Rareté


La condition de l'homme

La science économique est basée sur ce constat simple, même s'il est difficile à accepter : tout a un prix. Et si tout a un prix, alors il faut faire des choix de consommation notamment. Une économie ne peut survivre à des individus incapables de faire des choix et d'en accepter les conséquences.

Ce constat ne dépend ni des courants de pensée, ni des cultures ou des époques. Dès le commencement, pour vivre, l'homme doit se nourrir et se vêtir, et nourritures et vêtements ne tombent pas du ciel. L’homme doit donc consacrer de l’énergie pour se nourrir , c’est le travail ; et il doit se nourrir pour reconstituer son stock d’énergie, c’est la consommation.

L’homme doit donc travailler car si les ressources naturelles sont données, les richesses sont rares. C’est le travail de l’homme qui transforme les ressources naturelles en richesses économiques. Sans travail, elles sont sans valeur et c’est pourquoi c’est encore une aberration que de croire à la disparition du travail.

L'homme lutte contre la rareté

Le pétrole, tant convoité par les États fut d'abord un déchet fossile qui a pris de la valeur à partir du moment où l’homme a inventé le moteur à explosion. Et c'est bien dans le cerveau d'un individu qu'a pris naissance, un jour, cette extraordinaire idée. Remarquons, au passage, que le concept de ressources naturelles n'a pas de sens économique : le pétrole est un "déchet naturel" qui devient une ressource stratégique grâce au génie humain.

À partir du moment où l’homme travaille pour transformer des ressources données par la nature (son cerveau et les matières premières) en richesses économiques, alors tous les biens et services ont un prix. Donc, tout est marchandise.

L'illusion de la gratuité et ses ravages

Car, sauf à revenir à l’esclavage, tout travail a un prix. Même les biens et services, qui sont distribués gratuitement, sont toujours payés par quelqu’un ; l’État, en proposant des biens et services "gratuits" (comme la santé ou l’éducation) ou en distribuant gratuitement des livres et des ordinateurs dans les écoles, n’a pas le pouvoir de supprimer la rareté mais il a le pouvoir de transférer le coût des richesses sur telles ou telles catégories sociales en fonction de choix politiques. Ce constat n’est pas agréable et c’est pourquoi l’analyse économique dérange et est présentée comme antisociale par les intellectuels démagogiques : faire payer les biens et services même les plus élémentaires, n’est-ce pas avantager les riches au détriment des plus pauvres ? Mais, neutraliser les prix ne permet pas de faire disparaître la rareté car le prix est une information - donc un symbole - de la rareté relative de tel ou tel bien. Au pire, contrôler le prix revient à détruire une précieuse information, ce qui aboutit à déstabiliser la régulation économique.

Pour illustrer ce problème, prenons l’exemple du marché immobilier. Les loyers sont le prix de la location d’un appartement et ce prix est fixé par le marché. Au prix d’équilibre, ceux qui sont disposés à payer un prix supérieur sont intéressés et trouveront à se loger tandis que ceux qui ne sont pas disposés à payer un tel prix sont exclus du marché. Ainsi, comme l’offre est donnée (rareté des ressources), le marché organise un rationnement en sélectionnant en fonction de la disposition à payer. C’est donc le rôle des prix que de mettre en œuvre ce rationnement. Beaucoup sont choqués par cette " sélection par l’argent " mais l’argent n’est que le symbole et le moyen d’organiser un rationnement de toute façon incontournable. Mais, dans le cadre dynamique du marché, ce rationnement est toujours provisoire car, si les loyers sont élevés, la concurrence entre les propriétaires, attirés par des perspectives de faire de l'argent, poussera à la baisse des loyers ce qui profite au plus grand nombre.

Sélection : par les prix ou par le piston ?

Imaginons que cette sélection par le prix soit insupportable au point que le gouvernement décide de réguler le marché immobilier. Ainsi, imaginons que l’État impose des loyers pour des motifs " sociaux " (ou empêche l'augmentation des loyers). Le rationnement n’en est pas pour autant supprimé car tout le monde ne sera pas logé puisque, pour un loyer nul, la demande infinie excède une offre nécessairement limitée (qui va entreprendre de construire et d'entretenir des logements qui rapportent un loyer nul ?). Au rationnement par le marché, on aura simplement substitué un rationnement administratif (les appartements seront réservés à une certaine catégorie sociale selon des critères définis par l’Etat : nationalité, âge, piston...). L’argent aura certes disparu mais pas la pénurie ; le symbole de la pénurie aura disparu mais pas la pénurie elle-même. Ce n’est pas les prix qui sont responsables de la rareté, mais c’est au contraire parce que la rareté existe qu’il en découle l’existence des prix.

La différence essentielle est que, dans le premier cas, l’existence de loyers positifs et flexibles incite à accroître et entretenir l’offre : si les loyers sont élevés, il est rentable de construire des logements ; alors que dans le second cas, la pénurie est installée : tout le monde n’est pas logé et rien n’incite à construire ou rénover de nouveaux logements. C’est exactement ce qui s’est passé en U.R.S.S. : les produits de première nécessité et les logements avaient un prix modeste, contrôlé par l’État... mais ils étaient introuvables (phénomène des files d’attente), sauf sur le marché noir où on pouvait les obtenir à leur vrai prix de marché ! Certes, sur le papier, la misère était supprimée puisque les biens avaient un prix modeste ; mais dans la réalité, la pénurie étaient générale puisque personne n’est incité à fabriquer les biens en question. Finalement, des biens qui ont un prix très faible mais qui sont introuvables sont donc des biens chers ! Qu'on le veuille ou non, ce raisonnement s'applique totalement aujourd'hui, en France, pour la santé ou l'éducation : la santé est "gratuite" mais il sera de plus en plus difficile de se faire soigner ; l'éducation est gratuite mais les bonnes formations vont devenir introuvables.

 

Jean-Louis CACCOMO, maître de conférence à l'université de Perpignan

 

Questions

 

1. Que révèle le mécanisme des prix, à quoi sert-il ?

2. Quels sont les avantages et les inconvénients des consommations collectives (à définir) ?

3. Que se passerait-il si le gouvernement décidant d'imposer un prix maximum à la baguette de pain, supposons que ce maximum soit de 0,3 euros.