre four, avec ce deuxième four il pourra cependant produire le double de pizza et il faudra pour qu'il suive ce rythme que son frère l'aide. Mais la productivité de son capital n'augmente pas puisqu'il faut deux fois plus de fours pour produire deux fois plus de pizzas, la productivité du capital se calcule donc par le ratio : nombre de produits fabriqués/nombre d'heure de fonctionnement des machines nécessaires pour le fabriquer.
Dans les deux cas que nous venons de voir l'augmentation de la production de pizza se fait par le recours à du travail ou du capital supplémentaire sans que la productivité de l'un ou l'autre facteur de production n'augmente. En effet si l'on veut doubler la production il faudra doubler les facteurs de production. On parle là d'une croissance extensive, celle qui enrichit le moins.
Mais Jean-François envisage également d'investir dans sa formation pour produire mieux et plus, la productivité de son travail augmenterait donc. Cet investissement qu'il envisage est de nature immatérielle, on dira qu'il s'agit d'un investissement en capital humain puisqu'il permet d'augmenter les capacités productives de son travail. Il se propose aussi d'acquérir un four permettant une meilleure cuisson pour plus de pizzas à la fois, cet investissement matériel implique donc une plus grande productivité du capital.
Jean-François pense aussi à mieux organiser la répartition des tâches entre lui et son frère en fonction de ce qu'ils savent le mieux faire, une bonne organisation du travail est, en effet, un gisement de productivité supplémentaire.
Enfin sa créativité et le recours à des progrès techniques permettront d'augmenter la productivité de son travail ou de son capital à moins qu'ils ne rendent ses produits plus attractifs (dans ce dernier cas la production n'augmente pas).
Dans tous ces cas où l'augmentation de la production se fait par une augmentation de la productivité, on parle de croissance intensive.
3. Les rendements d'échelle
La seule augmentation des facteurs de production ne permet-elle qu'une croissance extensive ?
Jean-François se rend compte qu'avec l'aide de son frère la production de pizza n'est pas multipliée par 2 mais par plus de 3. Ici nous sommes bien dans le cas de figure où la productivité augmente. L'organisation du travail peut en être la cause, Jean-François ne se consacre qu'à la fabrication de la pâte et de la garniture pendant que son frère s'occupe de la cuisson, la fabrication est ainsi plus rapide.
Supposons le cas de figure suivant :
Nombre de pizzaïolo | Nombre de fours | Production de pizzas à l'heure | Productivité marginale du travail | Productivité marginale du capital | Productivité marginale globale |
1 | 1 | 3 | |||
2 | 1 | 10 | 7 | 7 | |
3 | 1 | 14 | 4 | 4 | |
3 | 2 | 23 | 9 | 9 | |
4 | 2 | 27 | 4 | 4 | |
5 | 2 | 30 | 3 | 3 | |
5 | 3 | 35 | 5 | 5 |
On peut s'expliquer ce tableau par la capacité limitée de cuisson d'un four, celle-ci étant de 15 pizzas à la fois. Sachant qu'il faut 3 hommes à l'heure pour fabriquer 14 pizzas, il n'est nécessaire de recourir à des renfort en main d'oeuvre que si l'on se paie un four supplémentaire.
La productivité marginale du travail augmente donc puis décroît lorsque l'on s'approche des limites de la capacité de production.
La productivité marginale du capital connaît la même évolution, les économies d'échelles s'épuisent : les investissements deviennent moins productifs. On parle là de loi des rendements décroissants.
B. La productivité à la source de la richesse
1. Plus le gâteau est gros plus les parts sont importantes
"Il n'est de richesse que d'hommes" disait Jean Bodin, et effectivement ce sont les capacités productives et l'ingéniosité des hommes qui sont la seule véritable source de richesses. Certains pensent que le charbon et maintenant le pétrole sont des richesses, mais sans les technologies que nous utilisons charbon et pétrole ne sont que des déchets, ils ne serviraient à rien, n'auraient aucune utilité donc une valeur nulle.
Ainsi notre travail et nos technologies transforment la nature et sont capables de produire des biens et des services qui satisfont une demande, mais ce qui différencie les pays riches des pays pauvres c'est une capacité inégale de production des hommes et de leurs machines.
Un pays pauvre comme le Bengladesh possède certes une population nombreuse, mais la capacité productive de chacun est faible, si faible que tout ce qui est produit par la population ne permet pas toujours de satisfaire les besoins vitaux de cette même population. La productivité y est trop faible donc, si l'on peut se permettre cette image, le gâteau créé par l'ensemble des actifs est trop petit pour satisfaire tout le monde.
Par contre un pays riche comme les Etats-Unis connaît une productivité importante, chacun secondé de machines et profitant de la technologie produit une quantité beaucoup plus importante de biens et de services. Cette forte productivité permet d'offrir sur le marché de quoi satisfaire bien plus que les simples besoins vitaux et permet donc un niveau de vie important.
Mais attention la loi des rendements décroissants entraîne de drôles de conséquences. Sans machines les Bengalis sont peu productifs mais il suffit de quelques investissements en équipements pour que leur productivité grimpe en flèche. Les Américains par contre sont largement équipés pour produire, il faudra donc investir énormément pour que leur productivité augmente un tout petit peu. Appelons cela l'effet de rattrapage et retenons en qu'un même investissement augmentera beaucoup plus la croissance du PIB d'un pays pauvre que d'un pays riche.
2. Les facteurs de productivité
Nous avons déjà combiné ces facteurs de production à travers l'étude de l'activité productive de Jean-François.
Habituellement on considère surtout deux facteurs de production que sont le travail et le capital.
Le travail c'est la main de l'homme et de plus en plus son cerveau : salariés ou non salariés, ouvriers ou président directeur général, chacun constitue le facteur travail.
Le capital prend le plus souvent une forme matérielle, des machines ; il peut quelquefois être immatériel comme un logiciel, mais il sert exclusivement à fabriquer des produits finis. Comme on dit souvent que le mauvais ouvrier a de mauvais outils, on se rend bien compte que le capital permet un travail plus efficace donc plus productif.
On appellera intensité capitalistique pour une production donnée, le rapport entre le facteur capital et le facteur travail utilisé. Et comme l'homme est plus efficace lorsqu'il utilise des machines, la substitution du capital au travail permet, quand l'intensité capitalistique reste faible, une hausse de la productivité. La bonne combinaison productive permettra d'égaliser la productivité marginale du capital et du travail.
Au-delà de ces deux principaux facteurs de production, il ne faut pas en oublier d'autres qui sont surtout facteurs de productivité.
Pour les Physiocrates le seul facteur productif était la terre. Nous sommes revenus de cette conception erronée, mais nous en oublions trop souvent les facteurs de production naturels. Mais attention si la terre est bien un facteur de production, le bois ou le pétrole tout en étant des ressources naturelles sont des consommations intermédiaires puisqu'ils sont détruits lors du processus de production (contrairement aux facteurs de production).
Pour Jean-François, par contre, investir dans son capital humain est important car cela le rend plus performant dans son travail. C'est effectivement le capital humain qui fait la différence entre le travail qualifié et le travail non qualifié. On parle bien là "d'investir dans le capital humain" car se former cela coûte en temps et en argent mais le formé pourra ensuite récupérer ce qu'il a payé grâce à des rémunérations plus élevées.
Enfin on pourrait ranger le savoir technologique parmi les facteurs de production. Une nouvelle organisation du travail comme en son temps l'OST, le développement des OGM pour permettre de faire pousser le blé sur des terres autrefois incultes, les nouveaux matériaux à mémoire de forme, voila des applications de nouveaux savoirs qui ont aussi oeuvré à la hausse de la productivité et à la qualité des produits.
II. Les modèles de croissance
Nous distinguons ce que l'on appelle un modèle de croissance exogène d'un modèle de croissance endogène :
on parle d'élément exogène à l'économie quand cet élément n'est pas de nature économique, par exemple des découvertes scientifiques ;
on parle d'élément endogène à l'économie quand cet élément est lui-même de nature économique et donc peut être expliqué par la science économique, par exemple un investissement..
A. Le modèle de de croissance exogène de Robert Solow
Le modèle de croissance de Solow a mis en lumière les déterminants principaux de la croissance économique que sont d’une part la croissance démographique (au taux n) et, d’autre part, le progrès technique ou progression de l’efficience du travail (au taux g). La somme des taux n et des taux g doit nous indiquer le taux de croissance potentiel d'une économie.
Le modèle de Solow à l'épreuve des faits :
Les facteurs explicatifs traditionnels de la croissance nous permettent de comprendre le formidable rattrapage de l’économie japonaise au sortir de la seconde guerre mondiale ou encore le différentiel de croissance constaté entre l’Europe et les Etats-Unis ces deux dernières décennies sans avoir à invoquer un mystérieux miracle ou un incompréhensible paradoxe. Depuis les 20 dernières années, l’Europe connaît un taux de croissance démographique annuel moyen de 0,5 % tandis que les Etats-Unis sont à 1 %. La comparaison des rythmes de productivité est aussi éclairante puisque l’Europe plafonne autour de 1 % pour la même période alors que les Etats-Unis enregistrent des gains de productivité annuels moyens oscillant autour de 5 %, donnant un taux de croissance potentiel (« naturel ») européen de 1,5 % contre 6 % pour les Etats-Unis.
B. Les modèles de croissance endogène
La théorie de la croissance endogène donne un rôle moteur dans la croissance aux :
capitaux physiques, par l’investissement qui pousse les autres entreprises à investir et à former dans l’utilisation de nouvelles machines ;
les investissements technologiques qui diffusent les innovations dans la société ;
dépenses publiques en infrastructures afin de susciter les investissements privés.
dépenses publiques notamment en matière d’éducation pour l’amélioration du capital humain.
Ainsi les explications exogène partent du principe que les politiques économiques n’ont pas d’effets sur la croissance (à part celles qui agissent sur la démographie et le développement des sciences) au contraire des explications endogènes qui donnent un rôle important à l’entrepreneur et surtout à l’Etat à travers ses incitations aux investissements et ses dépenses publiques.
1. Le rôle de l'entreprise
Cette donnée exogène qu'est le progrès technique est en partie endogénéisée par le rôle des entreprises. Pour cela le modèle schumpéterien est incontournable : levant l’hypothèse irréaliste de la connaissance assimilée à un bien libre et gratuit, il redécouvre le rôle incontournable des individus, des firmes et des entrepreneurs innovateurs dans la production et la diffusion des technologies.
L'entrepreneur au centre du développement, une vision Schumpetérienne
2. Le rôle de l'Etat
Les acteurs privés laissés à eux-mêmes cherchent à produire plus, ils contribuent donc à la croissance. Cependant les externalités ne permettrait pas à la croissance d'être aussi forte qu'elle le pourrait. Les externalités impliquent donc l'intervention de l'Etat.
Rappelons que l'on appelle externalités les coûts et les avantages non pris en compte lors d’une transaction de marché. Ainsi, en présence d’externalités positives, le marché serait inefficace car la quantité produite de biens est insuffisante par rapport au « besoin social » ; à l’inverse, en présence d’externalités négatives, la quantité produite est trop importante selon ce même critère.
Que serait la recherche-développement sans l'Etat ?
A partir du texte étudié ci-dessus nous avons discuté le caractère de bien collectif de la recherche. Le savoir technologique mais aussi l'éducation dégagent des externalités positives, effectivement la société toute entière va pouvoir bénéficier des progrès initiés par les chercheurs sous forme de retombées médicales, technologiques, de baisse des coûts de production, ... L'éducation permettant d'élever le niveau des individus contribue aussi à former les futurs chercheurs, à élever les qualifications donc la productivité au niveau d'une société.
Ces externalités positives partent d'une bénéfice pour la société supérieur au simple bénéfice individuel. Dans ce cas il appartiendrait à l'Etat d'augmenter le bénéfice individuel lié à la production ou la consommation de biens ou services à externalités positives. L'Etat trouverait là son rôle de subvention, en matière d'éducation ceci passerait par la mise en place d'un système de bourse ou plus largement par un système d'éducation subventionné par les contribuables afin de faire supporter à l'ensemble de la collectivité le financement de dépenses dont ils profiteront à terme.
Ce raisonnement est logique mais le fait que le gain individuel soit inférieur au gain social implique-t-il nécessairement qu'une consommation à externalité positive comme l'éducation soit négligée par les parents faute d'être subventionnée ? Est-ce à dire que les parents ne vont pas faire tous les efforts possibles pour réussir l’éducation de leurs enfants parce qu’ils ne vont pas prendre en compte le gain social ou parce qu’ils ne seront pas dédommagés par la société pour leur effort éducatif dont une partie profite à la société ? C’est prêter une rationalité bien suspecte aux parents. C’est surtout ne pas comprendre les ressorts profonds du comportement humain.
Avec un tel raisonnement on pourrait supposer que les citadins ne fleuriraient pas leurs fenêtres de peur d'en faire profiter les passants sans en être dédommagés !
Les externalités, le marché et l'Etat
D'autres externalités positives sont liées aux infrastructures telles que les routes, les ponts, les phares. Nous serions là, par excellence, dans le domaine des biens collectifs donc dans celui des passagers clandestins. L'augmentation de la productivité dans une société implique la disponibilité de ces biens collectifs tant il est évident que tout aménagement permettant une plus grande rapidité de circulation des informations, des personnes et des biens a pour effet d'accroître la croissance. David Aschauer, à partir d'une étude réalisée sur les Etats-Unis, cherche à mettre en évidence une corrélation entre l'augmentation des dépenses publiques en matière d'infrastructures et l'augmentation de la productivité du secteur privé. Mais ces dépenses doivent-elles être nécessairement prises en charge par l'Etat ?
16 % des industriels français prévoient de délocaliser. Ils estiment que, comparativement aux pays concurrents, les handicaps de la France - la fiscalité (taxe professionnelle en tête) et le coût du travail - "sont plus nombreux" que les atouts de l'encadrement, la qualité des infrastructures de télécommunication et de transport. Étude INSEE, mai 2008, citée par "Le cri du contribuable" |
III. Des limites à la croissance ?
Nous avons vu que dans le modèle de Solow la croissance ne pouvait être limitée que par le rythme du progrès technique et par la démographie.
Mais ne doit-elle pas aussi être limitée par des considérations écologiques ?
Nous revenons sur le chapitre introductif qui avait exposé la polémique née du Club de Rome au sujet d'une contradiction entre le développement et la préservation de notre environnement. La croissance étant à l'origine du développement, c'est bien elle la principale accusée.
A. Agir sur la croissance
1. Le développement durable
La croissance économique, livrée à elle-même, est porteuse d'externalités négatives, elle serait donc sous-optimale puisqu’elle se traduirait par l’épuisement de ressources environnementales indispensables au bien-être des générations futures. En outre le développement industriel et l'utilisation de l'automobiles dégagent du carbone à l'origine du réchauffement climatique.
C'est là la conception des défenseurs de la notion de développement durable, lesquels donnent à l'Etat le pouvoir de réglementer la production afin de déterminer un taux de croissance viable à long terme. Les outils principaux sont la prise de conscience auprès des consommateurs et des entreprises (la fameuse attitude "éco-citoyenne"), mais surtout la mise en place de taxes dites éco-taxes et d'une limitation des droits de polluer fixée internationalement dans le cadre du protocole de Kyoto.
Menée dans ses retranchements le deuxième outil du développement durable peut conduire à réhabiliter la vision d'un Etat planificateur plus efficace que le seraient les agents privés. Or c'est bien cette vision qui a été démentie au vu de l'échec économique et écologique des régimes socialistes.
De la taxe Pigou aux droits de polluer On peut rappeler que les externalités sont les coûts et les avantages non pris en compte lors d'une transaction sur un marché. Les externalités négatives ont un coût social qui n'est pas payé par celui qui en est l'auteur. L'externalité négative classique est la pollution, elle s'explique aussi par la tragédie des communs : c'est parce que l'environnement ne fait pas l'objet de droits de propriété que celui qui pollue ne paie rien pour compenser cette pollution. Une usine pourra ainsi polluer une rivière sans que nul ne l'attaque en justice pour obtenir des dommages et intérêts.
L'économiste Arthur Pigou entend donc prélever une taxe sur les activités créant des externalités négatives, en considérant que cette taxe dédommagera la collectivité qui serait victime de ces externalités. Le but de cette taxe est d'augmenter le coût marginal de production du pollueur de façon à ce que l'activité polluante soit limitée (ici on passe de CM à CM + T, ce qui réduit la quantité produite de D à A), en effet la production optimale est celle qui égalise le prix du marché et le coût marginal de production. Cette taxe permet également de rapporter 0EAB, l'objectif étant que le revenu tiré de cette taxe compense exactement le montant des externalités négatives.
Si cette taxe est trop forte elle entraînera une production sous-optimale, si elle ne l'est pas assez elle ne compensera pas les coûts sociaux de la pollution… Difficile, voire impossible d'en fixer le niveau optimal, Pigou doute même que l'État puisse le dérterminer : les industriels les minimisant, les écologistes les exagérant. Ce mécanisme a donc été remplacé par la création de droits de polluer à mettre sur le marché.
Les droits de polluer sont émis par les États ou les institutions internationales de façon limitée afin d'être compatibles avec la croissance et la protection de l'environnement. Une fois émis et répartis ils peuvent faire l'objet d'un marché permettant aux entreprises dépassant leurs droits alloués, d'en acquérir auprès des entreprises en disposant en excédent afin d'éviter le paiement d'amendes très dissuasives. Ainsi les entreprises capables de réduire leurs émissions de polluants au moindre coût bénéficient de droits de polluer à céder qui permettent à des entreprises polluantes de dépasser leur quota ou de développer leurs capacités de production (et donc d'augmenter leur niveau de pollution). Plus la demande augmente pour ces droits de polluer mis sur le marché plus leur prix grimpe et plus le coût de la pollution devient prohibitif. Effectivement lorsque le prix des droits de polluer devient supérieur aux coûts d'une baisse de l'émission de polluants, il est économique rentable d'investir dans des équipements et des technologies plus propres.
Les droits de polluer sont utilisés dans le cadre des objectifs de limitation des rejets de gaz à effet de serre prévus par le protocole de Kyoto. Ils correspondent aussi au système européen d'échange de quotas d'émission mis en place en 2005 et qui fonctionne suivant les modalités suivantes : chaque État de l'Union Européenne remet des quotas d'émission aux industries émettrices de carbone ; ces quotas sont réduits pour chaque période afin de permettre un environnement plus propre ; les droits de polluer alloués peuvent être cédés sur un marché des émissions de carbone. |
Le développement durable est aussi repris en tant que concept marketing par les entreprises peut consister aussi à mettre en valeur un engagement volontaire.
Exemple : "la filière bois s'engage pour le développement durable " :
Les méthodes de production du papier ont évolué, l'eau utilisée dans le circuit est complètement traitée dans les bassins de nos stations d'épuration et nous recyclons au maximum les vieux papiers pour épargner nos forêts. Nous avons d'ailleurs pris l'engagement que pour un arbre coupé un arbre au moins est replanté, nos bûcherons conservent les vieux arbres et les bosquets, ils évitent les coupes rases pour préserver la biodiversité . Lors de la transformation vers le papier nous dégageons une énergie que nous réutilisons au lieu de faire appel à des ressources non renouvelables, d'ailleurs nos chaudières sont équipées de filtres afin de ne pas disperser dans l'atmosphère les poussières issues de la combustion, les fumées qui se dégagent de nos usines ne sont que de la vapeur d'eau. Le blanchiment du carton n'utilise plus le chlore polluant mais se fait grâce à de nouveaux procédés à base d'eau oxygénée, idem pour les encres à base d'eau plutôt que de solvants.
Tous ne prennent pas le même engagement surtout si la pression des consommateurs n'existe pas comme dans les monopoles incontestables, ainsi l'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie en France, est un espoir d'une meilleure gestion des ressources et d'une limitation des rejets polluants..
La conception du PIB en tant qu'indice purement quantitatif ainsi que la critique d'une croissance qui aurait surtout profité aux pays riches et qui détruit l'environnement naturel pousse certains économistes proches de Nicholas Georgescu-Roegen à prôner une "décroissance durable".
Ce concept s'oppose à la liberté d'entreprise capitaliste, mais aussi à l'idée même d'un développement durable dans le sens où la préservation de l'environnement pour les générations futures n'est pas séparée de la volonté d'une croissance plus modérée mais continue. Or un retour à la nature, une rupture vis-à-vis de la société de consommation et de la technologie sont présentés comme positifs pour les théoriciens de la décroissance, on retrouve là à l'extrême les thèses de Theodore Kaczynski, la fameux Unabomber.
Pour Georgescu-Roegen la décroissance doit commencer par les pays développés dans un souci d'égalisation convergence avec les pays pauvres, il ne s'agit pas tant pour lui de s'appauvrir que de retrouver un mode de vie plus naturel et d'éliminer certains besoins superflus (un peu comme les abeilles devenues vertueuses dans la fable des abeilles de Bernard Mandeville) ce qui implique une baisse de la consommation d'énergie et de biens et services. Ceci passe par une remise en cause des évolutions en cours depuis la Révolution industrielle dans la mesure où la décroissance soutenable pour ne pas créer de chômage devrait limiter le recours à l'automatisation de la production. Une remise en cause aussi du rôle de l'entrepreneur capitaliste perçu comme créant des besoins superflus pour vendre ses produits (filière inversée de Galbraith).
B. Croissance illimitée
Pour un économiste Classique comme David Ricardo, la terre est un facteur de production essentiel, ceci est compréhensible dans le contexte d'économies dominées alors par l'agriculture. Or les terres ne sont pas illimitées et la croissance se faisait surtout par la mise en culture de nouvelles terres, or les terres encore non cultivées étaient les moins fertiles donc les rendements des nouvelles terres étaient de plus en plus faibles : on parle de rendements marginaux décroissants. Au fur et à mesure que toute les terres passent en culture la croissance diminue donc jusqu'à ce que l'on atteigne un état stationnaire avec une croissance 0.
La révolution industrielle a montré que la terre n'était pas le seul facteur de production. Mais une autre ressource naturelle devenait primordiale : le charbon. L'économiste Jevons s'inquiétait d'ailleurs déjà de l'épuisement du charbon et conseilla au gouvernement britannique de prendre des mesures pour limiter la croissance industrielle, de peur que le charbon vint à manquer. Ses conseils ne furent pas suivis et la croissance continua à son rythme. Nous ne souffrons pas aujourd'hui de l'épuisement du charbon, d'abord il en reste pour au moins 200 années d'exploitation et ensuite cette énergie polluante a depuis longtemps été remplacée.
On le voit bien, les nouvelles découvertes technologiques redonnent des facultés de croissance et découvertes après découvertes les limites auxquelles on pensait se heurter disparaissent. Le coût de plus en plus élevés des ressources non renouvelables rentabilise d'ailleurs les investissements en R&D destinés à découvrir des énergies propres et à développer la valorisation des déchets (le logo "Point Eco-Emballages" indique les entreprises qui participent aux frais de récupération et de valorisation de leurs emballages). Par exemple la combustion de 2 tonnes d'emballage carton pour liquides alimentaires produit l'énergie d'une tonne de pétrole, laquelle est recyclée pour le chauffage ; quant aux emballages sous forme de briques ils sont biodégradables et sont transformés en compost.
La prospérité économique ne doit pas nécessairement être obtenue aux dépens de l’environnement
Source : Banque Mondiale (1999)
Les ressources naturelles limitent-elles la croissance ?
En outre notre économie moderne post-industrielle utilise davantage la ressource "matière grise" que les ressources naturelles non renouvelables. Car c'est la croissance industrielle qui est la plus polluante, et mauvaise nouvelle : la Chine actuellement en passe par là.
Ainsi un modèle de croissance endogène suppose une limite à la croissance, alors qu'un modèle de croissance exogène suppose que les technologies ne sont pas fixées donc ils envisagent une croissance illimitée.
Il n'en reste pas moins que le caractère public des ressources naturelles ainsi que de l'air, de l'eau et des sols posent problèmes et que donc le principe pollueur-payeur, supposant le financement par le pollueur de la dépollution ou du recyclage de ses déchets, a toute sa place dans une économie de marché.