L'économie avant les Classiques
La discipline économique n'existe pas en tant que telle avant le développement de la pensée Classique. Pourtant comme le signale Philippe Nemo dans "Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains" : "... les idées de libre marché, d'établissement spontané des prix, de non-intervention de l'État en matière économique sont formulées dès l'Antiquité et le Moyen Âge."
L'économie n'a cependant pas le statut d'une science à part entière et jusqu'au XVIième siècle on parlera surtout de l'art de bien gérer ses affaires.
La première percée d'une réflexion économique aboutie nous vient de l'Université de Salamanque au XVIième siècle, leurs enseignants souvent membres d'ordres religieux comme les Dominicains ou les Jésuites y défendent la propriété privée et la liberté de marché en rejetant toute intervention de l'État sur la fixation des prix. Avant Smith ils développent l'idée d'une autorégulation du marché par des mécanismes spontanés (la main invisible) et ont même l'intuition d'une théorie quantitative de la monnaie.
Moins cohérents les Mercantilistes, au XVIIième siècle, ne comprennent plus la nécessité d'un marché libre et, représentants des intérêts des marchands, considèrent que l'État doit intervenir pour favoriser le développement de l'industrie et du commerce tout en protégeant les producteurs nationaux contre les producteurs étrangers. Premiers protectionnistes, les Mercantilistes font des métaux précieux la principale richesse, il faudrait donc pour eux vendre le plus possible à l'étranger pour en obtenir et acheter le moins possible à l'étranger pour garder son or.
Plus Libéraux, les Physiocrates sont favorables à la liberté des marchés et hostiles au protectionnisme, un des leurs, Vincent de Gournay s'est rendu célèbre par sa maxime "laissez faire les hommes, laissez passer les choses". Mais ils ont une conception un peu limitée de la valeur. Pour eux seule l'agriculture produit de la valeur, les autres activités étant stériles pour la société. Ils sont les premiers à raisonner en terme de circuit économique.
L'économie par les Classiques
Comme le soutiennent les philosophes des Lumières l'individu est libre
Les
économistes classiques apparaissent avec Adam Smith, ils s’inspirent de la
philosophie des Lumières et accordent la primauté aux droits de l'individu.
Ils postulent donc l'existence d'un droit naturel qui confère pour chaque
individu le droit à la vie et à la propriété privée des fruits de son travail,
la liberté et l'égalité en droit des individus,
donc le pouvoir d’exercer librement leur volonté sur les marchés par application
de la liberté contractuelle (contrat commercial, contrat de travail, …)
Des droits naturels à l'harmonie des intérêts
C'est en supposant l'existence de droits naturels pour tout individu qu'Adam Smith en 1776 dans « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations » entend constituer la science économique en tant que discipline autonome. Mais en réalité Smith synthétise de nombreux travaux antérieurs à travers le principe de la main invisible. Principe qui montre que l'ordre dans la société n'est ni naturel, ni décrété mais qu'il résulte de l'action des hommes (donc non naturel) sans que les effets de leurs actions soient prémédités - l'intérêt général - (donc non décrété). Pour que cet ordre spontané puisse ne pas être déréglé, tout doit être objet de droits de propriété privée (sinon tragédie des communs) et l'État ne doit pas intervenir sur le marché sous peine de déclencher des effets pervers.
La logique des intérêts selon la main invisible s'énonce ainsi : « Nous n’attendons pas notre dîner de la bienveillance du boucher ou de celle du marchand de vin et du boulanger, mais bien de la considération qu’ils ont de leur propre intérêt. Nous nous adressons non pas à leur humanité, mais à leur égoïsme, nous ne leur parlerons pas de nos besoins, mais de leurs intérêts ».
L'harmonie des intérêts est conditionnée par la limitation du rôle de l'État
Les Classiques s'opposent aux théories Mercantilistes donnant à l'État un rôle dans la promotion des industries nationales et dans la protection des marchés contre la concurrence étrangère. La théorie des avantages absolus de Smith et plus encore celle des avantages comparatifs de Ricardo mettent en évidence la supériorité du libre-échange sur le protectionnisme.
Au niveau international comme au niveau local, le fonctionnement de l’économie de marché, régi par la loi de l’offre et de la demande dans un contexte de concurrence, permet d’obtenir une situation économique optimale. Exemple : si un produit devient trop cher, alors d’autres producteurs se mettent à la produire aussi, pour obtenir une part sur le marché ils le vendront moins cher et les prix de ce produit baisseront. Le marché est l'expression de la liberté de choix et de la liberté d'entreprendre, il permet de coordonner des millions d'interactions entre des individus tour à tour demandeurs et offreurs selon leur propre volonté.
Il faut donc éviter l’intervention de l’État sur les marchés qui vient créer des effets pervers le rendant inefficient (dans les Fiancés d'Alessandro Manzoni, face à une disette l’État veut baisser le prix du pain, plus personne ne produit de pain et la famine et la peste déciment la population ; alors que si le prix est trop élevé, d’autres producteurs apparaissent sur le marché et l’offre plus importante fait baisser les prix). Adam Smith disait : "je n’ai jamais vu que ceux qui aspiraient à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses ».
L’État devra tout de même assurer la sécurité des échanges et le respect des contrats, il se chargera donc de la police, de la justice et de la défense du territoire, mais aussi de l'émission de la monnaie, du financement et de l'entretien des infrastructures.
Quel
est le fondement de la valeur ?
Alors
que les Classiques anglais Smith et Ricardo développent la théorie de la valeur
travail (le travail est donc la mesure réelle de la valeur échangeable de
toute marchandise), l'école Classique française dont le chef de file est Jean-Baptiste
Say démontrent la supériorité de l'utilité comme base de toute valeur, reprenant
ainsi Etienne de Condillac : "la valeur de toute chose est fondée
sur leur utilité, ou, ce qui revient au même, sur le besoin que nous en avons,
ou, ce qui revient encore au même, sur l'usage que nous en pouvons faire."
La vision Marxiste de l'économie
Le matérialisme historique
Marx emprunte la théorie de la valeur travail à Ricardo et la dialectique à Hegel. Ce qu'il appelle le matérialisme historique considère que toute société naît, évolue puis disparaît sous l'effet de ses propres contradictions. Ces contradictions sont inscrites dans l'ordre économique, dans le jargon communiste on dira que les infrastructures économiques (le mode de production) alimentent la lutte des classes.
En effet, pour Marx toute société est caractérisée par son mode de production. Celui-ci est la combinaison des forces productives - que sont les éléments assurant le développement de la production - et les rapports de production - définissant les classes par leur place vis-à-vis de la propriété des moyens de production -. Dans le système capitaliste les forces productives sont le prolétariat et les rapports de production divisent les propriétaires des moyens de production et ceux qui louent leur force de travail.
Toute société doit aussi produire plus de biens matériels qu'elle n'en utilise pour répondre aux besoins de la population et au renouvellement de la production. Ce surplus est appelé par Marx le surproduit, il est la différence entre ce qui a été produit et ce qui a été nécessaire à sa production. Toute société affecterait différemment ce surproduit, son contrôle est l'enjeu de la lutte des classes.
L'affectation du surproduit dépend du mode de production, dans le mode de production capitaliste le surproduit résulte du surtravail.
L'exploitation par le surtravail
Mais en quoi consiste ce surtravail ?
Pour le déterminer il faut savoir que, selon la théorie de la valeur travail, le salaire du travailleur correspond à la valeur des marchandises qu'il lui permet d'acquérir. Ce salaire est donc la valeur de sa force de travail. Or selon Marx la valeur de la force de travail tend à correspondre aux marchandises nécessaires à la survie du travailleur (la reproduction de sa force de travail), ni plus car la concurrence entre les capitalistes ne permet pas d'augmenter les coûts de production, ni moins car le travailleur ne pourrait survivre.
Supposons maintenant qu'un un travailleur effectue 1800 heures de travail en une année, et que la valeur annuelle de sa force de travail soit de 1000 heures. La différence entre les heures de travail effectuées (1800 heures) et la valeur de la force de travail correspond au salaire (1000 heures) correspond au surtravail que s'approprie le capitaliste. En effet la valeur des marchandises produite par le travail est de 1800 heures alors que le salaire versé est de 1000 heures, le surtravail est donc de 800 heures.
La
valeur d'une marchandise se compose donc pour Marx de trois parties :
- le renouvellement des objets et moyens du travail ;
- la reproduction de la force de travail ;
- le surtravail.
Le cycle du capital
Le
cycle du capital correspond à la transformation d'argent (A) en marchandises
(M) : A permet d'acquérir les machines, c'est-à-dire les objets et moyens
du travail (capital constant), à verser des salaires (capital variable) afin
de créer les marchandises (M) à mettre sur le marché, lesquelles seront vendues
pour une somme (A') telle que A'>A. La différence entre A' et A correspond
à la valeur du surtravail : la plus-value.
L'argent
de la mise de départ, le capital, engendre des profits, mais pour Marx ces
profits ne peuvent venir que de l'exploitation des travailleurs.
Les contradictions internes du capitalisme
On
sait que les capitalistes cherchent à obtenir les profits les plus élevés,
ils vont pour cela tenter de réduire les coûts de production, en remplaçant
notamment les salariés par des machines, donc substituer du capital constant
au capital variable. Mais l'augmentation du capital constant va provoquer
la baisse du taux de profit, ce qui est logique puisque la plus-value ne provient
que du capital variable. Marx en déduit la loi de baisse tendancielle du taux
de profit.
Pour
faire face à cette fatalité, les capitalistes vont tenter d'accroître la plus-value
et donc tendent à provoquer la paupérisation absolue du prolétariat, ce qui
exacerbe la lutte des classes. Dans cette vision les capitalistes n'ont pas
le choix, la baisse tendancielle du taux de profit contribue à la faillite
de nombre d'entre eux et conserver le profit par la plus-value déclenchera
une crise de surproduction puisque les débouchés ne seront plus assurés. D'une
façon ou d'une autre, si les théories de Marx avaient été justes, le système
capitaliste aurait déjà disparu depuis longtemps.
Les économistes Néo-Classiques
L'homo oeconomicus
C'est dans les
années 1870 que les économistes Néo-Classiques perfectionent les travaux des
Classiques, ils reprennent la vision d'un individu libre et doté des droits
naturels. L'ordre spontané résulte du comportement de l'homo oeconomicus,
individu rationnel mu par la recherche de son intérêt personnel devenu pour
les Néo-Classiques celui qui maximise son profit et minimise ses coûts.
Les Néo-Classiques
développent aussi une méthode de compréhension de la société à partir de l'individualisme méthodologique,
s'opposant ainsi au holisme de Marx, l'explication de tout phénomène est à
rechercher à travers l'observation de l'action des individus.
L'équilibre
des marchés
L'utilisation des mathématiques et du modèle de concurrence pure et parfaite, dans lequel aucun agent ne peut influer sur les prix, conduit les Néo-Classiques à développer le modèle d'équilibre général des marchés dont le théoricien est Léon Walras.
Il
existe effectivement un ensemble de marchés permettant de déterminer le prix
de tous les biens à partir de l'ensemble des offres et des demandes, toute
évolution de l'offre et/ou de la demande ne perturbe pas l'équilibre mais
modifie les prix :
- le marché des biens où se déterminent les prix et les quantités produites
des différents biens ;
- le marché du travail où se déterminent le salaire et le niveau de l’emploi
;
- le marché des capitaux où se détermine le taux d'intérêt par la rencontre
de l’offre des capitaux proposés par les épargnants et la demande de capitaux
des investisseurs.
- le marché monétaire avec une offre déterminée par les autorités monétaires
(monopole de l'offre sauf dans la théorie de la
banque libre).
L’approche
en terme d’équilibre général prend en compte toutes les offres et toutes les
demandes sur tous ces marchés. Ainsi une augmentation de la demande de travail
conduira à une hausse des salaires sur le marché du travail d'où découlera
la hausse de la consommation donc des prix sur le marché des biens et services.
On en déduit l'existence d'un système
de prix faisant coïncider l’offre et la demande sur tous les marchés. Vilfredo
Pareto considère que cet équilibre général constitue un optimum économique
(une situation dans laquelle il n’est pas possible d’améliorer la satisfaction
d’un individu sans détériorer celle d’au moins un autre). Le marché permet
donc de réaliser l’allocation optimale des ressources.
Mise
en équation du comportement des agents
Le
comportement de l'homo oeconomicus implique :
- pour les consommateurs la maximisation de leur utilité à partir de
leurs revenus et des prix du marché ;
- pour les offreurs de travail l'arbitrage entre temps libre et activité rémunérée,
le temps libre possède donc un coût d'opportunité ;
- pour les entreprises la maximisation des profits en fonction des techniques
de production disponibles et des coûts de production.
Un
renouveau de la théorie de la valeur
La
valeur d'une chose n'est pas liée au travail nécessaire à sa production, mais
à l'utilité et à la rareté, ainsi l'utilité marginale d'une chose nous indique
la valeur qu'on lui attache. La valeur est donc subjective.
Les
théoriciens de l'État-Providence : les Keynésiens
L'équilibre sur le marché de l'emploi implique l'action de l'État
Suite à la crise des années 30, due en partie à l’austérité monétaire de la banque fédérale US suite à la crise de 1929 qui est donc avant tout une crise de liquidité ayant produit des faillites en chaîne, John Maynard Keynes écrit sa Théorie générale. Il rompt avec l'individualisme méthodologique et réhabilite l'approche macroéconomique en terme de circuit. Il ne croît pas en l'équilibre général des marché et expose que le libre fonctionnement du marché ne conduit pas à un équilibre économique de plein-emploi. Il constate en effet que le fort taux de chômage se maintient durablement dans les années 30.
L'État doit intervenir dans l'économie
En conséquence, pour Keynes, l’État doit intervenir dans
le domaine de l’économie pour assurer le plein-emploi.
- en cas de dépression il ne faut pas hésiter à creuser un déficit budgétaire
afin de relancer la consommation par des dépenses publiques et une hausse
du revenu disponible ;
- la relance permettra de combler le déficit par les rentrées fiscales, pour
éviter la surchauffe il faudra limiter les dépenses publiques et le revenu
disponible.
La politique budgétaire devra être complétée par la politique monétaire, il s'agira s'inciter les entreprises à répondre à la hausse de la consommation par la baisse des taux d'intérêts permettant d'investir, puis pour éviter la surchauffe inflationniste lors du plein emploi il sera nécessaire de remonter les taux d'intérêt de la banque centrale.
Elle s'adjoint aussi une politique sociale d'État-Providence allant au-delà d'une hausse des revenus disponibles des plus pauvres avec notamment la mise en place d’un système de sécurité sociale obligatoire se substituant à un système individuel d’assurance facultatif et décourageant l'épargne de précaution.
Les secrets de la relance
Pour Keynes la relance doit forcément mener au plein-emploi car :
- elle permet aux entreprises d'anticiper une hausse de la demande effective (somme des dépenses en biens de consommation et d'investissement), ce qui les incitera à l'augmentation des investissements et à l'embauche de personnel ;
- elle accroîtra les dépenses privées plus que proportionnellement aux dépenses publiques par le biais du coefficient multiplicateur ;
- elle favorisera la consommation des plus pauvres par l'augmentation des allocations, or les plus pauvres sont ceux qui ont la propension à consommer la plus élevée.
Mais gros problème : la relance keynésienne est très inflationniste, ce qui n'est pas si grave pour Keynes qui ne s'offusque pas de "l'euthanasie des rentiers".
La mondialisation invalide les politiques économiques
La socialisation des dépenses (54 % du PIB socialisé) permet à l’État de décider de la hausse ou de la baisse des dépenses, donc l’orientation de l’économie par la politique budgétaire. Mais avec l’ouverture des frontières, le caractère inflationniste des dépenses publiques nuit à la compétitivité prix des entreprises donc à la croissance et à l’emploi !
Les nouveaux économistes
Face à ce nouveau phénomène de stagflation alors que les phénomènes récessifs s'accompagnait habituellement de déflation, les médecines de Keynes furent mises sur la sellette. Les théoriciens de l'offre démontrèrent que non contentes de porter un coup à la compétitivité des entreprises, les politiques de relance nourrissaient la trappe à la pauvreté et les fuites devant l'impôt schématisée par la courbe de Laffer. Les théoriciens de l'offre ne sont pas les seuls à remettre en cause l'économie dominante keynésienne, ces nouveaux économistes rénovent les théories Néo-Classiques à partir de la fin des années 1970, ils inspireront Margaret Thatcher et Ronald Reagan.
Les premiers de ces nouveaux économistes sont les "économistes autrichiens" s'inspirant des travaux de Ludwig Von Mises et de Friedrich Hayek (prix Nobel d'économie 1974). Les nouveaux économistes développent leur réflexion sur : - l'ordre spontané, ce sont donc fondamentalement des Libéraux ; - les effets pervers issus des interventions économiques de l'Etat, comme l'énonce Hayek : " Nombre des défauts et des déficiences inhérents aux ordres spontanés sont le résultat de tentatives visant à jouer sur leurs mécanismes. De telles tentatives d'intervention débouchent rarement sur des résultats correspondants aux désirs des hommes dans la mesure où des ordres spontanés sont déterminés par beaucoup plus de données particulières que tout ce que toute agence d'intervention peut connaître " ; - la caractère fallacieux du concept de justice sociale à la base des interventions de l'Etat-Providence, car dans une société de marché la position sociale de chacun dépend de son utilité sociale. Si un barbouilleur se dit peintre et veut vivre de son art, il ne pourra dans une société de marché jouir des commandes d'Etat, sa situation de précarité ne pourra pour autant être qualifiée d'injustice sociale car elle ne lui est imposée par personne et résulte seulement du fait que les autres n'achètent pas son "art", si injustice sociale il y a ce serait de forcer la collectivité à acheter de telles oeuvres pour faire vivre le peintre.
Mais ils critiquent le modèle de la concurrence pure et parfaite, considérant qu'il s'agit d'un modèle statique alors que les marchés répondent à un modèle dynamique dans lequel l'entrepreneur agit pour obtenir un profit et n'est pas un agent passif maximisateur. Ceci les conduit à critiquer la trop grande mathématisation de l'économie Néo-Classique.