Nature de l'État


I. Définir l'État

A. Ce que l'État n'est pas

1. L'État idéalisé

L'État est presque universellement reconnu comme une institution dédiée au service de la société. La plupart des théoriciens le considèrent comme un moyen nécessaire pour réaliser les objectifs de l'humanité, un moyen complémentaire à ceux mis en place par le secteur privé, étant entendu que le marché serait forcément défaillant voire incapable de fonctionner sans l'État.

Avec le développment de la démocratie l'identification entre l'État et la société s'est renforcée, il est devenu fréquent d'entendre des expressions telles que "nous sommes l'État". Le "nous" collectif est un camouflage idéologique sur la réalité de la vie politique. Si nous étions vraiment l'État, tout ce qu'un gouvernement ferait à ses citoyens serait accepté par tous et par chacun. Si l'État a fait naître une énorme dette publique qui doit être payée par un groupe au bénéfice d'un autre, la réalité de ce fardeau est obscurcie par le "nous payons pour nos dettes". Si l'État mobilise un homme par la conscription ou l'envoie moisir en prison pour ses opinions dissidentes, alors c'est lui-même qui se mobilise ou s'envoie en prison. Avec une telle conception, les Juifs assassinés par l'État nazi n'auraient pas été assassinés mais se seraient simplement suicidés puisqu'ils seraient l'État dans la mesure où la démocratie a conduit les nazis au pouvoir.

2. L'État n'est pas la société

Nous devons donc insister sur le fait que "nous" ne sommes pas l'État et que l'État ce n'est pas nous. L'État ne représente pas la majorité du peuple, mais même si tel était le cas, si 70 % de la population s'entendait pour massacrer les 30 autres %, il s'agirait bien d'un meurtre et non d'un suicide.

Donc, si l'Etat ce n'est pas nous, si ce n'est pas non plus la "famille humaine" décidant de s'assembler et de résoudre ses problèmes mutuels, si ce n'est pas une loge maçonnique ni un country club, alors qu'est ce que c'est ?

B. Ce qu'est l'État

1. Moyens économiques et moyens politiques

Le sociologue allemand Franz Oppenheimer met en évidence deux moyens incompatibles de satisfaire nos besoins : produire et échanger, ce qu'il appelle des "moyens économiques" ou prendre par la force le fruit de la production des autres, ce qui consiste en les "moyens politiques". Comme l'expose Joseph Schumpeter dans "Capitalisme, Socialisme et Démocratie" : "l'État vit des revenus produits dans la sphère privé pour des objectifs privés et qu'il dévie par la force publique ces revenus de leurs affectations originales. La théorie qui fait des prélèvements obligatoires l'équivalent de cotisations à un club ou à l'achat de services, comme par exemple des services médicaux montre bien à quel point cette partie des sciences sociales s'est éloignée des principes de la science".

Il devrait être évident que l'utilisation de notre raison et de notre énergie sont des façons pour l'homme de survivre et de prospérer sur cette terre, alors que l'utilisation de la coercition et de l'exploitation sont une forme de parasitisme qui n'ajoute rien aux richesses créées mais au contraire en retire. Les moyens politiques syphonnent la production ce qui en réduit le niveau mais participe aussi à la dissuasion des activités productives au-delà du niveau de subsistance des producteurs. À long terme le voleur détruit la source de sa prédation, mais même à court terme le prédateur agit contrairement à sa nature humaine.

Nous pouvons maintenant répondre à cette interrogation : qu'est ce que l'État. L'État, selon les termes d'Oppenheimer, est l'"organisation des moyens politiques", il est la systématisation du processus de prédation sur un territoire donné.

 Le pouvoir politique surveille le pouvoir économique

le père Ubu

2. Le marché est antérieur à l'État

De la définition de l'État, Franz Oppenheimer déduit l'antériorité du marché puisqu'aucun État ne peut naître avant que les moyens économiques n'aient permis de créer suffisamment d'objets capables de satisfaire la prédation et le parasitisme. En effet, si le crime est sporadique et incertain, que la parasitisme est éphémère et peut prendre fin à tout moment par la résistance des victimes, l'État perpétue cet état en donnant un cadre légal et un caractère systématique à la prédation de la propriété privée. Il sécurise ainsi l'existence d'une caste prédatrice au sein de la société. Comme la production doit toujours précéder la prédation, le marché est antérieur à l'État.

 

II. Origine et affirmation de l'État

A. L'organisation de la force

L'État n'a jamais été créé par un "contrat social", il a toujours émergé de la conquête et de l'exploitation. Le paradigme classique est qu'une tribu conquérante a cessé un moment de s'adonner au pillage et au meurtre de la tribu conquise pour réaliser qu'il vaudrait mieux cesser les razzias pour permettre aux conquis de vivre et de produire pour gagner davantage en leur imposant un tribut annuel. Ce que Bertrand de Jouvenel résumera en écrivant : "L'État est par essence le résultat des succès d'une bande de brigands qui imposent leur volonté sur de petites communautés."

Une fois qu'un État est établit, la caste dirigeante cherche à se maintenir, c'est là son principal problème. Si la force est leur modus operandi, le maintien au pouvoir implique des moyens idéologiques. Tout gouvernement, démocratique ou non, doit obtenir le soutien de la majorité de ses sujets. Ce soutien n'a pas nécessairement à être enthousiaste, il peut consister en une résignation passive. Faute de ce soutien, la caste au pouvoir pourrait être balayée par une résistance active soutenue par la majorité.

B. Comment conserver le pouvoir ?

1. La satisfaction d'intérêts particuliers

Puisque la prédation doit être financée par un prélèvement sur la production, il est nécessairement vrai que la caste constituant l'Etat doit demeurer une faible minorité à l'intérieur du pays, bien qu'elle puisse acheter la collaboration d'autres groupes plus importants à l'intérieur de la population. Par conséquent le rôle d'un chef du gouvernement est de s'assurer de l'acceptation active ou résignée de la majorité de ses citoyens. Une des méthodes destinées à s'assurer l'agrément de la population consiste à générer des intérêts économiques particuliers. Ainsi le roi ne saurait régner seul, il doit pouvoir compter sur un groupe d'obligés qui lui doivent certaines prérogatives légales, il pourra s'agir des membres de l'appareil tels que les bureaucrates ou les nobles. Ainsi comme l'écrivait Étienne de La Boétie les ambitieux par ambition démesurée ou goût du lucre s'assemblent autout du dictateur et le soutiennent dans l'espoir de partager une partie du butin et d'obtenir des baronnies.

2. La légitimation idéologique

Mais acheter des affidés n'assure que le soutien d'une minorité de partisans, l'allocation de subventions et de privilèges divers ne sera pas même suffisant pour obtenir l'assentiment de la majorité. L'idéologie va donc servir à persuader la majorité de la population que l'État est bon, sage et pour le moins indispensable, en tout cas meilleur que toutes autres alternatives. La promotion de l'idéologie est la tâche vitale à laquelle sont assignés les intellectuels. La masse du peuple fera des opinions véhiculées par les intellectuels et les media ses propres opinions. Les intellectuels sont donc des faiseurs d'opinions au sein de la société.

Il est évident que l'État a besoin des intellectuels, mais en quoi les intellectuels ont-ils besoin de l'État ? Les intellectuels ne trouvent pas de débouchés évidents sur le marché et dédaignent souvent les choix de la population. Par contre, l'État offre des débouchés à la production de l'intelligentsia ainsi qu'un prestige certain dans la mesure où ils sont intégrés aux cercles dirigeants.

De nombreux exemples montrent que l'État et les intellectuels ont conditionné les citoyens pour qu'ils les soutiennnent. Ce soutien est en général présenté comme nécessaire car il convient de faire croire que :

les dirigeants sont des hommes d'envergure et d'une grande sagesse, ils peuvent tenir leur pouvoir de droit divin, appartenir à une lignée d'hommes de qualité, être des experts dans leur domaine ;

l'existence d'un État correspond à un besoin de la société, il est incontournable, c'est un rempart contre le chaos qui surgirait de son affaiblissement voire de sa disparition.

L'union du clergé et de l'Etat fut une des plus ancienne réalisation de ce dispositif idéologique. Le dirigeant était désigné comme un représentant du divin, il pouvait même être un dieu comme chez les Egyptiens. Toute résistance au dirigeant devenait donc blasphème.

3. Le nationalisme

Puisque toutes les terres du globe ont été divisés entre tous les États, une des doctrines étatiste fondamentale consiste à identifier l'État avec le territoire dont il assure le gouvernement. Dans la mesure où les hommes aiment la terre qui les a porté, l'identification de leur pays avec un État particulier est une façon de profiter du sentiment national au profit de l'État.

Ainsi si la Ruritanie était l'objet d'une attaque par la Waaldavie, alors la première tâche des gouvernants et des intellectuels consisterait à convaincre le peuple de Ruritanie que l'attaque était dirigée contre eux et non particulièrement contre la caste au pouvoir. Une guerre entre dirigeants devient donc une guerre entre les peuples, puisque chaque peuple vient en aide à ses dirigeants en pensant que ceux-ci assurent leur défense. C'est bien l'inverse qui se produit en réalité.

L'utilisation du nationalisme n'est un procédé efficace que dans la civilisation occidentale de ces derniers siècles, il n'y a pas si longtemps que les sujets considéraient les guerres comme des batailles entre divers clans de la noblesse.

4. La dépréciation de l'individualisme

Une autre arme idéologique consiste en l'exaltation du collectif et la dépreciation de l'individualisme. Ceci s'explique de la façon suivante : puisque tout État nécessite l'acceptation de la majorité, la remise en cause idéologique de son pouvoir ne peut venir que de quelques individus pensant individuellement. Une dissidence ne peut naître qu'au sein d'une petite minorité, par conséquent l'État doit tuer dans l'oeuf sa contestation en ridiculisant toutes vues qui défierait les opinions des masses. L'intégration sociale, la socialisation deviennent des armes idéologiques pour écraser les dissidences individuelles.

Tous les hommes de l'Etat peuvent voir dans une idée originale un changement potentiel et donc un risque de remise en cause de ses prérogatives. Pour tout Etat l'homme le plus dangereux qui soit est celui qui est capable de penser par lui-même, sans tenir compte des superstitions véhiculées dans la société et de ses tabous. Cet homme en viendra à conclure que les gouvernants sont malhonnêtes, foux et insupportables, et, s'il n'est pas cynique il cherchera à s'en débarasser. S'il est cynique il n'en restera pas moins apte à disséminer le mécontentement chez ceux qui ne le sont pas.

Henry Louis MENCKEN

L'individualiste devra se sentir coupable, surtout lorqu'il a su s'enrichir.

Toute augmentation des richesses matérielles est mise en cause et présentée comme le résultat de la rapacité, du matérialisme ou de la corruption. L'obtention d'un profit sera présenté comme fruit de l'exploitation, de l'usure. Les échanges librement consentis seront présentés comme dangereux et nécessitant l'intervention de lÉtat. La culpabilité ressentie fera apparaître comme digne d'éloge le supposé désintéressement des hommes de l'État : la prédation parasite en devient moralement et esthétique plus louable que le travail paisable et productif.

5. La légitimation scientifique

L'État de droit divin a été remplacé par la divine science. Les règles de l'État se veulent désormais ultrascientifiques car mise en place par des comités d'experts. Mais, alors que la raison est de plus en plus invoquée, ce n'est pas la raison de l'individu et l'autonomie de sa volonté qui sont mis en avant, mais la logique déterministe, holistique, planiste dont l'objet est la manipulation de citoyens passifs par les gouvernants.

L'utilisation intensive du jargon scientifique a permis aux intellectuels de construire des arguments fumeux pour légitimer l'État dans ses fonctions et lui en créer d'autres. Un voleur qui justifierait ses forfaits en prétendant aider ses victimes par la relance du commerce de détail provoquée par les dépenses supplémentaires issues de ses larcins trouverait peu d'adeptes. Mais si notre voleur habillait sa théorie de références keynésiennes avec deux ou trois équations et un effet multiplicateur alors il en deviendrait plus convaincant. L'État entend cependant se démarquer des brigands, les constructions idéologiques en font autre chose, une instance légitimée même si cela dit se faire au détriment du bon sens commun.

Henry Louis Mencken en disait la chose suivante : "L'homme moyen, quelques soient les erreurs qu'il puisse par ailleurs commettre, se rend facilement compte que l'État est quelque chose qui se tient en dehors de lui-même et de la plupart de ses amis - c'est un corps séparé, indépendant, un pouvoir hostile qu'il ne peut que partiellelement contrôler et qui peut lui nuire gravement. N'est-il pas révélateur que voler l'État soit partout considéré comme moins grave que voler un individu ou même une entreprise ? Ce qui se cache derrière cela est, je crois, une compréhension de l'antagonisme entre l'État et ceux qu'il gouverne. L'État n'est pas considéré comme une assemblée de citoyens choisis pour s'occuper des affaires communes de toute une population, mais comme une institution qui en est séparé et autonome, dont le but véritable est l'exploitation du peuple au bénéfice de ses membres ... Lorsque qu'un individu subit un vol, qu'un homme de labeur est dépouillé du fruit de son travail et de ses efforts.

 

III. L'État sans limites

A. Le détournement doctrinal

Comme le faisait remarquer Bertrand de Jouvenel, à travers les siècles les hommes ont formé des concepts pour tenter de limiter l'extension de l'État ; mais les alliés intellectuels de l'État ont systématiquement trouvé les moyens de transformer ces concepts en des arguments favorables à la légitimation des décrets et des actions des gouvernants. Par exemple, en Europe de l'ouest, le principe selon lequel la souveraineté vient de Dieu a servi à limiter le pouvoir royal, les rois ne pouvaient gouverner que dans le strict respect des lois sacrées. Cette limite a été tournée pour que toutes les actions du roi en deviennent actes de droit divin. La démocratie parlementaire vint ensuite afin de limiter le pouvoir absolu du droit, mais elle est devenue la chambre d'enregistrement des décisions de l'État.

D'autres doctrines ont été détournées. Les droits naturels de l'individu tels que présentés par John Locke et rédigés dans la déclaration des droits, préambule de la Constitution américaine ont été odieusement travestis pour devenir les collectivistes droits sociaux.

B. Des limites constitutionnelles ?

1. The Bill of Rights

La tentative la plus ambitieuse de limitation des pouvoirs étatistes fut la déclaration des droits (Bill of Rights) ainsi que d'autres éléments de la constitution américaine, lesquels couchèrent sur le papier les bases d'un gouvernement minimum dont les prérogatives ne pourraient s'étendre dans la mesure où un appareil judiciaire supposé indépendant en garantirait les limites. Tous les Américains connaissent le processus au cours duquel les garde-fous de la Constitution sont progressivement tombés au cours du dernier siècle. Mais peu ont eu la clairvoyance du professeur Charles Black pour se rendre compte que l'État, au cours de cette période, a largement transformé le système judiciaire pour d'un obstacle à son pouvoir en faire un instrument de la légitimation idéologique de ses actions. Alors que le décret d'anticonstitutionnalité limitait le pouvoir des gouvernants, un verdict implicite ou explicite de "constitutionnalité" est un outil puissant accordant un blanc-seing au développement des prérogatives publiques.

2. La soumission de la Constitution

Charles Black a commencé son analyse en mettant en évidence la nécessité absolue pour tous les hommes de l'État d'une légitimitation de leur pouvoir, cette légitimité est la condition de l'acceptation de l'État et de ses actes par la majorité. L'acceptation de la légitimité devient un problème particulier dans un pays comme les États-Unis où des limitations substantielles des pouvoirs de l'État font partie de la théorie du gouvernement. Ce dont les Américains ont besoin, selon Black, est d'être assurés que l'extension des prérogatives de l'État est conforme à la constitution. Ceci est devenu l'affaire du système judiciaire. Charles Black expose le problème de la façon suivante : le risque suprême (pour l'État) est la désaffection de la population et la perte de son autorité morale. Tous ceux vivant dans un pays gouverné par un État limité, seront tôt ou tard les sujets d'une action publique qu'ils considéreront comme un abus de pouvoir. Un homme pourra être contraint à un service militaire ou civil, bien que rien dans la constitution ne donne ce pouvoir de mobilisation à l'État ... On imposera un quota de production à un agriculteur et cet agriculteur trouvera des avocats qui penseront comme lui que l'État n'a pas plus le droit de lui indiquer la quantité de blé qu'il peut produire qu'il n'a le droit de décider de la personne avec laquelle marier sa fille. Un homme pourra se retrouver en prison pour avoir voulu exprimer ce qu'il pensait, il pourra toujours se lamenter sur le fait que la liberté d'expression a été progresssivement grignotée par l'État. Le danger devient donc réel que chacune de ces personnes fasse la part des choses entre les libertés individuelles que l'État était censé ne pas violer et la réalité, la légitimité de l'État risque d'en être amoindrie dans l'esprit de ses citoyens.

Ce danger est contourné par la création d'une institution chargée de contrôler la constitutionnalité des lois et l'intégration de cette institution au sein de l'État - le Conseil Constitutionnel ou la Cour Suprême-. L'appareil judiciaire avait déjà joué un rôle crucial en légitimant l'extension des prérogatives publiques, mais il est tout aussi vrai que l'indépendance de la justice est un leurre. Black admet donc que l'État s'est érigé juge et partie et a violé les principes juridiques sur lesquels reposait la notion d'État limité.

L'échec des constitutionnalistes

3. L'État de droit

L'État de droit est régi par les lois en vigueur, mais nous avons vu que les limites constitutionnelles étaient tournées. Les hommes de l'État, comme le fait remarquer Mencken, bénéficient d'une large immunité, les affaires françaises telles que relatées par Jean Montaldo (Mitterrand et les 40 voleurs, Chirac et les 40 menteurs) et Antoine Gaudino (l'enquête impossible) montrent bien cette réalité, surtout quand les parlementaires votent une loi d'auto-amnistie.

Nous pouvons tester l'hypothèse selon laquelle l'État se protège davantage qu'il ne protège ses citoyens en posant cette question : quelle sont les catégories de crimes punis de la façon la plus lourde ? Sont-ce les crimes contre les individus ou contre l'État ? Il apparaît dans les codes pénaux que les crimes les plus graves ne sont pas les atteintes aux personnes ou à leur propriété, mais la trahison, la désertion en temps de guerre, le refus de la conscription, la subversion, la conspiration contre l'État, la contrefaçon de monnaie et l'évasion fiscale.

C. De nouvelles prérogatives

1. L'État envahit l'espace du marché

Ainsi l'État a invariablement fait la démonstration de sa propension à s'extraire des limites qui lui étaient imparties. Cette extension de ses pouvoirs lui permet d'accentuer sa prédation sur les biens privés, d'accroître ses moyens et donc de pouvoir intervenir encore davantage. La confiscation des capitaux donne à l'État sa nature anticapitaliste. En ce sens, la vision marxiste d'un État au service d'une classe dominante qui serait les capitalistes n'a pas de sens, si comme le dit Marx l'État est bien aux mains de la caste dominante, il est aussi une menace permanente pour les détenteurs de capitaux privés.

Seuls ceux qui ne connaissent rien à l'histoire et ignorent comment nos gouvernants se sont comportés au cours des siècles, considéreront que les nationalisations, l'impôt sur le revenu, ... ne sont que le produit de doctrines socialistes. En réalité ils sont la manifestation du pouvoir de l'État et ne diffèrent en rien dans leur nature de la confiscation des biens des monastères par Henry VIII. Rien n'a vraiment changé, les mêmes principes président à ces menées, que ce soit la soif du pouvoir, le délire autoritariste, la faim de rapines. Toutes ces opérations possèdent les mêmes caractéristiques. Qu'il soit socialiste ou non, l'État doit toujours être en guerre avec le capitalisme et dépouiller les détenteurs de capitaux de leurs richesses accumulées, l'État obéit ainsi à sa nature profonde.

Bertrand de JOUVENEL

2. L'"État de guerre"

Ce que l'État craint par dessus tout c'est la remise en cause de son pouvoir et de son existence. Effectivement la fin d'un État peut venir de deux façons principales : par l'invasion d'un autre État ou par un processus révolutionnaire organisé par ses citoyens.

Les guerres et les révolution sont donc les menaces majeures qui poussent les gouvernants à entreprendre la conquête la plus farouche de leur opinion. Il devient alors vital de convaincre la population de défendre l'État en lui laissant croire qu'elle se défend elle-même. Le côté fallacieux de cette croyance devient évident quand la conscription est opposée à ceux qui refusent de se "défendre" eux-mêmes et qui doivent donc rejoindre les forces armées de l'État.

En cas de guerre, le pouvoir de l'État est porté à son paroxysme, il peut imposer sa tyrannie au-delà de ce qui serait possible en temps de paix. La guerre est donc aussi une opportunité dans la mesure où elle légitimise une charge publique supplémentaire.

Les relations interétatiques

 

Conclusion : L'histoire, une course entre le pouvoir de la société et celui de l'État

Comme les deux types basiques et mutuellement exclusifs d’interrelations entre les hommes sont ou bien la coopération paisible ou bien l’exploitation coercitive, la production ou bien la prédation, ainsi l'histoire de l'humanité, en particulier l’histoire de son économie, peut être considérée comme un combat entre ces deux principes. D'une part, il y a productivité créatrice, échange paisible et coopération ; de l'autre, dictature coercitive et prédation imposées à ces relations sociales. Albert Jay Nock a nommé ces forces de contestation : « pouvoir de la société » et « pouvoir d'Etat ».

Le pouvoir de la société est le pouvoir de l’homme sur la nature, sa transformation coopérative des ressources de la nature et l’aperçu de la loi naturelle, au profit de tous les individus participants. Le pouvoir de la société est le pouvoir sur la nature, et les conditions de vie réalisées par les hommes grâce à l'échange mutuel. Le pouvoir d’État, comme nous avons vu, est la saisie coercitive et parasitaire de cette production – il assèche les fruits de la société au profit de dirigeants non productifs (sinon réellement anti-productifs). Tandis que le pouvoir de la société touche à la nature, le pouvoir d'État est le pouvoir sur l’homme. Tout au long de l'histoire, les forces productives et créatives de l’homme ont sculpté, maintes et maintes fois, de nouvelles manières de transformer la nature au bénéfice de l'homme. C’était du temps où le pouvoir de la société pouvait s'imposer face au pouvoir d’État, et où l’emprise de l’État sur la société demeurait faible. Mais systématiquement, l'État finissait par avoir le dessus et s'infiltrer dans de nouveaux secteur aux dépens de la société.

Si la période du XVIIe au XIXe siècle a été, dans beaucoup de pays occidentaux, une phase d'accélération du pouvoide la société, donc d’amélioration de la liberté, de la paix et du bien-être matériel, le vingtième siècle a été principalement un âge dans lequel le pouvoir d’Etat l’a rattrapé – avec pour conséquence un retour à l'esclavage, à la guerre et à la destruction.Ce processus parasitaire de « rattrapage » a été presque ouvertement proclamé par Karl Marx, qui a concédé que le socialisme doit être établi par la saisie du capital précédemment accumulé par le capitalisme.

En ce siècle, la race humaine fait face, à nouveau, au règne virulent de l'État - de l'État armé à présent des fruits de la puissance créatrice de l'homme, confisqués et perverti au bénéfice des objectifs de l’État. Les derniers siècles étaient des périodes durant lesquelles les hommes ont essayé de créer des limites constitutionnelles ou autres au pouvoir de l'État, pour constater finalement que de telles limites, tout comme tout autre tentative, ont échoué. Des nombreuses formes que les gouvernements ont pris au fil les siècles, de tous les concepts et institutions qui ont été essayés, aucun n'a réussi à maintenir l'État sous contrôle. Le problème de l'État est évidemment très loin d’être réglé. De nouveaux chemins d’enquête doivent peut-être être explorés, si toutefois la solution de la question de l'État doit jamais être atteinte. Très certainement, un ingrédient indispensable d'une telle solution doit être la lutte contre l'alliance des intellectuels et de l'Etat, par la création des centres d’enquête et d’éducation intellectuelles, qui seront indépendants du pouvoir d’Etat. Christopher Dawson note que les grands mouvements intellectuels de la Renaissance et des Lumières ont été réalisés en travaillant en dehors de, et parfois contre, les universités.

 

Sources :

D'après Murray N. Rothbard, Egalitarianism as a Revolt Against Nature and Other Essays, Auburn, Mises Institute, 2000 (1974), pages 55-88.
Franz Oppenheimer, The State
Bertrand de Jouvenel, On Power
Étienne de la Boétie, Anti-Dictateur
H.L. Mencken, A Mencken Chrestomathy
Charles L. Black. Jr., The People and the Court
Albert J. Nock, Our Enemy the State
Albert J. Nock, Memoirs of a Superfluous Man