La protection sociale


 

Précision terminologique : La protection sociale en France est aussi appelée solidarité collective dans le sens où chacun cotise pour tous, mais attention le fait de cotiser est obligatoire et donc le terme solidarité collective peut poser problème dans le sens ou cette "solidarité" est obligatoire.

I. La mise en place des régimes de protection sociale

A. Les risques sociaux

1. Nature des risques sociaux

Les risques sociaux sont à l'origine des risques individuels auxquels chacun d'entre nous peut être confronté. Il peut s'agir des risques liés à l'activité professionnelle (accidents du travail, perte d'emploi) ou à la vie de tous les jours (accident, maladie). Ces risques ont des incidences pécuniaires que ce soit la perte d'un revenu et/ou des dépenses importantes liées à la prise en charge de soins.

Face à ces risques individuels on s'en remettait autrefois à la providence divine en priant pour que Dieu nous évite de telles épreuves. Et si par malheur on devait les subir, alors la famille pouvait venir à la rescousse, on pouvait aussi s'en remettre à la charité privée.

 

Des sociétés de secours mutuel à la sécurité sociale

2. L'évolution des risques sociaux

Le modernisme génère de nouveaux risques sociaux comme l'explique François Ewald dans "L'État Providence". Effectivement avec le salariat apparaît le chômage (à ne pas confondre avec la simple perte d'emploi qui demeurait rare et liée le plus souvent à une faillite ou à un grand âge) et la forte montée des accidents de travail dont l'occurrence devient inévitable avec les risques du travail industriel. Les conséquences de ces risques sociaux en terme de pertes de revenus seront donc pris en charges par d'autres institutions que les institutions traditionnelles (famille, clergé, corporation, village) au nom de la préservation de la cohésion sociale dans les sociétés modernes.

 

Comment déterminer la pauvreté ?

B. L'État Providence s'empare des risques sociaux

1. Une nouvelle forme de socialisation des risques

Aujourd'hui, dans les sociétés modernes, on peut encore espérer compter sur la famille et la générosité de l'entourage. Mais bien moins que dans les sociétés traditionnelles comme par exemple en Afrique où les solidarités mécaniques faisaient que celui qui réussit doit entretenir famille et amis - ce qui constitue un frein certain au développement -. Nos sociétés modernes, nées des Révolutions industrielles ont fait éclater les collectivités paysannes avec le développement du salariat et l'exode rural.

L État-Providence se substitue alors aux institutions traditionnelles pour transformer les risques individuels liés à l'activité et à la maladie en risques sociaux. L'obligation morale qu'impose la collectivité proche - le clan, la tribu - sur l'individu afin d'assurer la protection de chacun est remplacée par une obligation légale que l'État va progressivement mettre en place.

Mais n'est-ce pas la substitution de l'État aux solidarités traditionnelles qui a aussi hâté la disparition de l'assistance de proximité ? Pourquoi se montrer généreux face à la misère alors que l'on paie déjà impôts et cotisations pour la soulager ?

 

De vraies formes de solidarité

2. Affirmation des fonctions de l'État-Providence

La mise en place des fonctions providentielles de l'État au nom du principe de "justice sociale" avait été anticipée par Tocqueville qui parlait de la passion de l'égalité et de la volonté de s'en remettre de plus en plus à une autorité supérieure déshuamnisée, c'est-à-dire étatique. Ainsi l'État Providence ne se limitera pas à assurer chacun contre les risques de la vie, il prendra aussi en charge la réduction des inégalités et prétendra assurer à tous l'accès à la société de consommation.

Un tel engagement ne pouvait être tenu que grâce à un formidable développement du progrès technique et de la productivité. Car il faut bien comprendre que si le poids de l'Etat Providence a pu être supporté c'est parce que la base productive était suffisamment importante : on ne peut en effet partager ou redistribuer que ce qui a été produit.

 

 

II. Les différents systèmes de protection sociale

 

A. Les trois modèles d'Esping-Andersen

Les systèmes de protection sociale sont très dissemblables suivant le rôle qu'ils donnent au marché, aux partenaires sociaux et à l'État. À partir d'une étude comparée entre les différents pays, Esping-Andersen en déduit trois grands modèles d'organisation.

1. Le modèle libéral et le modèle résiduel

Dans l'absolu le modèle libéral de protection sociale laisse à chacun la liberté de souscrire ou de ne pas souscrire à un organisme de protection sociale. La prise en charge des risque sociaux obéit là à une logique assurantielle : on y assure les risques sociaux comme n'importe quel autre sinistre. La couverture sociale dépend donc des cotisations versées et du contrat souscrit auprès d'assurances sociales privées et en concurrence les unes avec les autres. Bien évidemment nul n'est automatiquement pris en charge et chacun choisit son type de couverture en fonction de ses choix personnels et de ses moyens.

 

Les États-Unis sont souvent présentés comme l'idéal-type du modèle libéral en matière de protection sociale. En réalité si il y existe bien un marché concurrentiel de la protection sociale et si chacun cotise effectivement pour face faire à ses propres risques, ce sont les entreprises qui font cotiser obligatoirement leurs salariés pour l'organisme de protection sociale choisi par elles. De plus l'État prend en charge un volet de protection pour les plus démunis dont le coût est donc supporté par l'ensemble des contribuables.

On parle là d'un modèle résiduel c'est-à-dire d'un État Providence a minima mais d'un État Providence tout de même dans la mesure où l'affiliation à des mécanismes d'assurance sociale est obligatoire. Ceci en vertu de l'hypothèse selon laquelle les ménages ne sont pas "raisonnables" dans le sens où ils sous-estiment leur exposition aux risques sociaux ainsi que les conséquences de ces risques.

2. Le modèle corporatiste

Le modèle corporatiste est proche de la logique assurantielle. On l'appelle aussi l'État Providence bismarkien en référence à Bismark, qui créa en Allemagne au XIXème sièlce un système d'assurances sociales fondé sur le travail productif et géré par les salariés et les employeurs.

Ainsi le droit à une protection sociale y est la contrepartie des cotisations de ceux qui travaillent, autrement dit ce système fait obligatoirement cotiser les travailleurs à une caisse gérée par les salariés et les employeurs (et non par l'État proprement dit). Seuls ceux qui occupent un emploi sont donc socialement protégés ; l'État Providence apparaît là comme une création spécifique liée à l'apparition des risques sociaux spécifiques au salariat.

Par ailleurs, les droits sociaux sont proportionnels aux cotisations, donc le modèle corporatiste ne suppose pas une logique de redistribution. En conséquence, tous ne disposent pas de la même couverture sociale d'autant que les assurés sociaux peuvent compléter leur protection personnelle en souscrivant des assurances privées ou en adhérant à des mutuelles.

3. Le modèle universaliste

Le modèle universaliste a pour objectif affiché l'accès de tous à la protection sociale. On parle là de l'État Providence bévéridgien, en référence à Lord Beveridge qui publia pendant la seconde guerre mondiale à Londres un rapport célèbre sur le « welfare state ».

Ce rapport aboutit à la mise en place d'un système de protection sociale dont la logique est l'assistance et fondé sur :

le principe d'universalité prévoyant la couverture de chacun quelque soit sa situation professionnelle, c'est-à-dire que l'on soit actif ou inactif ;

le principe d'uniformité avec la mise en place d'une même couverture pour tous quelles que soient les cotisations versées ;

le principe d'unicité du service avec le monopole public d'une caisse chargée de la couverture des risques.

 

La mise en place de ce modèle s'est faite dans les pays à tradition sociale-démocrate comme l'Europe du nord. Mais il implique un très fort interventionnisme de l'État et des coûts élevés que les seules cotisations sociales ne suffisent pas à prendre en charge. C'est pourquoi l'institution de la Sécurité sociale y est étatisé et que les prestations et services sociaux doivent être financés par les impôts. De facto certains reçoivent donc plus qu'ils ne contribuent et vice versa, le modèle universaliste fonde donc un État providence pratiquant une redistribution verticale.

B. Le modèle français de protection sociale

Le système de protection sociale français n'est clairement pas d'inspiration libérale, mais il tient simultanément des logiques d'assurance et d'assistance.

1. Un modèle corporatiste ...

Le système français de protection sociale, tel qu'il se mit en place dans l'immédiat après-guerre et dont le maître d'oeuvre est Pierre Laroque, correspond au modèle corporatiste. Il prévoit ainsi que chaque salarié soit soumis à des cotisations sociales (charges sociales) proportionnellement à son salaire, afin de pouvoir prétendre à des prestations sociales elles-même proportionnelles aux cotisations (sauf en matière familiale voir ci-après).

Ce système correspond donc bien au principe de l'assurance puisque les assurés sociaux seront assujettis à des cotisations salariales prélevées directement sur les salaires (le salaire net est le salaire brut, déduction faite des cotisations salariales), et les employeurs cotiseront aussi pour leurs salariés en proportion du salaire brut. On cotise pour chacun des « risques » (vieillesse, maladie, maternité-famille, chômage, accidents du travail). Tout assuré social a droit aux prestations sociales, c'est à dire à des revenus versés quand les conditions requises sont remplies (allocations familiales, remboursement de frais de maladie, etc).

 

Mais il ne s'agit pas d'un modèle purement corporatiste car il assure des fonctions redistributrices dans le cadre d'une politique familiale visant à encourager la natalité. Une redistribution horizontale s'opère au profit des familles les plus nombreuses.Ainsi, un père de famille assure le droit aux prestations à son épouse si elle est inactive et à tous ses enfants mineurs. Un célibataire ayant le même salaire que ce père de famille paiera la même cotisation mais disposera de beaucoup moins de prestations (pas d'allocations familiales, beaucoup moins de remboursements de frais de maladie, etc…).

Une touche d'universalisme fut aussi présente dès le début afin de répondre à la pauvreté des vieux travailleurs. Mais il s'agissait là d'une phase transitoire dans le corporatisme puisque lorsque les assurances vieillesse furent mises en place, de nombreux travailleurs n'avaient pas assez cotisé pour disposer d'une retraite entière. Les personnes âgées, y compris celles qui avaient travaillé toute leur vie (mais sans cotiser au début), ne disposaient que de revenus très faibles, le minimum vieillesse, allocation non contributive fut donc instauré.

 

2. Qui tend vers un modèle universaliste

Avec la crise économique le modèle va incliner vers davantage d'universalisme en se préoccupant de mettre en place une redistribution verticale. Il s'agit alors de mettre des conditions de ressources à certaines prestations, ce qui signifie que seuls les assurés sociaux percevant des revenus inférieurs à un certain plafond pourront y prétendre, c'est le cas notamment de l'allocation de rentrée scolaire. Il a aussi été tenté de fixer des conditions de ressources aux allocations familiales, mais ce projet a été mis en échec car il est incompatible avec la politique familiale.

Mais la principale mutation de la protection sociale à la française découle du développement du chômage en France et notamment du chômage de longue durée et d'exclusion. Il en résulte qu'une partie importante de la population active n'a plus été capable de cotiser faute d'emploi à partir duquel verser des charges sociales. En toute logique ils ne pouvaient donc pas prétendre aux prestations sociales. La C.M.U. (Couverture Maladie Universelle) apparaît donc et permet aux personnes n'ayant jamais cotisé ou pas suffisamment longtemps de bénéficier d'une couverture sociale en cas de maladie, y compris de la couverture complémentaire (part généralement prise en charge par les mutuelles pour les assurés sociaux).

 

Cette universalisation de la protection sociale fait appel à la "solidarité obligatoire" de tous les citoyens puisqu'elle ne peut être financée que par les seuls salariés, elle mène donc à une étatisation de la protection sociale avec une part accrue nécessitant un financement par l'impôt. Le RMI (Revenu Minimum d'Insertion), créé en 1988, témoigne de cette tendance.

 

Le Revenu Minimum d'Insertion est une prestation étatique sans contrepartie qui s'adresse aux personnes résidant en France âgées d'au moins 25 ans (et moins en cas de personnes à charge). Il est accordé aux ménages ayant des ressources limitées, il s'agit d'une prestation différentielle dans le sens où le RMI versé est égal à la différence entre son montant maximal et le montant total des ressources du ménage. Le RMI n'est pas seulement un revenu minimum, il comprend aussi un dispositif d'insertion qui fait l'objet d'un contrat et qui peut donner accès à des stages de formation, à des contrats d'orientation, … Faute de suivre les engagements du contrat d'insertion le RMI peut être suspendu. Ce dispositif a été renforcé par la création en 2004 du Contrat Insertion - Revenu Minimum d'Activité, celui-ci est ouvert aux personnes titulaires du RMI depuis plus d'un an. Il s'agit d'un contrat de travail de 20 heures par semaine au minimum payé au moins au SMIC horaire, renouvelable 2 fois et ne pouvant dépasser 18 mois renouvellement compris.

 

3. L'institution de la Sécurité sociale

On confond souvent la Sécurité sociale avec l'État, certainement à cause du terme État Providence. Or, au sens strict, la Sécurité sociale dans le modèle corporatiste ce n'est pas l'État même si l'un comme l'autre sont des administrations publiques lèvent des prélèvements obligatoires : charges sociales pour la Sécurité sociale, impôts et taxes pour l'État. La Sécurité sociale est en réalité une administration de type particulier gérée par les partenaires sociaux dans le cadre du paritarisme.

 

Ces partenaires sociaux représentent le monde du travail salarié et le paritarisme veut que l'on considère trois grands intervenants dans le monde du travail : les salariés, les employeurs, mais aussi l'État. Les partenaires sociaux ce sont donc les représentants des syndicats dits représentatifs, les représentants des employeurs, et enfin de l'État.

Cette qualité de partenaires sociaux - que leur reconnaît l'État - leur donne donc la prérogative de gérer de façon monopolistique les organismes de recouvrement des charges sociales (URSSAF - Union pour le Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d'Allocations Familiales -)et de versement des prestations (les Caisses Nationales affectées aux différents risques) à l'exception de ceux liés à la prise en charge du chômage. Concrètement les organismes de Sécurité sociale ont donc un conseil d'administration dans lequel les administrateurs sont au tiers des syndicalistes, au tiers des représentants du MEDEF et au tiers des représentants du gouvernement.

 

Les volets de la protection sociale

La Sécurité sociale c'est le régime maladie + le régime familial + le régime vieillesse

Le régime maladie

La Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAV) prend en charge le risque maladie en versant un revenu de remplacement aux salariés en congé maladie et en règlant les dépenses maladies relatives à l'achat de médicament, à la consultation de médecins, aux actes médicaux à accomplir.

 

Le régime familial

Les Allocations Familiales (AF) accordent des allocations diverses aux familles d'au moins deux enfants afin de prendre en charge une partie des frais liés à la parentalité.

 

Le régime vieillesse

La Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse (CNAV) fonctionne suivant le principe de la répartition. En vertu de ce principe, les cotisations des actifs servent à payer immédiatement les retraites, tout en leur ouvrant des droits pour leur future retraite. Contrairement au principe de capitalisation on ne cotise donc pas pour soi mais pour payer les retraites de ceux qui sont déjà retraités, tout ce qui est cotisé est donc reversé immédiatement. On parle là du concept de "solidarité entre les générations".

La CNAV s'occupe uniquement du régime général lequel ne concerne que les salariés du secteur privé (d'autres caisses existent pour les indépendants selon qu'ils sont commerçants ou artisans, et les fonctionnaire retraités sont payés sur le budget de l'État). Elle assure le versement d'une retraite de base qui correspond à 50% du salaire moyen des 25 dernières années, avec un plafond. Les salariés touchent des retraites complémentaires, proportionnelles à leurs salaires, versées par des organismes spécialisés auprès desquels le salarié a cotisé pendant 40 ans pour avoir droit à une retraite pleine.

 

L'UNEDIC c'est le régime chômage

Les salariés en activité cotisent au régime d'assurance chômage de l'UNEDIC (Union Nationale pour l'Emploi dans l'Industrie et le Commerce). Il faut, pour percevoir des allocations chômage, être licencié ou arriver en fin de contrat. Les allocations versées sont dégressives, lorsque la période de chômage se prolonge le demandeur d'emploi finit par ne plus percevoir d'allocations, il se retrouve alors pris en charge par des dispositifs dépendant de l'État tel que le RMI (Revenu Minimum d'Insertion).

La Sécurité sociale, sa logique et ses implications

III. La crise de l'Etat providence

A. Une crise de financement

Le chiffre choc : le déficit de la sécurité sociale est estimé à plus de 20 milliards d'euros en 2009, soit le tiers de l'impôt sur le revenu !

1. Une conséquence de la crise économique

Le système de protection sociale français est coûteux en terme de charges sociales. Des charges que certains économistes -notamment keynésiens ou de l'école de la régulation - appellent salaire indirect, alors que pour les salariés ces charges amputent leur salaire net (salaire net = salaire brut - charges sociales) et sont des prélèvements obligatoires.

 

Mais en période de forts gains de productivité les profits et les salaires bruts augmentent, ce qui permet aux salaire nets d'augmenter même quand le poids des charges sociales s'alourdit. Ce fut d'ailleurs le cas pendant la période des 30 Glorieuses.

 

Par contre, à partir du début de la décennie 80, les gains de productivité se sont ralentis, dans le même temps les dépenses sociales se sont accrues de 5 % l'an de 1981 à 1992 alors que sur la même période le PIB augmentait de 3,5 % l'an, en 2006 ces dépenses se situent au tiers du PIB !

Face aux dépenses sociales en accroissement il faut donc augmenter les charges sociales.

Seulement voila, le poids accru des charges mène à une stagnation des salaires nets et conduit les employeurs à renoncer à la création de nouveaux emplois peu productifs. Ainsi les salariés déplorent la faible augmentation de leur pouvoir d'achat alors que les moins qualifiés - et moins productifs donc - paient le prix de la protection sociale par le chômage dans la mesure où leur coût charges incluses pour l'employeur excède leur productivité.

2. L'effet papy-boom

Le baby-boom de l'après-guerre date de 60 ans. Or 60 ans c'est précisément l'âge légal de la retraite, on assiste donc au papy-boom. Le poids des retraites pesant sur les actifs s'alourdit donc considérablement de par le nombre de retraités issus des classes pleines, ainsi que l'allongement de la durée de vie qui fait que l'on vit plus longtemps le statut de retraité : d'ores et déjà 31 % des revenus primaires sont composés de retraites et de préretraites. D'autre part le ralentissement de la natalité fait que le nombre de jeunes actifs s'accroît à un rythme moindre que les départs en retraite et l'entrée dans la vie active se fait plus tardivement avec l'allongement de la scolarité, on peut rajouter à cela un poids du chômage qui limite le nombre de cotisants à l'assurance vieillesse. Davantage d'ayant droits et un tassement du nombre de cotisants, c'est l'explosion assurée du régime des retraites.

 

« si l’on prend en compte les effets du vieillissement de la population française sur le demi-siècle allant de 1970 à 2020, le rapport entre actifs et inactifs va passer de 3 actifs pour 1 inactif à 1,5 actif pour 1 inactif, soit une division par 2 du rapport d’activité. Dans le même temps, l’espérance de vie après l’âge de la retraite va doubler. En d’autres termes, les fondements socio-économiques des régimes de retraite par répartition seront divisés par 4 »

Christian SAINT-ÉTIENNE

 

Selon le rapport Charpin de 2000, le déficit annuel des retraites sera de 152 milliards € en 2040 avec doublement du nombre de retraités et baisse de 10 % de la population active.

Les solutions qui s’offrent aux gestionnaires du système de sécurité sociale sont :

l’augmentation des cotisations ;

l’allongement de la période d’activité - donc l'allongement de la durée de cotisation - ;

l’alourdissement de l’intervention de l’État sur un système géré par les partenaires sociaux (notamment par un poids plus fort de la CSG et de la CRDS) ;

le rationnement des dépenses - donc la diminution du montant des retraites calculées sur une base moins favorable ;

la privatisation de la protection sociale, et notamment le passage de la répartition à la capitalisation pour l'assurance vieillesse.

 

Sauver la répartition, mais à quel prix ?

 

Il semble que la solution privilégiée est l'allongement de la vie active, mais cela ne sera pas suffisant pour sauver le principe de répartition.

Face au report de véritables réformes, les actifs qui en ont les moyens font le choix de souscrire à des assurances complémentaires, sur la base de la capitalisation : pendant sa vie active, le travailleur constitue auprès d'une société privée un capital qu'il récupère (en capital ou en revenus) au moment de sa retraite. On peut donc craindre que l'écart entre ceux qui auront une retraite entière assortie d'une retraite par capitalisation et les autres ne s'aggrave, la "solidarité entre les générations" risque de mettre à mal la cohésion sociale.

 

Le vieillissement de la population participe aussi au déséquilibre des comptes de l'assurance-maladie. On sait mieux guérir les maladies mais les traitements plus sophistiqués sont aussi plus coûteux. Le très grand âge en se développant conduit souvent à une perte d'autonomie et à la prise en charge des personnes très âgées en institution dont le coût pour les familles est supérieur au montant des retraites des pensionnaires. La prise en charge de la dépendance est ainsi souvent évoquée pour prétexte à la création d'un nouveau régime de la Sécurité sociale, mais la création de charges autonomies alourdirait nécessairement le poids des charges sociales.

3. Une gestion dans l'urgence

L'accentuation des risques sociaux tels que le chômage de masse et la dépendance (certains parlent même là de "nouveaux risques sociaux") a, comme nous l'avons vu, remis en cause le modèle corporatiste de l'État providence. Au nom du maintien de la cohésion sociale menacé par de nouvelles vulnérabilités, des dispositifs décidés dans l'urgence ont été pris.

 

La protection sociale à la française est ainsi devenue très complexe avec des dispositions particulières différentes suivant le statut des particuliers (privé ou public) ; des prestations en espèces mais aussi en nature (aides ménagères à domicile pour pallier à la dépendance), des droits contributifs (pour lesquels on cotise) et des droits non contributifs (pour lesquels on ne cotise pas comme le RMI et la CMU). L'évolution vers un modèle universaliste ne s'est pas organisée mais résulte en réalité de la faillite du modèle corporatiste français dont les ressources sont insuffisantes et ont dû être abondées par des ressources étatiques donc fiscales impliquant la création de nouveaux impôts tels que le CSG (Contribution Sociale Généralisée), la CRDS (Contribution au Remboursement de la Dette Sociale) lesquels ont pour assiette non seulement les salaires mais l'ensemble des revenus que ce soient ceux du travail ou du capital.

B. Une crise d'efficacité

1. Les indicateurs macrosociaux à la traîne

Les coûts élevés de la protection sociale en France amène l'utilitariste à comparer les coûts et les réalisations. Nous avons vu que ces coûts sont à hauteur du tiers du PIB, ajoutant que la protection sociale alimente une immense bureaucratie avec des milliers d'organismes y participant. Alors que les régimes de la Sécurité sociale et de l'UNEDIC sont devenus structurellement déficitaires en dépit des augmentations continues de prélèvement, ils n'en sont déjà pas moins parmi les plus coûteux au monde.

 

Un État providence efficace supposerait donc qu'à des coûts plus élevés que ceux des autres pays développés corresponde une situation sociale de la population française (macrosocial) plus confortable. Or tel n'est pas le cas puisqu'en dépit des dépenses de santé élevées l'espérance de vie et l'état sanitaire de la population française ne diffèrent pas de ceux de nos voisins. Idem pour le régime famille : la politique familiale n'a pas permis de dépasser les chiffres européens en matière de fécondité. Quant à la population vivant sous le seuil de pauvreté, le "tout social" ne permet pas d'affirmer que la pauvreté touche moins les ménages français que ceux des autres pays industrialisés. Enfin la cohésion sociale qu'aurait permis la Sécurité sociale est en crise, elle aurait au contraire divisé la population française entre ceux qui réclament des droits et ceux qui paient pour les autres. Cette tension est la principale source de blocage de la société française dans laquelle toute réforme se heurte à la défense de l'assistanat.

 

La pauvreté en France

2. Les effets pervers de la protection sociale

Le chômage de longue durée et l'exclusion qui en résulte portent atteinte à la cohésion sociale. Cette situation sociale peut être partiellement imputée aux coûts élevés du travail salarié qui résulte des charges sociales. Nous avons vu que ce sont les salariés les moins productifs, donc la plupart du temps les moins qualifiés, qui souffraient le plus de cette situation dans la mesure où le coût de leur travail excède leur productivité. Il s'agit là d'un véritable chômage d'exclusion contre lequel les pouvoirs publics réagissent de façon désordonnées en accordant puis en supprimant des dégrèvements de charge pour les bas salaires. Ce chômage constitue un manque à gagner en terme de cotisations et induit des coûts supplémentaires pour la protection sociale, donc une hausse des charges laquelle favorise le chômage d'autres salariés faiblement qualifiés. Nous sommes là dans un cercle vicieux qui nourrit un chômage de masse structurel.

 

Du côté de l'offre de travail, la protection sociale conduit à d'autres effets pervers, dont la trappe à l'inactivité (aussi appelée trappe à la pauvreté) qui résulte d'un calcul individuel (microsocial). Nous en avons d'ailleurs précédemment expliqué le mécanisme...

Représentation de la trappe à la pauvreté

...Mais aussi l'effet Laffer dans la mesure où les charges sociales accroissent le poids des prélèvements obligatoires, donc réduisent la base de cotisation (ceux qui paient beaucoup de charges préfèrent limiter leur activité ou encore partir, mais aussi s'adonner au travail clandestin ou y avoir recours en tant qu'employeurs, car rappelons le : les charges ce sont aussi bien les employés que les employeurs qui les paient).

 

En outre les salariés considèrent que le coût de la sécurité obligatoire est plus élevé que la valeur qu’ils en retirent et si on leur en donnait la possibilité ils préfèreraient peut-être s’assurer ailleurs ou toucher en argent le montant des cotisations patronales. En conséquence la Sécurité sociale créé un chômage volontaire car elle maintient le salaire net (salaire brut – charges salariales) en-dessous des exigences de certains salariés, à cause d’un poids trop important des charges sociales et d’un sentiment de ne pas suffisamment profiter des retombées des charges sociales payées.

3. Un poids en terme de compétitivité

Le coût de la protection sociale en France doit être désormais comparé avec son coût dans les autres pays. Effectivement, l'ouverture à la concurrence mondiale implique un impératif de compétitivité qui n'apparaissait pas lorsque l'économie française était fermée. Désormais il est possible d'acheter des produits et services du monde entier, d'investir sur toutes les places financières dans les entreprises les plus rentables.

Le monde de l'entreprise doit donc limiter ses coûts de production et augmenter sa productivité ou tout du moins ne pas laisser les coûts augmenter plus rapidement que la productivité. Parmi ces coûts on relève le coût de la protection sociale, l'augmentation de ce coût est donc un frein à la compétitivité des entreprises françaises qui perdront donc des marchés et des investisseurs limitant ainsi la croissance et l'emploi donc le financement de la protection sociale.

 

Il importe donc de diminuer le coût de la protection sociale en sachant les effets pervers de toute hausse des cotisations (chômage en plus, baisse de compétitivité), surtout dans un contexte ou les autres pays européens ont entrepris des réformes permettant la baisse des coûts sociaux.

C. Une crise de légitimité

1. L'assistanat généralisé

Le voile d'ignorance de Rawls ne joue pas lorsque chacun par son comportement ne se met pas dans un situation où il pense qu'un risque social peut se concrétiser pour lui comme pour tout le reste de la société, mais s'expose sciemment à ce risque car sa prise en charge sociale l'a rendu peu coûteux pour lui. On rentre là dans le phénomène de la sélection adverse (l'assurance d'un risque amène les assurés à moins se prémunir contre l'occurence du risque), voire dans l'assistanat volontaire.

 

Ainsi la crise de l'État providence c'est aussi une crise de légitimité : est-il juste de ponctionner ceux qui réussissent par leurs efforts au profit de ceux qui considèrent l'assistanat comme un droit social acquis ? Là encore la cohésion sociale est mise à mal par la déresponsabilisation de l'individu vis-à-vis de sa situation personnelle. Effectivement le discours ambiant autour de la notion de solidarité nationale fait de l'exclusion la faute de la société, ce qui nourrit alors envie et animosité chez les moins favorisés.

2. Welfare ou Workfare ?

Le risque social est en partie exogène et endogène.

Exogène dans le sens où il est inévitable, comme par exemple être touché par la sclérose en plaque ou le cancer, être victime d'un accident du travail.

Endogène dans le sens où il dépend des assurés sociaux qui s’exposent plus ou moins aux risques, comme le jeune qui refuse une formation qualifiante, le demandeur d'emploi qui attend de ne plus toucher d'allocations chômage avant de rechercher un emploi, ou encore celle qui confond les IVG à répétition avec une méthode de contraception, ...

 

La Grande-Bretagne de Blair et l'Allemagne de Schröder, pays qui ont pris l'initiative de l’État providence, ont pris conscience de la part endogène du risque. Ils ont donc entrepris des réformes tendant à passer du Welfare (assistance sous-entendue sans condition) au Workfare (assistance sous condition).

Le principe du Worfare veut que :

les systèmes sociaux incitent les bénéficiaires à retrouver un emploi " Welfare to Work " ou "Workfare " plutôt que " Welfare ";

des critères de conditionnalité soient introduits dans l’octroi des prestations sociales.

 

En France aussi il est question d'introduire des conditions pour prétendre aux prestations. Le RMI a été l'objet de bien des critiques dans la mesure où l'on sort difficilement de ce dispositif alors qu'on y entre de plus en plus. On parle donc de ne verser le R.M.I.que pendant deux ans. Au delà, si la personne n'a pas retrouvé des revenus dépassant le plafond, elle pourra percevoir le revenu minimum d'activité. Le principe du Contrat d'insertion - revenu minimum d'activité (CIRMA) est le suivant : un employeur (y compris du secteur privé) pourra embaucher pour 20 heures par semaine payées au S.M.I.C. (soit 625 euros bruts en juillet 2003) une personne bénéficiaire du R.M.I. depuis deux ans au moins ; en contrepartie, l'Etat lui versera l'équivalent du R.M.I. et le déchargera du versement de l'essentiel des cotisations sociales. L'employeur devra assurer une formation et un encadrement particuliers à ces personnes, il ne pourra en embaucher s'il a procédé à des licenciements économiques dans les 6 derniers mois et le contrat ne pourra excéder 18 mois.

3. Quel avenir pour la protection sociale en France ?

Les projets de réformette ne sont en général pas durables.

Au lieu de libérer la protection sociale le monopole des organismes de Sécurité sociale est conservé et de nouvelles obligations sont imposées avec prise en charge toujours réduite.

 

Pourquoi cette absence de réforme ? Les raisons sont davantage politiques qu'économiques, il n'est pas question de priver les syndicats qui gèrent les caisses de cette manne alors que l'État providence est clairement en faillite.

 

L'État contre le pouvoir d'achat

 

L'impôt négatif

Milton Friedman a théorisé le principe d'un impôt négatif. Celui ci serait transféré de l'État aux contribuables dont les revenus non seulement ne seraient pas imposables mais inférieurs à un minimum déterminé.

Ce principe a depuis donné lieu au crédit d'impôt, mais l'idée d'allocation universelle derrière le principe d'impôt négatif va bien plus loin. Il s'agit en effet de remplacer toute le système d'allocations sociales avec ses multiples et indénombrables aides par une seule allocation versée par le fisc et calculée uniquement en fonction des revenus. Cependant ce système peut désinciter à l'activité ceux dont les revenus primaire sont à peine supérieur au revenu minimum. Comme pour le retour à l'emploi des chômeurs de longue durée, des mesures ont donc été prises afin de diminuer les allocations d'un montant moindre à la hausse des revenus primaires, le système de prime à l'emploi peut aussi inciter à l'activité des demandeurs d'emplois.