La production de richesses


I. Mesurer la production

    A. Le choix de l'unité de mesure

Les richesses produites dans une société sont de natures diverses, il s'agit de bijoux précieux, de téléviseurs, de conseils en marketing,  de concerts rock payants, de fruits et de légumes, etc ... Comment comptabiliser l'ensemble des richesses produites, comment bâtir cet agrégat qui mesurerait de façon certaine la production des richesses dans un pays lors d'une année civile ? On ne peut pas additionner des téléviseurs et des tomates mais, sachant que biens et services seront vendus sur un marché, on leur trouve un point commun : leur prix de vente sur le marché.

On évaluera donc la production en valeur, c'est-à-dire en fonction des prix du marché dans la monnaie du pays. Que ce soit en dollars, en euros ou en yens il est facile d'additionner la valeur de la production vendue. Mais les prix changent et puisque l'étalon de mesure des richesses n'est pas invariant comment mesurer l'évolution des richesses produites dans le temps ?

  Mesure en valeur et en volume 

     B. Production marchande et non marchande

La production de biens et services marchands se mesure facilement puisqu'elle est vendue sur le marché, elle pourra donc logiquement être évaluée par son prix de vente.

Par contre la production non marchande ne peut se mesurer de la même façon. En effet elle consiste en des services non-marchands financés principalement par les prélèvements obligatoires et fournis gratuitement ou à moins de 50 % de leur coût de revient aux usagers. La production non-marchande ne peut donc être évaluée sur un marché. Les statisticiens ont donc décidé de comptabiliser cette production en fixant sa valeur à hauteur de la somme des coûts de production supportés par les administrations pour les produire. La valeur finale de la production non marchande est donc estimée à son coût total de production, lequel recouvre notamment les consommations intermédiaires, la rémunération du personnel, la consommation de capital fixe et les impôts liés à la production.

        C. Calculer le PIB

L'agrégat que la comptabilité nationale a choisi pour déterminer la valeur de l'ensemble des biens et services finals produits par un pays sur une période donnée est le Produit Intérieur Brut.  La valeur de la production retenue est celle de la production vendue (biens et services marchands) ou fournie en partie ou intégralement aux frais du contribuable (services non-marchands), ainsi les statisticiens de l'INSEE calculent le PIB en effectuant l'addition de la production marchande et la production non-marchande.

Mais attention, en additionnant toutes les productions on peut compter un même produit plusieurs fois puisque certains biens et services sont achetés par des producteurs pour être incorporés dans les produits qu'ils fabriquent. C'est pour cela que l'on ne comptabilise que les biens et services finaux.

Ainsi dans un pays où l'on produit pour 10 millions d'euros de pneus, 25 millions d'équipements automobiles, où l'on construit et vend pour 68 millions d'euros d'automobiles, peut-on dire que le PIB est de 10 millions + 25 millions +  68 millions ?

Pour répondre à cette question il faut se demander si les pneus et les équipements sont vendus à des consommateurs finaux ou aux fabricants d'automobiles qui les utilisent comme consommations intermédiaires pour les transformer en des produits finis. En supposant que l'intégralité des pneus et équipements sont achetés pour se transformer en automobiles alors on  ne peut additionner ces productions, eh oui si l'on compte par exemple la production de pneus et d'automobiles on comptera deux fois les pneus puisque évidemment chaque automobile vendue comprendra aussi ses roues.

En conséquence le PIB de ce pays spécialisé dans les automobiles ne consistera qu'en la production du seul produit final, il sera donc de 68 millions d'euros.

 

Bien sûr en réalité certains pneus et équipements seront vendus au détail et ceux-ci devront s'ajouter à la production finale. Donc pour calculer le PIB il faudra déterminer la valeur ajoutée du producteur  c'est-à-dire déduire de la valeur de sa production au prix du marché, toutes les consommations intermédiaires. Ainsi  la valeur ajoutée représente la contribution productive propre d’une entreprise.

Valeur ajoutée = Valeur des biens et des service produits – Valeur des consommations intermédiaires

Notons que les consommations intermédiaires comprennent les matières premières, l’énergie, les produits semi-finis, les services marchands mais pas le capital fixe.

 

On se rend compte qu'il est difficile de calculer la valeur ajoutée pour le secteur non-marchand, les statisticiens de l'INSEE conviennent donc que leur  valeur ajoutée sera égale à  : rémunérations des salariés + consommation de capital fixe (amortissements) + impôts liés à la production.

 

On distingue la valeur ajoutée au prix du marché comprenant les taxes, les impôts indirects (TVA …), éléments qui ne sont pas une contribution de l’entreprise à la satisfaction du consommateur, et la valeur ajoutée au coût des facteurs, qui élimine les impôts (valeur ajoutée hors taxe).

 

VA au coût des facteurs = VA au prix du marché – taxes et impôts

 

Une partie de la valeur créée est destinée à remplacer du matériel usé (amortissement ou investissement de remplacement), elle constitue une consommation de capital fixe (les machines, équipements, bâtiments sont appelés capital fixe), c'est pourquoi on parle de valeur ajoutée brute. Pour passer à la valeur ajoutée nette il suffit de déduire la consommation de capital fixe.

 

Le PIB est donc définie comme la somme des valeurs ajoutées hors taxe réalisées par les unités institutionnelles résidant en France à laquelle on ajoute la TVA grevant les produits et les droits de douane. Ce produit intérieur brut valait en 2002 en France : 1520 milliards d'euros.     

      D. PIB, PNB, PIN

Une fois la production déterminée, un nouveau choix est à réaliser pour présenter la production réalisée.

Le Produit Intérieur Brut ne mesure que la valeur de la production réalisée en France sur le territoire métropolitain. Cela signifie que quelle que soit la nationalité de l'entreprise qui produit en France elle contribuera à former le PIB, par contre une entreprise française implantée en Italie ou aux États-Unis ne verra pas sa production apparaître dans le PIB français.

Par contre si l'on choisit d'utiliser à la place du PIB le PNB (Produit National Brut), il en ira tout autrement. En effet le PNB prend pour critère l’appartenance nationale ; on estimera ce qui est produit par les entreprises françaises sur le territoire national mais aussi à l’étranger.  Par contre, l’activité de entreprises étrangères sur le sol national ne sera pas prise en compte. 

Pour perfectionner l'agrégat de mesure des richesses créées en une année, on peut vouloir aussi tenir compte de  la dépréciation des machines et des bâtiments au cours de la production. L’usure du capital fixe, son amortissement, pourra donc être déduite du PIB pour obtenir le Produit Intérieur Net.

PIN = PIB – Consommation de capital fixe

 

II. Les limites du PIB

Quitte à utiliser un agrégat des richesses produites autant en trouver un qui nous permette de mesurer vraiment la richesse créée sur le territoire d’un pays, afin qu'il puisse nous renseigner sur l'évolution du niveau de vie et que nous puissions effectuer des comparaison de richesse entre pays par l'utilisation du ratio PIB par habitant.

Malheureusement le PIB a quelques faiblesses dues à ce qu'il ne recense pas à tort ou à raison et à ce qu'il recense abusivement ou non.

    A. Ce dont le PIB ne tient pas compte

Le PIB ne recense que la production déclarée et enregistrée par la comptabilité nationale, mais en réalité, nous le savons bien, tout ce qui est produit n'est pas nécessairement déclaré auprès de l'Etat.

                1. La production informelle

Ainsi la production informelle issue des activités non déclarées et illégales (on parle aussi d'économie souterraine) n'apparaît pas dans la création de richesse du pays, ce qui conduit a sous-estimer la production de certains pays ou de certaines régions comme par exemple celle du sud de l'Italie ou encore des anciens pays communistes dans les années 1990. Dans ces derniers cas, la déclaration d'une partie de la production réalisée a tout simplement été omise afin de limiter les impôts et taxes à payer. Ainsi le PIB de la Russie a remonté avec l'instauration d'une taxation plus simple et moins écrasante, ce n'est pas du au fait que la production ait explosé du jour au lendemain, mais au fait que la production non déclarée ait baissé.

Mais quels visages prend au juste la production informelle ?

        le dépanneur de télévision qui fournit son service de réparation et se fait payer en liquide ; le restaurateur qui minimise le nombre de repas servis ; une amie qui fabrique des bijoux artisanaux et les vend par le bouche à oreille sans avertir les services fiscaux de ce que lui rapporte son commerce, toutes ces activités sont  clandestines et non déclarées ;

        un ami d'un ami qui copie des logiciels et en écoule des versions pirates ; le dealer qui vend de la drogue ; le fabriquant de produits textiles qui propose des griffes en contrefaçon, toutes ces activités sont illégales.

On notera que les activités clandestines et activités illégales sont pénalement répréhensibles et que les activités illégales sont, par définition, toujours clandestines.

 

Pourtant, indépendamment du jugement moral que l'on peut porter sur les activités informelles, celles-ci correspondent à des besoins donc possèdent une valeur aux yeux de ceux qui les consomment. En conséquence, elles font partie des richesses produites même si elles ne sont pas recensables.

Ainsi un impôt 0 pour celui qui fabrique, sans le déclarer, des bijoux à domicile aboutirait au recensement de son activité et à une hausse du PIB, pareillement la légalisation du cannabis mènerait au même résultat même sans augmentation de sa consommation.

 

            2. La production domestique

 

Comme nous l'avons vu, le prix de marché sert à estimer la valeur de la production. De même qu'il est difficile d'estimer la valeur de la production non-marchande, il ne sera pas facile non plus d'estimer la valeur de la production produite et consommée par le producteur que l'on appelle aussi production domestique. Bien que cette production soit la plupart du temps le fait des ménages, donc de personnes privées à la différence d'une production non-marchande, elle ne sera pas non plus cédée sur un marché.

Il en va ainsi des carottes cultivées dans le jardin pour être mangées par le cultivateur du dimanche et sa famille, sa production comptera pour rien dans le PIB alors que s'il avait acheté ses carottes au marché alors la production du maraîcher qui les lui aurait vendu serait tombée dans les chiffres de la production intérieure. Anormal peut-être, il aurait été possible de comptabiliser les carottes vendues ou non à la hauteur du prix moyen de vente sur le marché, puisque l'autoconsommation de carottes n'enlève rien au fait que ces carottes aient été produites. 

Mais l'exemple le plus amusant des effets de la production privée non vendue sur le PIB concerne le mariage d'un particulier avec sa bonne. Avant le mariage, la bonne dûment déclarée aux services sociaux et fiscaux, participe à l'accroissement du PIB par sa prestation de service marchand, après le mariage c'en est fini car les tâches ménagères ne feront plus l'objet de prestations marchandes.

Bien évidemment ces cas de production privée non rémunérée sont marginaux dans les pays développés (mais pas dans les pays en voie de développement) et leur recensement pose problème à moins d'obliger chacun à déclarer ce qu'il cultive ou de vérifier si l'ancienne bonne fait toujours le ménage. Les statisticiens de l'INSEE ne demanderaient peut-être pas mieux que de recenser cette production là puisqu'ils comptabilisent tout de même une production non vendue : celle des jardins ouvriers...

 

                3. Le bénévolat

 

Comme nous l'avons précisé, la production non rémunérée ne peut être recensée dans le PIB. Le travail bénévole, qui, hors association, est souvent suspecté d'être du travail au noir, ne compte donc pas pourtant il génère bien une valeur mais elle est difficile à estimer.

        B. Ce que le PIB rajoute aux richesses produites sur le marché

            1. Tous locataires !

Il est logique que les services d'hébergement soient comptabilisés, ainsi un propriétaire louant son appartement est un prestataire de service marchand. Mais les comptables nationaux en déduisent que le fait pour un propriétaire d'habiter son propre logement correspond à une prestation de service qu'il se fait à lui-même, le PIB enregistrera donc pour chaque propriétaire résidant chez lui un loyer fictif correspondant à ce qu'il aurait perçu en tant que bailleur.

Eh oui c'est un peu bizarre, mais c'est comme cela que les comptables nationaux procèdent, comme si nous étions tous des locataires.

                2. La production non-marchande

Faut-il comptabiliser la production non marchande ?

            3. Bien-être et PIB

Le PIB mesure comme valeur ajoutée des produits polluants tout en négligeant la pollution environnementale qui peut en résulter. Le PIB peut donc augmenter et la satisfaction diminuer. C'est là un argument souvent développé par les partisans de la croissance 0 et du développement durable, nous aurons l'occasion d'en reparler dans le chapitre consacré aux relations entre l'économie et l'environnement.

Mais nous ne pouvons que constater que la réponse aux défis écologiques passe par le développement économique et le progrès technologique. Ainsi si la croissance du PIB s'accompagne de pollutions, elle créé également un marché pour la dépollution qui à son tour vient alimenter le PIB.

Quant au bien-être qui accompagnerait la croissance, il est souvent remis en cause à partir d'un simple exemple qui démontre que la hausse du PIB peut être due à une augmentation du mal être. Supposons donc qu'un automobiliste sous l'emprise de l'alcool se rende responsable d'un carambolage avec dégâts matériels et corporels.  Ce fâcheux accident à lui seul induira une augmentation du PIB sous la forme de fourniture de services marchands et non-marchands tels qu'intervention des services de secours, prestation de services hospitaliers de soins et de désintoxication alcoolique, rééducation et fournitures d'appareillages médicaux, prestation de réparation automobile et vente d'équipements automobiles, et j'en passe. Nous voyons bien là que l'accident appauvrit le chauffard et ses victimes, enrichit ceux qui vivent de prestations de services liés aux malheurs des autres. On en revient donc à la fameuse fable des abeilles dans la mesure où les désagréments ou l'inconduite des uns, créé des emplois et permet à d'autres de prospérer. Mais les médecins et les garagistes ne sont pas responsables du malheur des autres, il convient donc bien de comptabiliser leurs activités.

Imaginons maintenant que le même accident ait lieu sur une route de brousse au Tchad, le conducteur blessé  et sa victime ne sont pas secourus à temps, ils meurent donc et ne permettent pas une augmentation du PIB puisque nulle ambulance, nul médecin, nul garagiste n'ont été sollicités.

Certes l'augmentation du PIB ne conduit pas toujours à un mieux-être mais il peut limiter le mal-être.

Remplacer le PIB par l'IDH ?

Questions de cours

1. Quel problème pose la comptabilisation des services non marchands dans le PIB ?

2. Citez des exemples de production informelle, comment pourraient-elles être réintégrées dans le PIB ?

3. La président dictateur de la république bolivarienne du Venezuela a décidé d'inviter des enseignants cubains pour que chacun puisse savoir lire et apprendre la propagande d'Etat sur les mérites de la révolution socialiste, il a aussi invité des médecins cubains mais les statistiques élogieuses sur l'état de santé de la population ne semblent pas très sincères. Par ailleurs la situation économique du pays n'est pas très bonne en dépit de la rente pétrolière exploitée par la société d'Etat. A votre avis le président préférera-t-il utiliser l'IDH ou le PIB, pourquoi ?

4. Peut-on dire qu'une montre Cartier contribue plus au PIB qu'un montre Swatch ? Expliquez.

5. Le PIB du Yetuma est de 125 milliards de dollars pour l'année 2002. Les comptables nationaux s'aperçoivent qu'ils ont oublié de comptabiliser la production vendue de processeurs pour 3 milliards de dollars ainsi que la production d'ordinateurs pour 32 milliards de dollars sachant qu'un milliard de dollars de processeurs ont été vendus directement à des clients bidouilleurs à domicile, de combien se monte le PIB ? Si on considère que le stock de capital fixe se monte à 200 millions de dollars et qu'il s'est déprécié à hauteur de 5 %, quel est le PIN ?

6. Johannes s'est acheté un lecteur MP3 d'occasion sur e-bay, le lecteur avait été acheté neuf par Sarah en 2004 pour la somme de 80 euros, elle l'a revendu à Johannes en 2005 pour 30 euros moins 10 euros de commission pour e-bay, avec 8 euros de frais de port en sus pour Johannes. De combien ce lecteur MP3 augmente-t-il le PIB en 2004, en 2005 ?

7. Le PIB Indien est bien plus élevé que le PIB Luxembourgeois, les Indiens sont-ils donc plus riches que les Luxembourgeois ?

 

Pour aller plus loin