L’économie et son domaine

 

I. L'objet de la science économique

A. Utilité et besoin

L'ouvrage de Philippe Simonnot "39 leçons d'économie contemporaine", publié chez Folio (ISBN : 2-07-040536-2) sera utilisé tout au long du cours de première et de terminale afin d'approfondir les thèmes du programme.

 

Première leçon : De l’utilité 

1.  Qu’est-ce que l’utilité ?

L’utilité consiste en ce qui peut satisfaire un désir, que ce désir soit conforme à la morale ou non.

2.   Qui décide de ce qui est utile ?

C’est au consommateur de décider lui-même de ce qui lui est utile, même si cet utile là peut paraître inutile à un autre. Mais nous sommes seuls capables de déterminer ce que nous voulons, ce qui nous est utile d’après nos goûts, notre désir et par l’usage de notre libre-arbitre. L’utilité est donc une notion toute subjective.

3.  L’utilité d’un bien est-elle invariable ?

Non, nous avons dit que l’utilité est une notion subjective, ainsi ce qui est utile pour vous le sera moins pour un autre : un lecteur de CD peut avoir de l’utilité pour vous et ne pas en avoir pour un sourd.

L’utilité varie selon les lieux, ainsi l’eau est un bien plus utile au Sahara qu’en France.

L’utilité varie selon les circonstances, ainsi si vous êtes désaltéré, un verre de coca-cola vous sera moins utile que si vous avez soif.

4.    Qu’est-ce qui fonde la valeur ?

Une chose a d’autant plus de valeur pour nous que le besoin que nous éprouvons de la posséder, l’utilité que nous lui attribuons, est forte. La valeur est ainsi la mesure de l’utilité des choses, plus un bien nous est utile plus la valeur attachée donc le prix que nous sommes prêt à payer pour l’avoir est élevé.

 

Savons-nous vraiment ce qui nous est utile ?

 

Désir et besoin sont ici des notions synonymes .Le besoin correspond à un état de manque face à ce qui est nécessaire à la survie de l’individu (les besoins physiologiques) ou ressenti comme nécessaire pour la vie en société (les besoins de civilisation) – voir pyramide de Maslow.

La pyramide de Maslow distingue 5 types de besoins  :

 

        les besoins physiologiques : manger, se vêtir;

        le besoin de sécurité : vis-à-vis des éléments climatiques, mais aussi vis-à-vis des agressions ;

        les besoins sociaux : besoin de s'intégrer à un groupe (travail, club de sport) ;

        le besoin d'estime : se voir  reconnu et apprécié par ce groupe (médaille);

        le besoin d'accomplissement : il est d'ordre personnel, il touche à l'assouvissement d'une passion, l'affirmation de valeurs.

B. La rareté

La rareté et le prix

La nature satisfait un nombre limité des besoins humains, face à la rareté de biens disponibles, l’homme doit aménager la nature par son travail afin de transformer ce qu’offre la nature en biens utiles, c’est-à-dire en biens capables de satisfaire un besoin (cultiver un champ pour produire du blé, transformer le blé en pain car le pain ne pousse pas tout seul).

Si il n’y a pas de rareté alors les besoins sont immédiatement satisfaits sans qu’il soit nécessaire de travailler, de s’organiser ou d’effectuer des choix. Les biens économiques sont ceux qui n’existent pas en quantité illimité, pourtant la plupart des biens deviennent économiques car l’eau ou l’air pure deviennent rares. Les biens libres existant en quantité illimitée sont les cailloux, le sable, l’herbe, ils peuvent cependant devenir des biens économiques là où ils sont rares car ce qui est rare et correspond à un besoin est cher.

 

C.   L'échange

 

Comment et sur quoi se fonde l'utilité ?

Pour satisfaire leurs besoins, les individus devront réaliser des actes de production, puis d’échange afin de pouvoir consommer, en vertu de la division du travail.

On ne peut fabriquer tout ce dont on a besoin, donc l’échange permet de se spécialiser dans ce que l'on sait le mieux faire pour obtenir ensuite ce que l’on ne produit pas soi-même, cette division du travail permet l’apparition d’une société marchande, c'est-à-dire une société où l'on satisfait ses besoins par l'échange. Ceci est très bien expliqué par l'économiste français Frédéric Bastiat, dans son ouvrage majeur "Les Harmonies Economiques".

 

Se spécialiser dans l'échange

 

D. Définir la science économique

 

Nous sommes donc d'accord pour dire que les besoins de chaque individu sont subjectifs, ne regardent que lui, que ces besoins ne se limitent pas à de simples besoins physiologiques, en fait nos besoins sont illimités (besoin de reconnaissance par des signes extérieurs d'appartenance à une catégorie sociale par exemple) et sont de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu'une société se développe (modernité et enrichissement). Seulement les biens et services à même de satisfaire nos besoins ne se trouvent pas souvent tels quels dans la nature (biens libres), on dit donc qu'ils sont rares et  il faut les acquérir en les produisant soi-mêrme ou en les obtenant par l'échange. Mais bien sûr désormais il est impossible de produire tout ce qui satisfait nos besoins, la société est donc devenue une société marchande (implique échange et non autarcie) dans laquelle nous faisons le choix de notre profession (donc des biens ou services que nous allons produire pour satisfaire les besoins des autres) et de nos consommations en fonction de nos goûts et de la rémunération de notre production. Ainsi chaque fois que nous consommons c'est un peu comme si nous échangions le fruit de notre travail (notre revenu d'activité) contre le résultat du travail d'un autre (le bien ou service qu'il a produit).

D’une manière plus étroite on dira que la science économique étudie l’ensemble des actes nécessaires pour combattre la rareté des biens susceptibles de satisfaire les besoins illimités de l’homme.

 

A partir de là l'économie s'intéresse donc à des phénomènes très divers qui font également l’objet d’études sociologiques, d’approches politiques et philosophiques diverses. Le champ d’application de l’économie est très vaste et on pourrait se demander quels phénomène y échappent. Tous les comportements d’un individu rationnel peuvent faire l’objet d’un réflexion économique (y compris le mariage : mariage d’amour ou d’intérêt, choix du conjoint en fonction des besoins dans un univers de rareté), sauf que la production n'intervient pas là bien sûr.

 

La politique veut se mêler d'économie mais la politique peut-elle être vue sous un angle économique ?

L'homme politique se spécialise dans la gestion des affaires publiques et la prestation d'avantages catégoriels, l'électeur cherche a satisfaire un besoin de "services publics et d'avantages catégoriels. L'électeur doit donc faire un choix au travers du suffrage universel, il peut apporter un poste au politicien contre des promesses (il s'agit là d'un échange vote contre promesse), nous nous situons également dans un univers de rareté car les services publics ont beau être gratuits ils sont bien rares car ce sont les contribuables qui les paient. L'économie peut étudier le phénomène électoral, mais ici le politicien ne produit pas vraiment les services publics, il les finance avec l'argent du contribuable qui ne peut pas ne pas payer.

 

On pourra se demander comme le font les moralistes si pour satisfaire ses besoins il est impératif aussi de satisfaire les besoins des autres.

Ainsi est-il moral de satisfaire ses besoins sans satisfaire ceux des autres ? Est-il moral de priver de la satisfaction de leur besoin ceux qui ne contribuent pas à la satisfaction des biens des autres ?

Chacun selon ses moyens (obtenus par la satisfaction des autres) ou chacun selon ses besoins (mais les besoins sont illimités donc comment déterminer le besoin de chacun) ?

 

 

II. Une science issue de la philosophie

 

A. Les Droits Naturels

 

Les économistes classiques apparaissent avec Adam Smith, ils s’inspirent de la philosophie des Lumières et marquent la pensée économique tout au long du dix-huitième et du dix-neuvième siècle.

Ils posent la primauté de l’individu doté de raison et de ses droits naturels :

-         droit de propriété fondé sur le droit naturel,

Ainsi, comme nous l’indique la raison, tous les hommes sont nés naturellement égaux c’est-à-dire dotés d’un Droit égal sur leur personne, et aussi d’un Droit égal à leur conservation […] et comme chaque homme possède un Droit de propriété sur sa propre personne, le travail de son corps et l’œuvre de ses mains lui appartient en  propre et personne n’y a Droit que lui-même ; il s’ensuit donc que lorsqu’il tire n’importe quel objet de l’état où la nature l’avait mis, il y mêle son travail et joint quelque chose qui lui appartient ; ainsi il en fait sa propriété … Aussi, puisque chaque homme a un Droit naturel sur sa propre personne (il en est propriétaire) et sur ses propres actions et travail, ce que nous appelons la propriété, il s’ensuit sans aucun doute que personne ne dispose d’aucun Droit sur la personne (pas de service militaire) ni la propriété d’autrui (pas d’impôts ni de redevances ou taxes). Et si chacun possède un Droit sur sa personne et sa propriété, il a aussi le Droit de les défendre […] et donc le Droit de punir toute offense infligée à sa personne et à sa propriété.

Le Révérend Elisha Williams (1744)

 

 

-         liberté et égalité en droit des individus, donc pouvoir d’exercer librement leur volonté sur les marchés (contrat commercial, contrat de travail, …)

-         l’individu est doté de raison et en recherchant son intérêt propre il permettra d’atteindre l’intérêt général grâce à la main invisible.

 

B. La main invisible

 

Et si « marché » rimait avec solidarité ?

  • Quand tu achètes une baguette chez ta boulangère, me demande un ami économiste, pourquoi te la vend-elle ?

  • C’est son métier…

  • C’est surtout son intérêt. Elle préfère avoir 4,20 francs plutôt qu’une baguette…

  • C’est normal : la baguette lui a coûté beaucoup moins cher.

  • Exactement. Et pourquoi est-ce que tu lui achètes sa baguette ?

  • Parce que j’ai besoin de pain…

  • Sans doute. Mais tu pourrais faire ton pain toi-même. La vraie raison c’est que tu préfères avoir une baguette plutôt que 4,20 francs.

  • Bien sûr ! La baguette, si je devais la fabriquer moi-même, me reviendrait, temps de travail compris, beaucoup plus cher…

  • Tu commences à comprendre ce que c’est que le marché. Elle vend son pain par intérêt, tu l’achètes par intérêt, et chacun y trouve son compte. C’est le triomphe de l’égoïsme…

  • C’est surtout le triomphe de l’intelligence ! Faire son pain, passe encore. Mais qui pourrait se fabriquer une voiture ou une machine à laver ? C’est ce que Marx appelle la division du travail…

  • Adam Smith en avait parlé avant lui. Or Smith, ici, est plus éclairant que Marx.

  • Je te vois venir : éloge du libéralisme…

  • Essayons plutôt de comprendre. Je reviens à ta boulangère. Tu pourrais aller chez un de ses concurrents. Pourquoi vas-tu chez elle ?

  • Parce que son pain est meilleur.

  • Elle a donc intérêt à faire le meilleur pain possible. Mais l’achèterais-tu à n’importe quel prix ?

  • Sans doute pas.

  • Pour te garder comme client, elle a intérêt, dans une économie concurrentielle, à t’offrir le meilleur rapport qualité-prix possible. C’est aussi ce que tu souhaites. Vos intérêts ne sont pas seulement complémentaires, ils sont convergents !

  • Pas étonnant qu’elle me sourie si gentiment…

  • Ni que tu sois si poli avec elle ! Chacun de vous deux n’agit que par égoïsme, mais cela, loin de vous opposer, vous rapproche. Pourquoi serait-on désagréable avec celui dont on a besoin ? Mais que le pain soit moins bon ou plus cher qu’à la boulangerie voisine, ou que tu ne puisses plus payer, c’en est terminé de votre relation : tu ne lui dois rien, ni elle à toi, qu’autant que vous y trouvez l’un et l’autre votre compte. C’est ce qu’on appelle le marché : la rencontre de l’offre et de la demande, autrement dit la libre convergence – par la médiation de l’échange et sous réserve de concurrence – des égoïsmes. Chacun est utile à l’autre, sans qu’on ait besoin de le forcer. Tous ne cherchent que leur propre intérêt, mais ne peuvent le trouver qu’ensemble. C’est pourquoi le pain est meilleur et plus abondant dans une économie libérale que dans une économie collectiviste. La convergence des égoïsmes est plus efficace que les contrôles et la planification !

  • Tu enfonces une porte ouverte…

  • Elle ne l’a pas toujours été !

  • Elle l’est désormais, depuis des décennies. Qui voudrait fixer un prix par force ou par décret ? Ce ne serait plus marché, mais racket ou police. La misère, dans les deux cas, est au bout, et les queues immenses devant des magasins presque vides…

  • Je ne te le fais pas dire ! Mais alors, il faut en tirer les conséquences. Ce que tu appelais le triomphe de l’intelligence, c’est le triomphe du marché.

  • C’est surtout le triomphe de la solidarité, mais vois comme le marché et l'égoïsme assurent la solidarité.

 

André Comte-Sponville
Dictionnaire philosophique, PUF, 2001, p.355-358

 

1. A partir de ce dialogue expliquez le rapport entre l'échange et la division du travail.

2. Comment fonctionne la main invisible ? La concurrence est-elle une condition nécessaire de son efficacité ?

3. On oppose aujourd'hui le commerce solidaire au commerce "tout court", expliquez.

4. Pourquoi ne devrait-on pas fixer un prix par décret ? Voir Manzoni.

 

La logique des intérêts : « Nous n’attendons pas notre dîner de la bienveillance du boucher ou de celle du marchand de vin et du boulanger, mais bien de la considération qu’ils ont de leur propre intérêt. Nous nous adressons non pas à leur humanité, mais à leur égoïsme, nous ne leur parlerons pas de nos besoins, mais de leurs intérêts ». Adam Smith, la richesse des nations.

 

À la recherche de la main invisible

 

C. Marché et Etat

 

Le fonctionnement de l’économie de marché, régit par la loi de l’offre et de la demande dans un contexte de concurrence, permet d’obtenir une situation économique optimale.  Exemple : si un produit devient trop cher, alors d’autres producteurs se mettent à la produire aussi, pour obtenir une part sur le marché ils le vendront moins cher et les prix de ce produit baisseront. Le marché est l'expression de la liberté de choix et de la liberté d'entreprendre, il permet de coordonner des millions d'interactions entre des individus tour à tour demandeur et offreur selon leur propre volonté.   

 

Dans la vision Classique, l’Etat doit assurer des fonctions régaliennes :

-   l’intervention de l’Etat sur les marchés vient créer des effets pervers le rendant inefficient (dans les Fiancés de Manzoni, face à une disette l’Etat veut réglementer le prix du pain, plus personne ne produit de pain et la famine et la peste déciment la population ; alors que si le prix est trop élevé, d’autres producteurs apparaissent sur le marché et l’offre plus importante fait baisser les prix) ;

-  l’Etat devra tout de même assurer par son monopole de la violence légale la sécurité des échanges et le respect des contrats, il se chargera donc de la police, de la justice et de la défense du territoire (Etat-gendarme), l'analyse autrichienne remet cependant de telles prérogatives en cause .

Mais dans la vision interventionniste l'État doit être partout puisque le marché se dérègle.

Pour pousser notre réflexion sur la conception interventionniste

L'expression "dérèglement du marché" suppose que celui-ci soit un phénomène physique. Il y aurait donc des lois que l'on pourrait modifier selon certaines théories où l'homme ne devrait pas être supérieur aux lois du marché, ou auxquelles l'homme serait "soumis" sous peine de contradiction. Dire que l'homme est soumis au marché en admettant que celui-ci soit un phénomène extérieur à l'homme pose un problème moral car on ne voit pas comment l'homme pourrait être soumis dans son action à autre chose que sa volonté. Mais si l'on admet que le marché est consubstantiel à l'action humaine, alors ce n'est plus seulement un phénomène physique, mais aussi une manifestation morale. L'activité économique est tout simplement la recherche de la valeur. La valeur ce n'est pas l'argent. Si la valeur était l'argent, ce qui est échangé contre de l'argent serait l'antithèse de la valeur. Or dans un échange, la valeur existe pour l'acquéreur du bien. La valeur existe quand 2 personnes se sont entendues pour échanger ce qu'elles possédaient, l'un de l'argent, l'autre un bien. Parler d'équilibre c'est encore revenir à la conception mécaniste. Le marché n'est ni un lieu d'équilibre ou de déséquilibre. C'est le lieu de la création de valeur. L'Etat ne fait pas que modifier la manifestation physique du marché. Dans son intervention, l'Etat contraint l'action humaine, use de sa force pour obliger les uns et les autres à agir dans son sens. Il dit : "je ne veux pas que l'homme soit soumis au marché, mais je veux bien que l'homme soit soumis à une cohorte d'hommes"

 

Fred RABEMAN

Questions et éléments de compréhension :

- Qui décide des lois du marché ? Et donc quand l'homme se soumet aux lois du marché, à qui se soumet-il ?

- Qui décide des réglementations qui vont encadrer les lois du marché ?

- À quoi sert le marché ? À créer de la valeur puisque le marché c'est la somme de tous les échanges, et les échanges sont à somme positive.

- Si le "marché est consubstantiel à l'action humaine" alors cela veut dire que toute action de l'homme se traduit par une offre et une demande.