Normes et déviances


I. La création des normes

    A. Normes et contrôle social

1. Un outil d'uniformisation sociale

Toute société (la société française) ou micro-société (les jeunes, les artistes, ...) se singularise par son modèle culturel, celui-ci consistera à imposer des normes, donc des façons de penser et d'agir à ses membres. Ces normes pourront prendre la forme de règles écrites et non écrites, elles permettent d'uniformiser certains comportements en définissant ce qui est bien et ce qui est mal.

Nous pouvons chercher à définir ce qui est considéré comme bien et comme mal dans la société française actuelle :

Bien
Mal

Voter

Donner de son temps bénévolement

Respecter toutes les religions (sauf les sectes)

Critiquer George Bush et encenser Barrack Obama

Soutenir l'avortement en tant que droit des femmes

Faire confiance aux élus de la république

Payer ses impôts sans en critiquer l'utilisation

Défendre le service public

S'abstenir lors des élections

Rechercher le profit

Considérer que toutes les cultures ne sont pas égales

Prôner le racisme ou l'homophobie

Ne pas adhérer à des groupes

Remettre en cause les droits sociaux

Défendre la liberté d'opinion et de culte (y compris pour les fascistes et les sectes)

Défendre les OGM

Ici sont considérés comme "bien" des prises de positions ou des actes que la société demande ou recommande, on parle souvent d'actes "citoyens", alors que d'autres attitudes ou façons de penser cataloguées comme "mal" vont faire l'objet de la réprobation sociale.

Égoïste et égotiste

 

Ou bien on dit qu'un homme est égoïste s'il vit de la manière qui lui semble la plus convenable à la pleine réalisation de sa personnalité ; si, en somme, le but principal de sa vie est le développement de lui-même. L'égoïsme n'est pas de vivre comme on désire vivre, c'est de demander aux autres de vivre comme on désire vivre soi-même.

Et le contraire de l'égoïsme, c'est de laisser libre la vie des autres, de n'y point intervenir. L'égoïsme tend toujours à créer autour de lui une absolue uniformité de type. Celui qui n'est point égoïste reconnaît que la diversité infinie du type est une chose délicieuse, l'accepte, y acquiesce, en jouit. On n'est pas égoïste en pensant par soi-même. Un homme qui ne pense pas par lui-même ne pense pas du tout.

On est grossièrement égoïste en exigeant de son voisin qu'il pense de la même manière que nous, et professe les mêmes opinions. Pourquoi le devrait-il ? S'il peut penser, il pensera probablement d'une façon différente ; s'il ne le peut pas, il est monstrueux d'exiger de lui une pensée quelconque.

L'égotiste est celui qui impose des obligations aux autres, et l'individualiste ne désirera pas le faire. Cela ne lui donnerait pas de plaisir. Quand l'homme aura réalisé l'individualisme, il réalisera aussi la sympathie et l'exercera librement et spontanément. Jusqu'à présent, l'homme a cultivé à peine la sympathie. Il a seulement de la sympathie pour la souffrance, et la sympathie pour la souffrance n'est pas la forme la plus élevée de la sympathie. Toute sympathie est belle, mais la sympathie pour la souffrance en est la moins belle forme. Elle est entachée d'égoïsme. Elle est sujette à devenir morbide.

Émile Durkheim

1. Quelle est la définition commune de l'égoïsme ? Comment la société juge-t-elle l'égoïsme ?

2. Quelle est la définition de l'égoïsme  et de l'égotisme que donne Durkheim ?

3. De quelle nature sont les obligations qu'imposent l'égotiste ? Il ne s'agit pas là d'obligations résultant d'engagement (de responsabilités à exercer) mais d'obligations de conformisme par rapport à ce que l'égotisme considère comme le "bien penser".

2. La production des normes

On appelera agents de contrôle social, les institutions en charge de produire des normes. Celles-ci seront transmises lors du processus de socialisation primaire, c'est-à-dire au sein de la famille. Laquelle a déjà été socialisée et donc pourra donner à ses enfants les valeurs qui lui sont propres. En sortant du cocon familial l'enfant sera ensuite soumis à d'autres agents de contrôle social, au premier chef l'école dont l'objet est aussi d'apprendre les normes de la société et de la vie en collectivité, les medias et les autorités religieuses pourront à des degrés divers participer à l'inculquation de normes.

Rappel sur les instances d'intégration

L'acceptation des normes ne va pas de soi, mais les contraintes à l'adhésion au modèle social sont puissantes, à la mesure de la puissance des agents de contrôle sociale et de la pression conformiste qu'impose le groupe.

Les normes vont donc être respectées que ce soit par :

l'intégration de la norme au système de valeurs propres de l'individu, il l'adopte alors et la fait sienne, on dira qu'un processus d'intériorisation de la norme a eu lieu, car il ne saurait la transgresser sans en éprouver de la culpabilité voire de la honte ;

la volonté d'intégration au groupe qui a adopté ces normes, il faudra alors faire comme les autres afin de ne pas se singulariser, on parle là d'un processus d'identification ;

le calcul utilitariste de l'individu qui compare les avantages et les inconvénients à suivre ou ne pas suivre la norme, son adhésion n'est pas une question de conviction mais le fait qu'il réalise que la sanction de la déviance lui coûterait trop cher, on parle là d'un processus de dissuasion.

B. Normes sociales et normes juridiques

1. La nécessité des normes

Les normes produisent des règles fondées sur des valeurs, elles indiquent quel comportement adopter dans telle ou telle situation : lors des élections, il faut aller voter ; à table il faut utiliser une fourchette et un couteau ; en classe il faut écouter le professeur ; si l'on veut gagner sa vie il faut travailler. Ignorer ces règles c'est s'exposer à des sanctions. Elles sont indispensables au bon fonctionnement du groupe dans la mesure où leur déclin mène à la désintégration de la société en créant une situation d'anomie (absence de règles et de limites pour les individus).

2. La nature des sanctions

Ces sanctions peuvent être de nature informelles dans le cas d'une transgression de la norme sociale : celui qui a enfreint les traditions ou la morale est un déviant. Il sera l'objet d'une réprobation sociale diffuse et inorganisée qui pourra être de l'ordre de la moquerie, du dédain, de l'ostracisme, du mépris, voire de diffamations, de persécutions. Seront réprouvées des actes de transgressions tels qu'une fraude fiscale simplement suspectées dans le cas où le supposé fraudeur est riche et veuille se défendre. Ce fut le cas de Florent Pagny qui a voulu mettre le fisc en accusation suite à ses ennuis personnels dans la chanson "Ma liberté de pensée". Il fut alors largement brocardé par des émissions comme "les Guignols de l'Info" le présentant comme un riche insensible et égoïste. Toujours dans le milieu du spectacle où il est de bon ton de s'afficher à gauche, des artistes comme Johnny Halliday ou Doc Gynéco, ont été attaqués dans des émissions TV pour s'être ralliés à l'UMP alors que l'on n'accusera aucun artiste de s'être produit à la Fête de l'Humanité.

Les sanctions peuvent aussi être de nature formelles lorsqu'elles transgressent la norme juridique, sachant que la norme juridique découle d'une norme morale devenue impérative. Le déviant devient alors un délinquant commettant une infraction délictuelle voire criminelle, sa peine sera du domaine des institutions de répression et de jugement de la société : la police l'empêchera de nuire, la justice lui appliquera la sanction. Une norme juridique peut aussi être énoncée par les gardiens d'un ordre professionnel, elle concerne alors ceux qui appartiennent à l'ordre et transgressent l'éthique ou les usages de leur profession. La sanction sera appliquée par un conseil de l'ordre, une fédération sportives, ainsi le médecin qui n'a pas respecté le serment d'Hippocrate ne pourra plus exercer la médecine, le sportif dopé sera interdit de compétition et perdra ses récompenses.

Que les sanctions soient formelles ou informelles, elles produisent les mêmes effets : elles générent un conformisme vis-à-vis des normes d'une collectivité. Usant non seulement du bâton mais aussi de la carotte, les sanctions peuvent passer de négatives à positives afin d'encourager certains comportements, cela peut aller de l'exemplarité de comportements "citoyens' à la remise de prix, ... L'idéal est l'objet d'une propagande intense, on retrouvait cela en URSS avec l'ode au stakhanoviste, le grade de héros révolutionnaire pour l'enfant qui dénonce les activités contre-révolutionnaires des parents.

 

II. Les normes ne sont pas figées

À partir du tableau "bien", "mal" dans la société française actuelle, montrez que ce qui est bien peut être considéré comme mal et vice versa ailleurs ou à d'autres époques.

On vérifie ainsi que les normes diffèrent et donc qu'un comportement normal dans une société peut être considéré comme déviant dans une autre.

A. Les normes évoluent dans le temps

Illustration : L'histoire de Saint Ignace de Loyola, fondateur de l'ordre Jésuite : il croise sur son chemin un Musulman et parle de religion, le Musulman ne reconnaît pas la virginité de Marie, Saint Ignace est offusqué, il reprend son chemin sur sa mule et décide en fonction du chemin pris par sa mule, à gauche il revient pour tuer le Musulman, à droite il continue son chemin. Ceci est déviant à notre époque, l'était-ce alors et l'est-ce partout dans le monde ?

1. L'importance des normes dans les différentes sociétés

Les normes ont évolué dans le temps, il suffit de comparer les mentalités du Moyen Age à celles du monde occidental contemporain. Émile Durkheim montre que les types de solidarité à l'intérieur d'une société vont fonder des modèles normatifs différents.

Ainsi à la société traditionnelle on peut associer une solidarité mécanique dans laquelle le poids des obligations et des interdits est très fort, il n'y a aucune place pour la déviance si ce n'est celle du bouc-émissaire. Le bouc-émissaire est, comme l'explique René Girard, la victime désignée au sacrifice qui prend la responsabilité du mal à la place des coupables, elle doit être suffisamment faible pour détourner la vengeance de la populace sur elle, sans que nul n'ait intérêt à la venger en retour. Dans l'histoire les Juifs ont souvent joué ce rôle, accusés des disparitions d'enfants pour des sabbaths, ou encore de propager la peste en empoisonnant les puits. Certaines personnes au comportement original étaient aussi accusées de sorcelleries et brûlées pour éloigner le mauvais sort.

La société moderne occidentale correspond à une solidarité organique avec des liens importants entre les groupes impliquant des identités sociales éclatées en micro-sociétés, l'individu est reconnu dans cette société et il peut théoriquement assumer des choix différents, des modes de pensée déviants sans subir le sort des bouc-émissaires.

Réflexion : la société française valorise le multiculturalisme tout en imposant des normes jusqu'à transformer en délit des attitudes considérées comme déviance (délit d'opinion, procès d'intention vis-à-vis des non politiquement corrects). N'y a-t-il pas là un paradoxe, surtout lorsque la norme devient de considérer que toutes les cultures se valent ? Par ailleurs la contrainte citoyenne s'intensifie par un contôle social plus serré au niveau de l'école et des medias, par une mise en accusation de l'individualisme, ceci est-il compatible avec une société développée ou va-t-on dans le sens d'une régression tribale, voir Anthem d'Ayn Rand.

En réalité la société française actuelle empreinte ces deux traits dans la mesure où certaines différences sont considérées commme des valeurs mais où d'autres différences font peur.

2. Le droit comme cristallisation des moeurs

Une norme sociale devient norme juridique quand la pression sociale réclame des sanctions fortes et organisées contre des transgressions jusqu'alors non pénalisables, l'État fera alors du respect de la norme sociale une règle de droit. Émile Durkheim représentera d'ailleurs le droit comme l'expression de l'état des moeurs dans une société.

Pourtant la norme juridique peut bouleverser la norme sociale et même s'y opposer. C'est le cas lorsque les gouvernants veulent changer la société : que ce soit Lénine qui proscrive la religion dans une Russie profondément orthodoxe, ou Atatürk qui impose la laïcité en Turquie en interdisant le port du voile islamique. Pierre Bourdieu dirait là que l'État, en tant que représentant de la classe sociale dominante impose ses règles sociales à l'ensemble de la société.

En réalité l'évoluation des normes juridiques n'est la plupart du temps ni l'oeuvre d'une décision des seuls gouvernants ou de la majorité du peuple, elle est le résultat d'un lobbying des "entrepreneurs de morale", selon l'expression d'Howard Becker. Ces entrepreneurs ont en effet compris, comme le professe Durkheim, que le droit est une "cristallisation des moeurs", mais cette évolution des moeurs ils veulent la provoquer en marquant l'opinion par un événement afin de changer les perceptions, pour faire accepter ce qui était hors norme, voire transformer l'anormal en normal. Ces acteurs de la déviance vont donc mettre en place des actions de "désobéissance civile", par la revendication d'actions illégales. Ces actions rendues populaires, la justice pourra difficilement les sanctionner sans paraître injuste.

Ainsi les entrepreneurs de morale tentent d'arracher des lois aux gouvernants en générant un mouvement en leur faveur. Il peut s'agir de véritables actions d'agitation propagande comme avec les "faucheurs volontaires" qui monopolisent les media pour faire entendre leur interprétation des supposés dangers des OGM, ou encore les antipubs qui accusent la société de consommation pour obtenir des règles contraignantes sur l'affichage public. On peut citer comme exemple des actions du mouvement féministe tel que le manifeste des 343, une pétition parue dans Le Nouvel Observateur du 5 avril 1971 et signée par 343 femmes dont des personnalités du cinéma, de la littérature, affirmant avoir subi un avortement. Ce manifeste a contribué à l'adoption en 1975 de la loi Veil qui dépénalisait l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et la fit ensuite rembourser par la Sécurité sociale. SOS Racisme a réussi à sensibiliser l'opinion à la discrimination raciale jusqu'à transformer la norme juridique avec la transformation de certaines opinions déviantes en délit : " lé négationnisme n'est pas une opinion, c'est un délit", selon la loi Gayssot. Toujours dans ce sens SOS Racisme obtient la légalité du testing et c'est en partie sous la pression des associations antiracistes que la Haute Autorité contre Les Discrimations et pour l'Egalité est créée.

Mais attention : même promulguée une loi n'est pas forcément appliquée : les moyens peuvent faire défaut à la police, qui doit établir des priorité selon ses propres critères (ex : squats et occupations sans titres de propriété, blocage des halls d'immeubles). De plus en pratique, il s'avère souvent que les valeurs sont contradictoires entre elles : la lutte contre les sectes ou la pornographie se heurte à la liberté d'association et à la liberté d'expression.

B. Les normes varient selon les groupes

À l'intérieur d'un même ensemble national, d'un société se développent des micro-société sous forme de groupes de pairs élaborant des normes propres à leur groupe. Ainsi il existe des normes dans chaque communauté, le rejet des normes des autres fait entrer dans le communautarisme. Ces normes permettent aux uns et aux autres de s'y identifier ou au contraire de s'en exclure (acculturation). Être déviant peut  donc être une identité relative à un groupe (exemple : les "promise keepers", évangélistes US contre le sexe avant le mariage, norme devenue déviante mais qui caractérise ce groupe), mais les normes des groupes peuvent aussi évoluer, quoique plus difficilement.

Le développement des migrations internationales va d'ailleurs faire coexister des cultures différentes dans une même société, donc des normes différentes voire antagoniques à la norme de la société englobante. La pratique de l'excision est dans la norme des pays d'Afrique sub-saharienne, mais elle est pénalisée en France à titre de pratiquante mutilante donc de torture sur être humain. Pour se mettre en accord avec la norme juridique française une Malienne qui n'accepte pas l'excision et la dénonce devienne déviante au sein de sa propre communauté et se voit donc sanctionnée par l'ostracisme.

Dire que certaines normes posent problème par rapport aux valeurs universelles issues des droits naturels, cela signifie que toutes les normes ne sont pas nécessairement négatives ou positives, dire cela revient à considérer que les cultures qui les véhiculent ne se valent pas toutes.

Un artiste engagé

 

III. Les expériences de la déviance

    A. Désignation sociale des déviants

        1. L'étiquetage

La notion d'étiquetage est propre à Howard Becker, la non-conformité d'un individu selon le jugement de son groupe social, c'est-à-dire le fait qu'il soit perçu comme transgresseur de la norme établie, va lui donner l'étiquette de déviant. On dira de l'étiquetage qu'il est le mécanisme par lequel les membres d'un groupe ou les institutions d'une collectivité désignent un individu comme déviant.

 

Étiquetage et notion de statut chez Everett Charrington Hughes

 

Se positionner dans un statut c'est posséder une caractéristique principale qui nous différencie des autres ne la possédant pas. Cette caractéristique principale que possède celui qui se positionne dans un statut déterminé, suppose selon l'opinion dominante la possession d'autres caractéristiques secondaires inséparables de la caractéristique principale.

 

Par exemple être homosexuel c'est avoir pour caractéristique une affinité sexuelle vis-à-vis des personnes de son sexe, ceux qui ne possèdent pas cette affinité ne sont pas homosexuels. Mais on supposera aussi que les homosexuels aient d'autres caractéristiques secondaires comme par exemple une attitude efféminée, un goût prononcé pour la mode et la décoration, une tendance à la pédophilie et une sexualité débordante.

Cette présomption en faveur de caractéristiques secondaires non visibles et non exprimées relève souvent du préjugé, de même qu'une caractéristique secondaire visible n'implique pas la caractéristique principale. Un homme peut-être efféminé sans être homosexuel et avoir une attitude virile sans être hétérosexuel.

 

Recherchez la caractéristique principale et les caractéristiques secondaires des gens du voyage.

 

Le processus d'étiquetage va de pair avec l'administration de sanctions négatives aux déviants. Ces sanctions varieront cependant dans le temps et en fonction du type de déviance, les normes sociales et juridiques n'étant pas immuables. Elles variront aussi en fonction du groupe social de celui qui commet la déviance. Howard Becker suppose ici qu'il y a une plus grande indulgence vis-à-vis de la déviance perpétrée par celui qui n'était pas étiqueté comme appartenant à un groupe déviant.

La déviance est cependant une tentation constante, les gens normaux c'est-à-dire non étiqueté déviants, sont ceux qui n'ont pas cédé à la tentation de la déviance. Effectivement le fait d'être étiqueté déviant a des conséquences négatives sur la participation à la vie sociale et sur l'image que les autres ont du déviant, voire sur l'image que le déviant a de soi (si cet étiquetage n'est pas assumé). Les difficultés d'intégration liées à l'étiquetage vont donc renforcer l'identité déviante et mener éventuellement à la marginalité.

La marginalité peut devenir elle-même une étiquette fondant une norme déviante du modèle dominant de la société globale. La "loi de la cité" établit ainsi la marginalité comme une sous-culture, voire une contre-culture justifiant le rejet des normes de la société globale tout en secrétant ses propres ses normes que doivent respecter ceux qui veulent s'intégrer aux bandes. Pour Howard Becker, le déviant qui rejette le jugement du groupe dominant et qui n'accepte pas ses normes est un outsider. L'outsider assume des normes différentes et peut s'exclure avec son groupe, chercher à obtenir la reconnaissance du groupe dominant ce qui mène au communautarisme, ou encore vouloir les faire prévaloir auprès du groupe dominant par la conquête du pouvoir politique.

        2. La stigmatisation

Le stigmate est un signe extérieur, donc visible, qui va désigner certains individus les arborants comme déviants. En réalité les stigmatisés ne sont pas nécessairement des déviants mais leur apparence les désigne comme tels.

Irving Goffman va déterminer trois types de stigmates :

des stigmates de nature physique (un handicap, une couleur, ...)

des différences mentales de caractère, de comportements ... (une façon de s'exprimer par exemple)

des caractéristiques ethniques, religieuses (kippa, babouches, voile, ...)

Il faudra aussi, pour que l'on puisse parler de stigmates, que ces caractéristiques différentes soient perçues de façon négatives et dévaluées donc les personnes qui les porte. Les attitudes vis-à-vis des stigmatisés ne seront pas nécessairement de l'ordre de la sanction, elles pourront simplement révéler de la condescendance, de la pitié, un regard différent, de la peur. Le trisomique, l'obèse, le nain, celui qui circule en fauteuil roulant pourront aussi être des stigmatisés.

    B. Gary Becker : la déviance comme choix rationnel

Gary Becker part des comportements rationnels et utilitaristes des individus, lesquels recherchent à maximiser leurs satisfactions en minimisant leurs peines. La déviance devient donc la résultante de calculs utitaristes : elle sera adoptée si les avantages retirés d'un comportement déviant sont supérieurs aux coûts de la réprobation sociale ou d'éventuels ennuis judiciaires. Si les choix déviants entraînent des coûts pour la collectivité, alors il s'agira de les dissuader en augmentant les coûts qui en découlent ou en en limitant les bénéfices.   

C. Déviance ou délinquance 

1. Évolution de la déviance          

La déviance n'est pas nécessairement délinquance, puisqu'elle n'entraîne pas nécessairement une transgression de la norme juridique. Mais la délinquance elle même est relative au gré de l'évolution de cette norme juridique.

Le changement des règles de droit, mais aussi les nouvelles technologies peuvent faire apparaître de nouvelles formes de délinquance : que ce soit le délit d'entrave pour un employeur mettant en cause les nombreuses prérogatives légales des syndicats dans son entreprise, ou celui d'atteinte à la propriété industrielle pour ceux qui téléchargent de la musique sur Internet.

On peut aussi repérer l'évolution du droit et des représentations sociales à travers le changement dans la qualification des actes commis : «l'attentat aux mœurs» est aujourd'hui qualifié d'agression sexuelle. A l'inverse,  tout en étant délinquant, le téléchargeur est-il déviant, c'est-à-dire, est-il marginal ou sa pratique est-elle largement partagée et non stigmatisée par l'ensemble de la population ?

L'opinion des Français évolue aussi sur la justification des comportements déviants, on peut considérer la vision de l'adultère dans les années 1900 et maintenant.

2. Massification de la délinquance : un malaise social

Norbert Élias a parlé d'une régression du processus de civilisation des moeurs, c'est-à-dire d'une limite de la capacité d'autocontrôle des pulsions. Ce constat est évident en France où le développement des crimes dépasse les extrémités d'une courbe de Gauss correspondant au niveau de crime "normal" dans toute société. Cela témoigne d'une remise en cause de la norme juridique dans la société.

Pour Gary Becker la délinquance en développement aurait une autre signification, elle se nourrirait du sentiment d'impunité des délinquants et remet donc en cause la bonne mise en oeuvre par les pouvoirs publics des fonctions régaliennes.

Le constat va bien dans ce sens avec l'explosion des crimes et délits contre les personnes, les vols (multipliés par 6 depuis les années 50), les violences urbaines, zones de non droit et de façon plus diffuse les "incivilités" (insultes, manque de respect, pollution sonore, par exemple) contribuant à générer un sentiment d'insécurité au quotidien. La baisse du taux d'élucidation des délits et crimes rend plus attrayant le recours à la délinquance alors que la protection et la légitimation des délinquants dans leurs actes - délinquant = victime de la société - sont aussi pour la base un objet de remise en cause du laxisme des autorités.