Que serait la recherche-développement sans l'État ?


 

 

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La recherche-développement est cruciale pour vous, mais à quel point ?

Libéral & Néo-Keynésien ensemble : Le rôle du progrès technique dans la croissance est incontournable et la causalité entre progrès technique et recherche-développement (R&D) est évidente.

 

Les hommes de l'Etat se sentent indispensables à tout ce qui est incontournable, qu'en est-il de la R&D ?

Libéral :Effectivement, certains théoriciens de la croissance endogène négligent les apports de leur confrère Schumpeter et font de l'Etat l'acteur primordial de la croissance économique dans la mesure où la R&D serait un bien public.

Néo-Keynésien : Normal, quelle entreprise investirait dans des dépenses de recherche et développement (R&D) puisque les découvertes en résultant pourraient être utilisées par ses concurrents sans qu'ils n'y contribuent  ? Chacun aurait alors intérêt à adopter le comportement de passager clandestin et donc nulle entreprise privée n'investirait réellement dans la recherche.

 

La R&D serait porteuse d'externalités donc ?

Néo-Keynésien : Oui et de nature positive puisque les effets de la recherche profitent à l'ensemble de la société. N'en déplaise aux libéraux, il faut donc que l'Etat intervienne pour stimuler les progrès technologiques. Ainsi pour permettre au secteur privé d'investir dans la recherche, l'Etat donne pour une période donnée un monopole temporaire d'exploitation aux découvertes par le biais des brevets.

Libéral :Faire de la recherche-développement un bien public est outrancier. Il est surprenant de voir que les Keynésiens s'en tiennent strictement au modèle très théorique de la concurrence pure et parfaite dans lequel l'information est gratuite et accessible à tous instantanément.

 

Il est vrai qu'il s'agit là d'un modèle Néo-Classique, mais où voulez-vous en venir ?

Libéral : Je vous rappelle que le modèle de concurrence néo-classique postule une information parfaite, il en découle l'impossibilité de différenciation technologique.  Pourtant on constate que la différenciation technologique existe bien et permet de maintenir pour les plus innovants des avantages compétitifs avant d'être imités.

Néo-Keynésien : Le marché est imparfait c'est évident, il ne permet pas de protéger les découvertes. Alors oui il existe des innovations financées par le privé, je ne le conteste pas, mais sans la possibilité que leur donne l'Etat d'être protégées ces innovations ne seraient pas possibles.

 

Sans garantie de la propriété intellectuelle aucune innovation donc ?

Néo-Keynésien : Si peut-être, j'exagère un peu, mais des innovations mineures, pas celles qui impliquent de consacrer des millions d'euros pour la recherche car l'entrepreneur capitaliste n'investit pas dans la recherche à fonds perdus.

Libéral : Ne soyons pas naïfs, le dépôt de brevet protège de moins en moins contre le piratage, la contrefaçon et l'espionnage industriel, très répandus notamment dans les pays asiatiques. Déposer un brevet c'est aussi s'exposer plus facilement à être copié car le brevet contient la description de l'invention ou du procédé, la formule secrète du docteur Pemberton reste d'ailleurs depuis plus d'un siècle à l'abri dans un coffre et le Coca-Cola n'a pas encore son équivalent exact.

Rappelons nous la vision qu'a Schumpeter de l'entrepreneur : un innovateur avant tout qui veut devenir le premier et le rester.

 

Ce vieux Schumpeter a dit bien des choses mais entreprendre au risque de tout perdre ...

Libéral : L'entrepreneur est celui qui ose les paris risqués, mais de nos jours vu l'ampleur des investissements nécessaires à la recherche il existe des moyens de limiter les coûts de financement. D'ailleurs les entreprises dépensent bien pour la R&D. On voit, dans certains secteurs comme l’électronique, des firmes mutualiser leurs efforts de recherche, créant des laboratoires de recherche en commun, tout en subissant la loi concurrentielle sur le marché des produits finaux résultant de cet effort commun de recherche. Il est d’ailleurs piquant de constater que, alors que les firmes ont bien compris tout l’intérêt qu’il y a à mutualiser certaines dépenses tout en gardant leur identité propre, l’on peine à imposer ce principe dans les laboratoires publics et les universités d’Etat. La rationalité des comportements privées n’est pas toujours aussi « limitée » ou étroite que semblent l’affirmer les pourfendeurs de l’économie marchande. Réciproquement, le sens de l’intérêt général ne prime pas forcément chez tous les agents de l’Etat.

Néo-Keynésien : Vous m'excuserez mais vos petites attaques sont ridicules, les agents de l'Etat sont formés au sens de l'intérêt général ! Nous ne voulons justement pas que la recherche soit seulement orientée par la quête du profit à court terme, qu'elle ne s'oriente que vers la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale et de celle qui est nécessaire mais non rentable, par exemple en ce qui concerne la lutte contre les maladies orphelines. Voila, une autre raison pour laquelle l'Etat doit encourager la R&D et quelquefois se substituer à l'initiative privée dans ce domaine.

 

La recherche sur fonds publics est donc indispensable pour faire face à des besoins non rentables ?

Libéral : On a cru cela pendant longtemps, la recherche publique peut se faire sans trop de limitation de fonds comme vous le sous-entendez. Mais enfin avec les déficits budgétaires actuels des arbitrages doivent être faits et le financement de tel ou tel projet public dépend de priorités qui échappent souvent à notre compréhension. Par contre les fondations privées qui existent aux Etats-Unis brassent des milliards de dollars pour se consacrer à des causes non rentables mais gourmandes en chercheurs, les retombées financières existent pourtant car le dévouement donne une bonne image auprès de l'opinion. Les chercheurs engagés contre la mucoviscidose comptent plus sur le Téléthon que sur le financement de l'Etat, les chercheurs contre certains cancers doivent davantage leurs découvertes aux fondations  qu'au gouvernement.

Quant à la recherche fondamentale elle trouve toujours des applications, l'étude du gène permet les thérapies géniques. D'autres recherches en matière de clonage et des essais en matière d'organismes génétiquement modifiés ont été  interdits par les Etats, si il y avait besoin de les interdire c'est bien qu'ils risquaient d'exister non ?

 Néo-Keynésien : Heureusement que l'Etat se charge d'interdire aussi certaines recherches, leurs externalités ne sont pas toujours positives.

 

Le mot de la fin ?

Néo-Keynésien : Ce n'est pas moi qui le dit mais l’éminent prix Nobel Joseph Stiglitz qui a écrit, dans son manuel d’économie contemporaine que « les marchés concurrentiels ne permettent pas l’émergence des innovations technologiques nécessaire à toute économie prospère ».

Libéral : Ce qui est un comble alors que l’innovation est la condition de survie de toute entreprise face à la concurrence. L’expérience montre que les économies planifiées et administrées par un Etat central sont celles qui précisément souffrent de retards technologiques chroniques.

 

 

Qui a tort, qui a raison ? Prenez le parti de l'un puis de l'autre en fournissant des arguments.

 

 

Une réflexion de Jean-Louis Caccomo :

Là où l'entreprise et le marché défaillent, l'État doit donc intervenir en prenant en charge cette production et en faisant payer de force tout le monde (prélèvement obligatoire). Mais, il n'est pas inutile de se demander pourquoi les agents privés défaillent.

Considérons en effet l'exemple de la connaissance. Il a longtemps été admis que la connaisssance étant un bien libre, l'éducation et la recherche étaient naturellement un bien public dont la production et la gestion relevait de la compétence publique. Si l'on en croit donc le raisonnement précédent, l'État se trouverait comme forcé de produire des connaissances en investissant dans la recherche ou la formation parce que les firmes n'y trouveraient aucun intérêt à le faire. Or, pour peu que l'on s'intéresse à l'histoire de l'électricité, de la chimie, de l'automobile, de la vapeur ou de l'informatique, il est facile de constater que les firmes ont toujours consacré des efforts à la recherche et au développement (R&D), n'ayant pas attendu l'État pour produire des connaissances et des technologies nouvelles dont la généralisation a bouleversé nos modes de vie. Ce constat nous conduit à considérer que la proposition selon laquelle la connaissance serait un bien public est plus un postulat qu'un résultat de l'analyse. Si la connaissance ou l'éducation était des biens totalement publics par nature, les firmes n'auraient en effet aucun intérêt à produire des connaissances. Pourtant, elles le font.